lundi 27 mars 2023

25-26 mars 2023 - SAVOYEUX - CHOYE - 5ème dimanche de Carême - Année A

Ez 37,12-14 ; Ps 129 ; Rm 8,8-11 ; Jn 11,1-45
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Évangile de la résurrection de Lazare est toujours très impressionnant, parce qu’il nous touche directement au cœur et il suscite en nous beaucoup de questions, notamment au sujet de la mort de ceux que nous aimons, et aussi de notre propre mort.
 
La première chose à voir dans cet épisode, est que saint Jean veut nous faire comprendre que Jésus est aussi bien un homme réel que réellement Dieu. C’est ainsi que nous avons vu Jésus être bouleversé et pleurer sincèrement en présence de Marie de Béthanie et des juifs qui l’accompagnaient. Jésus a été profondément remué, comme tout homme sensible peut l’être.
Mais Jésus est aussi réellement Dieu. Il se dévoile ainsi encore plus aujourd’hui que dimanche dernier. Souvenez-vous : avant la guérison de l’aveugle-né, Jésus guérissait les maladies et pardonnait les péchés par sa parole – ce que Dieu seul a le pouvoir de faire. Puis, lors de la guérison de l’aveugle-né, il a refait le geste de la Création, en modelant l’homme à partir de la terre et de sa parole : Jésus a dévoilé ainsi qu’il était le même Dieu créateur qu’au Commencement.
Et maintenant plus encore, il fait quelque chose d’à nos yeux impossible sinon à Dieu seul : ramener un mort à la vie. Et saint Jean insiste bien : Lazare était vraiment mort. Or Jésus le dit : « Moi, Je suis – c’est-à-dire je suis Dieu qui est – la résurrection et la vie. » Jésus, qui est vraiment homme, est aussi vraiment Dieu : il est la vie, la source de toute vie, au point même de pouvoir ramener un mort à la vie. 
Le mot « résurrection » employé par Jésus contient en araméen les deux sens de « repentir » et de « consolation ». Ils annoncent déjà que Dieu conserve la mémoire des défunts et qu’il va revenir vers eux – c’est le repentir, et qu’il va, non seulement leur rendre la vie, mais même les combler de joie en leur faisant le don d’une vie totalement nouvelle pour eux : la vie éternelle – c’est la consolation.
 
Il y a une ambiguïté étonnante pour Lazare, car il ne semble pas ici ressuscité dans ce sens : il paraît simplement réanimé (ce qui est déjà pas mal). Mais on parle pourtant bien de la « résurrection de Lazare ».
Peut-être faut-il ici observer que, pour certains exégètes, Lazare et le disciple bien-aimé de Jésus ne font qu’un. C’est d’ailleurs ainsi que ses sœurs le désignent en faisant dire à Jésus : « Celui que tu aimes est malade. » Et plus encore, Jésus fond en larmes non pas seulement parce qu’il voit Marie, et les juifs qui sont avec elle, pleurer – là il est « bouleversé » – mais il craque très exactement au moment où les juifs répondent à sa question « où l’avez-vous déposé ? » : « Seigneur, viens et vois. » C’est très exactement la parole que Jésus avait dite à André et à un autre disciple, au bord du lac de Galilée, quand ceux-ci lui avaient demandé « Maître, où demeures-tu ? » : « Venez et vous verrez ». Ainsi, sans le savoir et en inversant les rôles, les juifs présents à Béthanie ont redit la même parole que Jésus avait dite au bord du lac, lors de sa première rencontre avec André… et Lazare ?!
Or c’est encore de ce disciple bien-aimé dont il est question à la fin de l’Évangile, quant il est dit que les Apôtres ont pensé que ce disciple ne mourrait jamais. Mais Jésus avait seulement dit qu’il « demeurerait jusqu’à ce qu’il vienne » ; de la même manière qu’au bord du lac, André et ce disciple, répondant à l’invitation de Jésus « allèrent et virent où Jésus demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là ». Celui qui « demeure » dans l’évangile de Jean, c’est celui qui est en communion avec Dieu et donc, a déjà un pied dans la vie éternelle. 
Que, dans son évangile, saint Jean établisse toutes ces correspondances ne peut pas être un hasard. Il faut en conclure que Jésus a bien ressuscité Lazare : il l’a humainement ranimé, mais il lui a aussi déjà accordé la vie éternelle, la « demeure », même si il a encore une étape à accomplir d’un point de vue humain, celle du passage de l’une à l’autre vie, quand Jésus viendra, à son heure.
 
Que pouvons-nous conclure de tout cela pour ce qui nous concerne ? D’abord prendre Jésus au sérieux quand il affirme qu’il est Fils de Dieu et qu’il est la résurrection et la Vie. Ensuite, constater la puissance de la prière des hommes sur son cœur : non seulement nos larmes, qui le bouleversent, mais surtout le rappel de ses propres paroles : « Viens et vois », qui déclenchent ses larmes et finalement son action de repentir et de consolation : son action de résurrection. C’est avec ses propres paroles que l’on touche le mieux le cœur de Dieu. Par conséquent, soyons assurés que notre Dieu n’est pas insensible : il est celui qui nous aime. Nous sommes chacun et chacune son disciple bien-aimé et, dans son cœur, il ne nous oublie jamais.

mercredi 22 mars 2023

19 mars 2023 - CHAMPLITTE - 4ème dimanche de Carême - Année A

1S 16, 1b.6-7.10-13a ; Ps 22 ; Ep 5,8-14 ; Jn 9,1-41
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus est sorti du Temple, la situation était plutôt tendue. En effet, il venait de s’attirer la colère des scribes et des pharisiens en leur ayant déclaré : « Amen, amen, je vous le dis : Avant qu’Abraham fût, moi, Je suis » - c’est-à-dire : « Je suis Dieu. » Immédiatement, ils avaient pris des pierres pour le lapider. Mais Jésus était sorti du Temple en se cachant. C’est alors qu’il a rencontré l’aveugle-né.
 
Jusqu’à présent Jésus avait guéri des maladies et pardonné des péchés au moyen de sa parole. Mais il ne s’agit ici, ni d’une maladie ni d’un péché : voilà que cet homme est malheureusement né handicapé et ce n’est ni de sa faute ni de celle de ses parents. Jésus explique que ce handicap est en réalité un appel adressé à Dieu, appel auquel celui-ci pourra répondre par la perfection de sa création.
C’est exactement ce que Jésus va faire : par sa salive mélangée à la boue, il commence par renouveler l’acte créateur de l’homme, Adam, tiré et modelé de la terre par la Parole de Dieu. Jésus montre ainsi qu’il est lui-même le Dieu créateur : il confirme sa parole : « Avant qu’Abraham fût, moi, Je suis ». Il n’y a donc pas d’autre Dieu à chercher dans l’univers que Jésus, qui est, de la volonté de son Père et par l’Esprit Saint, le Dieu créateur du Ciel et de la terre. Il n’y en a pas d’autre.
Cependant, nous le savons, Adam et Eve ont transgressé le commandement de Dieu, ce pourquoi ils sont devenus pécheurs et ont été déchus de leur dignité originelle : ils ont perdu la faculté de voir Dieu. Et nous-mêmes, à leur suite. Cette faculté de voir Dieu n’est rendue temporairement – par l’Esprit Saint – qu’aux seuls bienheureux : Moïse et les prophètes, ou Marie-Madeleine et les Apôtres, et de nombreux saints et saintes de Dieu – tous ceux qui ont bénéficié ou bénéficient aujourd’hui de l’Esprit de Pentecôte.
Ainsi, cet homme aveugle-né, quand bien même Jésus lui donnait la vue, aurait été bien attrapé si Jésus ne lui avait donné qu’une vision naturelle – celle des hommes déchus. Mais comme le don de Dieu est parfait, il fallait qu’il lui accorde une vision complète, c’est-à-dire avec la vision naturelle, aussi la vision spirituelle qui permet de voir Dieu. C’est la raison pour laquelle Jésus envoie l’aveugle avec sa boue sur les yeux à la piscine de Siloé. Il l’envoie au bain de la « régénération » – dit saint Irénée – c’est-à-dire qu’il l’envoie au baptême : pour qu’avec la vision naturelle, il reçoive aussi la vision spirituelle.
 
C’est ainsi qu’à la fin de l’épisode, Jésus et l’homme se croisent de nouveau et Jésus l’interroge : « Crois-tu au Fils de l’homme ? », c’est-à-dire : « Est-ce que tu me vois, moi qui suis ton Dieu ? Est-ce que tu me reconnais ? » L’homme voit bien Jésus mais il ne connaît pas son nom. Il est comme le patriarche Jacob qui se bat toute la nuit avec un ange et au petit matin finit par lui demander son nom. Et l’ange lui révèle qui il est : l’Ange du Seigneur, c’est-à-dire la présence de Dieu lui-même. Ici, l’aveugle savait bien qu’il y avait un Fils de l’Homme, c’est-à-dire le Messie Fils de Dieu qui viendrait sauver le peuple de Dieu – il avait appris cela au "catéchisme" – mais il n’avait pas encore compris que cet homme-là était le même que ce Jésus qui se présentait devant lui humainement et qui, mystérieusement, lui avait donné la vue. C’est pourquoi, Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Alors le processus de création est complet : la vision naturelle d’abord, puis la capacité de vision spirituelle perdue par Adam mais rendue par le baptême, et maintenant la vision directe de Jésus en tant que Dieu, reconnu à sa parole. « Je crois Seigneur ! – dit l’homme – et il se prosterna devant lui. » En fait, cet homme est rendu comme Adam avant sa chute : il a reçu la capacité de voir Dieu, comme Moïse et Elie, comme Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne de la Transfiguration, comme tous ceux qui ont vu Jésus ressuscité vivant. Son handicap faisait de lui un aveugle dans le monde des hommes, mais c’était une vocation au don de Dieu : Jésus a transformé sa cécité en vision totale, celle qui permet de voir et de connaître Dieu.
 
Pour nous tous – même si nous avons des lunettes – nous avons une vue naturelle pas trop déficiente. Comme les scribes et les pharisiens d’ailleurs. Nous pouvons voir Jésus en tant qu’homme. Mais nous ne pouvons le voir et le connaître en tant que Dieu que si nous recevons le baptême qui donne la vision spirituelle et si nous écoutons la parole de Jésus, quand nous le rencontrons personnellement : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle ! » Alors nous avons la vision intégrale, celles des prophètes et des saints. Parfois, les étapes sont inversées : Dieu donne d’abord la vision de lui-même – qui aveugle – et il faut ensuite le baptême pour retrouver la vue. C’est ce qui est arrivé à saint Paul, par exemple.
Pour finir, retenons que le baptême, parce qu’il nous donne la capacité de voir les réalités spirituelles, est un acte de Dieu qui nous rétablit dans l’état antérieur à la chute d’Adam. Une seule parole de Dieu ensuite nous fait entrer dans sa communion de vie éternelle. C’est l’œuvre du Christ, de son Église et de l’Esprit Saint en ce monde, selon la volonté de notre Père qui nous aime.

mardi 14 mars 2023

12 mars 2023 - VELLEXON - 3ème dimanche de Carême - Année A

Ex 17,3-7 ; Ps 94 ; Rm 5,1-2.5-8 ; Jn 4,5-42
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous pourrions rester des jours entiers à commenter la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Mais je vais souligner seulement deux ou trois points qui me semblent importants aujourd’hui.
En premier lieu, nous pouvons observer qu’il y a une découverte mutuelle progressive entre Jésus et la Samaritaine. D’abord il s’agit d’un homme et d’une femme qui se rencontrent au bord d’un puit. Puis ils se découvrent l’un Juif et l’autre Samaritaine. Ensuite, Jésus est perçu comme un prophète tandis que la femme se révèle pécheresse. Enfin, Jésus est reconnu comme Messie et Christ, tandis que la femme – finalement, en raison de sa foi – est devenue chrétienne et sainte. Et même, elle entraîne dans sa conversion une bonne partie de la ville.
En réalité, toutes les raisons étaient réunies pour que leur rencontre se solde par un échec : impensable à l’époque qu’un homme inconnu parle à une femme seule ; impensable qu’un Juif commerce avec une Samaritaine. Mais, en revanche, on voit que les prophètes sont faits pour les pécheurs et les pécheurs pour les prophètes, et finalement Jésus pour les veuves et les veuves pour Jésus. Cette dernière affirmation, un peu provocante, je le confesse, mérite une explication.
 
Relisons ce qui dit saint Jean dans son Évangile, juste avant la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Jésus est en train de revenir de Judée pour aller en Galilée, en passant par la Samarie. Il avait quitté la Judée parce que le bruit courrait qu’il baptisait plus que Jean-Baptiste, et les disciples de Jean s’en inquiétaient. Or voici ce que Jean leur a répondu : « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux » et plus loin « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle. » L’Évangile de la Samaritaine apparaît ici très clairement comme l’illustration de ces deux paroles.
En effet, cette femme qui vient chercher l’eau au bord du puits et y rencontre Jésus ressemble à Rébecca qui épousera Isaac, ou Rachel qui épousera Jacob, ou encore Cippora qui épousera Moïse. Dans les Écritures, la rencontre entre un homme et une femme, au bord d’un puits, conduit immanquablement à un mariage. Il en va de même entre Jésus et la Samaritaine, qui juridiquement est veuve, mais vis en pratique avec un homme qui n’est pas son mari. Justement, la phrase de Jésus « Va, appelle ton mari et reviens » est ambigüe. En araméen, Jésus a pu dire : « Va, appelle-moi - ton mari - et viens », comme si il la demandait en mariage, ou plus exactement l’appelait à devenir son disciple : « Va, déclare que je suis ton mari, et suis-mois. »
En fait, à travers Jésus et cette femme, c’est Dieu qui s’adresse à la nation samaritaine. Au cours de l’histoire, la Samarie s’était séparée politiquement du reste d’Israël et, par la force des choses, avait mélangé l’adoration du Dieu unique avec l’adoration de divinités païennes – on dira cinq. Finalement, Samarie demeurait veuve du vrai Dieu, tout en vivant avec un dieu étranger. Dans cette invitation de Jésus, ce que Dieu lui propose, c’est de l’épouser pour de bon, quel que soit son passé. Et il lui promet, ce que Dieu promet : la vie éternelle, la fameuse eau vive dont parle Jésus.
Nous ne sommes donc plus étonnés par l’interpellation directe de Jésus à la Samaritaine, au sujet de son mari, ni pourquoi celle-ci passe, sans transition, du problème de ses maris à celui du lieu où il faut adorer Dieu : le mont Garizim pour les Samaritains, ou Jérusalem pour les Juifs. Entre Jésus et elle, la question du « vrai mari », c’est déjà en réalité la question du « vrai Dieu ».
 
Pour finir, comment la Samaritaine arrive-t-elle à reconnaître en Jésus un prophète et finalement le Messie ? Soyons pratiques : elle va puiser de l’eau sous le soleil de midi, à l’écart des autres – alors que les femmes en Orient vont toujours puiser l’eau en fin de journée. Le verbe employé par saint Jean pour dire « puiser » est utilisé une seule fois dans les Évangiles. Dans les Écritures, au contraire, il est habituellement employé pour exprimer la punition du péché d’Adam et Eve : puiser, creuser, travailler indéfiniment. De plus, la Samaritaine a eu cinq maris : elle est donc considérée comme maudite ou possédée – plus personne ne veut l’épouser ; de ce fait, et en plus, elle vit maintenant avec un homme qui n’est pas son mari. À cette époque en Orient, elle est donc considérée comme une prostituée. Bref, elle est au bout du bout de sa dignité.
En lui proposant l’eau vive, Jésus lui offre d’être libérée de l’état d’esclavage dans lequel la tient le péché. En lui proposant de l’épouser, ou de devenir son disciple, il lui offre de retrouver sa complète dignité. Mais cela n’est possible que si la femme dit clairement la vérité de sa situation : « Je n’ai pas de mari. » Comprendre : « Je n’ai pas de Dieu ; je n’ai pas de sens à ma vie ; je me suis dispersée à gauche et à droite, sans but ; je galère tous les jours à puiser un peu de bonheur qui s’évapore au soleil. » Cette femme dit tout simplement la condition humaine de ceux qui vivent sans foi. Mais en confessant la vérité et devant la promesse de Jésus, elle retrouve la foi : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Ce à quoi Jean-Baptiste avait répondu d’avance : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle. » En effet, bienheureuse est-elle, courageuse Samaritaine, qui a trouvé l’eau vive !

Articles les plus consultés