dimanche 31 décembre 2023

30-31 décembre 2023 - VELLEXON - PESMES - Sainte Famille - Année B

Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3 ; Ps 104 ; He 11, 8.11-12.17-19 ; Lc 2, 22-40
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, nous avons le récit de la promesse d’un héritier faite par Dieu à Abraham, et en seconde lecture l’exaltation de la foi d’Abraham, lequel a suivi l’appel du Seigneur, a cru sa promesse d’une descendance à travers son fils Isaac, et a traversé l’épreuve du sacrifice de ce fils unique, remplacé in extremis par un bélier. La foi d’Abraham ainsi soulignée, est tournée vers l’espérance qu’attendaient Syméon et Anne, lointains descendants d’Adam et Eve, âgés comme l’était toute l’humanité. Et c’est pourquoi, voyant Jésus, ils louent le Seigneur et que Syméon déclare : « Maintenant, ô Maître Souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller, en paix, selon ta parole » – car la Promesse est réalisée.
On en conclut – et Saint Éphrem le fera dans son Commentaire – que l’Ancien Testament est clos et que la vocation d’Israël n’a plus lieu d’être. Or cela ouvre toute grande la porte à l’hérésie de Marcion, lequel déclare l’Ancien Testament obsolète, pour ne pas dire mauvais, avec tous ceux qui en vivent encore, c’est-à-dire les Juifs. Le Marcionisme, relayé par l’antisémitisme ancien du monde Grec, s’est ensuite répandu au cours des âges jusqu’en Europe. Nous en connaissons l’aboutissement dramatique. Le choix des deux textes de la Genèse et de la Lettre aux Hébreux pour éclairer l’Évangile doit donc être regardé avec beaucoup d’attention.
 
D’autre part, ce dimanche est intitulé « fête de la Sainte Famille », mais l’extrait de l’Évangile que nous avons lu n’y correspond pas. En effet, cette fête a été instaurée pour faire mémoire du recouvrement de Jésus au Temple, et non pas de sa présentation au Temple, une quinzaine d’années auparavant... Du coup, le prédicateur se trouve devant un méli-mélo de références et d’intentions qui ne concordent pas. Comment le bon et saint peuple chrétien peut-il donc y comprendre quelque chose ?
Tirons une leçon très simple de cet état de fait. Il ne faut pas utiliser les Écritures ou l’Évangile pour illustrer ce que l’on veut dire – même si c’est avec les meilleures intentions du monde. Mais inversement, il faut partir de l’Évangile pour se mettre à son écoute, pour apprendre de lui ce que lui a à nous dire.
 
Nous avons donc aujourd’hui l’Évangile de la présentation de Jésus au Temple. Il est très riche en enseignements, mais je dois ici aller très vite : je n’esquisse donc que quelques pistes de réflexion et de contemplation.
 
En premier lieu, Marie et Joseph, comme il est dit, montent à Jérusalem pour mettre en pratique les prescriptions de la Loi de Moïse, ici celle du livre du Lévitique qui stipule qu’une femme qui accouche d’un garçon doit être purifiée au 40ème jour et présenter en offrande un agneau et un jeune pigeon, ou une tourterelle. Et il s’agit ici également de racheter Jésus, qui appartient à Dieu en vertu du fait qu’il est un premier-né. La Loi de Moïse donne donc le cadre de l’interprétation.
On notera que Marie et Joseph suivent scrupuleusement les préceptes de la Loi, car elle est pour eux le vrai moyen d’honorer Dieu et de donner une colonne vertébrale à leur famille, à leur vie sur la terre. Ils n’y voient rien d’obsolète ni de mauvais, bien au contraire.
 
Or, chez saint Luc, qui est pratiquement le seul à nous détailler le temps de l’enfance de Jésus comme le temps après sa résurrection jusqu’à la Pentecôte, il y a la volonté d’expliquer l’un par l’autre. Ce que je dis là est important. Grâce au cadre temporel fourni par la Loi de Moïse, on peut superposer la naissance de Jésus et sa résurrection comme nouvelle naissance ; puis la circoncision au 8ème jour selon la Loi, comme le 8ème jour des apparitions, où saint Thomas est guéri de son incrédulité ; puis la présentation et la purification de la mère au 40ème jour selon la Loi, comme le 40ème et dernier jour des apparitions où  Jésus fait son ascension au Ciel. Ce rapprochement a trois conséquences.

Premièrement, quand saint Luc évoque en détail les événements liés à la naissance et à l’enfance de Jésus, de manière voilée, il parle aussi du sens des événements de sa résurrection jusqu’à la Pentecôte. 
Inversement, si nous voulons comprendre le sens profond du 8ème jour (Thomas) et du 40ème jour (l’Ascension), alors il faut le faire avec ce que prescrit la Loi de Moïse pour l’enfant premier-né et sa mère. 
Et troisièmement, si nous ne voulons pas faire de saint Luc un mauvais historien qui veut faire entrer à toute force les événements de la résurrection dans le cadre de la Loi, il faut comprendre la Loi elle-même comme une prophétie des événements de la Résurrection. C’est-à-dire que si la Loi demande une circoncision au 8ème jour, c’est parce que Jésus a purifié le cœur incroyant de Thomas au 8ème jour pour en faire un cœur croyant – il a circoncis son cœur ! ; et si la Loi demande une offrande au 40ème jour, c’est en raison de l’offrande que fait Jésus de lui-même à son Père lors de son Ascension au Ciel au 40ème jour, comme fils premier-né d’entre les morts. Et en raison de la purification de sa mère, au même moment, qui est la figure de l’Église-Mère, appelée à enfanter de nouveaux enfants de Dieu, ses frères. Et d’ailleurs, les Apôtres commencent immédiatement par remplacer Judas par l’apôtre Matthias, pour reformer le noyau des Douze, avant d’attendre la Pentecôte et les premiers baptêmes.
 
En définitive, s’il faut vraiment parler de sainte famille aujourd’hui, il faut dire que cette famille, préparée par Dieu, rendue visible et charnelle en Marie, Joseph et Jésus, est aussi celle à laquelle nous appartenons tous par notre baptême, avec tous les saints du Ciel, c’est-à-dire la sainte Église de Dieu.  

mardi 26 décembre 2023

25 décembre 2023 - SOING - Nativité du Seigneur - Messe du Jour - Année B

Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1,1-6 ; Jn 1, 1-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous pourrions méditer des heures entières et des jours entiers le Prologue de Saint Jean. Mais peut-être pouvons-nous faire quelques observations rapides.
Tout d’abord, l’Évangile de Jean débute par « Au commencement », de la même manière que le Livre de la Genèse débute par « Au commencement ». C’est évidemment intentionnel. Saint Jean veut nous faire comprendre que l’Évangile, la venue, la mort et la résurrection de Jésus sont à comprendre à partir du livre de la Genèse, et de toutes les Écritures ; mais aussi que cet Évangile nous présente la nouvelle création, celle du Royaume des cieux, auquel nous participons déjà maintenant par notre baptême. Il est donc question de vie et de vie nouvelle.
 
Nous pouvons observer que le texte est structuré en trois parties, entrecoupée par deux évocations de saint Jean-Baptiste.
Il n’est pas très étonnant de trouver ici la mention de Jean-Baptiste, car la tradition tient que saint Jean a d’abord été un disciple de Jean-Baptiste. Mais il a suivi les indications de son maître, à savoir qu’il fallait se mettre à la suite de Jésus, l’Agneau de Dieu, tandis que lui, Jean-Baptiste devait s’effacer. Saint Jean a donc pu vouloir montrer à quel point la mission de Jean-Baptiste était importante pour pouvoir comprendre qui est Jésus ; il a aussi pu vouloir montrer à ses anciens condisciples que la vraie lumière est Jésus et non pas Jean.
Toujours est-il que les trois paragraphes qui parlent du Verbe de Dieu – la Parole de Dieu, de la Lumière, de la vie, du Fils de Dieu, de Jésus en réalité, semblent suivre une progression.
 
Le premier paragraphe parle de Jésus comme du Verbe de Dieu, par lequel le Père a créé tout l’univers, en nommant les choses : « Que la lumière soit », par exemple. Le Père a tout créé par sa Parole. Parce qu’elle est une Parole vivifiante qui est aussi lumière. Un bon physicien ne serait pas étonné : il sait bien que la lumière est tout autant une onde qu’une particule. Ces éléments sont comme inséparables. Et surtout que le néant ou les ténèbres, sont incapable de les dominer. Comme la lumière d’une étoile peut percer la nuit sur des milliard d’années-lumière. Rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Autrement dit, la première manifestation de Jésus, comme Verbe de Dieu, implique qu’il est lié à tout ce qui existe dans le monde, que ce soit les personnes comme les choses, la matière.
 
Or, parmi les créatures, l’une d’entre elle a été choisie pour rendre témoignage à Jésus comme Parole créatrice de Dieu, vie et lumière. Tout d’abord (et c’est le second paragraphe) par le fait que Jean est lui-même éclairé par cette Parole, cette vie et cette lumière créatrice. Cette illumination n’est pas un effet naturel, mais un effet surnaturel, comme une deuxième naissance : « Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. » Cette définition s’applique à tous les prophètes, à tous ceux qui sont devenus « enfants de Dieu ». Et Jean-Baptiste est le plus grand parmi eux. Parce qu’il est celui qui témoigne de la Parole, vie et lumière de Dieu.
Vous voyez comment nous avons fait un pas par rapport au premier paragraphe. Là, toute chose et toute personne porte en lui ou elle la marque de fabrique de la Parole de Dieu ; et ici il se peut que cette Parole viennent les éclairer de l’intérieur, pour leur donner une intensité encore plus forte. C’est la différence entre une ampoule éteinte et une ampoule allumée par le courant électrique.
 
Alors, troisième paragraphe, nous passons à quelque chose de nouveau et de tout à fait étonnant. C’est que cette Parole créatrice, ne laisse pas seulement sa marque dans ce qui existe ; elle ne fait pas qu’illuminer de l’intérieur ce qui existe, de manière spirituelle ; tout à coup elle devient elle-même une réalité existante, visible et palpable, accessible aux sens : la Parole créatrice, la vie et la lumière, c’est Jésus de Nazareth, lui et personne ou rien d’autre. Et le témoignage de Jean – sa force – lui qui est illuminé intérieurement par cette vie et cette Parole de Dieu, est de le désigner nommément : « le Verbe de Dieu, par qui tout a été créé, et qui illumine les prophètes et les enfants de Dieu, c’est lui : c’est Jésus. »Et donc, du coup, ce qui était invisible au commencement, tout à coup est devenu visible : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. »
 
Au bout du compte, et pour finir, nous voyons comment Dieu se révèle à nous : par le fait que nous existons dans la création en portant sa marque de fabrique ; par l’Esprit qui le fait habiter en nous et nous illumine ; et enfin directement par lui-même dans le monde, charnellement, physiquement. Et ce dernier pas, cette révélation ultime de Dieu pour l’homme, c’est justement Noël, quand Jésus naît comme un petit enfant.
 
 
 


24 décembre 2023 - GY - Nativité du Seigneur - Messe de la Nuit - Année B

Is 9, 1-6 ; Ps 95 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Saint Luc est comme le Petit Poucet. Il nous conduit sur un chemin, qui est celui de son Évangile, tout en y semant des petits cailloux. Et bien sûr, ces petits cailloux nous indiquent le sens véritable de ce qu’il veut nous transmettre.
 
Ainsi donc, à lire simplement l’évangile, nous comprenons que Joseph, de la lignée de David, doit aller se faire recenser à Bethléem, sa ville d’origine. Faute d’un endroit adéquat au caravansérail pour accoucher, Marie et Joseph se rendent à l’écart, dans une étable. Et là, Marie donne naissance à Jésus, qui est son « premier-né ».
« Premier-né » est un terme juridique dans la Loi de Moïse : c’est le premier enfant mâle d’une femme, qu’elle ait trente-six enfants ou un seul. À la naissance de ce premier-né, parce qu’il appartient au Seigneur, sont liées des obligations de rachat, ce que feront Marie et Joseph lorsqu’ils iront au Temple offrir deux petites colombes. Donc « premier-né » ne signifie pas du tout que Marie a eu d’autres enfants par la suite. Mais revenons à l’évangile.
Des bergers se trouvent dans les environs et sont avertis par un ange de la naissance du « Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur ». Évidemment, la traduction nous fait rater le jeu de mots qui existe en hébreu. On aurait pu traduire aussi par : « il vous est né Jésus, qui est le Christ, le Seigneur ». Parce que « Jésus » et « Sauveur », en hébreu, c’est exactement le même mot. Et l’ange donne aux bergers le signe qu’ils le trouveront emmailloté dans une mangeoire. Voilà qui est curieux, comme signe, mais passons. Et tout à coup la troupe céleste innombrable des anges chante le Gloire à Dieu.
Voilà le récit que nous donne Luc. Comme chaque année, nous sommes émerveillés et attendris. La naissance d’un enfant, dans des conditions un peu précaires, avec des gens simples qui viennent lui rendre visite, nous parle au cœur. Et nous trouvons si beau que le Seigneur notre Dieu vienne, par sa naissance, épouser notre modeste condition humaine. Et tout cela est très vrai et très bon.
 
Mais saint Luc a semé des petits cailloux sur le chemin. Essayons d’en trouver un ou deux.
« Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors. » Le premier caillou est le mot qu’on a traduit ici par « région ». En hébreu ou en araméen, on dit « en ce lieu ». Mais le sens premier de ce mot dans ces langues est « sanctuaire ». Ainsi donc, on pourrait traduire : « Dans ce sanctuaire (on parle de l’étable où sont Jésus, Marie et Joseph), il y avait des bergers qui vivaient et qui veillaient la nuit pour garder leurs troupeaux. » Or, l’expression utilisée, quand on a compris que saint Luc a fait un rapprochement avec le Temple, fait immédiatement penser aux Lévites, eux prêtres, qui assurent le service du Sanctuaire de Dieu et qui sont les bergers d’Israël, son peuple.
Tout à coup l’ange du Seigneur, nous dit saint Luc, se manifeste. L’Ange du Seigneur, n’est pas un petit ange, c’est l’ange n°1 : en fait, c’est une manière de parler de la présence de Dieu lui-même. Et voilà pourquoi les bergers sont terrorisés : ils sont en présence de Dieu, dans sa gloire. L’Ange du Seigneur leur dit : « ne craignez pas » et il leur donne le signe dont nous parlions tout à l’heure : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté, et couché dans une mangeoire » Et voilà notre second caillou : en hébreu ou en araméen : « dans une mangeoire », c’est un jeu de mot que l’on peut aussi traduire par : « dans la Lumière ». Hé bien oui, quand on est dans le Temple de Jérusalem et qu’on entre dans le sanctuaire, on y trouve le chandelier à sept branches, la lumière, qui évoque le Buisson Ardent. Or dans les deux cas, il signifie la Présence de Dieu. Notre mangeoire est une manière cachée de dire que Jésus, qui habite dans le Sanctuaire, est porté par la lumière : il est Présence de Dieu, il est Dieu lui-même. Et les braves bergers sont comme les lévites, les prêtres du Temple, qui assurent le service de l’adoration de Dieu et qui prennent soin du Peuple de Dieu, les brebis.
 
Alors, évidemment, avec les petits cailloux, on ne lit plus l’évangile tout à fait de la même manière. Mais cela doit nous aider à comprendre ce que nous faisons ici ce soir. Vous êtes comme les bergers ou les prêtres du Temple ; vous êtes entrés dans l’église comme les premiers dans l’étable et les seconds dans le Sanctuaire. Vous y avez trouvé la lumière des bougies à l’autel, comme les bergers la mangeoire de lumière, et les prêtres le chandelier à sept branches rappelant le Buisson Ardent. Et c’est dans cette lumière que repose le pain et le vin, Corps et Sang de Jésus-Sauveur, l’enfant de Bethléem, la Présence de Dieu dans le Saint-des-Saints du Temple de Jérusalem.
Si je joue pour vous ce soir le rôle de l’ange du Seigneur, en vous expliquant ce qu’il se passe, vous, vous êtes les bergers, et aussi les prêtres. Et de fait vous l’êtes en raison de votre baptême. Cela veut dire que votre vocation est d’adorer Dieu dans son Temple, et de transmettre sa bénédiction à tous les hommes, en chantant avec tous les anges du ciel : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix  sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

dimanche 24 décembre 2023

23-24 décembre 2023 - CHOYE - 4ème dimanche de l'Avent - Année B

 2 S 7, 1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88 ; Rm 16,25-27 ; Lc 1,26-38
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous avons entendu et nous aimons toujours entendre le récit de l’Annonciation. Peut-être parce que la rencontre entre la jeune fille et l’ange nous émerveille ; peut-être aussi parce que nous sentons spirituellement qu’à ce moment même se joue notre propre salut, notre propre bonheur. En effet, du seul « oui » de Marie dépendent la réalisation de la foi des Patriarches et l’accomplissement des prophéties, l’Incarnation du Verbe de Dieu, sa prédication évangélique, sa Passion et sa Résurrection, son Ascension dans la gloire et le don de l’Esprit Saint pour le salut du monde.
 
Saint Bernard s’écriait dans un de ses sermons : « Ta réponse, ô douce Vierge, Adam l’implore tout en larmes, exilé qu’il est du paradis avec sa malheureuse descendance ; il l’implore, Abraham, il l’implore, David, ils la réclament tous instamment, les autres patriarches, tes ancêtres, qui habitent eux aussi au pays de l’ombre de la mort. Cette réponse, le monde entier l’attend, prosterné à tes genoux. Et ce n’est pas sans raison, puisque de ta parole dépendent le soulagement des malheureux, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, le salut enfin de tous les fils d’Adam, de ta race entière. »
 
Voilà l’instant incroyable où, comme sur une tête d’épingle dans l’immensité du temps, le plan de Dieu et le bonheur de l’humanité dépendent tous les deux de la seule réponse de la Vierge Marie. Voilà une preuve manifeste du grand amour avec lequel Dieu nous a créé à son image : libres comme lui. Libres pour faire du mal, mais libres aussi pour faire du bien.
 
Saint Luc aime parler de la Vierge Marie dans son Évangile. C’est lui qui nous donne le plus de détails sur elle, sur ses paroles. Comme s’il avait eu la chance de pouvoir la rencontrer, parler avec elle de son histoire, de celle de Jésus, pour nous les faire connaître comme de l’intérieur. Et de fait, qui est-il donc dans la maison lors de la rencontre de Marie et de l’Ange ? Un journaliste ? Un espion ? Une caméra cachée ? Saint Luc a-t-il inventé cette scène, comme on écrit un roman ? Non : le seul moyen pour qu’il ait eu connaissance de l’Annonciation, et nous grâce à lui, c’est que c’est Marie elle-même qui la lui a racontée.
 
Il y a un point sur lequel les incrédules achoppent toujours à propos de la Vierge Marie. C’est justement sa virginité. Qu’elle le soit avant son mariage, ce n’est guère étonnant, surtout dans son milieu et à son époque. Mais qu’elle le demeure ensuite, voilà qui paraît bien surprenant. Tous les naturalistes et les scientistes vous le diront : qu’elle ait conçu et enfanté Jésus en demeurant vierge, voilà qui est impossible.
 
Revenons au dialogue entre Marie et l’ange. Celui-ci lui dit : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus » et « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. » Or Marie lui objecte : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » Pour une jeune fiancée qui va se marier à un descendant de David, il n’y a rien de plus naturel que de penser que l’enfant en question sera bien un fils de Joseph, son époux, lui-même descendant de David. Pourquoi donc répond-elle qu’elle « ne connaît pas d’homme » ? La traduction est confuse ; en réalité elle répond : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connaîtrais pas d’homme ? » Marie, en effet, avant même son mariage avec Joseph avait fait vœu de demeurer vierge, consacrée tout entière au Seigneur.
 
Or cette possibilité pour une femme est prévue dans la Loi de Moïse. Si le fiancé ne dénonce pas cette disposition de sa fiancée, alors il est tenu de la respecter. Cela se trouve au chapitre 30 du livre des Nombres : « Si elle appartient à un homme par le mariage et si elle est liée par des vœux qu’elle s’est imposés ou qu’elle a tenu des propos inconsidérés qui l’obligent elle-même, et que son mari apprenne cela, si, le jour même où il l’apprend, il ne lui dit rien, alors ses vœux restent valides et l’engagement qui l’oblige elle-même reste valide. » Voilà donc la raison de l’objection de Marie à l’ange et pourquoi on l’appelle toujours la Vierge Marie.
 
Alors il faut bien comprendre que la conception de Jésus dans le sein de Marie est vraiment un nouveau geste créateur. De la même manière que, par sa Parole, au commencement, Dieu a tout créé à partir de rien ; par l’Esprit Saint, il a suscité la vie en Marie ; et de cette même manière il a ressuscité Jésus d’entre les morts pour une vie nouvelle et éternelle. Et il en sera de même pour nous, le moment venu. Dieu ne cesse pas de créer : il n’y a rien qui lui soit impossible. La foi de Marie a cru cela : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » et elle est devenue pour nous la Maison de Dieu promise autrefois à David, par l’intermédiaire du prophète Nathan.
 
 

dimanche 17 décembre 2023

16-17 décembre 2023 - BOURGUIGNON-lès-LA CHARITE - ARC-lès-GRAY - 3ème dimanche de l'Avent - Année B

 Is 61, 1-2a.10-11 ; Ct Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54 ; 1 Th 5, 16-24, Jn 1, 6-8.19-28
 

Chers frères et sœurs,
 
Dans sa lettre, Paul recommande aux Thessaloniciens de ne pas mépriser les prophéties. Si nous voulons comprendre ce qu’il se passe au bord du Jourdain entre les envoyés de Jérusalem et Jean le Baptiste, il faut en effet y revenir.
 
La prophétie fondamentale est celle de Jérémie, qui annonce, à son chapitre 25, qu’il se passera 70 ans entre la chute de Jérusalem et son relèvement. Cette prophétie est interprétée par le prophète Daniel, à son chapitre 9, où les 70 ans sont en fait 70 années sabbatiques.
Une année sabbatique, selon la Loi, a lieu tous les sept ans : remise des dettes, libération des esclaves hébreux, mise en jachère des terres et de la vigne, pour que la nature se repose. Comme le sabbat est le repos de Dieu et de l’homme au septième jour, l’année sabbatique est un repos pour toute la société et pour la nature.
Une année jubilaire correspond au calcul de 7 x 7 ans = 49 ans. C’est une super-année sabbatique. À son sujet, la Loi dit : «  Vous ferez de la cinquantième année une année sainte, et vous proclamerez la libération pour tous les habitants du pays. Ce sera pour vous le jubilé : chacun de vous réintégrera sa propriété, chacun de vous retournera dans son clan. » L’année jubilaire est une remise à zéro, un grand remembrement, ou chacun retrouve ses terres, même si elles ont été louées, hypothéquées ou vendues, comme si on venait à nouveau d’entrer en Terre promise : on refait le partage.
Or, Daniel fixe le super Jubilé correspondant au relèvement de la gloire de Jérusalem en comptant 7 x 70 années sabbatiques, soit 490 ans, à compter de l’ordre du roi Artaxerxés à Esdras d’y revenir pour la rebâtir. Si l’ordre d’Artaxerxés a bien été donné en 458 avant Jésus-Christ, à l’occasion d’une première année sabbatique, alors le Jubilé prophétisé par Jérémie et Daniel tombe en 26 ou 27 après-Jésus Christ, c’est-à-dire juste à l’époque où Jean-Baptiste se met à crier dans le désert : « Redressez le chemin du Seigneur » et à annoncer l’avènement du Royaume des Cieux, en appelant les gens à se convertir et à se faire baptiser.
Et on comprend la stupeur des juifs présents dans la synagogue de Nazareth quand Jésus, ouvrant intentionnellement le livre d’Isaïe, lit tranquillement : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » L’année de Bienfaits accordée par le Seigneur – tout le monde le sait – c’est la fameuse année Jubilaire.
 
Voilà donc le problème des prêtres et des lévites envoyés auprès de Jean : si tout le monde est d’accord pour que la super année jubilaire annoncée par Daniel, qui annonce le relèvement de Jérusalem tombe maintenant, alors est-ce que Jean le Baptiste est lui-même le Christ ? Ou bien est-il Elie, qui selon la prophétie de Malachie, doit revenir pour préparer la venue du Christ ? Ou bien est-il comme le prophète Élisée, le disciple d’Elie, qui envoie Naaman le général lépreux se baigner dans le Jourdain pour retrouver sa pureté ? Est-il le Prophète annoncé par Moïse « Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » Bref, est-ce que le moment tant attendu et redouté est arrivé ?
 
On aurait pu croire que Jean-Baptiste, habillé comme un chameau, était un huluberlu. Mais à Jérusalem, on ne le prend pas du tout pour un huluberlu. Personne n’a oublié sa naissance miraculeuse de deux parents âgés, comme Isaac, fils d’Abraham et de Sarah ; que Zacharie son père est prêtre du Temple de Jérusalem, descendant d’Aaron, comme Elisabeth, sa mère. Jean est donc lui-même un prêtre ; personne n’a oublié que son nom est Jean, et non pas Zacharie, comme son Père, et que, quand on change de nom, c’est que Dieu a donné une vocation spéciale. Jean signifie « Dieu fait grâce ». Son nom correspond à sa mission d’annoncer « l’année de grâce accordée par le Seigneur » lue par Jésus dans les prophéties d’Isaïe.
En fait, quand l’évangile dit que « les juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites », il ne faut pas comprendre les « juifs » au sens d’aujourd’hui, qui regroupe l’ensemble des fils d’Israël, mais les « judéens », c’est-à-dire soit les descendants de la tribu de Juda, soit les habitants du territoire de cette tribu, la Judée, dont Jérusalem est la capitale. En somme ce sont les gardiens de Jérusalem, les Judéens, qui demandent aux prêtres et aux lévites, c’est-à-dire à la tribu dont Jean-Baptiste est membre, de voir ce qu’il en est. C’est normal, à l’époque, on appartient d’abord à son clan, et donc, Jean-Baptiste n’est pas ici face à des étrangers ou des intrus, mais face aux membres de sa propre famille, en quelque sorte. D’ailleurs, ils n’insistent pas.
La question des pharisiens va plus loin. La traduction de la phrase « Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens » n’est pas évidente. Soit il s’agit de certains des prêtres et des lévites ayant adopté la spiritualité des pharisiens ; soit il s’agit d’autres envoyés, de la part des pharisiens, c’est-à-dire des scribes ou des docteurs de la Loi. Ce ne sont pas les mêmes. La question porte sur le baptême. Et là Jean répond que lui-même n’est qu’un signe, baptisant dans le Jourdain, tandis que Jésus lui va baptiser en réalité, dans l’Esprit Saint, et accomplir le véritable pardon, la libération véritable, et rendre à Jérusalem sa gloire véritable.
 
Voilà pourquoi ce jour est un jour de joie, et que Marie – elle qui est Jérusalem en personne – peut à bon droit chanter : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. »

jeudi 14 décembre 2023

10 décembre 2023 - FRASNE-LE-CHÂTEAU - 2ème dimanche de l'Avent - Année B

Is 40, 1-5.9-11 ; Ps, 84 ; 2P 3,8-14 ; Mc 1,1-8
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile de Marc se caractérise par sa sobriété : pas un mot de trop, il va à l’essentiel, ici pour comprendre qui est Jean, mais surtout qui est Jésus. Déjà, en trois paragraphes Marc plante le décor : son témoignage annonce la Bonne Nouvelle – l’Évangile – de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Jésus, le Sauveur tant attendu, qui est Dieu (en tant que Fils de Dieu), est lui-même la Bonne Nouvelle. L’Évangile n’est pas un message : c’est une personne ; l’Évangile, la Bonne Nouvelle, c’est Jésus lui-même.
Au second paragraphe, Marc fait intervenir les prophéties de l’Écriture : Isaïe, mais pas seulement, même s’il ne le dit pas : Malachie aussi. L’Évangile a été annoncé par les Écritures – l’Ancien Testament. On ne peut pas comprendre l’Évangile si on ne se réfère pas aux Écritures : elles en sont la clé. Inversement, la réalisation des prophéties des Écritures est bien l’Évangile.
Et d’ailleurs, troisième paragraphe, l’apparition de la figure de Jean comme réalisation des prophéties d’Isaïe et de Malachie, légitime Jean comme prophète authentique, et démontre que les prophéties des Écritures ne sont pas du vent : elles correspondent à une réalité très concrète.
Tout ceci pour dire que ce Jésus qui vient, ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’Ancien Testament et à celle de l’histoire de sa vie réelle, historique. Justement, le témoignage de Marc est une exposition de Jésus au croisement de ces deux sources essentielles. Nous sommes prévenus : il faut toujours y revenir.
 
La mission de Jean Baptiste est d’« ouvrir » le chemin du Seigneur. Les traductions sont variables. On peut aussi comprendre qu’il vient « aplanir, réparer, rétablir, restaurer » le chemin du Seigneur. Jean ne vient donc pas apporter du nouveau, il vient plutôt redresser ce qui existe mais qui est déformé. C’est pourquoi il prêche un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Le baptême rappelle deux franchissements de grandes eaux : celui de la Mer Rouge, libération de l’esclavage, et celui du Jourdain, entrée dans la Terre Promise. Dans les deux cas, et dans le cas du baptême de Jean, la bonne nouvelle est que, par ces franchissement, le Seigneur rend une vie nouvelle et sainte possible. Franchir la Mer Rouge ou le Jourdain, ou recevoir le baptême, est un temps de grâce : un rayon de lumière dans une vie obscure. Mais bien sûr, encore fallait-il l’accepter et le vouloir, ce rayon de grâce : les gens de Judée et de Jérusalem descendaient des montagnes et s’abaissaient à reconnaître publiquement leurs péchés. C’est par l’humilité et la reconnaissance de sa pauvreté qu’on est libéré et qu’on reçoit la vie nouvelle. Plus que de se débarrasser de tel ou tel boulet, c’est la conversion du cœur qui est la plus essentielle. Et c’est bien ce que vise la mission de Jean : préparer la voie du Seigneur, c’est préparer le cœur des hommes. Quand le Seigneur chasse l’obscurité de la Maison, c’est pour l’illuminer et la remplir de la lumière de sa Gloire, de son amour et de sa paix.
Jean précise que Jésus est « plus fort » que lui. En effet, si Jean prépare le cœur des hommes à recevoir le Seigneur, Jésus, lui, va préparer l’humanité tout entière et la création tout entière à recevoir l’Esprit Saint, celui qui va les transformer en humanité nouvelle et en création nouvelle : la communion des Saints dans la Gloire de Dieu. Jésus est vraiment « plus fort » que Jean !
 
Un dernier point. Pourquoi Marc s’attarde-t-il à décrire la tenue et le menu de Jean ? Ce n’est pas pour nous distraire – c’est que c’est essentiel !
Jean est habillé comme un chameau – « gamal » en hébreu – ce qui veut dire « réservoir d’eau ». En effet, comme le chameau dans le désert porte en lui l’eau si vitale, Jean porte en lui l’Esprit Saint qui permet tenir dans le désert spirituel et humain du monde présent.
Il porte une ceinture de cuir autour des reins, signe double. D’abord signe de force : Jean mène une vie sainte, parce qu’il est rempli de la force de Dieu et qu’il lui est fidèle. Ensuite, signe de mouvement : celui qui ceint ses reins est celui qui part en voyage. Ainsi, Jean lui-même marche sur la voie du Seigneur avec assurance. Mais plus encore, pour n’importe quel Juif, la tenue de Jean rappelle immédiatement celle du prophète Élie : « C’était un homme portant un vêtement de poils et une ceinture de cuir autour des reins. » lit-on au second Livre des Rois. Jean est le nouvel Élie. Or le retour d’Élie est LE signe de la venue du Messie. On pourrait ajouter encore que la ceinture fait partie des vêtements caractéristiques du Grand prêtre. Jésus se ceint d’un linge au moment de la dernière Cène, avant de laver les pieds de ses disciples et de faire l’offrande. Tout cela n’échappe pas à l’œil averti.
Mais enfin, et pour terminer : le menu – sauterelles et miel sauvage. Les sauterelles agrémentent habituellement les repas des bédouins, comme les crevettes ceux des Bretons – elles sont d’ailleurs pleines de vitamines. Mais surtout, les sauterelles – toujours en multitude – sont synonymes de dévastation des récoltes. Ainsi Jean se nourrit-il avec amertume de ces épreuves infinies que connaissent les hommes. Il les connaît et il les porte, comme Jésus va porter sa croix. C’est son ascèse. Mais Jean mange aussi du miel sauvage. Au contraire des sauterelles, qui est un plat du désert, le lait et le miel sont au menu en Terre promise. Le miel est le signe du réconfort, de la paix et de la fête. Il est une nourriture de joie. Parce que – « Debora » – le miel en hébreu – signifie la Sagesse et la Parole de Dieu. Ainsi donc, Jean-Baptiste mange, amer, les péchés du monde, mais il goûte aussi avec délice à la Parole de Dieu.
 
Voilà donc, chers frères et sœurs, un petit aperçu concernant Jean-Baptiste et, à travers lui, sur celui qui est « plus fort » que lui : le Christ Jésus, notre Dieu et notre Sauveur.

dimanche 3 décembre 2023

02-03 Décembre 2023 - DELAIN - GRAY - 1er dimanche de l'Avent - Année B

 Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7, Ps 79 ; 1Co 1,3-9 ; Mc 13,33-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus nous demande de veiller, car il va revenir parmi nous par surprise, et ce moment sera celui d’une grande désolation, de grandes destructions. Jésus disait que ce serait un temps de guerres, de tremblements de terre et de famine, que le Temple de Jérusalem serait détruit et que l’abomination de la désolation y serait installée, et que les chrétiens seraient persécutés, y compris dans leurs propres familles. Jésus appelait ce temps un temps d’enfantement. Car sa venue, et l’avènement de son Royaume, sont comparables à une nouvelle naissance, ou à la résurrection dans une vie nouvelle.
En attendant ce jour, où tout sera chamboulé, Jésus demande à ses disciples – aux chrétiens – de s’y préparer, et cela non pas passivement, mais activement.
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, saint Marc ramasse en quelques lignes plusieurs paraboles que nous avons déjà entendues chez Matthieu et chez Luc : la parabole des vignerons et celle des talents, quand le Maître part en voyage et qu’il confie ses biens à ses serviteurs pour qu’ils fassent fructifier, qui sa vigne, et qui ses richesses. À son retour il s’attend à trouver des fruits, un revenu, ou au moins des intérêts. Nous retrouvons aussi la parabole des vierges sages et des vierges insensées, qui s’endorment tandis que l’époux arrive au milieu de la nuit, par surprise. Ici Marc parle « du soir, ou à minuit, au chant du coq ou le matin » : ce sont les quatre tours de garde de la nuit, dans l’armée romaine.
Le point commun à toutes ces paraboles, concentrées en quelques lignes, est que Jésus attend de ses disciples non seulement qu’ils écoutent sa Parole – la Loi, et son enseignement – ses commandements, celui de l’amour de Dieu et celui du prochain – mais aussi qu’ils la mettent en pratique. Car les fruits ou les revenus attendus, ce sont ces gestes d’amour. À ce propos, Jésus a enseigné qu’il attendait de ses disciples qu’ils fassent comme lui a fait pour tous les hommes : visiter les prisonniers, guérir les malades, accueillir l’étranger, vêtir ceux qui sont nus, nourrir et désaltérer ceux qui ont faim et soif. On peut comprendre ces gestes comme des gestes humanitaires – c’est exact – mais aussi comme des gestes liturgiques, sacramentels : baptiser, confirmer, onctionner les malades, pardonner les pécheurs, célébrer l’eucharistie. Gestes sacramentels et gestes humanitaires fonctionnent comme en miroir, selon le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
 
Cependant, Jésus insiste beaucoup ici sur la nécessiter de « veiller ». Il le répète plusieurs fois. Il ne faudrait pas que le Maître, quand il reviendra, retrouve ses disciples « endormis » – c’est-à-dire spirituellement morts. Bien sûr, un moyen de ne pas s’endormir est de s’occuper utilement, et nous venons déjà de voir comment. Mais Jésus nous demande précisément de « veiller ». Dans certains manuscrits araméens anciens, il est écrit – à la place de « veiller » : « priez ». Et dans d’autres, « veillez et priez ». Et nous, nous avons « veillez ». Il est certain que la veille dont parle Jésus a beaucoup à voir avec la prière, une certaine forme de prière.
Nous sommes trop jeunes pour savoir ce que signifie vraiment une « veillée », le soir ou la nuit, en famille, au coin du feu. C’est là qu’on se racontait l’histoire, qu’on faisait mémoire du passé pour comprendre les événements d’aujourd’hui. Pour les chrétiens faire mémoire du passé, c’est raconter l’Évangile pour les anciens, l’apprendre pour les plus jeunes : se le transmettre. Et à la lumière de l’Évangile, comprendre le temps présent. C’est si important, une veillée, que les moines, et les évêques, et les prêtres, et les diacres, continuent toujours, chaque jour et chaque nuit, à faire la veillée. C’est ce qu’on appelle l’Office, ou les Heures, concrètement l’Office des lectures , ou les Vigiles ou les Matines. Tous les fidèles font des veillées eux aussi, pour Noël ou pour Pâques. Mais la liturgie prévoit des veillées pour tous les jours, si on veut. C’est ainsi que l’Église obéit au commandement de Jésus, en veillant sans cesse. C’est-à-dire, en revenant sans cesse à l’Évangile, à la vie de Jésus et à son enseignement, à Jésus lui-même, pour ne jamais l’oublier. Pourquoi ?
Parce que, quand le monde ancien s’écroulera, que le conflit régnera partout, que les certitudes disparaîtront et qu’on ne trouvera plus de points de repère ; que dans la Maison de Dieu même – l’Église – des importuns régneront, persécutant leurs frères les chrétiens fidèles, alors à quoi ou à qui se raccrocher si ce n’est à Jésus lui-même, en faisant mémoire de lui sans cesse, en veillant jour et nuit, jusqu’à ce qu’il vienne et que la paix se fasse ?
Vous l’avez compris, en nous appelant à veiller, Jésus nous exhorte à la foi en lui seul, pour tenir bon, quelles que soient les tempêtes, jusqu’à ce que la nouvelle naissance ou la résurrection se fasse, jusqu’à ce qu’il vienne, jusqu’à Noël, ou jusqu’à Pâques – c’est pareil.
 
Chers frères et sœurs, nous entrons aujourd’hui en Avent : quatre semaines jusqu’à Noël. Il y a autant de veilles que de dimanches ou que de jours, dans la prière, par la pratique des sacrements et de la charité, en attendant avec foi la venue de Jésus en son grand jour de joie.

dimanche 26 novembre 2023

26 novembre 2023 - AUTOREILLE - Solennité du Christ Roi de l'Univers - Année A

 Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22 ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46
 
Chers frères et sœurs,
 
La fête du Christ, « Roi de l’Univers », sonne à des oreilles d’homme occidental du XXIe siècle comme une prétention surréaliste, sinon surannée, qui sent son XIXe siècle alors que bon nombre de catholiques cherchaient à restaurer la royauté après la Révolution française ! Mais le titre de « Roi de l’univers » accordé à Jésus n’a rien à voir avec l’histoire de France : c’est dans les Écritures qu’il faut chercher une explication !
 
Il y a deux mentions du « Roi de l’univers » dans les Écritures. Au livre de Tobie, qui – au retour de son voyage – bénit « le Seigneur du Ciel et de la terre, le roi de l’Univers » ; et surtout au livre de Ben Sira le Sage : « Seul le Seigneur sera reconnu juste, il n’y en a pas d’autre que lui. Il tient le gouvernail du monde avec la paume de sa main, tout obéit à sa volonté, car, par sa puissance, il est roi de l’univers ; les choses saintes, il les sépare des profanes. »
Le roi de l’univers est donc Dieu lui-même, qui est le créateur de toutes choses, et qui en est aussi le juge, lui qui sépare ce qui est saint de ce qui est profane. C’est-à-dire qu’il reconnaît ce qui est de lui, ce qui est saint, de ce qui vient du mauvais et qui est destiné au néant – le profane.
 
Les Écritures emploient aussi souvent l’expression « Seigneur de l’Univers », notamment dans le Livre de Samuel, où la royauté de Dieu est confiée à David. Mais la royauté terrestre de David est l’annonce et l’image de la royauté céleste du Fils de David, Jésus. Ainsi Dieu fait la promesse suivante à David : « Ainsi parle le Seigneur de l’univers : C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. J’ai été avec toi partout où tu es allé, j’ai abattu devant toi tous tes ennemis. Je t’ai fait un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre. Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël, je l’y planterai, il s’y établira et ne tremblera plus, et les méchants ne viendront plus l’humilier, comme ils l’ont fait autrefois. » 
Nous retrouvons ici la prophétie du bon roi, ou du bon berger, le Fils de David, qui conduira le peuple de Dieu vers le bon pâturage du ciel, les prés d’herbe fraîche dont parle le Psaume.

Mais le Peuple de Dieu attendait en David, ou dans le Fils de David, un homme qui soit aussi roi comme Dieu lui-même, pas simplement son représentant. En effet, c’est la fameuse vision du prophète Daniel, qui est tellement importante pour comprendre qui est vraiment Jésus : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » 
Bien sûr, le « Vieillard » c’est Dieu-le Père et le « Fils d’Homme », c’est Jésus. C’est exactement de cette prophétie dont parle Saint Paul dans l’extrait de sa lettre aux Corinthiens que nous avons entendu en seconde lecture.

Voilà donc comment Jésus – toute référence politique mise à part – est vraiment le « Roi de l’Univers », en tant que Berger du Peuple de Dieu, à l’image de David, et en tant que Fils de l’Homme, celui à qui est remise toute royauté dans les cieux. Et c’est lui qui est chargé de prendre soin des brebis, de sanctifier le peuple, et d’en écarter ce qui est mauvais, ce qui est profane.
 
Il est donc nécessaire d’avoir ces références à l’esprit quand on veut comprendre l’Évangile de ce dimanche, où Jésus déclare : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. » – c’est la vision de Daniel. Et : « Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs » – c’est la double référence à David et à Ben Sira le Sage.
 
On s’aperçoit alors que le jugement de Jésus se porte sur les gestes que les hommes auront eus à l’égard des personnes affamées, assoiffées, nues, malades et en prison. C’est sur ces gestes que porte le critère de la sainteté. Pourquoi ?
Parce que c’est ce que Jésus a fait pour nous, ce que Dieu a fait pour l’homme par son Incarnation, sa mort et sa résurrection et son Ascension. C’est Adam qui était dans la prison de la mort – Dieu l’a ressuscité. Il était malade de son péché – Dieu l’en a guéri. Il était nu, ayant perdu le vêtement de la gloire de Dieu – Dieu l’en a revêtu, l’élevant au-dessus des anges. Il était affamé et assoiffé – Dieu l’a nourri au banquet des noces de l’Agneau, par son Corps et par son Sang, Pain et Vin de la vie éternelle. 
Voilà ce que, par Jésus, Dieu a fait en grand pour l’homme. Et c’est pourquoi, quand nous faisons ces gestes à l’égard d’autrui, modestement, à notre mesure, Dieu y reconnaît les siens. Ce sont des gestes de bonté, de sainteté, des gestes divins.
 
Je termine par une observation de saint Irénée. Que pouvons-nous faire, nous les hommes, pour remercier Dieu, notre roi et notre berger, d’avoir pris soin de nous et de nous avoir sanctifiés ? À vrai dire pas grand-chose, car nous sommes vraiment tout petits et nous ne possédons rien sinon ce que Dieu nous a donné. C’est pourquoi – dit saint Irénée – Jésus nous a donné l’exemple de ces gestes d’humanité comme gestes d’offrande pour le remercier de ses bienfaits. Voilà qui est à notre portée et qui vient réellement de nous. 
Nous faisons preuve d’amour pour Dieu quand nous pratiquons l’amour à l’égard du prochain. Et la perfection de l’amour, c’est la sainteté – la gloire des bienheureux. 

dimanche 19 novembre 2023

19 novembre 2023 - VALAY - 33ème dimanche TO - Année A

 Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 ; 1Th 5,1-6 ; Mt 25,14-30
 
Chers frères et sœurs,
 
En première analyse de cet enseignement de Jésus, nous comprenons que le Seigneur donne à chacun d’entre nous des talents, qu’il nous revient de faire fructifier sous peine de nous voir condamnés durement. Cela place sur nos épaules une lourde responsabilité, selon ce que l’on estime avoir reçu de lui, et en regard des vies bien modestes que nous pouvons lui présenter en retour.
Mais il s’agit de ne pas se tromper de talents. Car il n’est pas d’abord question de dons naturels que nous aurions pu développer ou pas. Il y a certainement ici des Mozart qui s’ignorent… Mais si personne ne leur a révélé leur don musical exceptionnel, comment pourraient-ils être tenus pour responsable de ne pas l’avoir développé ? Ou bien, la vie aura fait qu’il n’était pas possible de le développer, et ils ne peuvent pas ici non plus être tenus pour responsables. Non, dans l’Évangile, il s’agit de toute autre chose.
En Orient, il est de coutume d’attribuer les cinq talents aux évêques, les deux talents aux prêtres et le talent aux diacres. Ce n’est probablement pas ce qu’a voulu dire Jésus, mais cela nous donne une piste. On voit ici que le Seigneur attend davantage de ceux à qui il a donné – non pas des honneurs – mais des charges d’âmes : les talents, ce sont en même temps les autres, et l’Évangile qu’on doit leur porter, qui est leur nourriture pour qu’ils puissent vivre et développer leur foi. En fait, pour saint Éphrem, le talent donné par le Seigneur est la foi elle-même, qu’il attend de voir se développer et de donner du fruit. De fait, nous pouvons faire deux observations.
 
La première est que le Maître ne s’intéresse pas au nombre de talents qu’il aura pu récolter à son retour, mais il s’intéresse au fait que les serviteurs leur auront fait produire du fruit, chacun selon sa capacité. Il répond d’ailleurs exactement la même chose à celui qui a produit deux talents qu’à celui qui en a produit cinq. En revanche, il reproche au dernier d’avoir caché son talent et de ce fait, de ne lui avoir rien fait produire, même pas les intérêts d’un dépôt en banque.
Ainsi, le Seigneur se réjouira au ciel autant de l’arrivée de sainte Thérèse de Lisieux ou de saint Vincent de Paul que de la petite dame qui a mis cinq centimes dans le tronc du Temple de Jérusalem ou du lépreux samaritain qui est revenu simplement le remercier pour sa guérison. À chacun selon ses capacités. En revanche aux prêtres, par exemple, qui ont beaucoup reçu en matière de connaissance des choses divines, en pouvoir de gouvernement des communautés, en capacité de célébrer les sacrifices ou les sacrements, et qui en ont enfouis l’usage, ou pire, l’ont détourné à des fins mauvaises, ceux-là perdront tout puisqu’ils seront chassés de la salle des noces de l’Agneau, tout prêtre qu’ils auront pu être.
 
Mais ne pensons pas trop vite que, plus on a reçu de catéchisme, de séminaire ou de sacrements, plus on a reçu de talents. C’est plutôt une question d’état d’esprit. Comparons donc – et c’est ma deuxième observation – les qualificatifs que le maître attribue à chacun des serviteurs. Les deux premiers sont qualifiés de bons et fidèles ; et le dernier de mauvais et paresseux.
Celui qui est bon, c’est Dieu lui-même. Ainsi le serviteur bon agit comme Dieu lui-même agirait. Ce n’est pas qu’il a reçu une bonne note, le serviteur bon, c’est qu’il a agi avec bonté, qu’il a fait du bien, gratuitement et sans compter, autour de lui. Et il est dit aussi de lui qu’il est fidèle, c’est-à-dire qu’il a la foi. Le bon et fidèle serviteur, c’est celui qui accomplit la Loi : celui qui aime Dieu et son prochain, réellement.
À l’inverse se trouve le serviteur mauvais et paresseux. Dans la bouche de Jésus, la référence au paresseux n’est pas un hasard, c’est une référence directe au Livre des Proverbes où est décrit quinze fois ce qu’est être paresseux : le paresseux manque de sagesse – c’est-à-dire qu’il n’écoute pas la Parole de Dieu ; il s’est endormi ; il n’a pas mis en pratique les commandements ; et surtout : il a peur devant la tâche à accomplir ! D’ailleurs, le mauvais serviteur le dit lui-même : « J’ai eu peur. » Car le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, c’est la peur !
La femme parfaite décrite dans la première lecture – extraite justement du Livre des Proverbes –, est le miroir inversé du mauvais paresseux. Cette femme, c’est l’Église, elle qui craint le Seigneur – elle a la foi –, qui travaille avec ardeur, est attentive aux pauvres, et dont on chante publiquement les louanges pour ses œuvres bonnes.
 
Chers frères et sœurs, à nous qui sommes baptisés – prêtres, prophètes et roi – qui avons reçu le don de la foi, avec un peu capacité pour prier le Seigneur, un peu de catéchisme pour annoncer l’Évangile, et un peu de responsabilités familiales, sociales ou communautaires, le Seigneur attend de nous que nous fassions fructifier tout cela de bon cœur, comme lui : en aimant et Dieu et notre prochain, c’est-à-dire en nous offrant pour eux autant que nous pouvons et jusqu’à toute notre vie. Alors, nous pourrons un jour entendre le Seigneur nous dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur ! »

dimanche 12 novembre 2023

11/12 novembre 2023 - BUCEY-lès-GY - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 32ème dimanche TO - Année A

 Sg 6, 12-16 ; Ps 62 ; 1Th 4,13-18 ; Mt 25,1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, nous comprenons qu’à travers sa parabole Jésus nous demande d’être prévoyants en vue de sa venue. Celle-ci peut arriver à tout moment, même si elle semble tarder, à tel point qu’on peut même s’endormir. La surprise n’en sera que d’autant plus forte au réveil ! Que signifie alors l’huile si précieuse pour alimenter nos lampes au moment de la venue du Christ ? Sans grand risque, nous pouvons répondre : nos œuvres bonnes, notre vie sainte. Et c’est bien cela.
Mais cette lecture un peu rapide nous fait manquer quelques points importants de l’enseignement de Jésus. Il ne s’agit pas pour lui de nous faire simplement une leçon de morale. Comme d’habitude, pour bien comprendre l’Évangile, il faut le lire en correspondance avec tous les autres passages de l’Évangile, et avec les lunettes des Écritures, c’est-à-dire de l’Ancien Testament.
 
Rien que le premier verset campe le tableau : il y est question de dix jeunes filles, invitées aux noces de l’époux. Les versions anciennes de la Bible disent plus précisément qu’il est question de dix vierges, invitées aux noces du jeune marié, l’époux, et de la jeune mariée, l’épouse.
L’époux, on le retrouve en saint Matthieu quand Jésus dit, parlant de ses disciples : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l’Époux est avec eux ? Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront » ; et en saint Jean, Jean-Baptiste explique : « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. »
L’épouse, nous la retrouvons dans l’Apocalypse : « Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari » et encore : « Alors arriva l’un des sept anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux, et il me parla ainsi : « Viens, je te montrerai la Femme, l’Épouse de l’Agneau. » En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. »
Il faut donc comprendre que Jésus est lui-même l’époux, et la Jérusalem nouvelle, l’Église, est son épouse. Dans ce cas, les dix jeunes filles sont les figures des nations, qui sont appelées à se joindre aux noces, mais pas sous n’importe quelles conditions.
 
Précisons d’abord de quelles noces il s’agit. La racine la plus ancienne du mot (en araméen ou en hébreu) ne renvoie pas d’abord à une célébration nuptiale, à la consommation d’un mariage, mais plutôt à une célébration, où l’on boit du bon vin : c’est la fête. Ce sont les noces de Cana, par exemple. Or il est question de ces noces annoncées par Dieu dans le livre du prophète Jérémie : « Les chants d’allégresse et les chants de joie, le chant de l’époux et le chant de l’épousée, le chant de ceux qui présentent le sacrifice d’action de grâce dans la maison du Seigneur, en disant : « Rendez grâce au Seigneur de l’univers ! Oui, le Seigneur est bon : éternel est son amour ! » ». 
Voilà de quoi il est question : les noces sont la célébration d’un sacrifice d’action de grâce pour la bonté du Seigneur. Pour un chrétien, il s’agit de l’Eucharistie, tout simplement.
 
Alors, de quelle huile s’agit-il, qui permet d’entrer dans la salle des noces, dans l’Église, pour y offrir le sacrifice d’action de grâce, participer au banquet des noces de l’Agneau ?
Les versions grecques et araméennes ne parlent pas de vierges insouciantes et prévoyantes, mais de vierges folles ou insensées, et de vierges sages. Exactement comme on est fou ou insensé quand on construit sa maison sur du sable, et sage quand on la construit sur le rocher. Bien évidemment, le rocher c’est le Christ ou, pour un juif, c’est la Torah, la Loi donnée par Dieu à Moïse. Ainsi donc, les jeunes filles dites prévoyantes, signifient en réalité toutes les personnes qui fondent leur vie sur l’écoute de la Parole de Dieu et qui, par sa mise en pratique, se constituent des réserves d’huile, c’est-à-dire des fruits de sagesse, des bonnes œuvres. Tandis que les personnes qui vivent sans écouter la Parole de Dieu, qui se laissent emporter à tous les vents comme des girouettes, sont incapables de produire de bons fruits : elles sont vides. Et quand le Seigneur vient, au bout de la nuit, c’est la douche froide… il est trop tard.
Jésus se montre grinçant quand il fait dire aux vierges folles qu’elle doivent aller en catastrophe chez les marchands pour s’acheter de l’huile… et cela en pure perte puisque la porte de la salle des noces demeure fermée. En effet, jamais personne ne peut acheter de la sagesse avec de l’argent ! Jésus se moque de ceux qui croient pouvoir s’acheter une place au ciel (ou dans l’Église) avec de l’argent.
 
En définitive, dans sa parabole Jésus nous enseigne que celui qui écoute sa Parole et la met en pratique porte du fruit à travers une vie bonne et juste, éclairée qu’elle est par la Sagesse. Celui-là – même s’il est d’origine païenne – a accès à l’Église qui célèbre l’Eucharistie, le sacrifice d’action de grâce. Et c’est là que l’offrande de toute sa vie illumine le banquet des noces de l’Agneau.

dimanche 5 novembre 2023

04-05 novembre 2023 - SAINT-GAND - CHARCENNE - 31ème dimanche TO - Année A

 Ml 1,14b-2,2b.8-10 ; Ps 130 ; 1Th 2,7b-9.13 ; Mt 23,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus est toujours dans le Temple après y être monté selon le rituel du couronnement royal, assis sur un ânon et acclamé par les foules. Après avoir chassé les marchands du Temple et guéri des malades, il est entré en controverse avec les autorités religieuses : prêtres, docteurs de la Loi et pharisiens. Depuis plusieurs dimanches nous suivons cette controverse, qui aboutit en pratique à la dénonciation de l’hypocrisie de ces autorités. Jésus – qui est Dieu – a donc fait son entrée dans son Temple ; Lumière née de la Lumière, il en chasse les ténèbres ; il dévoile ce qui est voilé ; il purifie ce qui est impur : il abaisse les puissants et élèves les humbles.
 
Aujourd’hui, au-delà du risque d’hypocrisie qui colle à la peau de toute autorité, quelle qu’elle soit, Jésus nous apprend positivement deux choses. La première est l’autorité supérieure de la Loi de Moïse. En effet, Jésus non seulement ne la remet pas en cause, mais il recommande même de l’observer et de la mettre en pratique. Pour saint Irénée de Lyon, les choses sont très claires : si Jésus est l’accomplissement de la Loi, et même son dépassement, en ce sens qu’il aussi plus exigeant, il en est aussi le principe, l’origine. Il n’y a pas d’opposition entre la Loi de Moïse et Jésus. Et c’est bien ce que nous avons vu quand Jésus et le docteur de la Loi, pharisien, se sont trouvés tous les deux d’accord pour affirmer que le cœur de la Loi est bien l’amour de Dieu et celui du prochain. Ce que Jésus reproche aux pharisiens, c’est de ne pas appliquer ce principe dans leur pratique.
 
Nous le savons, mettre en pratique la Loi de Moïse, les commandements de Dieu, les Béatitudes le cas échéant, ce n’est pas facile. Cela n’est jamais facile. Parce que – quand on fait le pas – la vie change du tout au tout, et on marche comme sur les eaux, au risque de couler si l’on perd la foi ! Ainsi par exemple, Antoine, jeune chrétien sympathique, d’une famille paysanne assez aisée, est passé un jour devant une église où l’on proclamait l’évangile suivant : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi. » C’est la parole adressée par Jésus au jeune homme riche. Antoine aurait pu se contenter de l’écouter et ne pas se sentir concerné. Mais non : il l’a prise pour lui, et surtout : il l’a mise en pratique. C’est ainsi qu’il est devenu saint Antoine, premier des moines du désert d’Égypte, modèle de tous les moines dans l’Église jusqu’à aujourd’hui. Par le seul principe suivant : mettre en pratique l’Évangile ; ne pas se contenter de l’écouter. 
Évidemment, vous voyez bien le changement de vie que cela a impliqué. Tout le monde n’est pas appelé par le Seigneur à le suivre à la manière de saint Antoine, mais chacun sait dans son cœur, dans sa conscience, là où le Seigneur l’appelle.
 
Pour se souvenir de l’appel du Seigneur à observer la Loi et le cœur de la Loi, et les mettre en pratique, les juifs ont l’habitude de porter des phylactères et des franges. 
Les phylactères contiennent les Paroles du Seigneur selon cette prescription consignée dans le Deutéronome : « Les paroles que je vous donne, vous les mettrez dans votre cœur, dans votre âme. Vous les attacherez à votre poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur votre front. » 
Et les franges sont des fils de pourpre, selon ce commandement donné par le Seigneur à Moïse, consigné dans le Livre des Nombres : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras qu’ils se fassent une frange aux pans de leurs vêtements, et ceci d’âge en âge, et qu’ils placent sur la frange du pan de leur vêtement un cordon de pourpre violette. Vous aurez donc une frange ; chaque fois que vous la regarderez, vous vous rappellerez tous les commandements du Seigneur et vous les mettrez en pratique ; vous ne vous laisserez pas entraîner, comme les explorateurs, par vos cœurs et vos yeux qui vous mèneraient à la prostitution. Ainsi vous vous rappellerez et vous mettrez en pratique tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu. »

Voilà donc que phylactères et franges sont des signes qui rappellent matériellement cette nécessité de se souvenir de la Loi en tout temps, et de la mettre en pratique. Les premiers rappellent que c’est le Seigneur qui parle et se révèle ; c’est lui le seul Maître. Et les secondes, les franges, rappellent que celui qui les porte est un serviteur du Seigneur, pour mettre en pratique ses commandements. La couleur pourpre rappelle le rang royal de ces serviteurs : ils sont saints. 
Il est donc bien dramatique de voir les autorités religieuses chargées d’enseigner la Loi et d’être des modèles dans sa mise en pratique, d’exagérer dans les dimensions de ces signes et ce d’autant plus qu’ils font l’inverse de ce qu’ils représentent ! L’hypocrisie à son comble.
 
Et c’est là le second enseignement de Jésus. Oui, il est difficile de mettre en pratique les commandements ; c’est pourquoi avant d’en charger les autres, il faut commencer par les porter soi-même autant qu’on peut. Mais ce n’est pas difficile quand on le fait avec beaucoup d’humilité, petitement d’abord, et de plus en plus, et de mieux en mieux, autant qu’on peut. Alors, le Maître, qui voit celui qui arrive dans la salle des noces se mettre humblement à la dernière place, vient le chercher et lui dit, l’élevant à la première place : « Mon ami, monte plus haut ! » Il reçoit alors le couronnement des Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ! »

vendredi 3 novembre 2023

02 novembre 2023 - SOING - Commémoration de tous les fidèles défunts - Année A

Sg 3,1-6.9 ; Ps 26 ; 1Co 15,51-57 ; Mt 25,31-46
 
Chers frères et sœurs,
 
Vous vous souvenez – il y a quelques dimanches – de la parabole des Vignerons homicides, qui ont tué les envoyés du Maître, et même son Fils, alors que celui-ci attendait que les vignerons lui donnent le fruit de sa vigne, qui sont les bonnes œuvres de la Loi, bien comprise et mise en pratique. De même vous vous souvenez de la parabole des invités au repas des noces, où le Père fait appeler les invités – qui refusent, puis fait venir tout le monde, pour finalement chasser de la salle un importun qui ne portait pas le vêtement des noces. Ce vêtement, comme le fruit de la vigne, est le signe d’une vie sainte, une vie selon la Loi de Moïse ou des Béatitudes, toute faite de l’amour de Dieu et du prochain. Ce vêtement, pour saint Irénée de Lyon, n’est autre que l’Esprit Saint.
 
L’évangile de ce jour se comprend à la lumière des précédents. En définitive, ceux qui sont les bénis du Père, sont ceux qui sont comparable à une vigne qui porte du fruit, ou à des invités qui sont habillés du vêtement des noces. Leur vie est fécondée, colorée, par l’Esprit Saint, et les gestes dont parle Jésus aujourd’hui leur sont familiers : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! »
En revanche, ceux qui ne portent pas de fruit, ni le vêtement des noces, sont des gens stériles : ils ne sont pas habités, mus intérieurement par l’Esprit Saint. Et dans ce cas, le Maître les retranche ou les renvoie.
 
Les actes que propose Jésus – nourrir, accueillir, habiller, visiter ou réconforter – sont profondément humains. On peut se dire qu’il n’y a pas besoin d’être chrétien pour faire cela. Et tant mieux, car ces actions, faite avec un esprit droit pourront certainement sauver ceux qui les auront faites qu’ils soient chrétiens ou non. Mais pour nous les chrétiens, ils revêtent une profondeur et une signification très particulières qui nous y obligent d’une certaine façon. En effet, ce sont des gestes que Dieu a fait à notre égard, à nous qui sommes des fils d’Adam. Adam et Eve, bannis du Paradis, étaient enseveli dans les profondeurs des enfers comme dans une prison. Le samedi Saint Jésus y est descendu pour y chercher nos vieux parents et il les a libérés par sa résurrection. Malades de leur péché, il les a guéri par le sang de sa croix, en leur appliquant le baume de sa miséricorde, de son pardon. Nus ils étaient. Jésus les as revêtus du manteau de sa divinité : il les a revêtus de l’Esprit Saint, de sortent qu’ils puissent entrer au Ciel, dans la salle des noces. Et c’est là qu’il les a nourris de lait et de miel, de tous les mets du banquet de l’Agneau, dans la joie du Paradis retrouvé. Vous comprenez frères et sœurs, que lorsque nous visitons, habillons, nourrissons, quelqu’un, nous faisons à notre mesure les gestes qu’a fait le Seigneur à notre égard, pour nous sauver et nous ramener à la vie. Et c’est pourquoi, reconnaissant en nous les gestes que lui-même a fait pour nous, il en fait la louange.
 
Allons plus loin, et remarquons que par le baptême, nous sommes plongés dans la mort et nous ressuscitons avec le Christ. Nous quittons les ténèbres de la mort pour entrer dans la vie. Nous sortons de notre prison. Par le baptême et la confirmation, nous sommes guéris de notre inclination foncière au péché, cette maladie mortelle de tout homme. Au baptême, nous avons été revêtus du vêtement blanc, le vêtement des noces, celui de l'innocence des saints. Par le baptême enfin nous avons accès à la communion eucharistique, au Corps et au Sang de Jésus, pain et vin de la vie éternelle. Les sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie libèrent, guérissent, habillent et nourrissent. Ainsi donc, quand nous célébrons ces sacrements, nous faisons aussi ce que le Seigneur attend de nous, car nous faisons ici aussi comme il a fait pour Adam et Eve, pour toute l’humanité.
 
Alors, ayant considéré tout cela, pourquoi aurions-nous peur du jugement de Dieu, si en beaucoup ou peu de choses nous avons libéré, visité, habillé et nourri celui qui est dans le besoin, si nous avons fait comme Jésus – que ce soit en pleine conscience de la signification de ces gestes, ou dans une parfaite ignorance mais avec un cœur droit, par amour du prochain ? Le Seigneur connaît nos cœurs, il connaît le cœur de nos défunts pour lesquels nous prions aujourd’hui. Nul doute qu’il y trouvera ce qu’il faut pour les faire entrer dans sa vie éternelle et sa joie. 

mercredi 1 novembre 2023

01 Novembre 2023 - AUTREY-lès-GRAY - Solennité de tous les saints - Année A

 Ap 7,2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a deux manières de lire l’évangile. La première, au premier degré, où l’on parle de personnes pauvres, tristes ou douces, qui aspirent à un monde de justice et de paix, de personnes qui, avec un cœur pur, font miséricorde, c’est-à-dire pardonnent à leur prochain, et à qui il est promis de voir Dieu. L’incompréhension suscitée par cet état d’esprit peut conduire à la persécution, mais la récompense sera grande dans le royaume des cieux. Souvent nous comprenons les Béatitudes de cette manière.
Mais il est une seconde manière de lire l’évangile, plus conforme à l’enseignement de Jésus, mais qui demande de notre part un peu de travail. En effet, cet enseignement a été donné il y a 2000 ans, et les mots de Jésus, en araméen, ne correspondent pas aux mots français d’aujourd’hui. Il faut donc étudier, et c’est à cela que doit servir le catéchisme : donner des clés pour lire et mieux comprendre l’évangile.
 
Alors… Jésus « gravit la montagne », « s’assit » et « ouvrit la bouche ». Cela veut dire qu’il est un roi qui siège sur son trône et qui décrète officiellement une loi. La situation est semblable à celle du Mont Horeb, où Dieu a donné les Tables de la Loi à Moïse. C’est de la même importance.
« Heureux les pauvres de cœur. » La traduction est ici assez compliquée, il faut bien le dire. L’araméen est plus explicite : il désigne des personnes complètement inoffensives, d’une bonté totale, et par conséquent d’une fragilité extrême : ces sont des agneaux innocents.
« Heureux ceux qui pleurent. » Il ne s’agit pas ici d’abord de gens tristes parce qu’ils souffrent d’un deuil, d’un échec ou d’une blessure (par exemple), mais ce sont des gens qui sont affligés par le mal qui est dans le monde : ils pleurent les péchés du monde et d’abord leur propre péché. Ce sont des pénitents. Leur consolation est l’Esprit-Saint lui-même, qui est pour cela appelé le « Consolateur ».
« Heureux les doux. » Avec la douceur, il faudrait joindre ici l’humilité. Les doux sont des gens qui sont bien là où ils sont, qui ne désirent rien de nouveau, mais se réjouissent de tout de ce qui leur arrive comme des dons de Dieu. Il n’y a pas d’ambition chez eux, ils sont paisibles, car au fond, tout leur appartient.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Pour faire bref, à la place de « justice », on doit lire « sainteté » : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la sainteté. » C’est un don de Dieu. Au fond, c’est ce qu’on demande dans notre prière : « Donne-nous notre pain de ce jour. »
« Heureux les miséricordieux » correspond à la suite de la prière de Jésus : « Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Comment peut-on espérer de Dieu le don de la sainteté alors que nous sommes pécheurs, si nous refusons le pardon à ceux qui nous ont offensé ? Car le don de la sainteté est une miséricorde à notre égard de la part de Dieu et il est juste que nous imitions autant que possible à l’égard d’autrui la bonté qu’il a pour nous.
« Heureux les cœurs purs. » Attention au piège : pour un hébreu, le cœur n’est pas le lieu des sentiments, mais le lieu de l’intelligence ! Ainsi « Heureux les cœurs purs » veut dire en réalité : « Heureux ceux qui ont l’intelligence pure », l’intelligence droite, l’intelligence éclairée. Et c’est bien pourquoi ils peuvent « voir Dieu » : Dieu illumine leur intelligence, leur âme, leur cœur.
« Heureux les artisans de paix. » La paix ici est comme la justice : il ne s’agit pas d’une paix humaine, mais de la vraie paix qui vient de Dieu, de son « repos ». L’artisan de paix est celui qui travaille à la paix en essayant de promouvoir dans le monde une paix qui ressemble autant que possible à ce repos de Dieu, mais il est aussi celui qui, par sa prière, – et notamment par l’exercice du sacerdoce – appelle cette paix de Dieu sur le monde, appelle sa bénédiction, qui est le don de son repos, de sa grâce, notamment par les sacrements.
« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. » Ils ne s’agit pas d’activistes d’une ONG, mais des prophètes de l’Ancien Testament. Ils ont été persécuté pour avoir annoncé la venue Royaume de Dieu, pour avoir annoncé Jésus, qui est le Saint de Dieu. Ainsi, la dernière béatitude est-elle pour les chrétiens : « Heureux êtes vous si l’on vous persécute… à cause de moi. »
 
Vous voyez bien, chers frères et sœurs, que le tableau général des Béatitudes tel que je viens de le présenter, est un peu différent du tableau habituel. Plutôt que de tableau, je devrai parler de visage. Car les Béatitudes forment le portrait de Dieu, le portrait de Jésus : c’est lui l’agneau innocent, qui pleure les péchés du monde, l’humble qui se réjouit de toutes les grâces de Dieu, qui aspire à la sainteté du monde et pratique en même temps la miséricorde envers les pécheurs. C’est lui qui voit Dieu son Père en tout temps parce que son intelligence est sans cesse illuminée par l’Esprit Saint. C’est lui l’artisan de paix parce qu’il œuvre à l’établissement du Royaume en s’offrant lui-même à son Père pour le rachat des péchés du monde. En sa Passion et sur la croix, il est le premier persécuté pour cette justice : la résurrection d'entre les morts et le pardon des péchés qui ouvre à la sainteté.
Nous avons donc ici, dans les Béatitudes, un portrait de Jésus, un portrait de notre Dieu, auquel nous participons chacun à notre manière, par certains traits, en vertu de notre baptême et par vocation.
 
Je termine en soulignant une particularité. La première et la dernière béatitude ne sont pas au futur mais au présent : « le royaume des cieux est à eux. » Cela veut dire que dès ici-bas, les pauvres de cœur – les agneaux innocents – et ceux qui sont persécutés pour la justice – ceux qui sont prophètes du Royaume et de Jésus, ou les évangélisateurs – ceux-là participent déjà maintenant au Royaume des Cieux. Ou plus exactement, ils sont le Royaume des Cieux déjà présent sur la terre. Agneaux innocents et prophètes de l’Évangile, voilà un beau résumé de la vie chrétienne, ou tout simplement de la vie sainte que nous sommes appelés à vivre.

lundi 30 octobre 2023

29 octobre 2023 - AUTREY-lès-GRAY - 30ème dimanche TO - Année A

 Ex 22,20-26 ; Ps 17 ; 1Th 1,5c-10 ; Mt 22,34-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Depuis quelques dimanches déjà, nous voyons Jésus aux prises avec les sadducéens, les pharisiens, les Hérodiens… bref toutes sortes d’autorités constituées en Israël chargées de faire produire à la vigne son fruit – c’est-à-dire de faire rayonner le Peuple de Dieu de sainteté.
Pour autant ces controverses sont présentées par saint Matthieu comme des mises à l’épreuves, des tentations, pour Jésus. Ses interlocuteurs cherchent en effet, avec plus ou moins d’hypocrisie, à le faire tomber. De fait, ils agissent comme le démon qui tentait Jésus au désert, après son baptême. Et Jésus lui répondait avec la Parole de Dieu, en citant les Écritures. Il en va de même ici.
Vous connaissez le jeu du tir à la corde, où deux équipes tirent chacune une corde à un bout. Une tactique possible est de tirer fortement, puis d’un coup relâcher la tension pour déséquilibrer l’équipe adverse, et tirer de nouveau pour remporter la victoire. C’est exactement ce que va faire Jésus avec son interlocuteur pharisien.
 
Ce dernier est présenté comme un docteur de la « Loi », au sens strict, c’est-à-dire du Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. De ce point de vue, c’est un docteur de la Loi tout à fait orthodoxe, qui convient également aux Sadducéens, aux Esséniens, et même d’un certain point de vue aux Samaritains. Le Pentateuque, en effet, est le socle commun à tous les juifs, quelles que soient ensuite leurs particularités et leurs divergences sur l’usage des autres livres des Écritures.
De ce fait, dans sa réponse, Jésus est lui-aussi parfaitement orthodoxe : il cite le Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » ; et le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » La réponse convient donc non seulement au docteur de la Loi mais aussi à n’importe quel Juif. Dans les évangiles parallèles de Marc et de Luc, dans un cas le docteur de la Loi s’écrie : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai ! » ; et dans l’autre c’est le docteur de la Loi lui-même qui fait la même réponse que Jésus, tandis que Jésus l’interrogeait sur ce que disait la Loi pour accéder à la vie éternelle.
Saint Irénée de Lyon tirait de cet accord fondamental entre juifs et chrétiens qu’il y a un seul et même auteur de la Loi et de l’Évangile : « Les commandements essentiels de la vie, du fait qu’ils sont les mêmes de part et d’autre – disait-il –, manifestent en effet le même Seigneur : car, s’il a édicté des commandements particuliers adaptés à l’une et l’autre alliance, pour ce qui est des commandements universels et les plus importants, sans lesquels il n’est pas de salut, ce sont les mêmes qu’il a proposé de part et d’autre. » Et saint Éphrem le Syrien nous dit en une ligne pourquoi ces commandements sont universels et essentiels pour le salut de tous : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain comme toi-même. L’amour de Dieu nous épargne la mort, et l’amour de l’homme, le péché ; car personne ne pèche contre celui qu’il aime. »
 
Nous comprenons donc que le docteur de la Loi et Jésus nous ont conduit au cœur de ce qui doit faire notre relation avec Dieu et avec notre prochain, pour pouvoir entrer dans la vie éternelle. Mais – et c’est là que Jésus va surprendre le docteur de la Loi, qui ne l’oublions pas est aussi un pharisien – Jésus ajoute : « De ces deux commandements, dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » Dans l’araméen le mot « Loi » est ici plus large que celui employé dans l’expression « docteur de la Loi ». Au sens strict, je l’ai dit tout à l’heure, la Loi se limite aux cinq livres du Pentateuque – qui est la « Loi écrite », mais au sens large comme le dit maintenant Jésus, la Loi s’étend aussi à la « Loi orale » qu’enseignaient les pharisiens mais que refusaient les sadducéens, par exemple. Et avec la Loi orale, Jésus ajoute les Prophètes. Autrement dit, il affirme que les deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain sont comme l’âme ou la colonne vertébrale de toutes les Écritures, de tout l’enseignement religieux d’Israël et sa mise en pratique. Et cela ne peut que plaire à son interlocuteur pharisien, à sa très grande surprise !
 
Là où il croyait coincer Jésus, le pharisien se retrouve donc retourné comme une crêpe, puisque Jésus lui donne sa bénédiction. Ce que Jésus reproche aux pharisiens – ce pourquoi il les traite d’hypocrites – c’est qu’ils ont souvent tendance à appliquer la Loi dans sa lettre mais pas dans son esprit, qui nous l’avons vu, doit être toujours fondamentalement un amour de Dieu et du prochain. En fait, Jésus reproche aux pharisiens de manquer eux-mêmes souvent à leur propre fondement religieux.
Cependant, en définitive, il faut bien reconnaître que dans nos vies et nos pratiques religieuses, nous autres chrétiens, parfois nous ne sommes pas très loin de nos cousins pharisiens, lorsque nous oublions nous aussi l’appel universel de Dieu à la vie éternelle, et à la sainteté, dans son amour et celui du prochain. Pour tous, juifs ou chrétiens, il n’y a pas d’autre chemin.

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