lundi 27 décembre 2021

26 décembre 2021 - AUTREY-lès-GRAY - Fête de la Sainte Famille - Année C

 Sa 1,20-22.24-28 ; Ps 83 ; 1Jn 3,1-2.21-24 ; Lc 2,41-52
 
Chers frères et sœurs,
 
Que peut-on apprendre sur la sainte famille dans l’évangile d’aujourd’hui ? Il est quand même étonnant que – dans toute la vie de Jésus entre sa naissance et sa vie d’adulte – saint Luc n’a choisi de nous parler que de cet histoire d’escapade au Temple ! C’est donc que c’est malgré tout très important.
 
Les faits sont assez est simples : la famille de Jésus monte à Jérusalem pour une fête et en revient ; Jésus s’échappe et reste dans le Temple avec les docteurs de la Loi ; Marie et Joseph le cherchent et le trouvent au bout de trois jour. Il y a une explication, puis Jésus revient sagement avec eux à Nazareth.
Notons que, lorsque Marie dit qu’avec Joseph, ils ont « beaucoup souffert », l’expression renvoie en araméen à l’« affliction » des disciples, lorsque Jésus s’est éloigné pour prier, à Gethsémani. De la même manière, lorsque nous lisons dans la bouche de Jésus : « Il me faut être chez mon Père », l’araméen dit plus précisément : « Il me faut être dans la Maison de mon Père. » Ces petites précisions et ces variations de vocabulaire ont une certaine importance pour comprendre le sens du texte.
 
Nous arrivons alors à notre question du départ : pourquoi saint Luc a-t-il voulu nous raconter cette histoire ? Je retiens deux enseignements. Il pourrait y en avoir d’autres.
 
Premier enseignement. Saint Luc a fait mention des trois jours où Joseph et Marie affligés le recherchent. Nous sommes renvoyés aux trois jours où les Apôtres, également affligés, ont perdu Jésus, depuis Gethsémani jusqu’à ce qu’il les retrouve à sa résurrection. Ainsi donc, Jésus, qui a choisi librement l’amour de son Père, a quitté les siens. Lorsque ceux-ci perçoivent son absence, ou sa mort prochaine, ils sont dans une grande affliction. Mais ils le retrouvent, qui au milieu des docteurs de la Loi dans le Temple de Jérusalem, ou qui ressuscité, au milieu de la couronne de tous les saints, dans la gloire du Ciel.
Le dialogue entre Jésus et ses parents « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » anticipe déjà le dialogue entre Jésus ses disciples, lors de la dernière Cène, alors qu’il leur enseigne par anticipation le sens de sa Passion et de son Ascension : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père. » Pour finir, Jésus, en restant parmi les docteurs de la Loi dans le Temple, et en les étonnant par ses réponses, annonce déjà qu’il est le Maître de la Loi dans la Gloire du Ciel, parmi tous les saints.
L’histoire de Jésus au Temple est donc une prophétie de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection, et de son ascension dans la gloire du ciel.
 
Si on a bien saisi cela, le second enseignement – qui concerne la Sainte Famille – devient plus évident. Nous voyons d’abord Jésus venir avec toute sa parenté à une fête à Jérusalem. Or il quitte cette famille humaine pour se trouver une nouvelle famille : celle des docteurs de la Loi, qui habitent le Temple, la « Maison de son Père », dit Jésus. Bien sûr, Marie et Joseph le retrouvent et le récupèrent, mais Marie a compris la leçon : sa vraie famille, c’est celle de Notre Père qui est aux cieux, et de ses milliards de frères et sœurs, les saints et saintes de Dieu. Telle est la vraie famille de Jésus.
Or Marie et Joseph en font eux aussi partie bien sûr, car ils sont saints eux aussi. Souvenez-vous de cette parole adressée par une femme à Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » Ce à quoi il a répondu : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Et de même lorsqu’on l’a interpellé : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » A quoi il a répondu : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »
On a compris : la famille de Jésus, ce sont les disciples et les serviteur de la Parole de Dieu. Ce sont tous les saints, au premier rang desquels on trouve Marie et Joseph, qui ont les premiers écouté les paroles de l’Ange du Seigneur et les ont mises en pratique.
 
Et finalement, aujourd’hui même, la famille de Jésus, c’est nous aussi, qui sommes à l’écoute de l’Évangile et qui le mettons en pratique en célébrant l’Eucharistie.
Bonne fête de la Sainte Famille !

 

 


25 décembre 2021 - CHAMPLITTE - Messe du Jour de la Nativité - Année C

 Is 52,7-10 ; Ps 97 ; Hb 1,1-6 ; Jn 1,1-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile de la messe de la Nuit de Noël, se trouve cette annonce de l’ange aux bergers : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » Nous ne voyons pas en français le jeu de mot qui existe en hébreu ou en araméen entre le mot « Sauveur » et le nom de « Jésus ». En fait, ils ont la même racine et disent exactement la même chose. L’un explique l’autre. Or, ce que nous ne savons pas non plus, est que l’on peut traduire le mot hébreu soit par « Sauveur », soit par « Vivificateur » – celui qui donne la vie. Jésus est celui qui sauve et qui donne la vie. C’est ce que signifie exactement son nom.
 
Nous retrouvons ici le prologue de saint Jean. Saint Jean évoque pour commencer le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, c’est-à-dire Jésus, dont il dit : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » Et c’est bien normal puisque Jésus est la source de la vie – c’est son nom. Cette vie, remarquons-le, devient aussitôt lumière. Saint Jean dit d’ailleurs juste après : « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. » Cette vie qui devient lumière s’oppose aux ténèbres et les repoussent victorieusement. Mais de quoi saint Jean parle-t-il vraiment quand il évoque cette vie et cette lumière ?
 
Il a commencé son prologue par « Au commencement », et c’est la clé de tout. « Au commencement », c’est le tout début du livre de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », et il appela les ténèbres « nuit », il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. »
 
C’est ainsi que la vie de Dieu – Dieu lui-même qui est la vie – a créé le ciel et la terre et d’elle est venue à l’existence la lumière, qui séparée des ténèbres, a donné le temps. Nous comprenons donc que saint Jean nous dit que cette vie – Dieu lui-même – qui est aussi lumière, c’est Jésus. Et c’est parce qu’il est la vie même qu’il est aussi notre sauveur. Aujourd’hui, en ce jour de Noël, la vie de Dieu est née dans la chair d’un homme, comme nous, dans notre chair. L’infini s’est rendu visible et palpable dans un corps fini, celui de Jésus. Mais c’est la même vie, la même lumière, celle du Dieu créateur. C’est comme si tout l’univers se retrouvait concentré en une tête d’épingle. Et cette épingle est aujourd’hui un bébé fragile couché dans une mangeoire.
 
Voilà pourquoi saint Jean dit : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » Nous autres chrétiens – et nous sommes les seuls à affirmer cela dans le monde – nous confessons que le Dieu créateur de l’univers s’est fait connaître en Jésus-Christ. Il a dévoilé son visage et ses intentions : après nous avoir créé par amour, nous aimer, donner sa vie pour nous par amour, nous conduire par sa mort et sa résurrection jusqu’à la vie éternelle, dans son amour. La volonté de Dieu est de faire de nous ses enfants bien-aimés pour l’éternité.
 
Chers frères et sœurs, le mystère de Noël est plus puissant qu’une bombe atomique : il est une lumière éblouissante qui provoque en nous une immense espérance. Notre vie n’est pas vaine ; elle n’est pas insensée ; elle n’est pas vouée à l’oubli ; elle n’est pas sans fécondité : elle trouve sa dignité et sa force ; elle trouve sa beauté et sa sainteté, dans l’amour de Dieu qui aujourd’hui parmi nous est né. Joyeux Noël !


24 décembre 2021 - VELLEXON - Messe de la Nuit de la Nativité - Année C

 Is 9,1-6 ; Ps 95 ; Ti 2,11-14 ; Lc 2,1-20
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile de la naissance de Jésus à Bethléem est une source inépuisable de joie et de méditation. Au fil des dernières années, dans les précédents sermons, j’ai déjà évoqué beaucoup de choses : que saint Luc nous transmet le récit d’événements historiques, scientifiquement vérifiables, dont il a appris le détail par la Vierge Marie elle-même ; que la lumière qui illuminait les bergers était la même que la toute première création de Dieu, dans la Genèse : « Que la lumière soit ! » ; lumière qui avait attiré Moïse près du buisson ardent au Mont Sinaï, illuminé le visage de Pierre, Jacques et Jean lors de la Transfiguration, et ébloui les gardes du tombeau de Jésus lors de sa résurrection. Nous avons vu aussi que les linges de la crèche étaient comme ceux du tombeau de Jésus, mais aussi comme ceux sur lesquels reposent son Corps et son Sang sur l’autel pendant la messe ; que les Bergers étaient semblables aux Apôtres, venus en hâte pour contempler le nouveau-né, le premier-né d’entre les morts ; et semblable à nous tous, venus en hâte pour la messe de Noël – ou celle de Pâques. Et que les Bergers sont repartis, chantant les louanges de Dieu et racontant cette histoire à qui voulait l’entendre ; comme les Apôtres et les évêques après eux, et les prêtres, et les moines, et tous les chrétiens, chantent les louanges de Dieu jours et nuits, et annoncent l’Évangile de Jésus Christ à toute la terre.
 
Alors, ayant déployé devant vous – si rapidement, trop rapidement – les trésors de Noël, que pourrais-je bien dire ce soir de plus et de nouveau ? Il m’est venu deux choses, à relire l’Évangile plus attentivement, que je vous partage, comme du bon pain et du bon vin.
 
Le bon pain, d’abord, est caché dans cette phrase : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » Il s’y trouve un jeu de mot qui n’est compréhensible qu’en hébreu ou en araméen. Il se trouve que, dans les langues sémitiques, le mot « Sauveur » a la même racine que le prénom « Josué » ou « Jésus ». Dire « Sauveur » ou « Jésus », c’est pareil. Et même, le mot « Sauveur » est pour nous une traduction. Pour un araméen, il veut dire aussi – et peut-être plus exactement : « Vivificateur », celui qui donne la vie. Ainsi Jésus est celui qui est notre sauveur parce qu’il est en même temps celui qui nous donne la vie. Il est lui-même la source de la vie, celle qui vient de Dieu, créatrice et éternelle ; celle qui illumine les yeux et qui est la paix du cœur. Tout en un. « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né Jésus, qui est le Christ, le Seigneur. »
 
Le bon vin ensuite, part d’une observation générale de cet histoire de recensement à Bethléem. Ce ne sont évidemment ni Joseph, ni Marie, qui ont décidé de ce recensement, ni de la loi qui les oblige à se rendre à Bethléem, en caravane, alors que Marie est près d’accoucher. Au fond, on ne pouvait pas trouver pire moment, d’autant plus que les hôtels de Bethléem sont saturés. Or le fait qu’ils s’y trouvent pour la naissance de Jésus permet de réaliser les prophéties anciennes, qui annonçaient la naissance du Sauveur à Bethléem, pour affirmer avec force qu’il était lui-même Fils de David, pour accomplir toutes les prophéties faites à David de l’avènement d’un règne de paix qui ne passera jamais. Bref, les contraintes humaines rencontrées par Marie et Joseph ont été les outils de la Providence de Dieu pour réaliser son plan de salut pour tous les hommes.
De la même manière, je ne peux pas m’empêcher d’observer que dans la vie de beaucoup d’entre nous – si l’on y regarde bien, avec les yeux de la foi – on y retrouve la même puissance de la Providence de Dieu. Ce qui paraît contrainte, parfois échec, erreur ou éloignement, parfois même insignifiance, dans nos vies, peut tout à coup – parce que Dieu à un moment s’en est saisi – devenir son outil pour réaliser son œuvre pour les hommes. Dieu ne cesse jamais d’agir par sa Providence, qui n’est autre que son Esprit Saint. Et finalement qu’est-ce qu’un saint ou une sainte ? N’est-ce pas quelqu’un qui se donne entièrement – par toute sa vie – à la Providence de Dieu ? Et qui devient porte-parole, prophète, gérant, serviteur de Dieu au profit de tous les hommes, pour leur salut – ce qui veut dire, comme nous l’avons vu, pour leur vie.
 
Cher frères et sœurs, par notre baptême, nous avons été consacrés à la Providence de Dieu. Nous sommes les saints et les saintes de Dieu dans notre village, notre région, notre pays. Il n’y en a pas d’autres. C’est en même temps une vocation merveilleuse – car qui ne rêverait d’être à l’image de celui qui donne la vie ? – et une vocation exigeante, car il n’y a qu’un mauvais pas à faire, quand on est un ange, pour devenir un démon. Grandeur de la vocation et fragilité de l’homme : nous ne pouvons rien faire sans l’Esprit de Dieu. Justement, aujourd’hui, réjouissons-nous, car nous avons vu que dans son grand amour pour nous, le Seigneur, à travers notre histoire, nous guide jusqu’à la lumière de Jésus, notre Sauveur et notre Vie, hier, aujourd’hui, et pour toujours. Joyeux Noël !


lundi 20 décembre 2021

18-19 décembre 2021 - CUGNEY - BOURGUIGNON-lès-LA CHARITE - 4ème dimanche de l'Avent - Année C

 Mi 5,1-4a ; Ps 79 ; Hb 10,5-10 ; Lc 1,39-45
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a une différence irréductible entre la foi chrétienne et toutes les autres religions, c’est que pour les Chrétiens, en Jésus, Dieu s’est fait homme, pour que nous les hommes, nous puissions entrer par lui, Jésus, dans la communion de Dieu. Si Jésus n’est pas mort et ressuscité avec sa nature humaine, alors nous qui sommes humains nous ne pouvons pas entrer dans la gloire divine qui nous est promise. 
Ainsi, pour que s’accomplisse réellement la promesse de Pâques, il faut donc d’abord que Noël se soit vraiment réalisé, c’est-à-dire que Jésus, qui est Dieu, soit conçu et né dans une chair humaine, dans la même humanité que nous. Ce qu’on appelle « Incarnation de Dieu » est donc pour nous, chrétiens, un événement essentiel, qui nous sépare de toutes les autres religions. Et c’est pour cela qu’on fête Noël avec une grande solennité. L’incarnation, voilà de quoi nous parlent les Écritures et l’Évangile d’aujourd’hui.
 
Cette espérance que Dieu viendrait un jour dans le peuple d’Israël pour le guérir de ses péchés, le sauver de la mort, et le restaurer dans sa sainteté de Peuple de Dieu, cette espérance a été mainte fois exprimée dans les Écritures.
Nous l’avons vu dans le Livre de Michée : « Dieu livrera son peuple jusqu’au jour où enfantera celle qui doit enfanter. » Le prophète Michée avait donc annoncé que le sauveur naîtrait d’une femme, curieusement sans référence à un père humain – comme c’est le cas pour Jésus dont le père est Dieu. L’annonce de Michée, au contraire, aurait dû être tournée différemment, par exemple : « Dieu livrera son peuple jusqu’au jour où naîtra un fils à David. » En effet, pour un hébreu, la descendance est toujours dans la semence des pères. Or ici, nous le voyons bien, il n’est pas question de père humain : le Sauveur sera enfanté seulement par « celle qui doit enfanter », la Bienheureuse Vierge Marie.
De même le peuple d’Israël, qui chantait les psaumes plusieurs fois par jours, connaissait ce passage du psaume 39 : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. […] alors j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. » Comme dans tous les Psaumes, celui qui parle, celui qui prie, c’est Jésus, et son peuple avec lui, c’est-à-dire les Juifs et nous, les chrétiens. Or Jésus dit à Dieu son Père : « Tu m’as formé un corps. » Ainsi donc, dans les Psaumes – la plupart écrits au temps du roi David et de Salomon – on annonçait aussi la venue de Jésus dans une chair humaine, « ainsi qu’il est écrit dans le Livre », c’est-à-dire dans la Loi de Moïse.
Ainsi donc, on attendait en Israël la venue du Sauveur, dont le Père est Dieu lui-même, dont la mère est une fille d’homme ; Sauveur qui prendrait chair en elle. Et ceci pour que par sa mort et sa résurrection, nous qui sommes chair, nous puissions entrer nous aussi par la résurrection dans la gloire de Dieu.
 
Je voudrais terminer en vous offrant trois petits cadeaux de Noël pour illuminer votre méditation de l’Évangile.
Saint Luc dit que Marie « entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth ». L’emploi du verbe « saluer » est une traduction, qui – comme toute traduction – trahit le texte original. En hébreu ou en araméen « saluer » correspond à « demander la paix de ». C’est pourquoi quand on dit « bonjour » en hébreu aujourd’hui on dit « Shalom », ou en arabe « Salam », ce qui veut dire « paix ». En fait, Marie demande la paix d’Elisabeth, ou plutôt elle lui demande ce qu’il en est de sa paix, si elle est en paix, en souhaitant qu’elle le soit. Ce n’est pas un petit coucou en passant : elle s’enquiert de la paix en elle, de la vraie paix donnée par Dieu, ce qu’on appelle aussi la grâce.
Autre détail de traduction qui ouvre quelques perspectives : « l’enfant a tressailli d’allégresse en moi ». En fait, Elisabeth dit exactement : « en une grande joie, le bébé a bondi dans mes entrailles ». On voit l’image !! Luc utilise l’expression « grande joie » pour Jean-Baptiste, mais aussi après pour les bergers, puis pour les mages : c’est dire que, dans cette réaction du bébé, c’est déjà la joie de Noël qui s’annonce. Ensuite Elisabeth dit que le bébé a « bondi », c’est en effet le verbe qui est utilisé pour les bouquetins qui bondissent dans les montagnes. C’est une manière de souligner encore plus la joie extraordinaire de Jean-Baptiste à l’approche de Jésus.
Enfin dernier petit cadeau, là aussi question de traduction : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». En fait, dans certains anciens manuscrits, il est écrit : « Heureuse celle qui croit que s’accomplissent ces choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur. » C’est-à-dire que Marie n’a pas simplement cru à l’annonce de l’Ange le jour de l’Annonciation, elle croit tout le temps à ce qui lui arrive et qui lui a été annoncé par l’Ange. La foi de Marie n’est pas d’un instant passé, elle est de tous les instants ; elle est de tout le temps.
 
Voilà donc, chers frères et sœurs, quelques éléments de méditation tirés des textes d’aujourd’hui. La grande joie de Noël est due au fait que la venue de Dieu en notre humanité – venue annoncée par les Écritures et les prophètes, en vue de son salut – se réalise enfin en Jésus. Et cela fut rendu possible par la foi de Marie qui a accepté – et accepte toujours – qu’en elle se réalise l’espérance d’Israël.


lundi 13 décembre 2021

12 décembre 2021 - PESMES - 3ème dimanche de l'Avent - Année C

So 3,14-18a ; Is 12 ; Ph 4,4-7 ; Lc 3,10-18
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Évangile que nous avons entendu est important pour comprendre qui est Jésus et quelle est sa mission, alors que les gens se demandent si le Messie tant attendu n’est pas plutôt Jean-Baptiste ?
En effet, comme nous l’avons vu dimanche dernier, Jean-Baptiste appelle chacun à se convertir, à préparer sa vie à la venue du Seigneur, pour qu’il vienne la transformer en vue du salut. Jean-Baptiste n’est pas n’importe qui : il appartient à une famille de prêtres, peut-être même de grands prêtres. Aussi sa parole a-t-elle du poids en Israël. C’est pourquoi Pharisiens et Sadducéens – c’est-à-dire les prêtres de Jérusalem – le prennent très au sérieux.
Juste avant le passage de l’évangile que nous avons lu, Jean-Baptiste s’adressait justement à eux, en leur rappelant que l’appartenance à la descendance charnelle d’Abraham ne suffisait pas pour être sauvé : il faut aussi accomplir un service de Dieu qui soit digne de lui. D’ailleurs, expliquait-il, Dieu lui-même peut susciter de nouveaux fils à partir des pierres que voici – annonçant déjà que le salut pouvait  être ouvert à tout homme sur la terre. Jean-Baptiste leur annonçait aussi que le temps était venu : Dieu ne se contente plus d’un entretien ordinaire de ses arbres, mais il va maintenant en tailler les racines. Prêtres et Pharisiens sont donc prévenus : l’hypocrisie doit cesser, car le temps de Dieu est venu.
 
Or, c’est juste à ce moment que les foules s’adressent à Jean-Baptiste pour lui demander : « Alors, Que devons-nous faire ? » D’après saint Matthieu, cette question n’est posée d’abord que par les Pharisiens et les Sadducéens ; mais pour Luc il s’agit des foules. Voyons pourquoi cette différence.
Trois groupes de gens posent à Jean-Baptiste la même question « Que devons-nous faire ? » : d’abord les Pharisiens et les Saducéens – ou les foules ; puis les Publicains, c’est-à-dire les collecteurs d’impôts ; puis enfin les soldats. Pourquoi ces trois groupes de gens, auxquels Jean-Baptiste semble répondre par des banalités ? : « faites bien votre travail, avec honnêteté, et tout ira bien ! » Ce n’est pas très original pour un Messie ! 
En fait, derrière ces exemples, nous avons un rappel à l’observance de la Loi de Moïse : « Tu ne tueras pas », pour les Soldats ; « Tu ne voleras pas » pour les Publicains. Et pour les premiers nous aurions de manière imagée un rappel aux commandements de l’amour de Dieu et du prochain. En effet, donner un vêtement à celui qui n’en a pas, ne signifie pas seulement l’habiller, c’est aussi et surtout lui donner le moyen d’accomplir son service de louange de Dieu. Car le vêtement par excellence – surtout quand on s’adresse à des Pharisiens et à des Sadducéens – c’est le vêtement liturgique pour accomplir le service de Dieu. Ainsi, de cette manière, Jean-Baptiste rappelle que non seulement les prêtres doivent assurer le service de Dieu mais ils doivent aussi permettre, à celui qui ne sait pas ou ne peut pas de quelque façon, de pouvoir accomplir lui aussi sa vocation. Donner un vêtement à quelqu’un c’est lui donner le moyen de louer Dieu et lui permettre de pouvoir ainsi, lui aussi, d’honorer le premier commandement. Donner à manger est un commandement semblable : de même que les Prêtres de Jérusalem vivent des offrandes de nourriture faites au Temple, de même eux aussi doivent partager ce qu’ils auront reçu par la grâce de Dieu. Et, par-delà la nourriture du corps, il s’agit surtout de toute nourriture spirituelle : la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. Les prêtres et les pharisiens doivent instruire le peuple et ne pas réserver pour eux-mêmes la connaissance de Dieu.
Ainsi donc, Jean-Baptiste appelle chacun : prêtre, administrateur et soldat – c’est-à-dire tout le monde comme l’a bien compris saint Luc – à accomplir non seulement son métier honnêtement, mais surtout à accomplir les commandements de la Loi, ici résumée pour l’essentiel par le devoir de l’amour de Dieu et du prochain et par l’interdiction du vol et du meurtre par intérêt. Voilà les conditions posées par Jean-Baptiste pour se convertir et être baptisé par lui, pour se préparer à la venue du Seigneur. Son message est tellement impressionnant – car il appelle à revenir aux sources vives d’Israël – qu’on se demande s’il n’est pas lui-même le Messie.
 
Mais Jean va plus loin : « Il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Jean répond qu’il n’est pas le Messie. Le Messie est tel que lui – Jean – n’est même pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Ici, il compare le Messie au Grand-Prêtre dont on défaisait la courroie des sandales avant qu’il entre dans le Saint des Saints. Jean ne se sent même pas digne d’être un enfant de chœur ! D’ailleurs, le Messie attendu va baptiser non pas dans de l’eau matérielle, mais dans l’Esprit Saint et le feu. C’est-à-dire que le Messie attendu est Dieu lui-même. Le baptême qui permet d’entrer dans le Royaume nouveau n’est pas un baptême en vue de l’instauration d’un royaume terrestre, mais un baptême en vue de l’accomplissement du royaume céleste. Le baptême de Jean n’est qu’une préparation, une prophétie au mieux, du baptême réel – celui que Jésus inaugure – le baptême des chrétiens, qui lui fait entrer dans la vie éternelle.

Finalement, chers frères et sœurs, grâce à la prédication de Jean-Baptiste, on comprend mieux qui est Jésus : il est le Messie véritable qui juge les cœurs selon la justice de la Loi et qui, par son baptême dans l’Esprit Saint et le feu, fait entrer tout homme juste dans la vie éternelle. Maintenant, puisque nous en sommes les prémices, rendons grâce à Dieu ! 

lundi 6 décembre 2021

04-05 décembre 2021 - FLEUREY-lès-LAVONCOURT - FEDRY - 2ème dimanche de l'Avent - Année C

Ba 5,1-9 ; Ps 125 ; Ph 1,4-6.8-11 ; Lc 3,1-6
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque nous lisons l’Évangile selon saint Luc, nous avons une première partie qui va de l’annonce de la naissance de Jésus jusqu’à son adolescence, où nous le voyons discuter avec les docteurs de la Loi dans le Temple de Jérusalem. Puis il y a une rupture de plusieurs années. Saint Luc ne nous dit rien jusqu’au moment où Jean-Baptiste commence à prêcher au bord du Jourdain : le passage de l’Évangile que nous avons lu aujourd’hui ouvre en effet une nouvelle grande partie de la vie de Jésus.

Ce moment où Jean-Baptiste commence à prêcher est extrêmement important. Saint Luc le dit de deux manières. D’abord il situe très précisément l’événement dans l’histoire, en donnant sept références précises : Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe. On ne peut pas faire plus officiel.
Ensuite, nous lisons : « La Parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. » Évidemment, je suis furieux contre la traduction liturgique, car en réalité saint Luc a écrit : « La Parole de Dieu fut sur Jean, le fils de Zacharie, dans le désert. » Dieu ne « s’adresse » pas à Jean. Il n’entend pas des voix. Mais la Parole de Dieu est « sur » lui : elle le domine ou elle le possède. Elle l’habite entièrement. En réalité, Dieu parle directement au peuple par la voix et par les actes de Jean-Baptiste, comme autrefois par les anciens prophètes.
Voyez bien, chers frères et sœurs, ce que veut nous faire comprendre saint Luc : aujourd’hui, à cet instant précis de l’histoire, Dieu a parlé, par la bouche de Jean-Baptiste dont il a fait son prophète. C’est un tremblement de terre : Dieu intervient de nouveau dans le cours de l’histoire des hommes. Il a repris la main.
 
Alors que dit Dieu par la bouche de Jean-Baptiste ? Il proclame un baptême de conversion pour le pardon des péchés, en accomplissant la prophétie d’Isaïe, car il vient.
Le Seigneur vient dans le monde et « tout être vivant » – « toute chair » dit saint Luc – verra le salut de Dieu. Et les plus anciens manuscrits disent que cette vision se fera « comme un » ou « ensemble », c’est-à-dire dans l’unité. Dieu vient donc rassembler toute l’humanité dans l’unité, dans son salut, ou dans sa gloire. C’est pareil. C’est pour cela que nous avons lu le Livre de Baruc et chanté le psaume 125 : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie ! »
Cependant, avant d’accéder au banquet des noces de l’Agneau, il faut mettre en pratique les oracles du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers… » Ici aussi la traduction est imparfaite : il ne s’agit pas de s’activer pour transformer le monde extérieur autour de soi pour y rendre plus propres et plus droites les voies de Dieu, mais il s’agit de nous préparer nous-mêmes et de rendre droites nos vies, pour que le Seigneur puisse venir en nous. La version de l’Évangile selon saint Luc, que Saint Irénée devait utiliser, dit très directement : « rendez droits vos chemins » pour pouvoir accueillir le Seigneur.
Ensuite, l’oracle d’Isaïe, après nous avoir interpellé personnellement, nous annonce que « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées… ». Il ne dit pas « Comblez les ravins ; abaissez les montagnes et les collines… ». La formulation est différente : « Tout ravin sera comblé… » Mais par qui ? Mais par Dieu lui-même, car nous en sommes incapables par nos propres forces. Lorsque dans la Bible, le sujet d’un verbe n’est pas clairement identifié, c’est que ce sujet est Dieu lui-même. La phrase est tournée de la sorte par respect pour le Nom de Dieu, qu’on ne doit pas prononcer à la légère.
Ainsi donc, l’oracle d’Isaïe nous appelle à faire un pas de conversion vers Dieu en préparant nos chemins, en rendant droits nos sentiers – c’est-à-dire nos vies – pour l’accueillir. C’est le baptême. Alors le Seigneur lui-même comblera les ravins de nos vies, en abaissera les montagnes et les collines ; il en redressera les passages tortueux et en aplanira les passages rocailleux. C’est-à-dire qu’il purifiera et sanctifiera lui-même nos vies, en vue de son Royaume.
 
Que pouvons-nous donc, chers frères et sœurs, retenir de l’Évangile d’aujourd’hui pour les semaines qui viennent ? La première est que Dieu a parlé : il a décidé d’ouvrir le chemin du rassemblement de toute l’humanité dans sa gloire. Ce chemin doit être préparé en nous par nous-mêmes d’abord, par le baptême de conversion. Et ensuite par lui-même, par la puissance de son Esprit Saint. L’Esprit Saint peut avoir un petit côté bulldozer quand il comble les ravins et abaisse les montagnes : cela veut dire que la sanctification de nos vies ne sera pas forcément une partie de plaisir. D’ailleurs Jésus lui-même a tracé le chemin : il est le bon chemin. Et ce chemin est passé par la croix douloureuse, avant de déboucher sur la résurrection. 
En fait, le Seigneur nous appelle à être comme Jean-Baptiste : à nous laisser envahir par l’Esprit Saint, à nous laisser entièrement habiter par lui, pour devenir à notre tour – là où nous sommes – des prophètes du Seigneur.

lundi 22 novembre 2021

20-21 novembre 2021 - VELLEXON - CHARCENNE - Solennité du Christ, Roi de l'univers - Année B

Dn 7,13-14 ; Ps 92 ; Ap 1,5-8 ; Jn 18,33b-37
 
Chers frères et sœurs,
 
« Le Christ, roi de l’univers ! » Voilà une prétention surprenante que les chrétiens affichent à la face du monde, et qui parfois les étonne eux-mêmes. N’est-ce pas là une prétention que Jésus n’aurait pas voulue lui-même, lui qui se présentait humblement lorsqu’il parcourait les routes de Galilée ? Et pourtant dans l’Évangile, il dit : « Il me faut annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé » ; et aussi : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » ; et encore, comme nous l’avons entendu répondre à Pilate : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. »
 
Ainsi il n’est pas question de savoir si Jésus est roi, s’il y a un règne ou un royaume de Dieu. La réponse est oui, bien sûr. Mais de quoi parlons-nous ? C’est en nous posant cette question que nous voyons apparaître les motifs de bien des conflits à l’époque de Jésus, mais aussi à la nôtre. Il y a trois manières de concevoir la royauté de Jésus.
La première est celle que craignait les grands prêtres et Pilate : celle d’un royaume terrestre, politique, où Jésus aurait physiquement pris le pouvoir à Jérusalem, à main forte et bras étendu. Certains aujourd’hui agitent toujours le chiffon rouge d’une possibilité que l’Église prenne le pouvoir politique en France ou ailleurs, au nom de Jésus. Ils se font peur à eux-mêmes, car Jésus a répondu à cette conception erronée de son règne : « Ma royauté n’est pas de ce monde. »
La seconde conception de la royauté de Jésus est celle de la vision du livre de Daniel, que nous avons entendue, et celle de l’Apocalypse : le royaume des cieux, où le Christ règne, est celui du monde à venir, après le jugement dernier. Il s’agit de la communion des saints.
S’il est vrai que le royaume de Jésus correspond à cette définition, il y en a encore une troisième qui est aussi vraie : le règne de Jésus a déjà commencé depuis son Incarnation, puis il s’est étendu par sa prédication, et surtout depuis la Pentecôte par le don de l’Esprit Saint. Ainsi, tous ceux qui sont habités par l’Esprit du Christ appartiennent déjà à son royaume. Ce que fait l’Esprit, c’est justement l’Église, nous rappelle saint Irénée. L’Église est déjà maintenant l’expression et la réalité du règne de Jésus agissant dans notre monde. C’est pour cela que c’est dans l’Église qui célèbre l’Eucharistie dans l’Esprit Saint qu’on trouve déjà la communion des saints.
 
L’Église n’est pas mue par un pouvoir d’ordre politique mais par un pouvoir d’ordre spirituel, même s’il faut bien reconnaître, d’une part, qu’elle doit adopter dans ce monde les formes juridiques d’une institution humaine, avec ce que cela requiert de pouvoir de gouvernement ; mais aussi, d’autre-part, et inversement, il faut assumer le fait que l’Esprit pousse les chrétiens à vivre d’une manière qui n’est pas commune à ceux qui ne le connaissent pas, y compris dans leurs institutions. Et cela crée forcément des tensions avec notre entourage, quand il faut faire preuve de fidélité à Dieu plutôt qu’aux hommes, jusqu’à parfois l’objection de conscience.
 
Cependant, je n’ai pas été assez loin dans ma présentation du règne de Jésus. Dans l’Apocalypse de saint Jean, le Seigneur dit : « Je suis l’Alpha et l’Oméga. Celui qui est, qui était et qui vient. » On a bien compris ce que voulait dire « Celui qui vient », c’est le Christ du Royaume à venir ; « Celui qui est », le Christ Jésus qui règne par l’Esprit Saint dans le cœur des membres de son Église. Mais je n’ai rien dit de « Celui qui était. » On pourrait justement comprendre, comme les grands prêtres, qu’il s’agit du royaume idéalisé de David, que Jésus aurait voulu restaurer politiquement. Mais ce n’est pas cela. Jésus régnait déjà au moment de la création de l’univers en tant que Parole de Dieu, que Verbe de Dieu. « Et par lui tout a été fait » disons-nous dans le Credo. Jésus est roi de l’univers, car il en est la parole créatrice. C’est lui qui le maintien dans l’existence par son Esprit. Et c’est encore par lui que cet univers sera renouvelé pour devenir la création nouvelle, dont la résurrection de Jésus constitue les prémices. « Jésus, roi de l’univers », c’est lui qui est la source permanente de toute réalité, de toute vérité, à l’origine, maintenant, et à la fin des temps. Jésus règne, hier, aujourd’hui et demain.
 
Nous sentons que ce regard nous donne un peu le tournis et c’est normal. Car nous touchons au grand mystère de Dieu. Jésus, celui qui s’est fait humble sur les chemins de Galilée, est le même qui est ce roi de l’univers. Il nous est proche comme il nous paraît lointain. Et pourtant c’est le même.
 
Chers frères et sœurs, quand nous sentons que le sol se dérobe sous nos pieds, que nous nous inquiétons pour l’avenir, que nous doutons parfois, regardons Jésus roi de l’univers et réconfortons-nous. Car de même qu’il nous a créés hier, il nous connaît aujourd’hui en toutes choses, avec nos heures et nos malheurs, et il nous rétablira entièrement dans son amour demain, par son Esprit. Car telle est la volonté de son Père, qui est aussi notre Père, seule origine de tout pouvoir et de toute royauté.

lundi 15 novembre 2021

14 novembre 2021 - VALAY - 33ème dimanche TO - Année B

Dn 12,1-3 ; Ps 15 ; Hb 10,11-14.18 ; Mc 13,24-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme vous le savez, le temps liturgique nous fait revivre chaque année toute l’histoire de la vie terrestre de Jésus, et même toute l’histoire de l’univers. En ce moment, nous arrivons presque à la fin des deux cycles : dimanche prochain sera celui du Christ Roi de l’univers, où tout sera accompli. Jésus – et nous en lui – sera glorifié dans les cieux, et l’univers sera entièrement renouvelé. Ce sera alors l’avènement d’une création nouvelle où nous serons tout en tous, dans la lumière, la paix et la joie.
Aujourd’hui nous sommes à l’étape juste avant : Jésus se manifeste au monde. C’est l’heure du jugement ; c’est l’heure du rassemblement des justes ; c’est l’heure de l’écroulement du monde ancien. Comme on le dit souvent, de manière un peu rapide, c’est l’heure de l’Apocalypse. Cependant, nous autres chrétiens, nous devons comprendre ces choses avec intelligence.
 
D’abord « apocalypse » ne signifie pas « fin du monde » mais « révélation ». Une apocalypse est une révélation des choses cachées. Par exemple, le livre de Daniel est une apocalypse : il s’agit de révéler, d’expliquer, aux israélites du IIème siècle avant Jésus, le sens des persécutions qu’ils vivent, alors qu’ils sont en guerre contre les Grecs. On est à l’époque des frères Maccabées, qui restaurent le royaume d’Israël, sa Loi et son culte, en se libérant de leurs envahisseurs et de leur domination culturelle. Le livre de Daniel raconte ainsi une histoire du monde pour mieux comprendre le sens du temps présent, et il annonce la venue du Messie libérateur qui – chose nouvelle – ne régnera pas seulement sur Israël, mais aussi sur toutes les nations. Ce Messie, qui est Fils de Dieu, est en même temps le Fils de l’Homme. On a bien compris, nous les chrétiens, qu’il s’agit de Jésus.
 
Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans la bouche de Jésus des références au livre de Daniel : « Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. » Jésus parle de lui-même et de sa venue. Il nous annonce que cette heure est proche, mais que nul n’en connaît le jour, sinon le Père. Saint Éphrem, le grand théologien des Églises orientales, disait que ce jeu entre « tout proche » et « nul n’en connaît le jour » permettait à toutes les générations de chrétiens d’attendre ce jour-là de son vivant – et de le désirer même – jusqu’à ce qu’il arrive réellement. Ainsi tous peuvent penser que le monde s’écroule de son temps – aujourd’hui on parle d’effondrement – mais que le Messie sauveur viendra et nous libérera. Ce jeu entre « tout proche » et « nul n’en connaît le jour » permet d’aviver en nous la foi, et surtout l’espérance.
 
Mais l’enseignement de Jésus ne serait-il pas pour nous, au fond, qu’une belle carotte ; une promesse présidentielle ; un vœu du nouvel an ? En fait, c’est plus simple et plus compliqué que cela. Car l’Heure de Jésus, en réalité, a déjà commencé, depuis sa résurrection, et surtout depuis la Pentecôte. Regardez : 
- « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. » Cette phrase s’est réalisée en partie lors de la Passion et de la mort de Jésus où le soleil s’est obscurci et où la terre a été ébranlée. De même lors de sa résurrection, il y a un tremblement de terre. 
- « Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. » Ils ont vu Jésus avec puissance et gloire ceux qui l’ont vu ressuscité, et lorsqu’il est monté aux cieux dans les nuées lors de l’Ascension. 
- « Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel. » Depuis la Pentecôte, les Apôtres et leurs successeurs évangélisent le monde et rassemblent dans l’Église les baptisés de partout et de toujours.

Ainsi donc, l’Église – et la proclamation publique de la mort et de la résurrection de Jésus – sont le signe que l’Heure du Fils de l’Homme est arrivée. Nous sommes non seulement dedans, mais nous en sommes aussi le signe et les acteurs. Là où se trouve un chrétien, Jésus glorieux est proche et l’univers est déjà en train d’être recréé. De cette recréation de la matière, les sacrements en sont non seulement le signe mais aussi la réalité : le pain et le vin qui deviennent le Corps et le Sang de Jésus, par exemple. Ce sont déjà des réalités de l’univers nouveau. On est entre-deux, entre l’ancien et le nouveau. Nous appartenons, nous chrétiens, aux deux.
 
Finalement, chers frères et sœurs, Jésus avait raison quand il a dit : « Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. » De fait, cela a commencé dès la Pentecôte. Mais comme pour Dieu un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour, l’Heure n’a pas d’heure : elle est en même temps maintenant, tout le temps, hier et demain. Elle est quand l’Esprit saint nous couvre de son ombre pour faire de nous et avec nous toutes choses nouvelles.


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vendredi 12 novembre 2021

11 novembre 2021 - VELLEXON - Saint Martin de Tours

 
Is 61,1-3a ; Ps 88 ; Mt 25,31-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Saint Martin est un géant. Par conséquent, il y a le vrai saint Martin, historique, avec la sainteté réelle qui est la sienne, et aussi avec ses défauts ; et il y a le saint Martin fabriqué et instrumentalisé au cours de l’histoire par les différents pouvoirs politiques et religieux – y compris dans l’Église – pour des intérêts qui lui étaient étrangers.
 
Il est certain que Saint Martin a eu une vie bien remplie : légionnaire romain né en Hongrie, en garnison à Amiens, en campagne en Germanie ; puis ermite sous la direction de saint Hilaire de Poitiers, et moine fondateur du premier monastère des Gaules, à Ligugé ; puis enfin évêque de Tours. Et pas n’importe quel évêque : un évêque soucieux de justice qui va jusqu’à intervenir à la cour de l’Empereur Maximin à Trêves, et évêque missionnaire, qui n’hésitait pas à payer de sa personne pour annoncer Jésus-Christ jusque dans les campagnes. Le biographe de Saint Martin, Sulpice Sévère, nous en a laissé quelques épisodes savoureux. Nous avons là, dans cette vie extraordinaire, le premier motif de la réputation, bien méritée, de saint Martin.
 
Par conséquent, son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage extrêmement important en Gaule. On y venait de partout, comme durant le moyen âge on allait à Compostelle, ou au XXème siècle à Lourdes. Or ces pèlerinages ont une fonction culturelle unificatrice fondamentale. Tous les peuples de la Gaule, qu’ils soient gallo-romains, mais aussi Alamans, Wisigoths, Francs, et Burgondes, bien sûr ; tous venaient vénérer Saint Martin à Tours pour s’y trouver frères, et repartaient assimilés les uns aux autres en un seul peuple, spirituellement uni.
On ne comprend donc rien à l’histoire de la conversion de Clovis, et ensuite à l’importance de la relique de la chape de Saint Martin pour les rois de France, de Hugues Capet à Louis XVI, appelé Louis Capet par les révolutionnaires, … si on oublie que Saint Martin était à l’époque et jusqu’à la Révolution le cœur spirituel des Gaules et après Clovis, le cœur spirituel de la France.
 
Évidemment, une fois qu’on a coupé la tête au roi et qu’on a rasé volontairement le grand sanctuaire de Saint Martin à Tours, la figure de Martin s’est transformée. Pour oublier le grand évêque qui en remontait à l’Empereur Maximin, l’Église refit de lui l’humble soldat qui, dans le froid, offrait la moitié de son manteau à un pauvre mendiant. C’était pourtant le même, mais dans un monde qui n’est plus chrétien, l’image d’une Église humble et charitable, cela passe mieux.
Cependant, le peuple de France, aux 500 villages et au 3.700 paroisses consacrés à Saint Martin, a longtemps conservé dans son cœur la mémoire du grand Saint, qui plus qu’un Saint Vincent de Paul antique, fut d’abord le véritable Apôtre des Gaules, à main forte et bras étendu. Saint Paul, après sa conversion, avait gardé son fort caractère et son goût de la polémique, mais saint Martin, après la sienne et jusqu’au bout, avait conservé la fidélité et la force d’âme des légionnaires romains. Et le général pour qui on donne sa vie au combat, pour Martin, c’était le Christ.
 
C’est en souvenir de Martin, dont la mémoire est d’ailleurs partagée par les Allemands, que la date du 11 novembre – fête de Saint Martin – a été choisie pour signer l’armistice en 1918. Comme saint Thérèse de Lisieux, Saint Martin était très vénéré des deux côtés. Pour l’armistice, il fallait bien Martin, lui qui au ciel ne cesse jamais de prier pour ses chers peuples de Gaule et d’ailleurs, pour qu’ils ne fassent qu’un : l’unique Église de son Seigneur, Jésus-Christ.

mercredi 10 novembre 2021

06-07 novembre 2021 - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - DELAIN - 32ème dimanche TO - Année B

 1R 17,10-16 ; Ps 145 ; Hb 9,24-28 ; Mc 12,38-44
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus est monté au Temple, où il a quelques discussions polémiques avec les scribes. Nous sommes quelque temps avant la Passion. C’est dans ce contexte que Jésus donne l’enseignement que nous avons entendu.
 
À première vue, Jésus semble donner un enseignement pour le moins anticlérical. Dans un premier temps il exhorte les foules à se méfier des scribes qui se donnent belle apparence. Mais parce qu’ils sont en réalité des profiteurs, ils seront d’autant plus sévèrement jugés. Ils devraient au contraire montrer l’exemple d’une vie sainte, c’est-à-dire humble et honnête. Jésus, donc, dénonce le cléricalisme des scribes aux yeux de tous. C’est pour le moins un avertissement sévère à ses Apôtres.
D’ailleurs, dans un second temps, il s’adresse à eux uniquement et leur fait remarquer le geste généreux de la veuve. Il s’agit aussi d’une leçon : ce qui est mis au bien commun de l’Église est le fruit de dons généreux de la part de personnes qui en ont les moyens, mais aussi de beaucoup de personnes qui, elles, font de réels sacrifices. Parce que leur geste d’offrande est pour elles d’une extrême importance. Les Apôtres ne doivent donc pas gérer les biens de l’Église à l’emporte-pièce, et encore moins en abuser.
Nous aurions donc ici un enseignement de Jésus à ses disciples pour le moins très actuel, et d’une portée anticléricale tout à fait remarquable.
 
Mais cette lecture est-elle conforme à l’intention de Jésus à l’époque ? En réalité, je pense que Jésus voyait plus loin, plus profond, et que le message qu’il délivrait à ses Apôtres – quand il attirait leur attention sur la réalité des choses et des personnes – ce message concernait aussi le Royaume des cieux. Voyons comment.
Jésus est dans le Temple, c’est-à-dire dans la Maison de son Père. Le Temple est par rapport à ses environs, ce que le ciel est à la terre. Or Jésus rencontre dans le Temple des scribes, c’est-à-dire des serviteurs de Dieu, qui en ont l’apparence, mais qui n’en sont pas vraiment, et qui profitent des bénéfices que leur donne leur qualité. Ce sont exactement ce que sont dans le ciel les démons par rapport aux anges. Les démons sont des anges qui ont renoncé à adorer Dieu, qui se font passer pour ce qu’ils ne sont plus, et qui profitent de leur état angélique pour abuser les gens innocents. Or Jésus ici, en dénonçant les scribes, dénonce aussi et combat en réalité les démons. Et il attire l’attention de tous quant à leur perversité. Mais nous comprenons que ce qui vaut pour les anges et les démons vaut aussi pour tous les baptisés appelés à la sainteté, qu’ils soient clercs ou pas.
 
De même la veuve, qui vient mettre dans le trésor tout ce qu’elle a pour vivre, accomplit ici un geste extrême. Cette petite dame est dans une situation très différente de celle de la veuve de Sarepta. Cette dernière donne tout à Elie, et celui-ci, à partir de peu – et avec l’aide de l’Esprit Saint – fait beaucoup : la veuve de Sarepta a finalement fait fructifier sa farine et son huile. Tandis que la petite veuve du Temple, après avoir tout donné, n’a plus rien du tout pour vivre. C’est un geste humainement suicidaire. Si donc, on considère qu’à travers ces piécettes c’est toute sa vie que la veuve a donnée au Temple, c’est-à-dire à Dieu, alors cela veut dire qu’elle lui appartient désormais. Elle lui est consacrée. Il revient alors à Dieu ou au Temple d’assurer sa vie désormais. En fait, cette femme fait comme Jésus va faire durant sa Passion : il va offrir sa vie humaine tout entière à son Père, pour le salut des hommes, et son Père la lui rendra aussitôt en vie glorieuse et éternelle.
Au contraire, ceux qui veulent négocier leur vie éternelle avec Dieu pour conserver autant que possible une bonne part de vie humaine, en réalité risquent fort de perdre la première après la seconde. La leçon de Jésus est donc semblable à cette parole : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Finalement, savoir si on est ange ou démon, ou si on négocie un peu ou beaucoup sa vie éternelle avec le Bon Dieu, ce ne sont pas là d’abord des histoires de cléricalisme : tout le monde est concerné.
 
Chers frères et sœurs, pour finir, je n’arrive pas à me retirer de l’esprit que, lorsque Jésus rencontre une veuve, il voit en elle Marie sa Mère. Or la petite veuve qui donne tout au trésor du Temple, n’est-elle pas Marie, qui a donné tout ce qu’elle avait pour vivre ? D’abord elle-même, à l’Annonciation ; puis son fils unique, Jésus, durant la Pâque ? Et finalement, c’est bien elle, Marie, la pauvre veuve qui est maintenant louée et couronnée dans le Temple, par Jésus lui-même, c’est-à-dire dans la Jérusalem céleste.


mardi 2 novembre 2021

02 novembre 2021 - GRAY - Commémoration de tous les fidèles défunts

 Sg 4,7-15 ; Ps 142 ; Mt 11,25-30
 
Chers frères et sœurs,
 
Pourquoi avoir choisi cet évangile, que nous avons entendu, pour ce jour de commémoration de nos défunts ?
 
D’abord, peut-être, parce qu’il exprime particulièrement l’affection que nous porte Jésus, surtout lorsque nous sommes lourdement affligés : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. […] Je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. » Eh oui, nous le savons bien, lorsque nous portons une trop lourde croix, il arrive que nous en perdions jusqu’au sommeil et que – écrasés – nous ne trouvions ni apaisement ni issue à nos angoisses. Jésus nous dit aujourd’hui : « Moi, je te tiens par la main. Ne lâche pas ma main. Et je te conduirai à lumière et à la paix – et même si cela te paraît aussi impossible – jusqu’à la joie. »
 
Ensuite, Jésus nous apprend autre chose, qu’il énonce de manière un peu mystérieuse : « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » Chers frères et sœurs, nous avons dans cette phrase de Jésus une clé essentielle pour comprendre l’articulation entre l’Ancien et le Nouveau Testament, pour comprendre la relation entre Dieu et l’homme, pour comprendre comment Dieu se révèle à l’homme, et comment l’homme peut lire le mystère de sa propre histoire à la lumière de Dieu.
Pour rester le plus simple possible, disons qu’à travers cette phrase Jésus nous apprend deux choses :
 
La première, est qu’il n’y a de lumière dans les obscurités de ce monde qu’avec le temps. Nous n’obtenons rien, nous ne comprenons rien dans l’immédiateté de l’instant, que nous subissons. Mais il nous est donné de comprendre, de trouver une explication, une libération, une réconciliation dans un second temps, plus tard, quand Jésus le veut. C’est ce que dit Jésus.
Il y a d’abord le « temps du Père » – temps du Dieu mystérieux – temps de l’Ancien Testament, où nous sommes placés devant le mystère incompréhensible, parfois insoutenable, où la lumière du Fils Jésus demeure cachée : « Personne ne connaît le Fils sinon le Père. »
Ensuite, il y a le second temps, le « temps du Fils », le temps du Nouveau Testament, où quand il le juge opportun, Jésus nous envoie son Esprit Saint, celui qui nous révèle à travers lui Jésus – alors rendu visible – qui est le Père. Jésus lève alors enfin le voile du grand mystère. C’est le second temps où le mystère et l’obscurité d’hier deviennent aujourd’hui intelligence et lumière : « Personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
Cela veut dire que le départ parfois brutal et l’absence douloureuse de nos défunts, par l’Esprit de Jésus, non seulement trouveront un sens mais aussi deviendront communion lumineuse, paisible et joyeuse, pour l’éternité.
Il est donc vital pour nous de prier intensément Jésus de se pencher sur nous et surtout de nous donner son Esprit Saint. Alors seulement nous serons consolés et guéris.
 
Il est une seconde chose, que nous apprend Jésus par cette phrase étonnante : « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » C’est que dans le premier temps où nous ne voyons que mystère, ténèbres et incompréhension, Jésus est caché – la lumière est cachée – mais elle n’est jamais absente. Toujours, Jésus est là. Toujours. Y compris dans les heures les plus sombres de notre vie. Il est là comme le grain de Sénevé, invisible, minuscule, oublié, inconnu, fragile et innocent. Mais, avec l’Esprit Saint, ce grain grandit, s’étend, porte du fruit, bien plus que toutes les autres plantes potagères. « Tu étais là, Seigneur ? et je ne le voyais pas ! Et maintenant, tu remplis tout l’espace, et tout s’éclaire, et tout s’explique. »
 
Ainsi donc, chers frères et sœurs, lorsque nous sommes confrontés au départ de nos proches et aux ténèbres qui tombent sur nous, souvenons-nous des paroles de Jésus. Ses paroles apaisantes d’abord, mais aussi son enseignement spirituel : il y a un temps pour tout.  Il y a un temps pour la nuit et un temps pour le jour, un temps pour la mort et un temps pour la vie, un temps pour le désespoir et un temps pour l’explosion de joie. Et même dans le désespoir, dans la mort, dans la nuit, Jésus est là comme une petite étoile qui scintille, qui annonce sa justice : les retrouvailles dans la lumière, la paix et la joie, tous ensemble, pour l’éternité.
 

01 novembre 2021 - GY - Solennité de Tous les saints

 Ap 7,2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque le peuple Hébreu a quitté l’Égypte, il s’est rendu au pied de la montagne du Sinaï. Là, Moïse est monté sur la montagne pour se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. C’est là qu’il a vu son visage et qu’il a reçu de lui les Dix commandements gravés par Dieu sur des tables de pierre. Et ces Dix commandements étaient la charte de vie du peuple Hébreu, du peuple de Dieu.
 
Aujourd’hui, il en va de même dans l’Évangile. Des foules nombreuses ont quitté leurs villages et leurs occupations pour se rendre au pied de la montagne où Jésus se trouve. Là, comme Moïse, les disciples montent sur la montagne pour se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, à l’écoute de l’enseignement de Jésus.
Et c’est là que – par l’enseignement des Béatitudes – Jésus qui est Dieu se fait connaître aux Apôtres. En effet, à travers chaque Béatitude, il dévoile un trait de son visage. C’est lui Jésus qui est pauvre de cœur, qui pleure, qui est doux, qui a faim et soif de justice, qui est miséricordieux, qui a le cœur pur, qui est artisan de paix, et qui est persécuté pour la justice. Si nous voulons savoir qui était Jésus : nous avons là son portrait. Et c’est aussi celui de Dieu son Père, qui est aussi le nôtre.
Ainsi donc, avant tout, les Apôtres découvrent à travers l’enseignement de Jésus qui il est, et qui est Dieu, vraiment. Nous disons : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ! » Oui, mais par les Béatitudes, nous savons comment il est.
 
Ensuite, nous voyons que les Béatitudes sont comparables aux Dix commandements, qui formaient la charte du Peuple de Dieu. Sauf que les Béatitudes ne sont pas inscrites sur des tables de pierre, elles sont inscrites directement dans nos cœurs, dans nos vies.
Chacun d’entre-nous est plus particulièrement proche d’une ou plusieurs Béatitudes. Ainsi, nous ressemblons chacun un peu ou beaucoup à Jésus, selon notre vocation particulière. Certains sont pauvres de cœurs, d’autres miséricordieux, d’autres un peu des deux, etc. Mais quand nous sommes réunis tous ensemble, nous recomposons l’ensemble des Béatitudes, et nous formons ainsi le nouveau peuple de Dieu selon les Béatitudes, dans le monde présent.
Nous sommes le peuple des Béatitudes, nous ressemblons collectivement à Jésus, et nous donnons ainsi Jésus à voir autour de nous. L’Église, c’est le corps du Christ vivant et présent dans notre temps.
 
Or, vous le savez, Jésus a été trahi et livré aux Grands prêtres, à Pilate et à la foule durant sa Passion. Il a été accusé faussement, jugé, moqué, frappé, et même tué. Aujourd’hui, dans l’enseignement des Béatitudes, il n’oublie pas cela : il l’annonce même : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute, et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. » En effet, si cela est arrivé à Jésus, cela nous arrivera à nous aussi.
Il est arrivé souvent aux chrétiens d’être persécutés en raison de leur fidélité à Jésus. Ce fut vrai aux premiers temps de l’Église ; mais aussi à de nombreuses reprises au cours de son histoire. L’Église fait mémoire de très nombreux martyrs dont les noms sont inscrits au calendrier. Encore aujourd’hui, des chrétiens sont persécutés à l’étranger, par exemple en Chine, en Corée du Nord, en Inde, en Iran, en Irak, en Syrie, en Turquie, en Égypte, en Lybie, dans de nombreux pays d’Afrique, au Nigéria par exemple. Mais aussi chez nous en France : souvenons-nous du Père Hamel, des martyrs de la Basilique Notre-Dame de Nice, du Père Olivier Maire, et bien d’autres chrétiens encore, souvent anonymes, victimes de violences en raison de leur amour et de leur fidélité à Jésus-Christ.
 
Ne nous payons pas de mots : moins nous sommes nombreux et plus il est difficile d’assumer notre foi chrétienne, publiquement, avec les collègues, les amis, et parfois même dans nos propres familles. C’est encore plus dur pour les enfants qui sont parfois isolés au milieu d’autres qui ne sont pas chrétiens. Et c’est encore plus dur quand on est trahi de l’intérieur par des démons qui se font passer pour des anges, par de faux apôtres.
Et pourtant, souvenons-nous de Jésus-Christ ; souvenons-nous des Béatitudes : soyons courageux et même joyeux car c’est à nous, petit troupeau, que Jésus a dit : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »

31 octobre 2021 - VALAY - 31ème dimanche TO - Année B

Dt 6,2-6 ; Ps 17 ; Hb 7,23-28 ; Mc 12,28b-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Aujourd’hui, nous assistons à la rencontre entre un scribe et Jésus. On pourrait dire qu’il s’agit d’une rencontre entre l’Ancien Testament et le Nouveau. Tous deux vont directement à l’essentiel : « Quel est le premier de tous les commandements ? » C’est-à-dire non pas seulement le premier dans une liste, mais le premier comme racine de tous les autres, le commandement le plus fondamental, le commandement le plus vital, duquel tous les autres commandements dépendent, pour entrer dans la vie éternelle.
 
Jésus répond en récitant le Shema Israël – « Écoute Israël » – qui est consigné dans le Livre du Deutéronome. Le Shema Israël est pour les Juifs un peu l’équivalent du Credo et du Notre Père pour nous. Le Shema est récité le matin, au coucher, et à l’heure de la mort. Cependant, à ce premier commandement de l’amour de Dieu, Jésus ajoute une prescription du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », en précisant que ce second commandement est semblable au premier.
Aimer son prochain découle de l’amour premier que l’on a pour Dieu, mais comme le second commandement est semblable au premier, ils constituent une vérification l’un pour l’autre. Nul ne peut vraiment aimer son prochain s’il n’aime pas Dieu d’abord ; et il n’aime pas vraiment Dieu celui qui n’aime pas non plus son prochain. 
Le scribe acquiesce à l’enseignement de Jésus : tous les deux, ils sont d’accord. Et pour ratifier cette entente, le scribe répète l’enseignement de Jésus, en ajoutant toutefois une observation : « Aimer Dieu et son prochain… vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Cette observation émerveille Jésus qui lui répond : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Il nous faut expliquer cela.
 
Tout d’abord, nous devons observer que le Livre du Deutéronome, Jésus et le scribe disent des choses un peu différentes quand ils décrivent la manière dont nous devons aimer Dieu. Le Deutéronome dit que l’homme doit aimer Dieu « de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force ». Jésus dit « de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force », et le scribe : « de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force ». Vous voyez bien les différences qui portent sur l’ajout de l’esprit par Jésus et par la mention de l’intelligence à la place de l’âme pour le scribe. Ces variations s’expliquent de deux manières. 
La première est que la conception de l’homme est différente chez les Hébreux et chez les Grecs. Par exemple, pour un Hébreu, le siège de l’intelligence est dans le cœur et non pas dans l’esprit, comme pour un Grec. Ainsi quand on a traduit les paroles de Jésus de l’araméen en grec, pour garder le sens authentique de ses propos, il a fallu accommoder les mots. Cela peut expliquer les variations. 
Une deuxième raison réside dans l’insistance pour Jésus qu’il faut aimer Dieu « en esprit », on pourrait traduire : « avec l’aide du Saint-Esprit ». Le scribe reconnaît cela en évoquant l’intelligence, car on n’est vraiment intelligent que lorsque notre esprit est éclairé par le Saint Esprit.
 
On comprend alors pourquoi le scribe dit que l’amour de Dieu – exercé avec intelligence – et l’amour du prochain sont plus importants que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. 
D’abord parce que le commandement de l’amour de Dieu est premier par rapport à toutes les prescriptions cultuelles. En effet, on ne pratique le culte qu’en dépendance de l’amour qu’on a pour Dieu, sinon ce culte est hypocrite et absurde. 
Et ensuite parce que l’amour véritable pour Dieu est celui de l’homme éclairé dans son intelligence par l’Esprit Saint, Esprit qui ne peut être obtenu que par l’offrande et le sacrifice de Jésus sur la Croix. Il n’est donc pas besoin de faire ensuite de nouveaux sacrifices puisque Jésus s’est offert une fois pour toutes, pour toute l’humanité. Cependant, ce même Esprit Saint obtenu par l’offrande de Jésus, nous fait entrer à notre tour dans le véritable amour. Le même amour que celui de Jésus, où comme lui, avec lui, par lui et en lui, nous faisons à notre tour l’offrande de notre vie et le don de nous-mêmes à Dieu, pour tous ceux qu’on aime. Jésus l’a dit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » 
Ainsi, les rites anciens, extérieurs, apparaissent comme des prophéties depuis que Jésus les as accomplis, mais son Esprit Saint nous les fait vivre intérieurement avec lui dans toute notre vie. L’Esprit nous pousse à faire de toute notre vie un sacrifice d’action de grâce – une eucharistie – par amour pour Dieu et pour notre prochain.
 
Chers frères et sœurs, avec les Juifs, nous parlons le même langage et nous avons le même Dieu : l’essentiel est l’amour de Dieu et du prochain. Tout le reste en découle. Eux attendent encore l’Esprit Saint. Nous, nous le recevons depuis la Pentecôte, notamment par les sacrements. C’est cet Esprit Saint qui nous permet d’accomplir notre vocation dans l’amour : nous réconcilier avec Dieu et les uns avec les autres, par le don de nous-mêmes, pour pouvoir revivre éternellement ensemble dans son Royaume. Dans la lumière, la paix et la joie.

lundi 25 octobre 2021

23-24 octobre 2021 - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - CUGNEY - 30ème dimanche TO - Année B

Jr 31,7-9 ; Ps 125 ; Hb 5,1-6 ; Mc 10,46b-52
 
Chers frères et sœurs,
 
Jusqu’à présent Jésus était en Galilée. Par trois fois il a annoncé sa Passion prochaine, c’est-à-dire la révélation de sa gloire, mais qu’auparavant il était nécessaire de passer par un chemin de croix douloureux, point délicat que les disciples n’arrivaient pas à comprendre.
Dernièrement, Jésus a rencontré le jeune homme riche, qui était esclave de ses biens tandis qu’il donnait l’apparence de la piété. Celui-ci renonce justement à emprunter ce chemin de croix avec Jésus. Au contraire, avec un peu d’orgueil, les Apôtres rappellent à Jésus qu’eux ont déjà tout laissé pour le suivre. Par conséquent, ils espèrent obtenir une bonne place dans son prochain gouvernement. Jésus leur répond qu’il n’y a d’autre pouvoir dans son royaume que celui de la liberté du don de soi, par amour pour Dieu et pour son prochain.
C’est alors que Jésus quitte la Galilée pour se rendre à Jéricho. Et c’est en sortant de cette ville qu’il va rencontrer Bartimée.
 
Nous pouvons lire le texte au premier degré. Nous y apprenons que la prière insistante du pauvre est efficace, qu’elle est entendue par Jésus. Nous voyons Bartimée exactement comme l’opposé du jeune homme riche, lui qui n’a rien et qui à la fin se met à suivre Jésus sur son chemin. Il est aussi l’opposé des apôtres orgueilleux, quand il qualifie Jésus de « Rabbouni », c’est-à-dire « Grand maître » ou « Seigneur ». Manifestement, il ne cherche pas le pouvoir, mais il se situe par rapport à Jésus comme un humble serviteur. 
Précisons ici que « Rabbouni » ne signifie pas « mon petit rabbi chéri », comme la langue française nous porte à le croire ; il s’agit réellement d’un titre très important. C’est exactement par le même « Rabbouni » que Marie-Madeleine a qualifié Jésus quand elle l’a reconnu ressuscité. Il s’agit ici de Jésus grand maître et seigneur, dans la lumière de sa gloire. Bref, contrairement au jeune homme riche et aux apôtres, Bartimée donne ici l’image du disciple de Jésus parfait.
 
Mais nous pouvons aussi lire ce passage de l’Évangile au second degré. Saint Marc nous y invite d’ailleurs en nous donnant des indices. Nous avons déjà parlé du titre de « Rabbouni » employé par Bartimée. Justement, les deux autres indices sont des noms : Jéricho et Bartimée lui-même.

Jéricho n’est pas du tout une ville insignifiante. Jéricho est l’opposé de Jérusalem. Si Jérusalem est la ville où réside le Seigneur dans son Temple, ville de paix et de gloire ; Jéricho est au contraire la ville qui symbolise les enfers, où sont enfermés les pécheurs. Or, après les 40 ans passés au désert, Josué a franchi le Jourdain, a fait tomber les murs de Jéricho, avant de pouvoir partir à la conquête de la Terre promise, en montant jusqu’à Jérusalem. Aujourd’hui, nous avons pareillement Jésus qui a passé un long temps en Galilée, et qui passe par Jéricho avant de monter à Jérusalem pour y vivre le combat de sa Passion jusqu’à la prise de possession de la Terre promise de sa résurrection : la Jérusalem céleste. Et que fait Jésus à Jéricho ? Il libère celui qui est esclave de sa pauvreté en raison de son aveuglement. Il affranchit l’homme pécheur ; tous les hommes pécheurs.

C’est là que le nom de Bartimée a de l’importance. « Timée » est a priori un nom grec, qui signifie « honorable », mais il y a un jeu de mot avec l’araméen où ce nom signifie au contraire « impur ». Comme « Bar » signifie « fils » en araméen, on doit penser que ce pauvre Bartimée s’appelle en réalité « Fils d’Impur ». Et même, dans la vieille version syriaque de l’Évangile, il est écrit que Bartimée s’appelle en réalité « Timée, fils de Timée » : « Impur, fils d’Impur »… Le nom de Bartimée consonne tout à fait avec l’état des habitants de Jéricho : ce sont les pécheurs qui habitent les enfers. Et ce sont eux qui crient vers Jésus : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Et Jésus de leur demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » ; « Rabbouni, que je re-voie ! »
Voyez, l’intensité de la scène. À travers le cri de Bartimée, il s’agit du cri de toute l’humanité embourbée à mort dans le péché, qui s’adresse à Jésus, Maître et Seigneur, pour retrouver enfin, grâce à lui, la lumière et la vie, et avec elles, la paix et la joie.
 
Je termine par un mot sur l’attitude de la foule qui dans un premier temps veut étouffer le cri de Bartimée – elle est insupportable à entendre la souffrance des impurs ! – foule qui, dans un second temps, se fait servilement le relai de l’appel de Jésus : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ! » Ceci doit nous servir de leçon : la foule peureuse va toujours dans le sens du vent. Elle est ballotée entre la mentalité du monde : « faire taire les impurs » et – quand Jésus se révèle Maître et Seigneur – se met immédiatement à son service. C’est la même foule qui acclame Jésus aux Rameaux et qui lui crache dessus pendant le chemin de croix. 
Pour nous qui sommes les disciples de Jésus, prenons garde de nous accoquiner avec la foule. Soyons fidèles serviteurs de Jésus, avec tous les risques que cela comporte, ou au pire, crions vers lui de toutes nos forces comme Bartimée. Mais ne soyons pas entre les deux. 

mardi 19 octobre 2021

17 octobre 2021 - VALAY - 29ème dimanche TO - Année B

Is 53,10-11 ; Ps 32 ; Hb 4,14-16 ; Mc 10,35-45
 
Chers frères et sœurs,
 
Les gens qui n’ont pas la foi – et même les Apôtres avant la résurrection de Jésus – pensent que l’Église est un lieu de pouvoir, parce qu’ils confondent Jésus-Christ avec un homme politique. Or l’Église est un lieu de service – de don de soi – parce que la gloire de Jésus-Christ n’est pas autre chose qu’une communion d’amour.
 
Nous voyons dans l’Évangile Jésus annoncer sa Passion prochaine. Il va bientôt boire à la coupe et être baptisé dans son sang, sur la croix, non pas pour la mort, mais pour la résurrection, dans sa gloire.
Immédiatement, les Apôtres comprennent que le jour de la prise de pouvoir de Jésus sur le monde est proche. Jacques et Jean se précipitent et demandent les meilleures places. La jalousie des autres révèle qu’ils partagent le même état d’esprit. Tous croient qu’étant bon disciples de Jésus, ils vont bientôt pouvoir accéder aux meilleurs places et participer enfin au « pouvoir » du Christ, dans son royaume.
Jésus leur répond : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Qu’est-ce que cela veut dire ?
 
« Boire la coupe », c’est être jugé et rejeté par les hommes, y compris pas sa propre famille le cas échéant, en raison de l’accomplissement de la Loi : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, et de tout son esprit, et son prochain comme soi-même. » « Boire la coupe », c’est répondre à l’appel de Dieu à la sainteté, c’est-à-dire à accomplir sa vocation, en acceptant de marcher à contre-courant s’il le faut. Pensez à la parole de la Sainte Vierge Marie à sainte Bernadette : « Je ne vous promets pas d’être heureuse en ce monde, mais dans l’autre. » « Boire la coupe », c’est goûter à l’amertume de la trahison et de l’abandon ; c’est goûter à la solitude, parfois dans le mépris général. Comprenez l’inversion des valeurs : « boire la coupe », chez les juifs et de manière courante, c’est partager un verre de bon vin, dans la joie d’une fête familiale. Mais là, c’est tout l’inverse, comme dans un immense gâchis.
« Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » dit Jésus à ses Apôtres qui lui demandaient les meilleures places ? Oui, ils en auront la force, quand Jésus aura répandu sur eux son Esprit. Plus on est proche de Jésus et plus on boit à sa coupe, car dans le monde des hommes, le Dieu d’amour n’est pas aimé. Et ceux qui veulent être plus proches de Jésus – qui veulent partager son « pouvoir » – doivent s’attendre encore plus à boire à cette coupe, avec lui.
 
Le « baptême » de Jésus est tout simplement son passage par la mort cruelle de la Croix, en vue de sa résurrection lumineuse et son ascension dans la gloire. Jésus a été baptisé dans l’eau et le sang qui ont coulé de son côté, et nous nous sommes baptisés dans l’eau et l’Esprit Saint. Mais il s’agit bien du même baptême. Simplement nous ne devons pas oublier que notre vocation de baptisés nous conduit à ressembler à Jésus de différentes manières. Certains lui ressemblent dans son bon accueil des malades et des pauvres ; d’autres dans sa capacité à enseigner la Parole de Dieu à des foules ou à quelques disciples ; et d’autres lui ressembleront davantage dans le partage de sa Passion, par le martyre, qu’il soit physique ou moral. Car, combien de personnes ont-elles été martyrisées pour le Nom de Jésus dans leur âme plus que dans leur corps ? On peut penser ici à la Bienheureuse Vierge Marie, qui est restée debout au pied de la croix de son fils, au milieu d’une foule en furie. Ainsi donc, partager son « baptême » avec Jésus, c’est assumer de lui ressembler, selon que l’Esprit Saint nous conduira, y compris dans la fidélité du martyre.
 
Voilà chers frères et sœurs, le programme annoncé par Jésus à ceux qui cherchent et qui veulent du « pouvoir » dans l’Église. Il n’y a pas de grandeur à être Apôtres, pape, évêque ou prêtre, catéchiste ou sacristain : car c’est accepter de vivre la Passion d’une certaine manière, et parfois d’être cloué à la croix, sinon physiquement du moins spirituellement, notamment par des gens à qui on est envoyé par l’appel de Dieu.
Mais alors, Jésus lui-même et tous ses disciples, sont-ils fous de suivre un pareil chemin, d’accepter un pareil sacrifice ? La réponse est dans l’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Jésus dévoile à ses disciples sa conception du pouvoir quand il leur dit : « Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Tel est le véritable pouvoir dans l’Église, que l’on ne peut exercer qu’avec l’aide de l’Esprit Saint : donner sa vie par amour pour Dieu et pour son prochain. Il n’y a pas de pouvoir plus grand.

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