dimanche 8 décembre 2024

08 décembre 2024 - CHAMPLITTE - 2ème dimanche de l'Avent - Année B

 Ba 5, 1-9 ; Ps 125 ; Ph 1, 4-6.8-11 ; Lc 3, 1-6

[en présence de l'Harmonie de Champlitte, venue fêter sainte Cécile] 

Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous avons entendu s’ouvre comme un livre, où deux pages se trouvent face à face.
 
Sur la première, nous avons la terre. La terre, c’est-à-dire l’espace et le temps où vivent les hommes.  L’espace, c’est l’Empire romain, la Judée, la Galilée, l’Iturée, la Traconitide, Abilène, et par défaut Jérusalem où se trouve le Temple de Dieu. Mais la Parole de Dieu est adressée Jean, dans le désert.  Et le temps, c’est le calendrier déterminé par le règne de l’Empereur de Rome, le temps des hommes. Mais aujourd’hui est un jour nouveau puisque – arrêtant le cours du temps – aujourd’hui, la Parole de Dieu fut sur Jean.
Vous savez bien que sur la ligne du temps, il suffit d’une date pour identifier un événement. Vous savez aussi que sur un plan, il faut deux coordonnées : l’abscisse et l’ordonnée. Et dans l’espace, il en faut trois : trois dimensions. Mais aujourd’hui, dans le désert, pour préciser que la Parole de Dieu s’est fait entendre, saint Luc a donné sept coordonnées. La parole de Dieu est à sept dimensions – la perfection. Et pour cela il a donné sept noms : Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe. Telle est la première page : la réalité spatiale et temporelle du monde des hommes dans laquelle – tout à coup – aujourd’hui, Dieu parle.
 
Sur la seconde page, qui fait face à la première, c’est le ciel. Ou plus exactement le ciel qui prend possession de la terre et la transfigure : l’Esprit de Dieu qui transforme tout en harmonie lumineuse, en communion d’amour. À écouter la prophétie d’Isaïe, on a l’impression qu’il s’agit surtout de travaux titanesques de tractopelles et de bulldozers : « toute montagne et toute colline seront abaissées […] les chemins rocailleux seront aplanis. » Mais, nos pères les Hébreux ne parlaient pas comme nous, avec des concepts, comme les philosophes grecs, mais ils utilisaient des images pour parler des réalités de Dieu. Il faut donc traduire leur langage, pour les comprendre.
Pour ce faire, je vais moi aussi utiliser une image. Prenez… la musique. La musique se donne à voir d’abord dans une partition, feuille couverte de notes et de signes, qui seuls ne donnent aucun son. C’est le désert : tout est en attente. On n’entend que le silence. Il faut « préparer le chemin du Seigneur » : il faut que la musique s’entende.
Pour cela on appelle des musiciens, avec leurs instruments. Les musiciens représentent tous les hommes, des plus pécheurs aux plus souffrants : les plaines, dans la Bible sont aussi bien le lieu de Babel et de Sodome et Gomorrhe que le lieu où Jésus prononça les Béatitudes. Les instruments sont comme les ravins, le lit des rivières qui, asséchés attendent qu’en eux coule une eau vive : les instruments attendent de servir, ils attendent le souffle, ils attendent le mouvement, la vie.
Mais si chaque musicien joue sa propre partition, sans direction, sans rythme, c’est la dissonance, la cacophonie. Ce sont les montagnes, les collines, qui doivent être abaissées, dirigées par la seule véritable montagne légitime, la montagne de Sion, où se tient la présence de Dieu : Jérusalem ; c’est-à-dire le chef d’orchestre, pour rythmer, pour diriger, pour donner l’harmonie à l’ensemble.
Mais cela ne suffit pas. Vous le savez bien : il ne suffit pas qu’un musicien soit bon, qu’il soit bien dirigé et dispose d’un bon instrument pour jouer de la musique. Je veux dire, pas des notes, mais de la musique, dans laquelle passe un esprit : quand le musicien lui-même, et tout l’auditoire avec lui, est emporté par la Musique dans la beauté qui élève l’âme et qui, parfois fait remonter du plus profond de soi des larmes. C’est quand les « passages tortueux deviennent droits » ; quand les rigidités, les froideurs, sont évincées par la souplesse et la chaleur de la Musique, quand ce n’est plus le corps qui dirige l’instrument, mais l’âme à travers le corps. Quand l’âme, le corps et l’instrument ne font plus qu’un.
Alors « tout être vivant verra le salut de Dieu ». C’est quand on est au sommet de la Musique ; quand grâce à Esprit qui l’anime, la communion s’est faite entre tous ; que les musiciens et les instruments lui obéissent, et les notes sur les partitions ne sont plus des commandements, mais des empreintes, des signes, faible témoignage d’un instant de beauté tout aussi éternel au ciel, que fugitif sur la terre.
 
Voilà chers frères et sœurs, les deux pages de l’évangile de ce jour : d’un côté, le monde des hommes, de tous les hommes, est en attente de la Musique qui vient de Dieu, la musique de l’âme habitée par l’Esprit, qui conduit à la communion, de l’autre. Et voilà qu’aujourd’hui, dans le désert, Jean le Baptiste, le fils de Zacharie, vient briser le grand silence et commence à battre la mesure, « en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés », en appelant les musiciens de toute la terre, de tous les temps, de tout l’univers, à préparer leur instrument, leur vie, et leur âme, à se laisser guider par l’Esprit, à entrer dans la Musique, la Musique de Dieu.
L’exercice de cette Musique, chers frères et sœurs, dans une Église qui en est comme l’instrument, c’est la liturgie. À nous de jouer maintenant, sous la conduite de l’Esprit Saint, pour qu’Il nous conduise au point d’orgue : la sainte communion.

dimanche 1 décembre 2024

30 novembre - 01 décembre 2024 - SOING - VAUCONCOURT - 1er dimanche de l'Avent - Année C

Jr 33, 14-16 ; Ps 24 ; 1 Th 3, 12-4, 2 ;  Lc 21, 25-28.34-36
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a deux semaines, nous avons déjà entendu dans l’évangile de Marc cet enseignement donné par Jésus à ses Apôtres. Aujourd’hui, nous sommes dans l’évangile de Luc, qui rapporte les mêmes propos de Jésus, mais en insistant sur des points différents. Saint Luc est le spécialiste des petits cailloux, des mots choisis et placés avec soin dans son texte, pour nous renvoyer à d’autres passages, que ce soit de son évangile ou bien aux Écritures, à l’Ancien Testament. C’est alors, quand on fait le lien avec les autres textes, qu’on peut vraiment comprendre ce qu’il a voulu nous dire. Il faut donc partir à la recherche des petits cailloux.
 
Dans la première partie de notre évangile, j’en ai trouvé au moins deux. Le premier est le mot « flots » : « les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. » Déjà, nous pouvons observer qu’il y a un redoublement de la même image : la mer et les flots. Pourquoi avoir ajouté les « flots » ? Dans l’évangile de Luc, nous retrouvons les « flots » au chapitre 8, lorsqu’il est question de la tempête apaisée. Souvenez-vous : « Les disciples s’approchèrent et le réveillèrent en disant : « Maître, maître ! Nous sommes perdus ! » Et lui, se réveillant, menaça le vent et les flots agités. Ils s’apaisèrent et le calme se fit. » Les deux évangiles de la tempête apaisée et de la fin du monde doivent donc se comprendre ensemble. La tempête apaisée est une annonce de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus ; la fin du monde ressemblera donc aussi à une passion, une mort et une résurrection.
Et cela est tellement vrai que saint Luc nous le précise avec le deuxième caillou : « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche » Le mot-cailloux est « redressez-vous ». Celui-là est bien caché, il faut le dire ! Mais la traduction française n’est pas si mauvaise. Dans la vieille version syriaque, le verbe employé est très rare ; ce n’est pas « redressez-vous » mais « regardez ». Il n’est employé que dans le Cantique des Cantiques pour la rencontre amoureuse du bien-aimé et de la bien-aimée, et dans l’évangile de Luc, pour la résurrection de Jésus : «  mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… » ; et dans l’évangile de Luc, au chapitre 24 : « Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se penchant, il regarda les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. » Ainsi, saint Luc veut nous dire que, si d’un côté tout s’écroule dans le vacarme des flots, par la foi nous sommes invités à porter un regard particulier, un regard amoureux même, sur Jésus ressuscité qui vient, comme le bien-aimé auprès de sa bien-aimée, car notre rédemption, notre libération, est proche. Saint Marc avait dit presque la même chose : il avait aussi fait allusion au Cantique des Cantiques ; il avait fait le lien avec le bien-aimé qui frappait à la porte.
Devant les épreuves, au milieu des épreuves, les chrétiens sont donc invités à poser un regard particulier sur la réalité, un regard marqué par la foi – une foi amoureuse. Comme on discerne les bourgeons sur le figuier pour se réjouir, déjà, de la venue prochaine du printemps.
 
Cependant, Jésus poursuit son enseignement car il sait très bien que l’attente, la veille, sera difficile : l’homme sera partagé entre le désespoir et l’abandon qui conduisent à l’indignité, d’un côté ; et la foi et l’espérance, de l’autre. Jésus met en garde ses disciples contre l’alourdissement du cœur. Celui qui a le « cœur lourd », c’est Pharaon. Il endurcit son cœur, s’enferme sur lui-même et devient aveugle à la réalité de Dieu. Pour les Hébreux, le cœur est le lieu de l’intelligence : celui qui a le « cœur lourd », est un aveugle : il a l’intelligence obscurcie – il ne « regarde » pas, il ne « voit » pas, il ne « comprend » pas. La conséquence de cet athéisme, de ce désespoir, conduit l’homme aux « beuveries » – on devrait plutôt traduire par « orgies », quand on se livre à toutes les passions charnelles ; à « l’ivresse » – les addictions multiples qui font oublier la réalité ; et, pas tant les « soucis de la vie » que les « séductions du monde » – la dispersion dans mille affaires au détriment de l’unique nécessaire. Abandon aux passions, déconnexion du réel, dispersion de soi ; voilà les risques encourus par celui qui perd le regard de la foi.
Inversement, celui qui reste éveillé et qui prie aura la force d’échapper au malheur et de se tenir debout devant le Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Jésus ressuscité. Il y a ici deux points à souligner pour bien comprendre Jésus ou saint Luc :
Le premier n’est pas évident pour une question de traduction. Il y a dans l’évangile une opposition entre les habitants de la terre qui ont le « cœur lourd » – ceux-ci sont assis sur la terre – et ceux qui sont éveillés et qui prient : ceux-là pourront se tenir debout devant le Fils de l’homme. Ceux qui se tiennent debout sont les baptisés, les ressuscités. C’est pourquoi par exemple, on prie toujours le Notre-Père debout.
Le second point est aussi lié à une question de traduction : « Priez en tout temps, ainsi vous aurez la force » ; on peut aussi traduire : « priez afin d’être dignes ». Dans les deux cas, ce qui donne la force ou qui rend digne de se trouver debout devant le Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Dieu, c’est l’Esprit Saint. L’objectif de la prière est l’acquisition de l’Esprit Saint, qui rend fort et digne de se présenter les mains pures, le cœur pur, le cœur léger, l’intelligence éclairée, debout, devant Dieu, pour recevoir de lui la vie éternelle.
 
Chers frères et sœurs, contre toutes les passions, addictions, ou dispersions mortelles, nous pouvons acquérir l’Esprit Saint qui rend fort et digne, en portant un regard amoureux, un regard de foi, sur Jésus ressuscité et en le priant de jour comme de nuit sans nous lasser. Alors, le jour venu, nous le verrons et nous serons tels que nous le verrons, dans la paix, la joie et la lumière.
 

dimanche 24 novembre 2024

24 novembre 2024 - PESMES - 34ème dimanche TO - Solennité du Christ roi de l'univers

Dn 7, 13-14 ; Ps 92 ; Ap 1, 5-8 ; Jn 18, 33b-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Dieu a créé l’homme, il n’a pas voulu que celui-ci soit seul. Avec Adam, il a aussi créé Ève, la mère des vivants. C’est-à-dire que Dieu a voulu une multitude d’hommes et de femmes : il a voulu l’humanité, avec la vocation que celle-ci demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous savons que l’humanité n’a pas compris cette vocation et s’est éloignée de Dieu. Mais Dieu lui a conservé son amour et a suscité en son sein un peuple particulier : le peuple d’Israël comme peuple prophétique pour toutes les nations. La prophétie consiste en une alliance entre Dieu et son peuple qui deviendra une alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité, où Dieu sera l’époux et l’humanité l’épouse.
La royauté est aussi une prophétie. Car, du point de vue humain, il n’y a pas de peuple s’il n’y a pas de roi, comme il n’y a pas de roi sans peuple. Avant Saül le premier roi d’Israël, Dieu se considérait lui-même comme le roi de son peuple. Pour le guider, il lui donnait des prophètes comme Moïse, ou des juges comme Samson. Mais pour faire comme tous les autres peuples de la terre, Israël a voulu avoir un roi visible, un roi humain. Dieu a acquiescé. C’est ainsi que Saül, puis David, puis Salomon sont devenus rois.
Après la chute de son royaume, l’exil, la dispersion, la mise sous tutelle par l’Empire romain, ont demeuré la nostalgie et l’attente pour le peuple d’Israël d’un roi libérateur. C’est ainsi que le Messie attendu devait être un roi, pour que reprenne, pour que continue, la royauté de Dieu sur son peuple, sa bénédiction d’âge en âge.
Or voilà l’ambiguïté de la royauté de Jésus : il était attendu par les Juifs comme roi libérateur qui régnerait sur Israël comme autrefois David ou Salomon. Par conséquent il était suspecté par les Romains d’apparaître effectivement comme tel, comme rebelle au pouvoir de l’Empereur, et donc voué à une condamnation à mort.  Mais pour Jésus, sa royauté n’est pas celle d’un pouvoir temporel, mais du seul pouvoir réel et véritable : celui du règne de Dieu, dans l’amour et la vérité.
Le peuple dont Jésus est le roi est celui des élus : le peuple d’Israël, pour lequel l’alliance avec Dieu est irrévocable, les chrétiens qui lui sont greffés par le baptême, et les justes que Dieu seul connaît. Telle est la royauté de Jésus : une royauté du ciel, réalisation de la volonté première de Dieu : qu’une multitude d’hommes et de femmes demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire. Et remarquons qu’alors Jésus – qui est Dieu et homme – est en même temps Dieu lui-même qui règne sur son peuple, et un roi humain selon le souhait de l’ancien Israël. Car Dieu tient sa parole.
 
Nous mesurons donc l’incompréhension qu’il y a entre Pilate et Jésus, dans l’évangile d’aujourd’hui. Pilate soupçonne Jésus de se prétendre « roi des Juifs » puisque c’est ainsi qu’on le lui a présenté ou plutôt dénoncé. Mais Jésus le prend à contre-pieds, en lui demandant si il croit lui-même à cette accusation ? Mesurons bien la profondeur de l’échange. Pilate cherche à savoir qui est vraiment Jésus et s’il est coupable de lèse-majesté, tandis que Jésus cherche à toucher l’âme de Pilate, comme Dieu cherche l’âme de tout homme, sa créature depuis l’origine.
Pilate esquive la question : « Est-ce que je suis Juif, moi ? » Il revendique une forme de liberté : il n’est pas dépendant de la Loi de Moïse ; il ne reconnaît pas à Jésus d’autorité sur lui, mais il revendique l’autonomie de son tribunal : « Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu donc fait ? » Voilà la République romaine qui juge Dieu, porté au tribunal par les siens.
Jésus décline alors son identité, et récuse toute tentative de prise de pouvoir : il est roi du ciel ; il n’exerce aucune puissance sur la terre : « Mon royaume  n’est pas de ce monde ; si il était de ce monde, j’aurais des gardes  qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, mon royaume  n’est pas d’ici. »
Pilate relève l’information sur l’identité de Jésus : « Alors, tu es roi. » Cette fois-ci Jésus constate que Pilate ne raisonne plus par ouï-dire, mais que l’affirmation vient de lui-même : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. » L’homme a fait un pas : il reconnaît une possible royauté de Dieu ; et Dieu aussi fait un pas : il reconnaît la liberté personnelle de l’homme à croire ou à ne pas croire. En fait, il lui ouvre une porte, d’où l’explication qui suit : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » La vérité dont parle Jésus est l’adéquation entre ce que l’on pense et ce que l’on fait, soit l’inverse de l’hypocrisie ou de la dissimulation. Dieu est vérité en ce qu’il dit ce qu’il fait, et qu’il fait ce qu’il dit. Or Dieu est un Dieu d’amour : la vérité consiste donc à vouloir la communion avec l’humanité et à la réaliser dans le don de soi-même, fût-ce dans le pardon. Tout homme, croyant ou non, qui est mû par sa conscience et veut mener une vie droite, est normalement sensible à cette vérité de Dieu ; c’est pourquoi Jésus ajoute : « Quiconque appartient à la vérité  écoute ma voix. »
Dramatique instant, où en Pilate l’homme est seul face à son Dieu, qui lui parle le langage de la vérité à travers sa conscience, et l’appelle à la foi. En réalité, devant la lumière, c’est l’homme qui se juge lui-même : va-t-il se laisser éclairer ? ou choisir de se retirer dans les ténèbres ? Le tribunal de Pilate n’est pas tant le jugement de Dieu par l’homme que le jugement de l’homme par lui-même, en présence de Dieu qui lui offre son amour en vérité, et son pardon. La suite appartient à chacun.
 

dimanche 17 novembre 2024

16-17 novembre 2024 - SAVOYEUX - LAVONCOURT - 33ème dimanche TO - Année B

Dn 12, 1-3 ; Ps 15 ; He 10, 11-14.18 ; Mc 13, 24-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous arrivons à la fin de l’année liturgique, qui est un résumé de l’histoire de l’univers. Cette histoire avait débuté au commencement – la Genèse du monde et de l’homme ; la chute d’Adam et Eve ; l’espérance d’un Sauveur. Elle avait continué par l’histoire de ce Sauveur, Jésus, de sa naissance à sa résurrection, et son ascension ; et elle se termine par l’Apocalypse : le jugement de l’univers et la venue du Seigneur en gloire, dans la communion des saints. Aujourd’hui, Jésus enseigne à ses disciples ce qu’il en sera du jour de sa venue.
Ces derniers temps, il se tenait dans le temple. Il y avait débattu avec les autorités d’Israël sur la manière de porter du fruit pour Dieu, en aimant Dieu et son prochain, en donnant toute sa vie pour eux. Maintenant, Jésus est sorti du temple et on lui a fait remarquer combien celui-ci était beau, impressionnant. De fait, à l’époque, le temple de Jérusalem est le plus grand temple du monde. Et l’on vient de partout pour les grandes fêtes, notamment pour Pâques. C’est un lieu de pèlerinage considérable.
Or Jésus indique à ses disciples que de ce temple, il ne restera pas pierre sur pierre. Ceux-ci sont interloqués, et ils lui demandent quand et comment cela arrivera. Et Jésus de leur répondre en évoquant des rumeurs de guerre, des faux messies, des persécutions, des trahisons dans les familles, tandis que l’Évangile sera porté à toutes les nations. À un moment « l’Abomination de la désolation sera installée là où elle ne doit pas être » – c’est un peu mystérieux – et il faudra fuir aussitôt dans les montagnes, sans rien emporter, sans se retourner. Ce sera un moment de grande détresse, où surgiront de faux messies, de faux prophètes, pour égarer les élus, c’est-à-dire les baptisés.
Et nous arrivons à l’évangile de ce dimanche. L’enseignement de Jésus est presque mot pour mot un condensé de l’Ancien Testament, où l’on retrouve des citations de nombreux prophètes : Joël, Isaïe, Ézéchiel, Daniel, Zacharie, Amos, Sophonie… Quand Jésus parle, ses auditeurs voient remonter dans leur esprit tout leur catéchisme en quelque sorte. Jésus n’invente rien : il explique que ces « jours-là », annoncés par les prophètes vont se réaliser.
 
Il y a deux manières de concevoir cette réalisation. La première est tout simplement la mort, la résurrection et la glorification de Jésus : sa Pâque. La seconde est la fin du monde elle-même, à la fin des temps, la naissance du monde nouveau. Mais la Pâque de Jésus renvoie à la fin des temps : elles s’expliquent l’une par l’autre.
 
Pour la Pâque, il faut se souvenir que, dans Ézéchiel, quand il est question de l’obscurcissement du soleil et de la lune, il s’agit d’une complainte adressée au Pharaon d’Égypte où le fils de l’homme lui annonce sa destitution et sa perte. Et vous vous souvenez qu’au moment où Jésus meurt en croix, il y a une éclipse de soleil et l’on entre dans la nuit. Pâque a lieu durant la nuit. Les étoiles qui tombent du ciel et les puissances célestes qui sont ébranlées, ce sont Pharaon et ses armées, mais ce sont aussi Satan et ses anges, les démons, qui sont vaincus et chassés des cieux.
Voilà ce que dit Jésus : de même que Pharaon et son armée ont été vaincus dans la nuit de Pâque, de même le Fils de l’homme – c’est-à-dire lui-même – va vaincre Satan et ses anges dans ce moment de grande détresse où le soleil est obscurci et où la lune ne donne plus sa clarté. Cela, Jésus le fait lors de sa propre Pâque, et notamment durant son Ascension au ciel, tandis que les Apôtres sont perclus de peur, au Cénacle.
Et justement, « on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire ». C’est la vision de Jésus ressuscité, dont le corps n’obéit plus aux lois physiques de la création, et qui se présente comme un corps de communion. La gloire de Dieu, c’est la communion des saints, dans la paix, la joie et la lumière. Voir Jésus ressuscité, vainqueur de la mort, c’est constater qu’il a vaincu le Pharaon de ce monde. Alors « il enverra ses anges pour rassembler ses élus des quatre vents » : en effet, c’est la Pentecôte où Jésus envoie ses apôtres, ses disciples, évangéliser par toute la terre, pour rassembler les élus – les baptisés – en un seul peuple, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous voyons bien que Jésus voit au-delà du temple matériel qu’il a sous les yeux, car il pense toujours au temple de son corps : le jour de détresse, c’est le jour de sa Pâque, la Pâque qui conduit à la Pentecôte. C’est ainsi que Jésus peut facilement dire que « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive », puisqu’en effet, la Pâque de Jésus est toute proche.

Cependant, ce que dit Jésus peut aussi s’appliquer à la fin du monde en tant que tel. Dans ce cas, le temple qui sera détruit, le corps de Jésus qui sera défait avant d’être relevé transfiguré, c’est l’Église. Le corps n’échappera pas au sort qui est celui de la tête, et les tribulations que vivront les élus seront terribles. Mais le Seigneur frappera à la porte à l’improviste, comme l’époux du Cantique des Cantiques frappe lui-même à la porte de sa bien-aimée, pour lui porter son amour. C’est pourquoi Jésus insistera tellement pour que les élus, les baptisés, demeurent éveillés pour attendre sa venue, comme un époux qui vient dans la nuit, car alors il sera leur délivrance et leur vie. C’est la Pâque, hier, aujourd’hui et demain. Dieu est toujours le Dieu de la vie.
 

dimanche 10 novembre 2024

10 novembre 2024 - GRAY - 32ème dimanche TO - Année B

 1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment lisons-nous l’Évangile ? Il y a une lecture qui consiste à s’insurger contre le cléricalisme insupportable des scribes et à s’apitoyer sur le sort de la pauvre veuve, injustement exploitée. Et Jésus de glorifier victorieusement cette dernière après avoir condamné lourdement les premiers. De fait, la leçon ne vaut pas seulement pour les scribes de Jérusalem d’hier, elle est aussi un avertissement sévère pour ceux de l’Église d’aujourd’hui. D’ailleurs, en attirant leur attention sur le geste généreux de la pauvre veuve, c’est bien à ses disciples seuls, et non à la foule en général, que Jésus s’adresse. Les voilà prévenus, et moi aussi !

Cependant, si on s’arrête à ce niveau de lecture, après qu’il ait reproché aux scribes, grands-prêtres et pharisiens, de vivre vissés dans l’observance de la Loi et d’y enfermer tout le monde – sans que personne ne puisse vraiment y vivre en conformité – on a tôt fait de Jésus un « père-la-morale » qui surenchérit dans l’échelle de la moralité. Comme l’observent souvent les disciples avec stupeur, dans bien des cas, l’évangile paraît à ce point exigeant qu’il en est humainement impraticable. Par extension, une telle approche transforme également tous les évangélisateurs et les prédicateurs en moralistes, prêchant un nouvel ordre moral. On ne voit pas très bien, alors, où est la bonne nouvelle ?

Mais on peut faire une lecture différente de notre évangile, où la morale de l’histoire n’est pas tout à fait la même. Au lieu de nous enfermer dans une culpabilité malsaine, elle nous ouvre au contraire une porte vers le ciel. En tous cas, je l’espère.

La première chose à faire quand on lit un passage de l’évangile est de se demander où et quand exactement la scène se passe. Ici, Jésus après avoir franchi le Jourdain, a guéri Bartimée à Jéricho, puis est monté à Jérusalem, y est entré en triomphe assis sur un âne et a pénétré dans le temple pour en chasser les marchands. C’est alors qu’il est entré en débat avec les autorités d’Israël. Comprenez que, tel Josué, Jésus est entré en Terre promise et en a entrepris la libération, puis la purification jusqu’en son cœur, pour y faire entrer en possession son peuple, le peuple des sauvés, des baptisés. Dans le temple où se trouve Jésus, l’objet des débats est donc le cœur de la foi, la nature même de la relation de l’homme avec Dieu. C’est essentiel de comprendre cela.
 
Dans notre évangile, il y a une opposition construite entre les scribes d’un côté et les veuves de l’autre. Les scribes sont les représentants d’une religion faite d’apparence extérieure, qui n’exprime pas un besoin vital, mais seulement une activité sociale somme toute accessoire : on va au temple comme on va au théâtre, pour se faire bien voir. En aucun cas, la vie des scribes ou des riches donateurs ne semble menacée, et même, par leurs dons généreux ils peuvent se targuer de permettre au temple de fonctionner. Au contraire, les veuves sont l’expression d’une religion où la relation avec Dieu est un enjeu vital : le devenir du temple ne dépend pas du don de la veuve, en revanche le devenir de la veuve dépend bien de la bénédiction de Dieu qui habite dans le temple. On voit donc que Jésus désigne quelle doit être la nature de la religion entre l’homme et Dieu : c’est une relation vitale.

Mais on peut faire un pas de plus. Pourquoi une veuve ? Et pourquoi pas un veuf ? Ou une Galiléenne ? Ou un samaritain ?... Jésus a vu une veuve, et c’est bien une veuve qui l’a impressionné. Ce n’est pas un hasard. La veuve, dans l’Évangile, c’est la femme qui a perdu son époux, qui a la nostalgie de son époux, qui espère et qui attend de le retrouver dans la vie éternelle. Cette veuve, pour un chrétien : c’est l’Église. Et même, si on veut donner plus d’intensité ou de chair à cette figure de l’Église, c’est la Bienheureuse Vierge Marie. Jésus est toujours sensible aux veuves parce qu’à travers elles, il voit la figure de sa mère. Il ne faut jamais l’oublier. Et c’est pourquoi dès les débuts les veuves ont toujours eu une place très particulière dans l’Église, et même un statut en particulier. Parce qu’elles sont la figure-même de l’Église qui attend son époux, le Christ Jésus, son Seigneur.

Donc, en désignant la veuve qui fait son offrande, Jésus enseigne à ses apôtres quelle est la religion attendue par le Père, la religion de l’Église : dans l’humilité, et même dans une grande pauvreté de moyens, l’Église honore son Dieu, verse deux piécettes dans le trésor du temple, fait avec foi l’offrande d’elle-même en sacrifice, dans l’attente, dans l’espérance, de la bénédiction du Seigneur, de son retour. On voit, à la lumière de l’histoire de la veuve de Sarepta que l’offrande du pain qui lui est demandée, qui vaut pour elle offrande de toute sa vie – et celle de son fils – est non seulement une offrande agréée mais elle est aussi une offrande inépuisable jusqu’au retour de la pluie – c’est-à-dire jusqu’au jour de la bénédiction de Dieu. Comprenons que l’offrande de l’eucharistie – si peu de choses en pratique – mais qui doit signifier pour nous toute notre vie, est non seulement l’offrande attendue par Dieu, mais qu’elle nous est donnée en nourriture jusqu’au retour de Jésus, Pentecôte définitive.
 
Chers frères et sœurs, Jésus est assis dans le temple : il est assis parce qu’il est en train d’exercer le jugement. Ainsi donc, nous serons jugés à la manière dont nous vivons notre relation avec le Seigneur. Ou bien, nous le traitons en valet, auquel nous accordons avec condescendance l’accessoire de notre vie, tout en affectant d’être les plus pieux des hommes – et nous serons sévèrement jugés ; ou bien nous le regardons comme la source unique de toute notre vie, pour laquelle nous ne savons et ne pouvons offrir que notre pauvre indigence, ou un peu de pain et un peu de vin, pour qu’ils les transforment et nous transfigure avec, dans sa vie éternelle, dans sa communion.

dimanche 3 novembre 2024

02-03 novembre 2024 - CHARCENNE - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 31ème dimanche TO - Année B

Dt 6, 2-6 ; Ps 17 ; He 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus a la discussion que nous avons entendue avec le scribe, il se trouve dans le temple de Jérusalem. En effet, il a quitté Jéricho – c’est l’évangile de dimanche dernier – et il est monté à Jérusalem. Il y est entré assis sur un âne, comme on fait pour les rois à leur intronisation, puis il a chassé les marchants du temple. Il est alors entré en discussion avec les grands prêtres, les partisans d’Hérode, les pharisiens, les saducéens et maintenant un scribe. Évidemment, les discussions tournent autour de l’identité et de l’autorité de Jésus, et de son rapport à la Loi de Moïse.
 
Même si Marc, Matthieu et Luc, qui rapportent la même discussion entre Jésus et le scribe, la traitent différemment, l’idée de fond demeure la même : quel est le véritable culte que l’homme doit rendre à Dieu ? La question est importante, car de la réponse qu’on lui apporte dépendent non seulement la bénédiction d’une vie heureuse ici-bas, mais surtout l’assurance de la vie éternelle, dans la communion de Dieu. Évidemment, il n’est pas anodin de poser la question sur le vrai culte que l’homme doit rendre à Dieu alors que Jésus et le scribe se trouvent justement dans le temple.
 
Comme le scribe est un bon rabbin, il va directement à l’essentiel : toute question religieuse doit trouver sa solution dans la Torah, dans la Loi donnée par Dieu à Moïse. D’où la question : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Naturellement Jésus, qui est aussi un bon rabbin, répond par la Torah. Il cite le « Shema Israël », le « Credo des juifs » pour faire court : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » Il s’agit d’une citation du Deutéronome. N’importe quel Juif connaît le Shema Israël depuis son enfance et on le récite pour lui à sa mort. Donc le vrai culte de Dieu, c’est d’aimer Dieu, avant toute chose.
Mais Jésus ajoute un second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il s’agit d’une citation du Lévitique. On est toujours dans la Torah. Jésus affirme ici que le vrai culte attendu par Dieu n’est pas seulement de l’aimer lui seul, mais aussi que les hommes s’aiment les uns les autres. En fait, ce second commandement définit comment on doit aimer, aussi bien Dieu que les autres. On n’aime vraiment que lorsqu’on est au service les uns des autres, qu’on est prêt à donner sa vie les uns pour les autres, pas seulement en intention, mais aussi en pratique.
 
Le second commandement donné par Jésus est un test de vérification du premier commandement, sur la manière d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force – donc en se donnant soi-même tout entier, en s’offrant soi-même en sacrifice.
Ce n’est donc pas pour rien que le scribe avalise la double réponse de Jésus et ajoute son propre commentaire : aimer Dieu et aimer son prochain « vaut mieux que toute offrande d’holocauste et de sacrifices ». En effet, l’offrande de soi-même par amour est bien supérieure à toute offrande rituelle de biens matériels ou d’animaux.
La réponse à la question sur le véritable culte à rendre à Dieu pour obtenir de lui ses bénédictions, et la vie éternelle, se trouve donc dans l’affirmation de la Loi sur l’amour de Dieu et du prochain, que Jésus formalisera autrement par cette parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
 
Cela invalide-t-il les sacrifices du temple et tout rite religieux en général ? Non. Cela les invalide si ils sont pratiqués pour eux-mêmes, juste pour le rite, pour la forme. Mais si ils sont bien des rites voulant exprimer le don soi par amour, en offrant des biens précieux pour signifier autant que possible cet amour, et dans un esprit d’amour pour Dieu et pour les hommes, alors ils sont non seulement légitimes, mais ils sont une manière juste d’exprimer le mystère de l’amour.
Pensez au rituel du mariage, où l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par amour. Ce rituel n’a pas de sens si il n’y a pas l’intention première de l’amour mutuel. Et pourtant il n’y a pas de plus beau rituel pour exprimer l’amour, si ce n’est celui de la messe où Jésus s’offre lui-même à son Père par amour pour nous.
Ainsi, si Jésus a chassé les marchands du temple, s’il a reproché aux grands prêtres de mal s’occuper de la vigne d’Israël, s’il a donné sa bénédiction au scribe, s’il a dit aux apôtres lors de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi », ce n’est pas pour invalider les rites, mais c’est pour rappeler leur sens profond qui est l’expression du vrai culte qu’il faut rendre à Dieu.
 
Ainsi donc, Jésus et le scribe sont d’accord sur la question essentielle du rapport de l’homme avec Dieu, qui est une offrande, un don de soi par amour. C’est d’ailleurs ce que Dieu lui-même a fait le premier à notre égard, puisque Jésus a donné sa vie sur la croix par amour pour nous. Dieu nous a fait don de lui-même, pour que nous soyons réconciliés avec Lui ; pour que nous vivions avec Lui dans sa vie éternelle. En définitive, ce que nous faisons ici, à la messe, ce n’est que rappeler à Dieu le geste qu’il a lui-même fait pour nous, en ayant foi que par ce rite, Dieu reconnaisse, et son amour pour nous, et notre amour pour lui, pour que nous aussi – et ceux que nous aimons – puissions accéder à la vie éternelle, à la communion, demain et déjà aujourd’hui.

vendredi 1 novembre 2024

01 novembre 2024 - GY - Solennité de Tous les Saints - Année B

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Un épisode évangélique, un sacrement, tout événement spirituel est toujours à trois dimensions : le passé, le présent, et l’avenir, où le présent est caché dans le passé, et l’avenir est caché dans le présent. Voici comment.
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, l’attitude de Jésus qui monte sur la montagne, s’assied et ouvre la bouche pour enseigner les Béatitudes rappelle évidemment à tous l’épisode de Moïse qui monte sur la montagne pour y entendre la Parole de Dieu qui lui enseigne les dix commandements de la Loi. C’est le rappel du passé.
Nous tous, qui comme les foules sommes rassemblés dans cette église comme sur la montagne pour y écouter l’évangile proclamé au nom de Jésus, nous rendons actuelle cette Parole de Dieu. Nous voilà devenus contemporains des foules de Galilée. Les Béatitudes nous sont données à nous aussi, aujourd’hui : c’est le présent.
Ce que le livre de l’Apocalypse nous apprend, c’est qu’à notre mort, nous monterons au ciel, avec les hommes de tous les lieux et de tous les temps, tous les baptisés, pour être réunis autour du trône de l’Agneau pour y connaître le Seigneur, pour entrer dans sa communion et en vivre. Alors la Loi, commandements extérieurs et les Béatitudes appels intérieurs, seront comme intégrés à tout nous-mêmes par l’Esprit Saint, comme une nouvelle nature, la nature divine qui nous habitera : c’est l’avenir.
Un épisode évangélique comme une célébration liturgique ne sont donc pas laissés à notre libre interprétation, ou à notre créativité, car ils sont mémoire, action actuelle efficace, et prophétie de l’avenir. La Parole de Dieu agit hier, aujourd’hui et demain, portant le même message mais en l’approfondissant, jusqu’à nous conduire jusqu’à l’intérieur d’elle-même, ou d’habiter elle-même en nous, pour faire une communion.
 
Ainsi, dans l’évangile des Béatitudes, Jésus révèle à ses disciples ce qui est caché à l’intérieur de la Loi de Moïse. La Loi formulait plutôt des interdits : « tu ne tueras pas » ; « tu ne voleras pas »… ces interdits sont comme la clôture d’un jardin : si tu passes outre, tu sors du jardin et tu te perds.
Les Béatitudes indiquent au contraire ce qu’il y a dans le jardin : ce sont des affirmations. Elles disent qu’il y a un arbre de bonheur, un arbre de vie, dans le jardin : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux » ; « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». Pour ceux qui sont dans le jardin, et qui ne pensent même pas à en sortir, en transgressant la Loi de Moïse, il est proposé un arbre de vie qui donne plusieurs fruits : les pauvres de cœurs sont ceux qui sont innocents comme des agneaux ; ceux qui pleurent sont ceux qui sont contrits par leur péché, meurtris par le mal et les souffrances qui traversent le monde ; les doux sont si humbles et si abandonnés que, ne possédant rien, en réalité, ils sont libres de tout ; les cœurs purs – le cœur étant chez les Hébreux le siège de l’intelligence – ont des pensées droites et pures, et sont donc en capacité de voir Dieu ; les artisans de paix sont habités d’une paix profonde, le repos, qui rayonne de manière apaisante autour d’eux. Voilà les fruits de l’arbre de vie qui est dans le jardin délimité par la Loi. Mais évidemment, cette vie qui irrigue l’arbre semble demeurer cachée aux yeux des disciples qui écoutent parler Jésus sur la montagne. Jésus leur donne envie de vivre de cette vie qui rend innocent, priant, humble, intelligent, paisible… qui rend saint, qui rend comme Jésus, qui rend comme Dieu lui-même. En effet, que sont les Béatitudes sinon les traits de la personnalité de Jésus, les traits du visage de Dieu ? Dieu personne ne l’a jamais vu ? Mais Jésus nous en a donné le portrait !
Or, le troisième secret qui est caché dans les Béatitudes, c’est que cette vie qui vient de Dieu, qui peut nous transformer en Dieu, nous rendre comme Dieu, c’est l’Esprit Saint. À l’intérieur donc de la Loi de Moïse, il y a les Béatitudes, comme l’arbre dans un jardin. Et la vie de l’arbre c’est l’Esprit Saint. Or l’Esprit Saint nous a été acquis par la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus au ciel et nous a été donné à la Pentecôte. L’Esprit Saint, nous l’avons reçu à notre baptême et il s’est répandu en nous à notre confirmation. Rien ne nous empêche de nous abandonner à lui jour après jour pour le laisser nous transformer jour après jour en rayonnement de sainteté, à la ressemblance de Dieu.
 
Chers frères et sœurs, lorsque Moïse reçut la Loi sur la montagne puis ordonna la liturgie du temple à l’image de ce dont il avait eu la vision au ciel, il reçut un jardin dans lequel il y avait un arbre de vie et la vision de ce que vit saint Jean dans l’Apocalypse.
Ensuite, Jésus révéla à ses disciples quels étaient les fruits de l’arbre de vie, les Béatitudes, et il dévoila le cœur de la liturgie du temple qui est à l’image de la liturgie céleste : le sacrifice de sa vie par amour pour son prochain, comme un pain rompu et partagé, et un sang d’agneau répandu. Et il leur a dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »
Et finalement à sa prière, notre Père nous donna tout, c’est-à-dire la vie qui féconde l’arbre et qui irrigue le jardin, son Esprit de sainteté qui nous fait entrer et vivre dans la communion de Dieu, à sa ressemblance, avec tous les saints, cette communion de l’avenir, que nous allons déjà recevoir maintenant.

dimanche 27 octobre 2024

27 octobre 2024 - CHAMPLITTE - 30ème dimanche TO - Année B

Jr 31, 7-9 ; Ps 125 ; He 5,1-6 ; Mc 10, 46b-52
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a quelques dimanches, Jésus a franchi le Jourdain pour entrer dans le territoire de la Judée. De là, il a gagné Jéricho avant d’en repartir pour monter à Jérusalem – c’est l’évangile d’aujourd’hui. Ce parcours n’est pas du tout anodin, puisque c’est exactement le parcours réalisé par Josué et les Hébreux au moment de conquérir la Terre promise et Jérusalem, après les quarante années passées au désert. Et vous connaissez l’histoire fameuse des murailles de Jéricho qui se sont écroulées après que les Hébreux aient processionné autour au son des trompettes. À sa manière Jésus fait un pèlerinage sur les pas de Josué, ou plutôt il réalise la prophétie de Josué, puisque Jésus est le véritable Josué – c’est le même prénom.
 
Jéricho n’est donc pas une ville signalée par l’évangile par hasard : c’est la ville qui est en même temps la porte de la Terre sainte – il faut la prendre pour pouvoir ensuite monter à Jérusalem, et en même temps c’est la ville du mal et des ténèbres, qu’il faut détruire pour pouvoir monter saintement à Jérusalem. Ainsi Bartimée, habitant Jéricho, est-il un homme marqué par le mal et qui vit dans les ténèbres : c’est pourquoi il est aveugle. D’ailleurs, Bartimée, le Fils de Timée, signifie en hébreu : « le fils de l’impur ». Bartimée a besoin de devenir Zachée – qui signifie « le pur ». Souvenez-vous, dans l’évangile de Luc, Zachée était aussi un habitant de Jéricho – et ce n’est pas un hasard.
 
Donc cet homme, Bartimée, prisonnier du mal et des ténèbres, apprend que Jésus de Nazareth – celui dont tout le monde dit qu’il est le Messie Sauveur – est en train de passer par Jéricho : il l’appelle de toutes ses forces : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Comprenez que c’est le cri d’Adam au plus profond des enfers, le cri de tous les hommes désespérés qui espèrent un secours de la part de Dieu ; c’est un cri qui vient du plus profond du cœur de l’humanité.
Ce cri de Bartimée est repris de tout temps et aussi de nos jours au début de la messe, quand nous prions le Seigneur : « Seigneur prend pitié ; Ô Christ prend pitié ; Seigneur prend pitié » ; mais aussi dans la fameuse prière du cœur des moines et des pèlerins orientaux : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! », que l’on répète sans cesse ; ou plus brièvement dans les offices orthodoxes : « gospodi pomiluj ! » ; « Seigneur, prends pitié ! » C’est le cri des pécheurs qui espèrent leur rédemption.
 
Justement, c’est pour eux que Jésus est venu. C’est pour Bartimée que Jésus est venu à Jéricho. Car il faut que Bartimée monte avec lui à Jérusalem ; il faut qu’Adam et tout homme pécheur montent avec lui auprès de notre Père, qui est aux cieux. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » dit Jésus. Et l’homme pécheur répond : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
Dans cette réponse, il y a deux choses remarquables. La première est l’appellation « Rabbouni ». Elle est encore plus évidente en Syriaque : « Rabbuli ». Il n’y a que Bartimée et Marie-Madeleine qui emploient ce terme, au moment où l’un va voir Jésus, et l’autre va revoir Jésus ressuscité. « Que je retrouve la vue » - c’est-à-dire : « Que je re-voie ; que je voie à nouveau, comme autrefois ». C’est cela : comme aux premiers temps, où Adam et Ève voyaient Dieu dans le jardin du Paradis, avant de se cacher puis d’en être exclus. Imaginez-vous de revoir enfin un paysage, ou mieux un visage, que vous espérez tant revoir, par-delà l’océan du temps ou de la mort. Voilà ce que veut Bartimée, ce qu’il espère. Et il croit – il a foi – que Jésus de Nazareth peut réaliser cela pour lui. Cela tombe bien, c’est aussi ce que Jésus veut pour lui.
 
Car il faut maintenant monter à Jérusalem. Monter à Jérusalem est un précepte de la Loi de Moïse : « Trois fois par an – à la fête des Pains sans levain, à la fête des Semaines et à la fête des Tentes –, tous les hommes paraîtront devant la face du Seigneur ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi » (Dt 16,16) – c’est-à-dire au Mont Moriah, le Mont du temple, à Jérusalem. Tous les fils d’Israël ont vocation à monter à Jérusalem pour voir la face de Dieu ou être vus par Dieu, dans son temple. Vous comprenez bien que pour que cela soit réalisable il faut que les hommes en question ne soient pas boiteux – s’il faut monter à Jérusalem – et ne soient pas aveugles – s’il faut voir la face de Dieu. Et c’est pourquoi Jésus vient d’abord guérir les boiteux et les aveugles, pour qu’ils soient en capacité de monter à Jérusalem. Jésus vient pardonner les péchés qui handicapent, et libérer des ténèbres de la mort, les hommes nouveaux, les baptisés, qui ont vocation à entrer dans la communion sainte et lumineuse de Dieu.
Et c’est ainsi que Bartimée, guéri et devenu « Zachée », se met à suivre Jésus qui monte à Jérusalem, pour entrer avec lui dans sa gloire.

dimanche 20 octobre 2024

13 octobre 2024 - Désert Sainte-Roseline - 28ème dimanche TO - Année B

Sg 7,7-11 ; Ps 89 ; Hb 4,12-13 ; Mc 10,17-30
 
[Homélie donnée sans notes, retranscrite de mémoire]
 
Chères sœurs,
 
L’Évangile que nous avons entendu nous est familier, comme à tous ceux qui ont tout quitté pour suivre le Christ. « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » : c’est la parole qu’a entendue saint Antoine, avant de partir au désert, inaugurant ainsi toute la vie religieuse, la vie monastique, à sa suite.
 
Lorsque nous lisons l’Évangile de Marc, nous devons toujours chercher à quel passage il est fait référence dans l’Ancien Testament. Dans notre évangile d’aujourd’hui, la référence est donnée dès le départ : « un homme accourut et, tombant à ses genoux… » Qui est cet homme ? C’est Abraham, qui court et se prosterne devant les trois anges, au chêne de Mambré. Ainsi, nous devons comprendre notre Évangile à la lumière de l’histoire du chêne de Mambré où le Seigneur annonce à Abraham que sa femme Sarah va engendrer un fils.
 
L’homme demande la vie éternelle « en héritage ». L’héritage, c’est la Terre Promise. Il faut avoir à l’esprit ici que Jésus a traversé le Jourdain et se trouve maintenant en Judée, où il guérit et il enseigne. Il accomplit la prophétie de Josué qui entre en Terre Sainte pour la conquérir, pour conquérir Jérusalem. C’est ce que les gens attendent de Jésus et c’est ce que sont venu lui demander les pharisiens dimanche dernier : « Un homme peut-il répudier sa femme ? » ; c’est-à-dire : « Est-ce que Dieu va être fidèle la fille de Sion, à son alliance avec elle ? » ; « Est-ce que le Messie de Dieu va bien sauver son peuple et le faire entrer en Terre Promise ? » Car bien sûr, Jésus ne veut pas d’une conquête de la Terre Sainte au sens territorial du terme, mais il est là pour la conquête de la Terre Sainte véritable : la vie éternelle.
 
Or, l’homme d’aujourd’hui est le parfait Israélite – comme Barthélémy – car non seulement il obéit parfaitement à la Loi depuis sa jeunesse (c’est le rêve du Bon Dieu – et le sommet pour les pharisien) mais il a parfaitement compris pourquoi Jésus est là : pour la vie éternelle.
C’est pourquoi Jésus « posa son regard sur lui et il l’aima ». Il s’agit d’un regard qui descend dans le cœur, qui scrute le cœur, qui l’illumine. L’homme est transfiguré par le regard du Christ, mais en même temps il découvre son péché : ici sa richesse. Il lui faut quitter cela, que ce soient des biens matériels ou même des relations – comme nous le voyons lorsque Jésus détaille à ses disciples : « maison, frères, sœurs, mère, père, enfant ou terre. »
 
À ce moment l’homme devient « sombre » - il est en colère, et il part, triste. Sa réaction est à l’opposé de celle de Sarah, qui elle, se met à rire. En effet, Jésus explique « comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu » ; le mot important ici est « difficile », en hébreu, il s’agit des « douleurs de l’enfantement ». Il s’agit en réalité d’un engendrement, et c’est douloureux. On retrouve la discussion qu’a Jésus avec Nicodème : « Peut-on naître à nouveau ? » Jésus insiste en disant à ses disciples : « Mes enfants, comme il est difficile… » Il les appelle « ses enfants » ; car il les a déjà engendrés. Mais pour l’homme cela reste encore à faire. Les disciples sont dans l’incompréhension totale, et Jésus conclue : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » C’est exactement ce que l’Ange de Dieu avait dit à Sarah, qui riait : « Rien n’est impossible à Dieu »
 
Saint Pierre observe que les disciples ont déjà tout quitté pour suivre Jésus, comme tous les baptisés et comme nous tous ici. Et effectivement Jésus explique : « nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà le centuple ». Ici le mot important est « en ce temps » : « Ce coup-ci » ; c’est comme un clapet anti-retour. C’est fait ; c’est donné, c’est acté. Déjà la vie éternelle leur est acquise. Bien sûr, Jésus ajoute « avec des persécutions » car il s’agit d’un chemin où il y a plusieurs choses à quitter, par étapes. Saint Grégoire de Nysse disait qu’on va « de gloire en gloire » ; saint Augustin dirait qu’on va de « croix en croix », mais il vaut mieux voire les choses positivement : on avance de « gloire en gloire », jusqu’à la vie éternelle qui déjà nous est promise.
 

dimanche 6 octobre 2024

05-06 octobre 2024 - NANTILLY - FEDRY - 27ème dimanche TO - Année B

 Gn 2, 18-24 ; Ps 127 ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment lisez-vous l’Évangile ? L’Évangile, on peut le lire au premier degré, selon le sens commun. On y apprend aujourd’hui que Jésus s’oppose au divorce, parce que « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas », selon que l’homme et la femme ont été créés par Dieu pour ne faire qu’une seule chair, ainsi qu’il est dit dans le livre de la Genèse. Et si Moïse a permis de rédiger un acte de répudiation, c’est par simple pragmatisme, en raison de la dureté du cœur des hommes. Nous voyons tous les jours, combien en effet le cœur des hommes – et des femmes aussi – est parfois bien dur, malheureusement,
Et justement, il y a là un problème dans l’Évangile de Marc, qu’on ne trouve ni chez Matthieu ni chez Luc, lorsque Jésus évoque cette question. C’est que, selon Marc, Jésus évoque aussi la possibilité que des femmes puissent renvoyer leur mari. Voilà qui est tout à fait extraordinaire, car jamais dans la Loi de Moïse ce cas n’est évoqué. Il n’est tout simplement pas possible. Il y a deux manières de résoudre le problème :
Soit vous êtes un exégète occidental moderne et vous vous réjouissez d’avoir trouvé que dans la loi romaine, il est possible à une femme de divorcer de son mari. Et vous en concluez que le rédacteur de l’Évangile de Marc devait s’adresser à une communauté composée de Romains, puisqu’il a adapté la Parole de Dieu pour eux. Ce qui signifie qu’on fait dire un peu ce qu’on veut à Jésus en fonction des temps et des lieux. C’est une tentation toujours actuelle dans l’Église : on invente des trucs qui ne sont pas dans l’Évangile.
Il y a une autre solution, qui nous oblige à lire l’Évangile autrement, de manière plus conforme à la culture des Apôtres et des évangélistes, dont on n’oubliera pas qu’ils étaient tous juifs, et que pour eux les Écritures, c’est l’Ancien Testament. C’est donc dans l’Ancien Testament et par lui seul qu’on peut expliquer les difficultés de lecture que nous pouvons rencontrer dans les Évangiles. Alors, comment faire ?
 
Nous devons commencer par observer que Jésus dit cette parole à ses Apôtres uniquement, quand il est de retour « à la maison ». La « Maison » est un mot codé qui renvoie au Temple de Jérusalem ou au Royaume des cieux. C’est-à-dire que l’explication que Jésus donne à ce moment à ses apôtres est de nature spirituelle et ne peut être comprise que par ceux qui ont foi en lui, et en sa résurrection.
 
Ensuite, il faut savoir que ceux qui interrogent Jésus sur la répudiation le font alors qu’il vient de franchir le Jourdain, qu’il se trouve maintenant dans le territoire de la Judée, que des foules se sont assemblées auprès de lui et qu’il s’est mis à guérir les malades et à enseigner. Malheureusement, cette précision a été stupidement coupée au début de notre lecture de l’évangile. Or elle indique que Jésus reproduit l’entrée de Josué en Terre promise. Il accomplit la prophétie de Josué – d’ailleurs le nom Jésus, est le même que celui de Josué. C’est-à-dire que Jésus se présente réellement comme le Messie d’Israël, qui va conquérir la Terre promise et libérer Jérusalem. C’est la raison pour laquelle les foules se précipitent vers lui. Or, vous le savez, Jésus a refusé d’assumer un rôle politique, de devenir un libérateur à la mode latino-américaine pour libérer Israël de la domination romaine. Et cela a fâché les gens, et même une bonne partie des disciples, qui n’ont pas compris ce refus.
Ceci explique la question des pharisiens : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Traduisez : « Est-ce que Dieu peut répudier la Fille de Sion, Israël, qui est son épouse, avec qui il a fait alliance ? » ; « Est-il permis au Messie de Dieu de trahir la cause pour laquelle il a été missionné ? » Voilà le véritable problème, posé dans les termes de l’Ancien Testament.
 
Jésus les renvoie à Moïse. Ils savent qu’il existe selon la loi une répudiation possible. Mais Jésus les prend à contre-pied : il affirme que Moïse a permis la répudiation en raison de la dureté du cœur des hommes, mais que pour Dieu cela n’est même pas envisageable, ainsi qu’il l’a déclaré lui-même au livre de la Genèse. Jésus leur affirme donc qu’il n’est absolument pas dans les intentions de Dieu, ni celles de son Messie – donc de Jésus lui-même – de répudier Israël, de manquer à sa mission de Messie sauveur. Dieu reste indéfectiblement attaché à son Alliance : la fille de Sion est son épouse pour l’éternité. Cela satisfait probablement les pharisiens puisqu’ils ne répondent pas. Mais les disciples demeurent dans l’interrogation : comment Jésus peut-il dire qu’il est le Messie sauveur d’Israël, absolument fidèle à l’Alliance, et en même temps refuser de s’engager publiquement, politiquement ? D’où la question sur laquelle Jésus revient à la maison. Et Jésus d’expliquer que l’homme qui renvoie sa femme est adultère – Dieu n’a pas l’intention d’être adultère. Mais il se peut que la femme – donc la Fille de Sion, Israël – veuille renvoyer son mari, son Dieu, pour en épouser un autre, un autre dieu, une idole ; alors la Fille de Sion devient adultère envers Dieu. Et cela, malheureusement, c’est très possible.
 
Le fond du problème, au sujet de l’Alliance entre Dieu et son peuple, devient du coup non pas l’amour que Dieu porte à son peuple – amour qui est éternel et que Jésus est venu pour réaffirmer par sa mort et sa résurrection – mais la dureté du cœur des hommes. L’expression biblique correspondante est « l’incirconcision du cœur des hommes ». La circoncision est justement le signe de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Or celui qui opère la véritable circoncision du cœur des hommes, c’est l’Esprit Saint, qui transforme les cœurs de pierre en cœur de chair, qui fait des hommes de ce monde des prophètes du monde nouveau, qui transforme les pécheurs en saints. La solution est donnée par Jésus, bénissant les enfants – les nouveau-nés du baptême – par l’imposition des mains, leur conférant le don de l’Esprit Saint, la circoncision du cœur, la fidélité à l’Alliance entre Dieu et son peuple, pour l’éternité. Telle est la véritable libération pour laquelle Jésus est venu en Messie sauveur.

dimanche 29 septembre 2024

29 septembre 2024 - GRAY - 26ème dimanche TO - Année B

Nb 11, 25-29 ; Ps 18 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile nous donne aujourd’hui un enseignement qui convient parfaitement aux jeunes églises naissantes, quand la Bonne Nouvelle se répand de manière un peu anarchique et que se constituent des traditions diverses, qui – par manque de charité entre chrétiens – conduisent parfois à de graves antagonismes.
Nous voyons cela par exemple, dans l’Église de Corinthe, quand Paul doit éteindre le conflit entre les partisans d’Apollos et ses propres partisans. Apollos, qui venait d’Alexandrie, connaissait bien l’Évangile mais ne pratiquait que le baptême de Jean : il ignorait apparemment le baptême au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Il avait fallu que Priscille et Aquilas le lui expliquent.
On voit, dans les premières Églises, des communautés judéo-chrétiennes directement issues des Apôtres, composées pour certaines de juifs d’origine palestinienne ou orientale, et pour d’autres de juifs hellénisés, comme à Alexandrie justement, où s’est opéré un premier mélange avec la philosophie et la culture grecque ; et enfin des communautés pagano-chrétiennes, composées de romains ou de grecs directement devenus chrétiens, sans rien connaître au judaïsme malheureusement, ou si peu. Évidemment, tous ces courants ont des difficultés à se comprendre et lisent les évangiles de manière différente. Mais on voit quelle actualité cette situation a toujours aujourd’hui, entre chrétiens de différentes cultures, ou de différentes générations. L’enseignement de Jésus est toujours pertinent.
 
Jésus parle en deux temps. En premier lieu, il jette un regard positif sur la diversité des œuvres inspirées par l’Esprit Saint : « Celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas aussitôt après mal parler contre moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » Faire un miracle au nom de Jésus doit se comprendre originellement comme « faire quelque chose » au nom de Jésus, c’est-à-dire notamment célébrer un sacrement comme celui du baptême. Cet enseignement a été défendu par saint Augustin : le baptême, célébré par qui que ce soit, pourvu que ce soit « au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit » est toujours valide. C’est la pierre angulaire de l’œcuménisme entre les chrétiens.
C’est aussi ainsi que Jésus encourage l’hospitalité entre chrétiens, et même reconnaît que toute personne qui accueille un chrétien – parce qu’il est chrétien – recevra une récompense. Car, « celui qui vous accueille, m’accueille. Et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé », c’est-à-dire le Père.
Donc Jésus, comme Moïse en son temps, porte un regard positif sur les fruits de l’Esprit Saint répandu dans le monde, et même parfois dans le cœur de non-chrétiens.
 
En revanche – et c’est le second temps – il est extrêmement dur pour celui qui provoque le scandale, qui devient un piège pour « ces petits qui croient en moi », c’est-à-dire les fidèles innocents qui placent naturellement leur confiance dans leurs frères, surtout ceux qui exercent sur eux un magistère spirituel, intellectuel et moral, et qui les trahissent d’une manière ou d’une autre.
L’expression « qu’on le jette à la mer » renvoie directement à la mort des Égyptiens dans la Mer Rouge, au moment de la sortie d’Égypte. C’est donc un rejet total. C’est encore plus vrai pour la suite, quand Jésus évoque la main, le pied et l’œil ? qui peuvent devenir pour chacun une occasion de chute (ou de faire chuter les autres) : plutôt que la vie éternelle, c’est la Géhenne qui est promise, « là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ».
Cet enseignement mérite quelques explications. D’abord, concernant la Géhenne. C’est une abréviation de l’hébreu « Guei ben Hinnom », qui signifie « Vallée des Fils de Hinnom », laquelle est connue dans l’Ancien Testament pour être le lieu des sacrifices d’enfants au Moloch. C’est le lieu de l’idolâtrie et en même temps de la condamnation de l’idolâtrie : « là où le ver ne meurt pas, et où le feu ne s’éteint pas ». Il s’agit ici de la citation du tout dernier verset du livre d’Isaïe. Par le prophète Isaïe Dieu annonce d’un côté le Ciel nouveau et la Terre nouvelle, pour tous ceux qui aiment le Seigneur et le servent, et de l’autre, je cite : « au-dehors, on verra les dépouilles des hommes qui se sont révoltés contre moi : leur vermine ne mourra pas, leur feu ne s’éteindra pas : ils n’inspireront que répulsion à tout être de chair. » C’est l’enfer… Les damnés sont dévorés intérieurement par leur péché, et éternelle est la culpabilité qui les consume.

Pour les premiers chrétiens, ceux qui chutent par la main, le pied et l’œil, sont les injustes, les idolâtres et les fornicateurs, ceux qui font le mal et corrompent les familles, ceux qui ne pratiquent pas les œuvres de justice, ceux qui pervertissent la doctrine de la foi, pour laquelle Jésus a été crucifié, et qui ne gardent pas le sceau du baptême – c’est-à-dire la confession de foi. L’éventail est large, mais il est cohérent.
Plus simplement peut-être pouvons-nous comprendre que la main représente les actions, bonnes ou mauvaises ; le pied représente le désir des choses bonnes ou des choses mauvaises ; et les yeux – qui sont l’expression de l’âme – les pensées bonnes ou mauvaises. Ainsi, par ma pensée je me représente, je vois une plaque de chocolat. Si je n’y résiste pas, je m’empresse, je cours pour en chercher une dans la cuisine. Et si je me laisse emporter par ce désir, finalement je la prends… et je la mange ! On voit ici combien l’œil est plus important que la main ou le pied. Il initie et accompagne tout le mouvement. C’est pourquoi Jésus évoque à propos des yeux « le Royaume de Dieu », tandis qu’il dit seulement « la vie éternelle » pour le pied et la main. La racine du mal est dans le cœur de l’homme, dans ses pensées.
 
Alors, chers frères et sœurs, pour finir, devant la diversité des manières d’être chrétien, Jésus nous renvoie à la pureté de notre cœur, à la qualité de notre foi en lui, à notre disponibilité à l’œuvre de son Esprit Saint en nous. Être bienveillant avec les autres et exigeant pour soi-même, c’est peut-être ce qui est le plus difficile. Un repère universel cependant nous est donné : celui de la confession de foi de notre baptême. Elle est la clé du royaume des cieux : ne l’égarons pas, et surtout, qu’elle guide nos pensées !

dimanche 22 septembre 2024

21-22 septembre 2024 - FRESNE-SAINT-MAMES - VALAY - 25ème dimanche TO - Année B

 Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 ; Jc 3, 16 – 4, 3 ;  Mc 9, 30-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Dimanche dernier, nous avons entendu Jésus annoncer sa passion prochaine, sa mort et sa résurrection. Ce programme n’avait pas vraiment plu à saint Pierre qui s’était rebellé et Jésus avait dû le rembarrer publiquement. On comprend aujourd’hui pourquoi – tandis que Jésus renouvelle ses propos : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera » – cette fois-ci les disciples… « avaient peur de l’interroger ».
En réalité, le malentendu entre les gens et Jésus est profond, et même entre ses disciples et lui : « ils ne comprenaient pas ses paroles. » Pour eux, en effet, Jésus était le Christ, le Messie, envoyé et consacré par Dieu pour être le sauveur d’Israël, qui devait donc faire advenir le royaume du ciel sur la terre.
Et c’est la raison pour laquelle, les disciples discutent – ou plutôt se disputent – pour savoir lequel d’entre eux sera le plus grand dans le futur royaume de Jésus. Ils ne sont certes pas ni les premiers ni les derniers à vouloir faire partie d’un gouvernement ! Mais bon, autant tout à l’heure les disciples n’osaient pas questionner Jésus par peur, autant maintenant ils se taisent, par honte… Jésus va essayer de leur faire comprendre quelque chose.
 
Il doit répondre à leur deux inquiétudes : d’une part qu’il ne faut pas avoir peur, et d’autre part il faut expliquer qui est grand dans le royaume. Les deux choses vont ensemble. Jésus agit alors comme un prophète : il accomplit un signe tout en l’accompagnant d’une parole.
Le signe est celui de l’enfant. Si on lit cette phrase sans réfléchir : « Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit… » alors on ne comprend pas le signe. On voit que Jésus est attentionné et affectueux pour les enfants, et nous nous attendrissons d’avoir un bon pasteur bienveillant et protecteur pour les petits. On en déduit qu’il faut être fragiles et innocents comme des enfants pour être de bons disciples. C’est assez juste, mais si on en reste là, on manque la leçon de Jésus.
Pour comprendre, il faut s’arrêter sur chaque mot. Jésus prend un enfant : il le choisit ; il l’appelle. Ensuite, il le place au milieu des disciples. Quand on colle au texte grec ou hébreu sous-jacent, on doit lire que Jésus « se fait tenir debout » l’enfant, « entre eux », entre les disciples. Ce vocabulaire-là n’est pas du tout innocent : il désigne la pierre d’autel qu’on dresse – qu’on fait se tenir debout – sur laquelle on va offrir un sacrifice d’alliance « entre eux », par exemple entre Jacob et Dieu, sur la pierre dressée à Béthel. Et la suite est parfaitement cohérente. Notre évangile dit que Jésus « embrassa » l’enfant ; la traduction est aussi un peu neutralisée : en fait Jésus soit « regarda en lui » en syriaque – il le scrute, soit il « le prit dans ses bras » en grec, ce qui correspond plus à notre traduction. L’idée qui est derrière est la même : il y a une action de l’Esprit Saint, soit qui vient habiter dans l’enfant, soit qui vient l’envelopper, le protéger. Dans tous les cas, il s’agit d’une bénédiction, d’une onction. On sait qu’une onction d’huile sur une pierre pénètre aussi bien dans la pierre qu’elle ruisselle tout autour.
 
Donc, cet enfant, pour Jésus n’est pas n’importe quel enfant. C’est un enfant qu’il a mis debout – en langage chrétien, qui l’a ressuscité ; il en a fait un autel consacré à Dieu par l’Esprit Saint, au moyen duquel est conclue une alliance entre lui et ses disciples. Comprenez bien : cela veut dire que Jésus a établi une alliance nouvelle entre lui et les hommes, qui sont ses disciples, et que celui qui est ressuscité et qui a reçu l’onction de l’Esprit Saint en est le témoin. Une pierre d’autel est toujours une pierre de témoignage. Et le sacrifice qui sera offert à Dieu sur cet autel, c’est celui de Jésus lui-même.
Voilà pourquoi Jésus dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci » - « comme celui-ci », qui est très particulier puisque qu’il est témoin de l’alliance nouvelle – ce n’est pas n’importe quel enfant. C’est un baptisé ; c’est un chrétien.
Aussi bien on comprend ce propos : « Quiconque accueille en mon nom un baptisé, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » - c’est-à-dire le Père. C’est normal puis qu’il y a alliance entre le baptisé et le Père, par l’intermédiaire de Jésus.
 
Par conséquent, Jésus dit à ses disciples que, certes, sa passion, sa mort et sa résurrection se présentent comme un sacrifice qui fait peur. Mais il s’agit du sacrifice de la nouvelle alliance entre Dieu et l’humanité. Les disciples en seront les témoins : ils seront des pierres qui se tiendront debout, consacrées par l’Esprit Saint – comme cet enfant, qui est là au milieu d’eux et que Jésus a béni. Étant devenus les pierres d’autel de la nouvelle alliance, les Apôtres ne seront certainement pas dévalorisés dans le royaume des cieux : au contraire, ils sont les pierres de fondation de l’Église, parce qu’ils sont les pierres d’autel, les pierres du témoignage.
Ainsi nous comprenons, nous qui sommes baptisés et confirmés par le don de l’Esprit, que nous sommes aussi des pierres de témoignage de la nouvelle alliance. Il est certain que Dieu nous voit comme des pierres très précieuses et qu’il veut prendre de nous un soin tout particulier. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur, ni de savoir si on est ou sera petits ou grands. Grands, nous le sommes… avec humilité !

dimanche 15 septembre 2024

15 septembre 2024 - CHAMPLITTE - 4ème dimanche TO - Année B

Is 50, 5-9a ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile de Marc, il y a trois affirmations explicites de Jésus comme « Christ » ou « Messie ». La citation d’aujourd’hui est la seconde, ou plutôt celle du milieu : nous sommes au cœur de l’Évangile de Marc. De fait, il se produit un basculement pour Jésus et les Apôtres.
Jusqu’à présent Jésus était pris par les gens, tantôt comme un messie politique, un homme providentiel qui sauverait Israël de la tutelle des Romains et de l’emprise culturelle grecque ; tantôt comme un prophète d’autrefois – comme Jean-Baptiste ou Élie – homme de Dieu et guérisseur tout à la fois. Avec une pointe d’inquiétude cependant, car Jean-Baptiste annonçait la venue imminente du Royaume des cieux, et tout Israël attendait, et attend encore aujourd’hui, le retour d’Élie comme signe annonciateur de la venue de ce Royaume.
Mais Jésus n’est ni un messie comme l’attendaient les gens, ni un prophète, ni Élie lui-même : il est différent. Il pose la question à ses disciples : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui je suis ? » Je fais exprès ici de traduire exactement la formulation grecque, qui évoque immédiatement le Nom de Dieu : « Je suis celui qui suit. » Comme toujours, en mathématique, quand un problème est bien formulé, il s’y trouve toujours la solution. Je ne sais pas s’il était bon en maths, mais saint Pierre, bon pêcheur, attrape immédiatement le poisson et répond : « Tu es le Christ. » Même s’il ne sait pas exactement quel Christ ou quel Messie Jésus va être ni comment il va remplir sa mission, il sait qu’il l’est – et c’est le plus important. Sa réponse s’apparente à celle de la Vierge Marie à l’ange de l’Annonciation : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »
 
Après leur avoir expressément interdit de le dévoiler, Jésus peut donner à ses disciples et à eux seuls, le programme prévu : « Il commença à leur enseigner. » En fait, il s’agit d’un condensé des Écritures. En trois phrases, il y a trois références : « que le Fils de l’homme souffre beaucoup » - Isaïe chapitre 53 qui annonce le Serviteur soufrant pour la rédemption des hommes pécheurs : « Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira » ; ensuite « qu’il soit rejeté par les anciens, les prêtres et les scribes » - Psaume 117 : « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » - car Jésus est la pierre angulaire sur laquelle est bâtie l’Église, la nouvelle création ; et enfin : « qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite » - Osée chapitre 6 : « Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face. »
Il est donc très clair que le programme annoncé par Jésus, d’une part, est fait de souffrance – c’est sa Passion ; d’un jugement qui se retournera contre ses juges – c’est sa mort et sa résurrection ; et d’un renouveau autant pour lui-même que pour ses disciples – les apparitions et le don de l’Esprit saint, l’Esprit de Vie éternelle ; et d’autre part que ce programme est prophétisé par les Écritures : il est le programme caché, voilé, du Messie sauveur d’Israël et de toute l’humanité, que Jésus vient dévoiler et réaliser par lui-même.
 
Évidemment, le menu n’est pas tout à fait au goût de Pierre, qui s’attendait plutôt à la libération de Paris ou à un triomphe d’Empereur à Rome. Sa réaction est intéressante. Dans notre texte, nous avons un Pierre qui prend Jésus à part et lui passe un savon – pour être poli. Mais dans les vieilles versions syriaques de l’Évangile, Pierre au contraire a pitié de Jésus et prie que tout cela, cette Passion, ce jugement et cette mort, lui soient épargnés.
Cependant dans les deux cas, Jésus lui répond publiquement – car il sait bien que Pierre dit tout haut ce que les autres pensent tout bas : « Passe derrière moi, Satan ! » Cette exclamation n’est pas simple à traduire, car on peut penser que Jésus dit aussi : « va ! marche derrière moi, Satan ! », comme si d’un côté il rejetait Pierre violemment, et de l’autre il l’appelait à marcher à sa suite, à lui obéir. Peut-être est-ce en deux mots un appel à se convertir : renoncer au mal pour choisir le bien. C’est tout à fait possible.
Mais Jésus traite aussi saint Pierre de « Satan ». « Satan » est un verbe ou un mot hébreu qui signifient « attaquer, accuser » ou « adversaire, ennemi, accusateur ». On a le choix, mais on voit bien ce que Jésus veut dire : il reproche à Pierre de se faire la voix du tentateur, que ce soit par une opposition orgueilleuse au programme annoncé, soit par une pitié déplacée qui invite au découragement, au renoncement. Au contraire, Jésus ne s’oppose pas à la volonté du Père et ne se décourage pas devant l’épreuve : car il a foi. En réalité, ce que Jésus reproche au Satan, ici à Pierre, c’est de ne pas avoir la foi, de désobéir et de distiller la peur.
 
Ainsi, Jésus après avoir parlé à ses disciples, appelle maintenant la foule à marcher à sa suite et à renoncer à soi-même, c’est-à-dire justement à faire la volonté du Père, comme lui, en y mettant tout son courage, en se dépassant soi-même avec l’aide de l’Esprit Saint, comme lui.
Bien évidemment, l’épreuve annoncée pour Jésus est aussi celle de ses disciples – Pierre l’avait bien compris, intuitivement – mais ceux qui perdront leur vie à cause de Jésus seront sauvés par lui.
Ainsi, nous comprenons que si le programme du Messie nous fait un peu peur, il demeure cependant lui-même notre protecteur, pourvu que nous placions en lui notre foi, que nous obéissions à ses commandements et que nous ne nous abandonnions pas à la peur. Et nous pouvons dire, avec le papa de l’enfant malade, qui vient voir Jésus pour le guérir : « Seigneur, je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! »

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