Ex
22,20-26 ; Ps 17 ; 1Th 1,5c-10 ; Mt 22,34-40
Chers
frères et sœurs,
Depuis
quelques dimanches déjà, nous voyons Jésus aux prises avec les sadducéens, les
pharisiens, les Hérodiens… bref toutes sortes d’autorités constituées en Israël
chargées de faire produire à la vigne son fruit – c’est-à-dire de faire
rayonner le Peuple de Dieu de sainteté.
Pour
autant ces controverses sont présentées par saint Matthieu comme des mises à
l’épreuves, des tentations, pour Jésus. Ses interlocuteurs cherchent en effet,
avec plus ou moins d’hypocrisie, à le faire tomber. De fait, ils agissent comme
le démon qui tentait Jésus au désert, après son baptême. Et Jésus lui répondait
avec la Parole de Dieu, en citant les Écritures. Il en va de même ici.
Vous
connaissez le jeu du tir à la corde, où deux équipes tirent chacune une corde à
un bout. Une tactique possible est de tirer fortement, puis d’un coup relâcher
la tension pour déséquilibrer l’équipe adverse, et tirer de nouveau pour
remporter la victoire. C’est exactement ce que va faire Jésus avec son
interlocuteur pharisien.
Ce
dernier est présenté comme un docteur de la « Loi », au sens strict,
c’est-à-dire du Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome.
De ce point de vue, c’est un docteur de la Loi tout à fait orthodoxe, qui
convient également aux Sadducéens, aux Esséniens, et même d’un certain point de
vue aux Samaritains. Le Pentateuque, en effet, est le socle commun à tous les juifs,
quelles que soient ensuite leurs particularités et leurs divergences sur
l’usage des autres livres des Écritures.
De
ce fait, dans sa réponse, Jésus est lui-aussi parfaitement orthodoxe : il
cite le Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de
tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » ; et le Lévitique :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » La réponse
convient donc non seulement au docteur de la Loi mais aussi à n’importe quel
Juif. Dans les évangiles parallèles de Marc et de Luc, dans un cas le docteur
de la Loi s’écrie : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai ! » ;
et dans l’autre c’est le docteur de la Loi lui-même qui fait la même réponse que
Jésus, tandis que Jésus l’interrogeait sur ce que disait la Loi pour accéder à
la vie éternelle.
Saint
Irénée de Lyon tirait de cet accord fondamental entre juifs et chrétiens qu’il
y a un seul et même auteur de la Loi et de l’Évangile : « Les
commandements essentiels de la vie, du fait qu’ils sont les mêmes de part et
d’autre – disait-il –, manifestent en effet le même Seigneur : car, s’il a
édicté des commandements particuliers adaptés à l’une et l’autre alliance, pour
ce qui est des commandements universels et les plus importants, sans lesquels
il n’est pas de salut, ce sont les mêmes qu’il a proposé de part et
d’autre. » Et saint Éphrem le Syrien nous dit en une ligne pourquoi ces
commandements sont universels et essentiels pour le salut de tous :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain comme toi-même.
L’amour de Dieu nous épargne la mort, et l’amour de l’homme, le péché ;
car personne ne pèche contre celui qu’il aime. »
Nous
comprenons donc que le docteur de la Loi et Jésus nous ont conduit au cœur de
ce qui doit faire notre relation avec Dieu et avec notre prochain, pour pouvoir
entrer dans la vie éternelle. Mais – et c’est là que Jésus va surprendre le
docteur de la Loi, qui ne l’oublions pas est aussi un pharisien – Jésus
ajoute : « De ces deux commandements, dépend toute la Loi, ainsi
que les Prophètes. » Dans l’araméen le mot « Loi » est ici plus
large que celui employé dans l’expression « docteur de la Loi ». Au
sens strict, je l’ai dit tout à l’heure, la Loi se limite aux cinq livres du
Pentateuque – qui est la « Loi écrite », mais au sens large comme le
dit maintenant Jésus, la Loi s’étend aussi à la « Loi orale »
qu’enseignaient les pharisiens mais que refusaient les sadducéens, par exemple.
Et avec la Loi orale, Jésus ajoute les Prophètes. Autrement dit, il affirme que
les deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain sont comme l’âme ou la
colonne vertébrale de toutes les Écritures, de tout l’enseignement religieux d’Israël
et sa mise en pratique. Et cela ne peut que plaire à son interlocuteur
pharisien, à sa très grande surprise !
Là
où il croyait coincer Jésus, le pharisien se retrouve donc retourné comme une
crêpe, puisque Jésus lui donne sa bénédiction. Ce que Jésus reproche aux
pharisiens – ce pourquoi il les traite d’hypocrites – c’est qu’ils ont souvent
tendance à appliquer la Loi dans sa lettre mais pas dans son esprit, qui nous
l’avons vu, doit être toujours fondamentalement un amour de Dieu et du
prochain. En fait, Jésus reproche aux pharisiens de manquer eux-mêmes souvent à
leur propre fondement religieux.
Cependant,
en définitive, il faut bien reconnaître que dans nos vies et nos pratiques
religieuses, nous autres chrétiens, parfois nous ne sommes pas très loin de nos
cousins pharisiens, lorsque nous oublions nous aussi l’appel universel de Dieu
à la vie éternelle, et à la sainteté, dans son amour et celui du prochain.
Pour tous, juifs ou chrétiens, il n’y a pas d’autre chemin.