dimanche 21 juillet 2024

20-21 juillet 2024 - ARGILLIERES - LA MADELEINE - 26ème dimanche TO - Année B

 Jr 23, 1-6 ; Ps 22 ; Ep 2, 13-18 ; Mc 6, 30-34
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, l’évangile de ce jour nous montre un Jésus attentionné pour ses pauvres apôtres, bien fatigués après leur première mission, et pour les foules de gens qui accourent auprès de lui pour trouver une écoute ou une guérison, une espérance. Nous avons donc ici l’image réconfortante et réjouissante du Bon Pasteur qui fait paître ses brebis sur de bons pâturages. C’est d’ailleurs ce que nous avons chanté dans le psaume. Et nous avons eu raison.
 
Cependant, l’histoire est en réalité un peu plus compliquée. En effet, contrairement à ce que dit notre traduction liturgique – qui a inventé un verset qui n’est pas dans l’évangile de Marc – les Apôtres rejoignent Jésus non pas parce qu’ils ont terminé leur première mission d’annonce du Royaume, mais parce que Jean-Baptiste vient tout juste d’être assassiné par le roi Hérode-Antipas. Or Jésus et Jean-Baptiste, son cousin, nous le savons, sont très liés : Jean-Baptiste a dés
igné Jésus comme Messie pour Israël et l’a baptisé au Jourdain, où il a reçu l’onction de l’Esprit Saint. Jésus et ses disciples sont donc en danger. C’est la vraie raison pour laquelle ils doivent partir dans un endroit désert.
Or ils ne vont pas dans n’importe quel désert : ils se rendent au-delà du Lac de Galilée, près de Bethsaïde, dans les ruines de l’ermitage de Jean-Baptiste. Ce lieu, situé au pied du Golan, ne dépend pas juridiquement du roi Hérode-Antipas, mais de son frère ennemi Philippe le Tétrarque, que défendait justement Jean-Baptiste. Donc Jésus et ses Apôtres, non seulement retournent aux sources en quelque sorte, mais surtout se mettent sous la protection du Tétrarque.
Cependant, les gens des villages alentour ont bien compris ce mouvement de Jésus : ils savent très bien où il va. Et donc, tous ces amis de Jean-Baptiste qui attendent le Messie d’Israël et qui savent que c’est Jésus, se précipitent au rendez-vous, qui ressemble à une sorte d’appel du 18 juin à se retrouver à Londres, de l’autre-côté de la mer. Et c’est bien le problème pour Jésus : il y a une grosse incompréhension entre lui et les gens : il ne vient pas pour instaurer ou restaurer un royaume terrestre, mais il vient annoncer et inaugurer le Règne de Dieu par le don de l’Esprit Saint. Et c’est très différent. Jésus n’est pas De Gaulle !
 
Mais alors, que veut vraiment nous dire l’évangile d’aujourd’hui ? Pour comprendre, il faut revenir au plus près du texte ancien, du grec, et même de sentir l’araméen sous-jacent. C’est mon travail de vous aider à voir cela. On peut comprendre ce qu’a voulu dire saint Marc en pesant les mots qu’il a utilisés.
En premier lieu, les Apôtres rejoignent Jésus pour lui annoncer la mort de Jean et font le bilan de leur première mission. Il y a effervescence autour de Jésus, au point qu’il ne peut pas se retrouver tranquillement avec ses disciples : il y a du monde, il y a des yeux et des oreilles partout. Jésus leur parle alors de partir à l’écart pour se reposer un peu. Mais le repos dont il est question annonce celui du Règne de Dieu, c’est le repos du shabbat, celui de la grande paix de Dieu.
Justement, ils quittent le lieu où ils se trouvent oppressés en passant par la mer. Ils partent en barque, passant en quelque sorte sur les eaux. Ce point est important, car les gens qui les voient partir se mettent eux aussi à partir, en hâte, en courant à pied en passant par la terre. Là, les mots employés par saint Marc sont très importants, car ce sont les mots du passage de la Mer Rouge. De l’Égypte, où ils étaient oppressés, les Hébreux, suivant la colonne de nuée qui les précédait, ouvrant un passage dans la mer, la suivent à la hâte, en marchant à pied sur la terre libérée par les eaux. Très clairement saint Marc a voulu nous faire comprendre que quittant Capharnaüm pour aller à Bethsaïde, Jésus a reproduit la sortie d’Égypte. Et c’est pourquoi, arrivé dans le désert, il va enseigner la foule comme Moïse a reçu la Loi, et il va multiplier les pains (on le verra dimanche prochain) comme le peuple sera nourri à satiété par le don de la manne – le pain qui vient du ciel.
 
Alors seulement maintenant nous pouvons comprendre l’Évangile. L’assassinat de Jean-Baptiste déclenche la véritable mission publique de Jésus : c’est bien lui le Messie. Et maintenant que Jean est mort, tous les yeux se tournent vers Jésus : que va-t-il faire ? Est-ce le signal de la révolte, de la libération d’Israël ? Mais Jésus n’est pas un Messie politique, terrestre : il est le Messie du Règne de Dieu. Et c’est pourquoi saint Marc insiste sur le fait que pour comprendre Jésus, pour le suivre sur son véritable chemin, il faut partir avec lui comme dans un nouvel Exode, pour recevoir de lui la Loi nouvelle et le culte nouveau, pour devenir avec Jésus et grâce à lui, le véritable peuple de Dieu.
Et c’est bien ce que nous faisons chaque dimanche, lorsque nous quittons nos villages pour nous retrouver à l’église comme à l’ermitage de Jean-Baptiste au-delà de la Mer de Galilée, pour y entendre l’enseignement de Jésus et recevoir de lui le véritable Pain du ciel, l’Eucharistie, dont nous avons besoin pour marcher, avec courage et avec joie, jusqu’au royaume des Cieux.

dimanche 14 juillet 2024

14 juillet 2024 - GRAY - 15ème dimanche TO - Année B

 Am 7, 12-15 ; Ps 84 ; Ep 1,3-14 ; Mc 6,7-13
 
Chers frères et sœurs,
 
Dimanche dernier, nous avons vu la prédication de Jésus échouer à Nazareth, ce qui l’a contraint à commencer à prêcher dans les villages alentour. Mais, assez vite, face à l’attente des gens, Jésus a pensé à démultiplier l’annonce du Règne de Dieu en missionnant les Apôtres pour enseigner et agir en son nom. Nous venons d’entendre les consignes qu’il leur a données.
 
Il est intéressant, en première lecture, de voir que la mission n’est pas seulement un enseignement ; elle est aussi une œuvre de guérison et d’exorcisme. Jésus a donné à ses Apôtres autorité sur les esprits impurs. La mission est aussi un combat spirituel – et même d’abord un combat spirituel, puisque l’autorité sur les esprits impurs est mentionnée dès qu’il est question de la mission. Ainsi, prière, enseignement et œuvres de miséricorde sont inséparables, mais d’abord et avant tout fondés sur la prière.
Jésus prescrit à ses Apôtres de voyager léger : « ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. » Ils peuvent mettre des sandales, mais il est inutile de prendre une tunique de rechange. Bref, le mot d’ordre est celui de la pauvreté, de la remise de sa subsistance à la Providence.
En réalité, l’enjeu est ici spirituel. Nous savons avec l’histoire du jeune homme riche, qu’il n’est pas possible de suivre Jésus lorsqu’on est encombré de richesses, mais qu’il faut se faire pauvre, libre de toute attache terrestre, pour se donner entièrement au Règne de Dieu. Nous touchons ici à la radicalité évangélique.
Tous ne sont pas appelés à cette radicalité, mais il est nécessaire quand on est appelé à suivre Jésus plus particulièrement, d’épouser cette radicalité. Elle devient du coup un signe d’authenticité. Et de fait, il n’y a pas à aller chercher très loin des signes que le Seigneur pourvoit largement aux besoins de ceux qui ont tout quitté pour le suivre, à son appel. Même s’ils n’en sont pas dignes.
 
Lorsqu’on a évoqué les notes de la mission, prière, enseignement, œuvres de miséricorde, et l’esprit dans lequel cette mission doit être menée, l’esprit de pauvreté, avons-nous tout dit de ce que nous apprend saint Marc ? Je ne crois pas. En effet, comme vous le savez les évangiles de Matthieu, Marc et Luc sont assez comparables et l’on retrouve chez les uns et les autres un peu les mêmes histoires. Et justement, notre évangile de ce jour se trouve aussi chez Matthieu et Luc. Mais un peu différemment. Je note deux différences parmi d’autres :
 
La première concerne le bâton. Dans saint Marc, Jésus demande de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton. Mais dans saint Luc et saint Matthieu, le bâton fait partie des objets précisément interdits… Voilà qui est curieux, mais la chose est intéressante. En réalité, en araméen, il y a deux mots pour dire « bâton » : un mot où le bâton est plutôt un sceptre, un symbole de gouvernement ; et un autre mot où le bâton est plutôt un gourdin, voire une arme, pour châtier. Dans l’évangile de Marc, Jésus demande aux Apôtres de prendre le bâton de gouvernement, mais dans Luc et Matthieu, il leur interdit de prendre un bâton qui soit pour eux une arme.
Saint Éphrem, qui connaissait l’araméen, a fait exactement cette exégèse, je le cite : « Il dit encore la houlette, en marque de commandement et comme signe d’humilité. Pas de bâton, car ils ne partaient pas, comme Moïse, pour paître un troupeau en révolte. Celui-ci, lorsque le troupeau s’emporta contre son pasteur, abandonna le bâton et prit le glaive. Mais ici, le troupeau vivant en paix, le bâton fut abandonné et la houlette adoptée. »
Nous voyons aujourd’hui, que nos évêques ont comme signe de leur mission une crosse, qui est une houlette, pour gouverner, et non pas un bâton pour frapper.
 
La seconde différence se fait également entre Marc d’un côté, Matthieu et Luc de l’autre. Il s’agit de l’envoi des disciples « deux par deux ». À vrai dire, Luc ne mentionne pas cette disposition pour l’envoi des apôtres, mais il le fait pour l’envoi des soixante-douze disciples, un peu plus tard. Pour comprendre cette prescription de Jésus, il faut savoir que dans une synagogue, quand on lit la Loi de Moïse, on la lit en hébreu. Mais la plupart des gens ne comprennent pas ou plus cette langue. Alors phrase par phrase, on traduit aussitôt dans la langue des auditeurs. Et du coup il faut être deux : le lecteur et le traducteur.
Mais c’est vrai aussi pour l’annonce de l’Évangile : il y a celui qui connaît l’évangile par cœur et qui va réciter, et celui qui va le traduire aussitôt dans la langue des auditeurs. Il y a tout lieu de penser que saint Ferréol ne parlait que grec ou latin et ne connaissait l’évangile qu’en grec, voire en araméen, par cœur. Mais quand il fallait prêcher aux Francs-comtois, à chaque phrase ou à chaque paragraphe, saint Ferjeux traduisait en patois !
Pour saint Matthieu, la prédication évangélique ne se faisait essentiellement qu’aux Juifs, par conséquent la traduction n’était pas nécessaire : on restait dans le même milieu. Mais pour Marc et pour Luc, au moment de s’adresser à toutes les nations, la traduction est devenue indispensable.
Autrement dit, si aujourd’hui nous voulons prêcher l’Évangile à des personnes nouvelles, il faut nous adjoindre quelqu’un qui fasse déjà partie de leur monde, pour traduire l’évangile dans leur langue. Cette réflexion vaut aussi pour la catéchèse : il n’y a rien de plus précieux qu’un enfant qui peut expliquer à ses camarades ce qu’il a compris, avec leurs mots d’enfant. Alors ils peuvent comprendre.
C’est la leçon vécue à Jérusalem quand au retour d’Exil, Esdras fit lire et traduire en même temps le livre de la Loi de Moïse à tout le peuple, pour qu’il la comprenne et puisse la mettre en pratique, pour vivre saintement et être sauvés. Et nous, notre Loi, c’est Jésus lui-même.

dimanche 7 juillet 2024

06-07 juillet 2024 - MERCEY-SUR-SAÔNE - MONT-lès-ETRELLES - 14ème dimanche TO - Année B

 Ez 2, 2-5 ; Ps 122 ; 2Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6
 
Chers frères et sœurs,
 
La question centrale de l’évangile que nous venons d’entendre est celle de l’origine de Jésus, de sa véritable identité. Et par conséquent, pour nous qui sommes ses frères et sœurs par l’Esprit Saint, la question de notre propre identité, l’identité de l’Église dans le monde.
 
Le texte de saint Marc est construit très méthodiquement, en miroir. Ainsi, au début Jésus enseigne à la synagogue de Nazareth, et à la fin, il enseigne dans les villages alentour. Dans la synagogue les nazaréens sont étonnés de la sagesse de Jésus. En quittant la synagogue, Jésus est étonné de leur manque de foi. Ce qui frappait les nazaréens, outre sa sagesse, était sa capacité à faire des miracles. Mais justement, en raison de leur manque de foi, il ne pouvait pas en faire pour eux. Ce qui motivait le doute des nazaréens était qu’il connaissaient Jésus comme un des leurs, de leur clan familial. Or Jésus leur a répondu qu’un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté, sa maison. Et au cœur de tout cela, comme en pointe : « Ils étaient profondément choqués à son sujet », en grec : « scandalisés », ce qui signifie très exactement que Jésus était pour eux un « piège », comme un filet est un piège pour les poissons.
Jésus est un « scandale », un « piège », car il a une double origine. Une origine charnelle, humaine, visible, qui lui vient de sa mère Marie et de son adoption par Joseph. C’est cette origine que connaissent les nazaréens. Et une autre origine spirituelle, divine, invisible qui lui vient de notre Père qui est aux cieux. Cette origine fait de lui un prophète, rempli de sagesse – c’est-à-dire d’Esprit Saint – qui lui donne la puissance d’opérer des miracles. Or, pour les nazaréens – comme pour n’importe quel être humain – comment comprendre que Jésus est en même temps homme et Dieu ? Et c’est justement ce qui les choque profondément, qui les « piège ». Mais comme ils refusent de croire, ils le rejettent.
 
Maintenant, frères et sœurs, puisque nous sommes faits fils et filles de Dieu par notre baptême, membres du Corps du Christ par l’Esprit Saint, quelle est notre origine, l’origine de l’Église ?
Si pour répondre à cette question nous raisonnons comme les nazaréens ou comme n’importe quel être humain, alors l’Église n’a qu’une origine humaine : elle est une religion fondée par un certain Jésus de Nazareth dont les Apôtres étaient les disciples, qui ont transmis son enseignement et quelques rites assez anciens qui ont évolué avec le temps. D’un point de vue sociologique, c’est une association religieuse qui a plutôt bien résisté, au moins jusqu’à présent.
Mais si on adopte le point de vue de l’Évangile, alors l’Église est aussi l’expression d’une vie qui vient de l’Esprit Saint : une sagesse sur Dieu et sur l’homme, des actes étonnants que l’on peut assimiler à des miracles, une mission prophétique qui rend la Parole de Dieu présente et agissante maintenant dans le monde. Mais c’est bien cela : l’Église ne cesse de transmettre l’Évangile et, par sa liturgie – c’est-à-dire les actes miraculeux qui font d’un homme un fils de Dieu, d’un pécheur un saint, du pain et du vin, le Corps et le Sang de Jésus – elle se comporte comme un prophète dans le monde et y rend Dieu présent et agissant.
Or nous l’avons entendu : « un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Certains veulent rendre l’Église crédible ou acceptable dans le monde. Mais si c’est au prix d’y perdre son identité prophétique, elle se condamne à n’être plus un « scandale », un piège, c’est-à-dire le filet qui doit ramener les poissons pris dans le monde pour être ramené dans le Royaume des cieux. Une telle Église perdrait son identité ; elle manquerait à sa mission essentielle.
Le Christ Jésus a accepté la contradiction, le rejet, la croix, par fidélité à son Père, pour nous sauver. Et nous, nous voudrions y renoncer ? Mais pour quel bénéfice, et au profit de qui ? Personne ! L’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle notre filiation divine et nous appelle à en vivre pour « scandaliser » les hommes de ce temps, c’est-à-dire les piéger dans le filet de l’Esprit Saint, pour les ramener à la maison, dans l’amour, la joie et la lumière de Dieu.
 
Je voudrais terminer par la mention des « frères de Jésus », qui sont cités : Jacques, José, Jude et Simon. Autant qu’on puisse en juger, les quatre sont des Apôtres de Jésus : ils font partie des Douze. Saint Joseph avait un frère du nom de Cléophas, celui qui marchait vers Emmaüs le soir de Pâques. Sa femme Marie était la sœur de la Vierge Marie, et se trouvait avec elle au pied de la croix. Cléophas et Marie avaient trois enfants : Simon et Jude, et une fille, Marie. Cette troisième Marie, qui était aussi au pied de la croix, a épousé Alphée, un prêtre, duquel elle a eu Jacques et José. Jacques est devenu le premier évêque de Jérusalem. Simon lui a succédé, puis un autre Jude, le fils de Jacques, a pris la suite.
Si donc Cléophas et Marie, l’oncle et la tante de Jésus, Jude, Simon et Marie ses cousins, et Jacques et José ses petits cousins étaient tous ses disciples, dont certains sont morts martyrs, c’est donc que sa famille humaine ne l’a pas rejeté en bloc, bien au contraire. Mais celle qui l’a rejetée – au moins en partie – c’était sa famille spirituelle, celle qui aurait dû l’accueillir à bras ouvert : la maison d’Israël. C’est pour nous une leçon, nous qui sommes spirituellement la famille de Jésus : si il venait ici maintenant, saurions-nous le recevoir avec joie comme notre Dieu ? « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! »

dimanche 30 juin 2024

30 juin 2024 - VALAY - 13ème dimanche TO - Année B

 Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Ps 29 ; 2Co 8, 7.9.13-15 ; Mc 5, 21-43
 
Chers frères et sœurs,
 
Aujourd’hui Jésus guérit une femme adulte et une jeune fille. La première est malade depuis douze ans, et la seconde, qui est en train de mourir, est âgée de douze ans. Évidemment ce n’est pas un hasard.
 
Que se passe-t-il pour la première ? Elle a un écoulement de sang : depuis douze ans sa vie se disperse et elle s’épuise. La femme dilapide sa fortune en essayant tous les médecins et tous les médicaments possibles, sans arriver à rien et même en abîmant encore plus sa santé. Et aux yeux de tous, sa maladie la rend impure : elle est considérée comme une pestiférée. Selon la Loi de Moïse, nul n’a le droit de l’approcher, et encore moins de la toucher.
Mais sa maladie n’est pas seulement physique, elle est surtout l’effet d’une maladie cachée, qui est en fait sa vraie maladie. Jésus nous la révèle quand il lui dit : « sois guérie de ton mal. » Ici, il emploie un mot qui se trouve au Livre de l’Exode où il est question des fléaux de Dieu contre les serviteurs de Pharaon, parce qu’ils ne reconnaissent pas Dieu comme le seul vrai Dieu. En réalité, le vrai mal de cette femme est que, depuis douze ans, elle est infidèle à Dieu, elle n’a plus foi en Dieu. Du coup, pour compenser, elle se disperse, elle se distraie, se crée des tas d’idoles, et se perd davantage : de plus en plus elle perd sa force spirituelle, sa vie spirituelle qui est l’amour de Dieu, et elle s’enfonce dans la mort. Et c’est bien pourquoi son geste, en même temps très délicat et très osé – toucher du bout du doigt le vêtement de Jésus – est le signe qu’elle n’en pouvait vraiment plus et qu’elle lui demandait, sans oser le lui dire ouvertement, de la sauver. Or cela, c’est la foi, peut-être sa dernière étincelle de foi, mais Jésus l’a bien perçue : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Il est remarquable que Jésus ait perçu le cri silencieux de cette femme à travers son propre corps. En effet, dès qu’elle a touché son vêtement, Jésus s’est rendu compte – en grec a « reconnu » – qu’une force était sortie de lui. Et la femme de même, a « ressenti » – en grec a « connu » – dans son propre corps qu’elle était guérie. Or le verbe « connaître », chez saint Jean notamment, renvoie directement à la rencontre charnelle d’un homme et d’une femme quand ils s’aiment. Il faut comprendre ici que la puissance de vie et d’amour de Dieu est telle que, quand il guérit, il donne en même temps la vie : il crée une vie nouvelle, qui est en même temps une communion d’amour avec lui. C’est la puissance de l’Esprit Saint. C’est très intime et très fort en même temps. C’est déjà la puissance de la résurrection. Et c’est ce qui est arrivé entre la femme et Jésus.
Il est évident que celui qui prie Jésus avec l’intensité de cette femme, avec la foi du désespoir en quelque sorte, mais avec la volonté de vivre : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée » dit-elle, sa prière sera entendue… « au bout de douze ans », c’est-à-dire exactement quand l’heure de Dieu sera venue.
 
Maintenant que se passe-t-il pour la jeune fille ? Ce n’est pas elle qui prie cette fois-ci, c’est son papa. Il est le chef de la synagogue – et il tombe aux pieds de Jésus. C’est très impressionnant de voir cet homme très en vue dans le village, c’est un notable, être aussi ému et angoissé pour sa fille. Il n’hésite pas, devant tout le monde, à prier Jésus pour elle.
Pour Jésus la situation est devenue un calvaire. En effet, saint Marc fait plusieurs fois allusion à sa Passion : la foule l’écrase – comme on broie du blé pour en faire de la farine, comme on presse du raisin pour en faire du vin. On se moque de lui quand il dit que l’enfant dort, comme on s’est moqué aussi de lui quand il a été mis en croix : « toi qui en as sauvé d’autres, sauve-toi toi-même ! » En fait, en allant chercher la petite fille, Jésus est très angoissé car il est entré en communion avec elle : avec elle et pour elle, il va dans les ténèbres de la mort, mais pour la ramener des ténèbres à la lumière de la vie.
Il dit à son père : « Ne crains pas » or il n’y a que Dieu ou l’Ange de Dieu qui peut dire cela à un homme. Il prend la main de la jeune fille – or la main de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Et il dit à la jeune fille : « Talitha koum » : « lève-toi », c’est-à-dire : « ressuscite ! ». Il faut bien comprendre ici que c’est Dieu qui parle, avec la puissance de l’Esprit Saint, plus forte que la mort. Et c’est pourquoi tous les assistants à cette scène sont frappés d’une « grande stupeur » – c’est-à-dire qu’ils sont tellement impressionnés qu’ils ont même un peu peur. Car Dieu seul peut faire ce qu’a fait Jésus.
La jeune fille se met à marcher – saint Marc précise alors qu’elle a douze ans – et Jésus demande à ses parents de lui donner à manger. Pour les juifs comme pour les premiers chrétiens, le sens est évident : la jeune fille se met à marcher à la suite de Jésus, en suivant les commandements de Dieu, de l’amour de Dieu et du prochain. Elle a douze ans, c’est-à-dire qu’elle est devenue majeure – adulte dans sa foi. Elle n’a plus besoin qu’on lui dise d’aller au caté ou à la messe, comme une gamine, elle a décidé qu’elle était suffisamment grande pour y aller d’elle-même. Parce qu’elle sait que Jésus est la source de sa vie. Et c’est pourquoi elle a faim : faim de la Parole de Dieu, de la vie de Jésus, de son Esprit : elle a besoin de communier pour vivre. Elle avait douze ans, parce que comme la femme de tout à l’heure, l’heure de Dieu était aussi arrivée pour elle.
 
Douze ans, cela arrive qu’on ait 7 ou 77 ans. L’essentiel est de savoir qu’en dehors de Jésus et de la puissance de son Esprit Saint, il n’y a pas de vie véritable. Mais quand on aime Dieu, alors on est en communion avec lui, dans son amour, pour la vie éternelle.
 

dimanche 23 juin 2024

22-23 juin 2024 - BETONCOURT-LES-MENETRIERS - LE PONT DE PLANCHES - 12ème dimanche TO - Année B

Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 ; 2Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes impressionnés par cet épisode de la tempête apaisée. Certainement que, lorsque cet événement est arrivé, sur le lac de Tibériade, les disciples ont vraiment eu peur, et ont été vraiment impressionnés. Mais, à l’époque, ils ne pouvaient pas comprendre que c’était une prophétie de la mort et de la résurrection de Jésus. En effet, si l’on comprend qu’il faut lire ces deux événements en parallèle, ou plutôt en les superposant, alors tout s’éclaire dans notre évangile de ce dimanche. Suivons le texte pas à pas.
 
« Ce jour, là, le soir venu », c’est le jeudi saint, où Jésus annonce à ses disciples que son Heure est venue : « Passons sur l’autre rive » - dans le texte araméen, il est écrit précisément : « Passons vers au-delà. »

Les disciples emmènent Jésus « comme il était », dans la barque. La mention « comme il était » est bien curieuse ; mais on la retrouve au second livre des Rois : « Au crépuscule, les Araméens s’étaient mis en route et avaient pris la fuite, abandonnant leurs tentes, leurs chevaux et leurs ânes, en un mot, le camp tel qu’il était ; ils s’étaient enfuis pour sauver leur vie. » Si saint Marc l’a bien fait exprès, il dit entre les lignes, de manière voilée, que ce n’est pas tant les disciples qui emmenèrent Jésus « tel qu’il était » mais plutôt qu’eux-mêmes l’abandonnèrent « tel qu’il était », entre les mains des soldats du Temple, pour sauver leur vie.

D’ailleurs, survint une « violente tempête ». Et comment ! Il s’agit du jugement, de la Passion et de la mort de Jésus sur la Croix. Et la barque des disciples se remplissait d’eau : la mer, pour les Hébreux, c’est la mort. La mort gagnait sur eux. Et nous savons combien ils avaient peur, terrorisés, enfermés au Cénacle après la mort de Jésus. C’est bien ce que saint Marc nous dit : « Jésus dormait » - il était mort ; reposant « sur le coussin », ou plutôt la couche, sur la pierre du tombeau.

Le cœur des disciples crie : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Souvenez-vous de cette interpellation, nous l’avons entendue ailleurs ; on croirait entendre Marthe : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Ces deux sœurs avaient interpellé Jésus avec la même parole : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » C’était à propos de la mort de Lazare. Jésus avait été bouleversé aux entrailles et il avait ressuscité Lazare.

Justement, dans la barque, Jésus est maintenant « réveillé » - en langage chrétien : il est ressuscité. Il interpelle le vent et la mer. Au premier il dit « silence ! » La traduction est ici la version la plus soft qu’on puisse trouver. Un exégète a noté que l’expression employée par Jésus est – je cite – « sans doute une locution énergique populaire »… à la seconde, il dit « tais-toi ! », c’est-à-dire qu’il la muselle, comme il a muselé les démons à d’autres occasions. Jésus est plus puissant que la mort et les enfers. C’est pourquoi « il se fait un grand calme ». Ici, saint Marc fait référence à la Genèse. En araméen, ce « calme » correspond au repos du Seigneur, au septième jour de la Création, repos du Shabbat, et le même que celui qui se fit à la fin du Déluge, quand l’arche de Noé se posa enfin sur le Mont Ararat. À travers ce « calme » saint Marc fait allusion à la présence nouvelle de Jésus ressuscité, premier-né d’entre les morts, nouvel Adam, nouveau Noé, dont l’Église est l’Arche.

Et ce sont bien les mêmes paroles que Jésus dit à ses disciples au moment de sa première apparition : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » ; « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! »

Voilà pourquoi, en présence de Jésus disant ces paroles les disciples – qui avaient peur – maintenant sont « saisis d’une grande crainte ». Il s’agit ici d’une terreur sacrée, que les hommes n’éprouvent qu’en présence de Dieu, en présence de l’Ange du Seigneur – ici Jésus ressuscité.

Et vient la question finale : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » La réponse est dans le psaume, que saint Marc a également utilisé en filigrane, et que nous avons lu : « Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur, et lui les a tirés de la détresse, réduisant la tempête au silence, faisant taire les vagues. » Celui qui réduit la tempête au silence et fait taire les vagues, c’est le Seigneur et c’est Jésus : c’est le même. La réponse à la question des disciples est : « Jésus est Dieu, qui était mort et est ressuscité, et qui a pouvoir sur la mort et sur les démons. »
 
On terminera en revenant sur la parole de Jésus : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, ni le scepticisme, c’est la peur… Lorsque nous sommes confrontés à l’adversité, à l’inconnu, nous sommes tentés par la peur. Mais Jésus nous dit : « N’ayez pas peur, c’est bien moi » ; « Je suis là. »

dimanche 16 juin 2024

16 juin 2024 - GRAY - 11ème dimanche TO - Année B

Ez 17, 22-24 ; Ps 91 ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4, 26-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Alors que nous traversons des temps troublés, l’enseignement de Jésus est de nature à nous rassurer, à nous apporter la paix dont nous avons besoin, et dont le monde a besoin autour de nous. En effet, le règne dont parle Jésus est l’œuvre de l’Esprit Saint, œuvre tout aussi invisible qu’efficace, puisque, au bout du compte, l’Esprit arrive à ses fins : la semence devenue du blé est moissonnée, signe d’abondance, ou bien elle a suffisamment grandi pour devenir un abri pour les oiseaux du ciel. L’Esprit saint travaille donc avec certitude à notre vie et à notre protection. Tout le monde peut comprendre cela.
 
Mais nous voyons aussi qu’il existe un enseignement mystérieux, voilé, dont la compréhension est réservée aux seuls disciples de Jésus. Nous aimerions bien en savoir un peu plus, n’est-ce pas ? Pour nous justement, qui sommes des disciples, nous pouvons entrer dans cette compréhension comme Jésus nous a appris à le faire, c’est-à-dire à la lumière des Écritures – de l’Ancien Testament, et de sa vie même – l’Évangile.
 
Mais saint Marc qui rapporte les paroles de Jésus, sait bien que nous ne pouvons pas comprendre les paraboles s’il ne nous donne pas aussi quelques indications. Celles-ci sont semées dans le texte, comme des informations anodines, mais qui pourtant nous en donnent la clé.
Par exemple, le règne de Dieu, comme la semence, grandit « il ne sait comment ». Immédiatement cette remarque doit nous rappeler cette phrase de Jésus à Nicodème : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » C’est pourquoi j’ai dit précédemment que le règne de Dieu était l’œuvre de l’Esprit Saint, qui donne vie, ordonne et conduit toute chose à sa fin.
Autre exemple, « D’elle-même » la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, etc… Or dans l’Écriture, quand la terre produit seule son fruit, « d’elle-même », c’est qu’il s’agit d’une année sabbatique, une année de grâce offerte par le Seigneur. Jésus nous indique ainsi que la croissance du règne de Dieu est un effet de sa grâce, une œuvre de Dieu, qui saisit tout la création et l’homme, presque malgré eux.
Il n’aura pas échappé aux disciples de Jésus que la Loi de Moïse interdit aux hommes de moissonner durant une année sabbatique, pourtant c’est bien ce que fait l’homme de la parabole, avec sa faucille. C’est donc que cet homme est Dieu lui-même.
Mais la mention de la « faucille » renvoie directement à une prophétie du Livre de Joël, qui sera reprise dans le Livre de l’Apocalypse : « Lance ta faucille et moissonne : elle est venue, l’heure de la moisson ». Le simple usage du mot « faucille » annonce donc que l’Heure du jugement est venue, c’est-à-dire de la disparition du monde ancien et de la naissance du monde nouveau : le règne caché jusqu’alors apparaît au grand jour, dans la gloire.
Cependant – et saint Irénée de Lyon l’interprète bien ainsi – si la faucille est synonyme de mort, annonçant la Passion de Jésus et aussi la nôtre qui marchons à sa suite, la moisson est faite en revanche pour l’offrande du pain eucharistique, l’ascension de Jésus ressuscité au ciel, le sacrifice d’Action de grâce par excellence. Ainsi, l’œuvre de l’Esprit qui donne vie au monde, fait fructifier celui-ci en abondance, revient et présente blé et raisins, pain et vin, Jésus ressuscité et toute l’Église qui lui est unie, au Père, pour sa joie.
En définitive, par petites touches impressionnistes, Jésus nous enseigne le secret de sa mission : étendre le règne de Dieu dans le monde comme un filet de pêche est lancé dans la mer, pour en ramener une multitude de poissons.
 
La seconde parabole commence par une allusion au Livre du prophète Isaïe, où l’expression suivante revient de manière similaire à plusieurs reprises : « À qui pourriez-vous comparer Dieu, quelle forme lui donneriez-vous ? » Cette simple mention rappelle immédiatement aux disciples cette autre parole de Dieu qui se lit aussi en Isaïe : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins ». Le règne de Dieu est pour nous totalement nouveau, et au stade où nous sommes, parfaitement incompréhensible.
Alors Jésus prend l’image de la graine de moutarde qui devient une plante si grande que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre, rappel direct – nous l’avons entendue en première lecture – de la prophétie d’Ézéchiel : « elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. » Elle, c’est-à-dire la tige prise au sommet du grand cèdre, plantée sur la haute montagne d’Israël. Elle, c’est-à-dire Jésus, fils de David roi d’Israël, planté en croix à Jérusalem, les bras étendus.
C’est dans le prolongement de cette croix vivifiante que se développe l’Église de la terre et du ciel, le Corps glorieux du Christ, à l’ombre duquel tant et tant de pécheurs ont pu, peuvent et pourront toujours trouver le réconfort, la guérison et l’abri, la vie éternelle, la lumière et la paix dont ils ont tant besoin. La Demeure de Dieu.
 
En définitive, puisque Jésus nous enseigne le règne de Dieu par deux paraboles complémentaires, on comprendra que l’offrande eucharistique conduit à cette vie éternelle, et que cette eucharistie en est déjà la réalité vivifiante offerte pour nous aujourd’hui.  

dimanche 2 juin 2024

02 juin 2024 - CHAMPLITTE - Solennité du Saint-Sacrement - Année B

 Ex 24, 3-8 ; Ps 115 ; He 9, 11-15 ; Mc 14, 12-16.22-26
 
Chers frères et sœurs,
 
Pour entrer dans la compréhension des lectures et de l’Évangile que nous avons entendus, la première chose à considérer est qu’il y a deux mondes : d’un côté notre monde, le monde des hommes, la création, qui est limité, marqué par le péché et par la mort, que l’on appellera « la terre » – et de l’autre le monde de Dieu, que Jésus appelle le Royaume des Cieux, auquel nous sommes appelés pour une vie éternelle, dans la paix, la joie et la lumière, que l’on appellera « le ciel ». Il y donc la terre et le ciel. Or, il n’est possible de passer de la terre au ciel qu’en faisant une offrande à Dieu, le Roi du ciel. Et si le Roi accepte l’offrande qu’on lui présente, alors il donne sa bénédiction et nous pouvons entrer dans le ciel pour être en communion avec lui.
 
C’est pour enseigner cela au peuple d’Israël – la séparation du ciel et de la terre, et l’offrande pour avoir accès au ciel – que Dieu a donné ordre à Moïse d’établir le Temple et le rituel du Temple.
Ainsi le Temple était séparé entre l’esplanade et le Temple lui-même, et encore dans le Temple, il y avait une séparation entre une première zone réservée aux lévites, et derrière un rideau, le Saint-des-Saints où se trouvait la Présence de Dieu, où seul le Grand Prêtre entrait une fois par an, pour la célébration du Grand Pardon. Il y avait donc une séparation entre la terre (l’esplanade) et le ciel (le Saint-des-Saints), avec une zone intermédiaire réservée à ceux qui étaient consacrés à Dieu.
Et le rituel du Temple était essentiellement un geste d’offrande. Nous voyons dans le livre de l’Exode le sacrifice et l’offrande des taureaux, pour que l’alliance des hommes avec Dieu soit agréée par Dieu. Pour indiquer que cette offrande était effectivement agréée, on aspergeait d’un côté l’autel et de l’autre le peuple lui-même. Cette aspersion était le signe de la bénédiction de Dieu, le signe de la communion avec lui.
 
La Lettre aux Hébreux nous explique que Jésus lui-même a accompli ce rite à notre bénéfice, mais à une tout autre dimension. Avec Jésus, nous sommes dans la réalité tout entière : pour que nous les hommes, et la création avec nous, à laquelle nous appartenons – c’est-à-dire la terre – nous puissions accéder au Ciel, au Règne de Dieu, à la nouvelle alliance, pour y être renouvelés, alors il faut un sacrifice spécial et une offrande particulière. Ce sacrifice, c’est celui de Jésus sur la croix, et l’offrande c’est celle qu’il fait de lui-même dans sa chair ressuscitée à l’Ascension, justement, quand il passe de la terre au Ciel. Le sang que Jésus présente à Dieu son Père, c’est son propre sang, et c’est aussi l’Esprit Saint, son Esprit. Or le signe que le Père a agréé l’offrande de Jésus, c’est qu’il répand le même sang, le même Esprit Saint, sur les disciples, à la Pentecôte. Et c’est pourquoi la Pentecôte est une nouvelle alliance, scellée dans le sang de Jésus. C’est la bénédiction de Dieu, la communion avec lui dans le monde nouveau. L’Église est la manifestation de ce monde nouveau.
 
On pourrait donc dire que Jésus a accompli le rituel du Temple, en grand. Mais ce n’est pas exactement ainsi qu’il faut voir les choses. Jésus n’a pas été obligé de se conformer à une Loi préétablie, puisqu’il est lui-même celui qui a énoncé cette Loi. Le rituel du Temple a été indiqué par Dieu à Moïse parce que c’est par la Croix de Jésus et l’offrande de lui-même, que l’humanité est sauvée. Le rituel du Temple est une anticipation, une préparation, au geste réel, total, définitif et unique accompli par Jésus. C’est important d’avoir vu cela pour comprendre maintenant ce que fait Jésus au Cénacle avec ses Apôtres, et nous après eux, lors de chaque messe.
 
Dans l’Évangile, Jésus commence par distinguer entre la terre et le Ciel. Il fait du Cénacle, le Ciel. C’est pour cela que saint Marc dit que la salle – la salle haute – doit être « aménagée » et « prête ». Aménagée, c’est-à-dire qu’elle est équipée de tapis, et de coussins. Prête, c’est-à-dire en araméen : être « rendue bonne », c’est-à-dire consacrée à Dieu. Le Cénacle n’est donc pas une simple salle de restaurant, c’est un lieu de culte, qui représente le Ciel. Cette préparation était nécessaire pour que Jésus puisse y présenter le sacrifice et l’offrande qu’il devait faire à son Père. Le sacrifice, c’est l’agneau pascal – et c’est son Corps, qui va être sacrifié à Pâques – et l’offrande, c’est le vin qui est aussi son Sang, qui sera remis à son Père, son Esprit, et qui sera bientôt répandu à la Pentecôte, vin nouveau auquel les Apôtres peuvent déjà communier dans la joie, lors de la sainte Cène.
 
Et maintenant nous avons compris, puisque Jésus a demandé que l’on fasse cela en mémoire de lui, qu’à chaque messe nous reproduisons le Temple et le rituel du sacrifice et de l’offrande. L’Église, comme le Temple ou le Cénacle, est un espace séparé qui représente le Ciel sur la terre, dans lequel il y a une seconde séparation entre la nef et le sanctuaire. Comme dans le Temple de Jérusalem, l’espace intermédiaire est bien celui des lévites de la nouvelle alliance, là où se trouvent les baptisés consacrés à Dieu. Et dans le sanctuaire, le ciel véritable, se trouve la Présence réelle du Seigneur, où seul l’évêque comme Grand Prêtre, ou le prêtre ordonné par lui, représentant Jésus, peut entrer pour faire l’offrande. À l’intérieur de ce Temple, justement, on offre le pain et le vin, Corps et Sang de Jésus, en mémoire de sa Pâque et de sa résurrection, pour communier à notre tour, aujourd’hui, par son Esprit, à l’alliance nouvelle, au Règne de Dieu. 
Sans jamais oublier ce qui donne tout son sens à l’ensemble : que le sacrifice de Jésus, qui est aussi le nôtre, n’est autre que celui du plus grand amour : donner sa vie pour ses amis.

dimanche 26 mai 2024

26 mai 2024 - CHOYE - Sainte Trinité - Année B

Dt 4, 32-34.39-40 ;  Ps 32 ; Rm 8, 14-17 ; Mt 28, 16-20
 
Chers frères et sœurs,
 
L’extrait de l’Évangile que nous venons d’entendre est la finale de l’Évangile de saint Matthieu. Il exprime, en quelques lignes un message très dense : presque chaque mot compte. Mais nous pouvons souligner quelques points essentiels.
 
Lors de son apparition aux saintes femmes venues au tombeau le matin de la résurrection, Jésus leur demande d’annoncer aux Apôtres qu’ils doivent se rendre – ou plutôt se rassembler – en Galilée. Et c’est là qu’ils verront Jésus ressuscité. C’est donc ce qu’ils font : ils se rassemblent, mais non pas en Galilée : au Cénacle, où leur apparaît Jésus. La « Galilée » fonctionne ici comme un nom de code, de la même manière que « Dalmanoutha » ou « Gérasa ». D’ailleurs, en Galilée, il n’y a pas de montagne, mais des collines. Or la « Montagne », dans l’Évangile et notamment celui de Matthieu, c’est le lieu de la révélation de la Parole de Dieu : c’est l’Horeb, ou le Mont Sinaï.
Donc, la Montagne où il faut se rassembler pour y voir la Parole de Dieu vivant, c’est le Cénacle. Et c’est bien là que ceux qui virent Jésus ressuscité se prosternèrent pendant que d’autres – et nous savons que c’est saint Thomas – eurent des doutes : « Mets ta main dans mon côté, et sois croyant » devra lui dire Jésus. Ce n’est pas pour rien que Matthieu précise ensuite que « Jésus s’approcha d’eux » pour leur adresser la parole : le corps joue toujours un grand rôle dans les apparitions. Observons aussi que les Apôtres qui se sont rendus au point de rassemblement, agissent comme les Rois mages ou les bergers qui se sont rendus à Bethléem, et ils se prosternent devant Jésus, aujourd’hui premier-né d’entre les morts. Dans certains manuscrits, il est écrit : « ils l’adorèrent ». Mais « se prosterner » et « adorer », c’est la même chose. Ainsi, comme les Mages, les Apôtres reconnaissent Jésus en tant que Dieu.
 
Je m’arrête ici une seconde pour vous faire remarquer qu’à la messe c’est pareil. Nous sommes convoqués par Jésus « en Galilée », c’est-à-dire à l’Église, en Église rassemblés. Là, nous sommes sur la « Montagne », pour y écouter la Parole de Dieu. Et même voir le corps de Jésus ressuscité, et l’adorer, dans l’Eucharistie, et même y communier physiquement. Nous sommes les Rois mages ou les bergers, nous sommes les Apôtres, et Jésus, le Verbe de Dieu, est toujours vivant et présent devant nous dans son corps ressuscité.
 
Ici Jésus dit deux choses à ses Apôtres.
La première est que « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ». Il s’agit ici de l’annonce de la réalisation de la prophétie de Daniel, où le Fils de l’Homme est monté au ciel, s’asseoir à la droite de Dieu et recevoir de lui la Royauté sur le ciel et la terre. Cela veut dire que l’offrande que Jésus fait de lui-même pour le salut du monde, est agréée par le Père. Si donc cette offrande est agréée, alors l’Esprit Saint peut être répandu sur le monde. C’est le pouvoir dont parle Jésus. Voyez ici l’œuvre du Dieu-Trinité : le Fils s’offre à son Père, qui répand l’Esprit sur le monde. Mais Père, Fils et Esprit sont inséparables : ils sont un seul Dieu. D’ailleurs, nous allons le voir et les voir à l’œuvre.
C’est la seconde chose que Jésus dit à ses Apôtres : « Faites des disciples, baptisez-les, apprenez-leur à observer ce que je vous ai commandé. » Il y a ici trois ordres, très différents, mais inséparables. « Faites des disciples », c’est une action prophétique d’annonce de la Parole, de l’Évangile ; « Baptisez-les », c’est une action liturgique, sacerdotale, une action de Dieu par le moyen des sacrements, et « Apprenez-leur à observer ce que je vous ai commandé », c’est une action morale, une manière de vivre de manière juste, sainte, une action royale. Vous avez reconnu les traits de tous les baptisés au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui sont consacrés à Dieu comme prêtre, prophètes et roi par l’onction du Saint-Chrême. Et les actes d’annoncer, célébrer et gouverner sont les actes propres des Évêques, successeurs des Apôtres.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que l’action de l’Esprit Saint répandu dans le monde se manifeste, se rend presque visible et même palpable, par les actions des Évêques et de tous les baptisés, par l’action de l’Église qui évangélise, qui célèbre la liturgie et les sacrements et qui enseigne à vivre en ce monde une vie droite, une vie sainte. Et c’est bien pour cela que Jésus dit : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », car là où est l’Église, – là est l’eucharistie où l’on annonce la Parole, où l’on adore Dieu présent, dans une vie sainte et pour mener une vie sainte, – là est le Christ Jésus vivant.
 
Chers frères et sœurs, c’est là, qu’on s’aperçoit que notre Dieu n’est pas un Dieu qui nous soit étranger, extérieur. Jésus nous a appris qu’il y avait en lui un mouvement, une vie, entre trois personnes : le Père qui engendre son Fils dans l’Esprit ; le Fils qui offre sa vie (l’Esprit qu’il a reçu) à son Père ; pour que nous nous puissions recevoir du Père ce même Esprit qui fait de nous des fils… et nous retrouver ainsi nous-mêmes comme en communion dans cette vie divine, dont nous témoignons dans le monde par l’Évangile que nous annonçons, les sacrements que nous célébrons et la vie sainte que nous menons, selon notre baptême au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. 

dimanche 19 mai 2024

19 mai 2024 - VALAY - Solennité de la Pentecôte - Année B

 Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; Ga 5,16-25 ; Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15
 
Chers frères et sœurs,
 
La Pentecôte, le don de l’Esprit Saint sur les Apôtres, sur l’Église, est en même temps un aboutissement et un commencement.
 
Un aboutissement, parce que depuis ce qu’on appelle la « chute » d’Adam et Eve, l’humanité a perdu la communion avec Dieu et est en attente, en espérance, de pouvoir la retrouver, ce qui arrive justement à la Pentecôte. C’est en vue de ce jour tant attendu que Dieu a d’abord missionné par son Esprit Saint les prophètes, puis dans les derniers temps son propre Fils Jésus, afin de rétablir cette communion.
 
On observera à propos que le don de l’Esprit Saint est une grâce, obtenue par la prière de Jésus, prière d’autant plus puissante qu’elle est l’offrande de lui-même à son Père par amour pour nous. La grâce de la communion par le don de l’Esprit Saint est le signe que le Père a agréé l’offrande de son Fils.
Ce geste d’offrande à Dieu, préalable au don de la grâce, a été prophétisé par le rituel de la Tente de la Rencontre puis du Temple de Jérusalem, que Moïse a instauré pour le peuple d’Israël, selon ce qu’il avait reçu dans une vision et sur ordre de Dieu. Mais ce qu’il a vu, c’est le geste même de Jésus s’offrant lui-même à son Père, par sa croix et surtout lors de l’Ascension, pour que l’Esprit Saint soit répandu sur le nouveau peuple de l’Église.
Lors de la messe, nous nous inscrivons dans ce même geste, quand le prêtre présente au Père l’offrande du Corps et du Sang du Christ, durant la prière eucharistique, pour que la communauté puisse recevoir aujourd’hui-même la sainte communion. La messe conduit toujours, à la suite de Jésus, à la communion.
 
La messe nous conduit donc, nous aussi, à l’aboutissement de la Pentecôte. Mais on s’aperçoit aussitôt que ce n’est pas encore un aboutissement total : l’Esprit Saint n’a pas encore été répandu sur la création tout entière. Nous sommes dans un entre-deux : la Pentecôte a en quelque sorte indiqué que la communion était de nouveau réellement possible : Jésus d’abord, par sa résurrection, puis ses disciples, par le don de l’Esprit, puis l’ensemble des membres de l’Église par le baptême et la confirmation, dans l’attente que toute la création soit renouvelée par l’Esprit Saint. Ce sera à la fin du monde, quand tout sera renouvelé, régénéré, pour inaugurer le monde nouveau.
 
On peut donc voir les choses de deux manières : l’aboutissement complet de la Pentecôte n’est pas encore arrivé, et nous l’attendons dans la foi ; et en même temps, cet aboutissement complet est déjà commencé puisque l’Esprit Saint a été répandu sur les Apôtres et l’Église naissante à la Pentecôte.
 
Si l’on s’attarde un peu maintenant sur ce commencement, on doit considérer d’une part qu’il contient déjà tout de son aboutissement : entre-deux, ce n’est qu’une question d’intensité et de temps. Mais tout est déjà donné au départ : il n’y a qu’un seul Esprit Saint vivifiant, qui est le même hier, aujourd’hui et demain. Si donc il a été donné à la Pentecôte, tout est déjà donné en germe à ce moment.
D’autre part, ce qui est touché et transformé par l’Esprit Saint à la Pentecôte : les Apôtres et l’Église naissante, font d’eux des hommes et des femmes appartenant déjà au monde nouveau qui arrivera totalement à la fin des temps. Ainsi l’Église, et tous les baptisés qui lui appartiennent, sont des réalités nouvelles dans un monde encore ancien, en attente de transformation.
Cette particularité de l’Église explique sa structure de communion, autour de l’Évêque assisté des diacres et entouré des prêtres, pour le service de Dieu et du peuple de Dieu, et surtout elle explique le langage des sacrements. Les sacrements sont des gestes et des paroles qui appartiennent au monde nouveau transformé par l’Esprit Saint, et il font passer les hommes de ce monde au monde nouveau, pour le moment sous le régime de la foi.
Voilà qui explique pourquoi nous n’arriverons jamais dans ce monde à rendre l’Église et ses sacrements, ses rituels, complètement intelligibles et compatibles avec les concepts et les valeurs du monde – parce que l’Église, ses sacrements, ses rituels, sont l’œuvre de l’Esprit Saint et des réalités qui appartiennent au monde nouveau.
 
Et nous, chers frères et sœurs, nous avons un pied sur la terre – nous sommes des humains comme les autres, en attente de la transformation totale du monde par l’Esprit Saint – et nous avons un pied au ciel, puisque nous sommes baptisés et confirmés dans l’Esprit Saint, que nous avons accès à la communion dans l’Église et que nous participons à sa vie nouvelle. Nous sommes donc des gens enrichis par l’Esprit et rendu par lui incompréhensibles à nos contemporains qui n’ont pas reçu ce don merveilleux. C’est notre gloire et notre croix, notre action de grâce et notre témoignage en ce monde. 

mardi 14 mai 2024

11-12 mai 2024 - CHARCENNE - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 7ème dimanche de Pâques - Année B

 Ac 1, 15-17.20a.20c-26 ; Ps 102 ; 1Jn 4, 11-16 ; Jn 17, 11b-19
 
Chers frères et sœurs,
 
Les paroles de Jésus sont pour nous un peu énigmatiques, surtout après deux ou trois couches de traductions successives. Mais, comme d’habitude, le contexte nous donne une bonne porte d’entrée pour comprendre le sens de l’Évangile.
 
Quand Jésus fait cette prière à son Père, il est à Gethsémani, alors que Judas est en train de le trahir et que les autres disciples sont là à l’attendre dans le jardin, plus ou moins en train de s’endormir. Jésus sait qu’il va entrer dans sa Passion qui va le conduire à la mort sur la croix, et que les disciples terrorisés seront bientôt dispersés. Mais il sait aussi que sa mort n’est pas la fin de l’histoire, car la résurrection est proche, et avec elle, la naissance du monde nouveau.
 
Aussi bien, dans sa prière, Jésus dit à son Père que jusqu’à présent, dans sa vie terrestre, il a gardé ses disciples, comme le bon berger a gardé ses brebis. Tous, sauf un – Judas – qui trahit pour que les Écritures soient accomplies. Dès lors que par sa mort Jésus va quitter ce monde, il prie son Père d’être à son tour le bon berger des disciples, en leur donnant sa joie, de telle sorte qu’ils en soient comblés. Nous comprenons qu’à la prière de Jésus, notre Père nous garde aujourd’hui en son nom – c’est-à-dire dans son amour – par l’Esprit Saint qu’il nous donne, et qui nous comble de joie. L’objectif de cette prière de Jésus est que nous recevions l’Esprit Saint, pour que nous demeurions dans l’amour de Dieu.
 
Ce faisant Jésus observe que comme le monde l’a « pris en haine », il prendra aussi « en haine » les disciples. « Prendre en haine » est une expression hébraïque. On pourrait traduire par « refuser » ; « récuser », « rejeter » : comme le monde a rejeté Jésus, il rejettera aussi les disciples. Car – dit Jésus de lui-même : « Je n’appartiens pas au monde. » En effet, Jésus sait d’où il vient : il est la Parole de Dieu, le Verbe de Dieu, par qui le Père a tout créé. Il est le créateur, et le monde la créature. Or, par le baptême dans l’eau et l’Esprit Saint, les disciples de Jésus portent en eux-mêmes comme en germe la Parole créatrice : du coup, il y a quelque chose en eux qui n’est pas du monde, mais qui vient de Dieu. Et comme le monde a refusé Jésus qui est la Parole de Dieu, il refuse aussi ceux qui portent en eux la Parole de Dieu.
Du coup, Jésus demande à son Père de les protéger : « Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. » En soit, le monde n’est pas mauvais – il est toujours la création de Dieu – mais le Mauvais, le Satan, qui veut étendre sa domination sur le monde, est évidemment en lutte ouverte contre Dieu, contre sa Parole et contre ceux qui portent sa Parole.
 
Jésus ne demande pas à son Père de nous retirer du monde, mais de nous sanctifier dans la vérité, comme Jésus se sanctifie lui-même pour que nous soyons, nous aussi, sanctifiés dans la vérité. Qu’est-ce que cela veut dire ?
« être sanctifié dans la vérité » peut être compris comme « être rendu saint, être consacré à Dieu par la vie qu’on lui donne en offrande, par amour pour lui-même ou pour notre prochain ». Souvenez-vous des commandements : « aimer Dieu, et aimer son prochain » ; et « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Toute la vérité de notre Dieu est dans cette manière d’aimer et de vivre. Or qui offre sa vie par amour – comme Jésus – est consacré à Dieu et sanctifié par lui.
Dans sa prière Jésus dit donc que, dans sa Passion, il va faire l’offrande de sa vie par amour pour son Père et par amour pour nous tous. Il va donc être consacré dans l’amour ; et le signe de sa sanctification sera sa résurrection et la joie qui va l’auréoler. De même, Jésus prie son Père que ses disciples qui sont comme lui dans le monde, n’en soient pas désolidarisés, mais au contraire suivent son propre chemin : que par amour pour Dieu et pour leur prochain, ils offrent leur vie à leur tour, afin de recevoir comme Jésus la sanctification, la vie nouvelle, c’est-à-dire l’Esprit Saint.
 
En définitive, Jésus a une idée fixe dans la tête quand il prie son Père : que par l’offrande de sa vie, ses disciples et tous ceux qui écouteront leur témoignage, c’est-à-dire nous tous, nous soyons sanctifiés, nous recevions l’Esprit Saint.
 
Reste à comprendre pourquoi nous lisons ce passage de l’Évangile au moment de l’Ascension, alors que Jésus a prononcé ces paroles juste au début de sa Passion ? Parce que, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une prière de Jésus tandis qu’il s’éloigne physiquement de ses disciples : à Gethsémani, Jésus s’est mis à part ; lors de son Ascension, il monte au ciel. Mais dans les deux cas, il prie son Père – et désormais il prie son Père en permanence, en ce moment même – qu’il nous garde et nous comble de son Esprit Saint, afin qu’en suivant ses pas, en offrant notre vie par amour pour Dieu et notre prochain comme lui, nous lui soyons consacrés et sanctifiés. Alors nous serons dans la plénitude de l’amour et de la gloire de Dieu, de sorte que notre joie à tous soit parfaite.
 
 

jeudi 9 mai 2024

09 mai 2024 - CHARGEY-lès-GRAY - Ascension du Seigneur - Année B

Ac 1, 1-11 ; Ps 46 ; Ep 4, 1-13 ; Mc 16, 15-20
 
Chers frères et sœurs,
 
On ne peut pas comprendre ce que signifie l’Ascension de Jésus si on ne commence pas par prendre au sérieux – et pour ainsi dire en détail – le témoignage des Apôtres tel qu’il nous a été transmis par les évangélistes.
Saint Luc lui-même est très clair : « Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel. » Voilà le témoignage des Apôtres : ce sont des faits et des enseignements de Jésus. Avoir la foi, c’est avoir la certitude que ce témoignage est véridique, qu’il n’est pas inventé ou romancé, mais qu’on doit le prendre comme on prend l’attestation d’un témoin lors d’un procès, promettant de dire « toute la vérité et rien que la vérité ».
 
Saint Luc, qui aime bien semer des petits cailloux dans son évangile, a donné une indication chronologique : « pendant quarante jours, il leur est apparu. » L’Ascension de Jésus se situe donc quarante jours après sa résurrection – et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous la fêtons un jeudi, quarante jours après Pâques. Or selon la Loi de Moïse, le quarantième jour après la naissance d’un premier-né est celui où ses parents doivent le présenter au Temple pour le consacrer au Seigneur et faire un sacrifice en offrande. Saint Luc rapporte d’ailleurs cet épisode pour l’enfant-Jésus dans son évangile. Et précisément, le jour de l’Ascension est celui où Jésus, premier-né d’entre les morts se présente dans le Temple du ciel, pour que son corps ressuscité soit consacré et présenté en offrande à Dieu son Père. C’est pour cela que saint Marc dit : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fût enlevé au ciel, et s’assit à la droite de Dieu. » En effet, il s’agit de l’accomplissement de la prophétie de Daniel, où le Fils de l’Homme, Jésus, monte dans les cieux et est intronisé par Dieu et comme Dieu, à sa droite. En quelque sorte, ici, l’offrande de Jésus est bien agréée par le Père.
 
Saint Marc aime aussi semer des petits cailloux dans son évangile. En voici un : « Jésus leur reprocha leur manque de foi et la dureté de leurs cœurs. » La traduction de « leur reprocha », est un peu légère… en fait, il leur donne une bonne avoinée : la parole de Jésus est vraiment incisive, et vous allez comprendre pourquoi. Voyons la suite. Pourquoi répéter « manque de foi » et « dureté de leurs cœurs ». N’est-ce pas la même critique, puisque pour un hébreu, le lieu de l’intelligence – de la foi – se trouve dans le cœur ? Non, il y a une précision, donnée exprès : un petit caillou. Ce que nous traduisons par « dureté de leurs cœurs » à partir du grec « sklèro-kardia » provient de l’hébreu « arelat leb », c’est-à-dire « prépuce de leurs cœurs ». Évidemment, nous qui sommes des païens d’origine, nous ne comprenons pas de quoi saint Marc veut nous parler. Mais pour un hébreu, la circoncision du cœur, c’est la véritable conversion à Dieu, la mort du vieil homme et la naissance de l’homme nouveau, l’alliance véritable. D’ailleurs, selon la Loi de Moïse, la circoncision d’un premier-né a lieu au huitième jour. Et nous savons que lorsque Jésus apparaît aux onze Apôtres réunis – c’est-à-dire quand saint Thomas est là pour qu’il croie enfin en la résurrection de Jésus – c’est justement au huitième jour. Pour saint Marc aussi la chronologie donnée par la Loi est déterminante pour comprendre la signification des apparitions de Jésus – surtout celle du huitième jour – et de son Ascension au quarantième jour.
 
Ici, nous avons le choix. Soit nous disons que saint Marc et saint Luc se sont mis d’accord pour que l’histoire de la résurrection de Jésus corresponde à la Loi de Moïse, quitte à tordre un peu les événements historiques pour qu’ils entrent dans le moule. Ou bien nous disons que saint Marc et saint Luc, indépendamment l’un de l’autre, ont rapporté des événements qui ont vraiment eu lieu aux dates correspondant à la Loi, en accomplissant la Loi. Comme si la Loi avait été donnée comme prophétie de ces événements et comme véritable clé d’interprétation pour en comprendre le sens. Évidemment, un homme de foi choisit la seconde solution.
 
Chers frères et sœurs, Jésus, premier-né d’entre les morts, par sa parole a circoncis le cœur de ses Apôtres au huitième jour, pour qu’ils aient foi en lui. Au quarantième jour, il s’est présenté lui-même en offrande au Père, accomplissant en même temps la prophétie de la Loi de Moïse et la prophétie de la montée du Fils de l’Homme annoncée par Daniel. Et pourquoi cela ? Parce qu’il fallait que le cœur des Apôtres soit pur pour recevoir l’Esprit de Dieu répandu sur eux par le Père en signe d’agrément du sacrifice de Jésus lors de son Ascension. Si il n’y a pas le huitième jour – la circoncision du cœur, ni le quarantième jour – l’Ascension ou la Présentation de Jésus au Ciel, il ne peut pas y avoir le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte.
 
Application pratique : si on ne commence pas par purifier son cœur au début de la messe, par la confession de ses péchés ou par l’aspersion ; et si le prêtre ne fait pas l’offrande du Corps et du Sang de Jésus au Père (« Par lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout Puissant… »), alors il ne peut pas y avoir de communion à la fin.
 
 

dimanche 5 mai 2024

05 mai 2024 - DAMPIERRE - 6ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 10,25-26.34-35.44-48 ; Ps 97 ; 1Jn 4,7-10 ; Jn 15,9-17
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons la lecture de l’Évangile de dimanche dernier. Comme nous le savons, lorsque Jésus prononce ces paroles, il se trouve avec ses Apôtres en chemin entre le Cénacle, où ils viennent de partager la dernière Cène, et Gethsémani, où Jésus va accepter la vocation qui est la sienne de donner sa vie pour le salut du monde.
Il y a plusieurs points à souligner pour bien comprendre l’enseignement de Jésus.
 
Le premier est que, sous le verbe « aimer » ou le mot « amour », en français, il y a deux verbes différents en araméen ou en grec. En grec, il y a le verbe « agapao », qui signifie l’amour de charité, l’amour divin, et le verbe « philéo » qui signifie l’amitié, un amour d’affection plus humain. Or dans notre évangile, l’amour qui existe entre Jésus et son Père, est bien sûr l’amour le plus élevé, l’amour de charité, mais on voit que Jésus emploie également ce verbe pour qualifier l’amour dont lui-même aime ses disciples et avec lequel il leur demande de s’aimer les uns les autres. Il n’y a que s’ils entrent dans l’amour de charité qu’ils pourront recevoir la joie que Jésus leur promet, qui est la marque de l’Esprit Saint.
 
Évidemment, on n’atteint pas à l’amour de charité comme cela. L’amour de charité, qui est divin, est bien supérieur à l’amour d’amitié, qui est un amour humain. Jésus en donne la clé : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Ici, très clairement, Jésus explique que le don dont il est question est très exactement un geste d’offrande à Dieu effectué par un prêtre. Ainsi donner sa vie pour ses amis, est un geste d’offrande sacerdotal où l’on s’offre soi-même à Dieu pour ceux qu’on aime, pour que eux reçoivent la grâce – la vie – accordée par Dieu.
Jésus donne le sens de son sacrifice sur la croix : c’est le plus grand geste d’amour qui soit, puisque lui qui est Dieu donne sa vie divine pour que nous les hommes – encore pécheurs – nous puissions recevoir la vie, c’est-à-dire l’Esprit Saint. À Gethsémani, Jésus va accepter de manière humaine ce qu’il sait de manière divine et qu’il vient d’enseigner à ses disciples. Il est très important de noter que ce geste est un geste de prêtre. Jésus est en même temps l’offrande, l’agneau de Dieu, et le grand prêtre qui présente cette offrande à son Père, pour le salut du monde.
 
La leçon est extrêmement importante pour les Apôtres, car Jésus leur demande de faire ce qu’il va faire : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». C’est-à-dire : « offrez votre vie à Dieu par amour pour les autres. » C’est un acte de prêtre. Tout baptisé – dont on rappellera qu’il est configuré par le saint Chrême à Jésus prêtre, prophète et roi – … tout baptisé qui donne sa vie par amour pour son prochain accomplit cet acte. C’est pourquoi les martyrs sont immédiatement assimilés à Jésus par l’acte même de leur martyre, et nous les considérons comme des saints. C’est pourquoi aussi un prêtre catholique véritable, ordonné à Jésus-Christ, est un homme qui a vocation à donner sa vie par amour pour ses brebis. C’est inséparable de son ordination sacerdotale et c’est ainsi que le prêtre se sanctifie.
D’ailleurs, Jésus ajoute la phrase suivante : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » C’est-à-dire : « vous êtes saints, si vous offrez votre vie par amour pour vos amis. »
 
Cette phrase contient également un enseignement évident, qu’on ne remarque pas assez. L’amour dont il est question n’est pas du tout une question de sentiments. Jésus dit : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » L’amour de charité n’est pas un sentiment : c’est un acte. C’est bien ce que va vivre Jésus : sa Passion est réelle, elle n’est pas fictive ou simulée. La passion des martyrs est réelle, elle n’est pas du théâtre. De même, si nous voulons entrer dans l’amour de Jésus, nous sommes appelés à mettre en pratique l’amour de charité dont il nous parle : faire de notre vie une offrande à Dieu, par amour pour lui et pour notre prochain. Ce n’est pas une partie de notre cerveau, de notre cœur, ou de notre vie qui est concernée par l’offrande, c’est toute notre vie. On n’est pas chrétien à 15, 25 ou 75%, Jésus nous attend à 100% - autant qu’on peut, avec la grâce de Dieu.
 
Pourquoi lisons-nous cet évangile ce dimanche, alors que nous sommes dans le temps de Pâques ? Parce que durant ses apparitions, Jésus ressuscité rappelle à ses disciples l’enseignement qu’il leur a donné auparavant. Nous avons aujourd’hui ce geste d’offrande, qui est celui d’un prêtre. Or cette offrande va être consommée dans l’Ascension de Jésus auprès de son Père où il va s’offrir lui-même avec son humanité blessée et ressuscitée, et en même temps où il va réaliser le geste d’offrande que refait tout prêtre lors de chaque eucharistie, présentant au Père le Corps et le Sang du Christ : « Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout Puissant, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles », accomplissant liturgiquement et sacramentellement la parole de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

dimanche 28 avril 2024

27-28 avril 2024 - THEULEY - VALAY - 5ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 9, 26-31 ; Ps 21 ; 1 Jn 3, 18-24 ; Jn 15, 1-8
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque nous entendons ces paroles de Jésus, nous ne devons pas oublier à quel moment ni en quel lieu il les a dites. C’était après le repas de la Cène, au moment de partir vers Gethsémani. En chemin, Jésus et ses disciples ont dû passer dans des vignes. Jésus sait que Judas va le livrer et que les autres disciples vont s’enfuir et se disperser.
 
Ainsi nous comprenons que le sarment qui ne demeure pas en Jésus, qui est sec, qui va être jeté dehors et bientôt brûlé au feu, c’est Judas. Et les sarments qui demeurent en Jésus, qui portent déjà du fruit mais vont être purifiés par l’épreuve de la Passion de Jésus, et qui porteront bientôt davantage de fruit encore, ce sont les disciples.
 
Être disciple, c’est donc être un sarment uni à la vigne véritable, Jésus Christ. En dehors de lui, il n’y a ni chemin, ni vérité, ni vie. Par cette union à la vigne véritable, c’est-à-dire par la communion avec Jésus – « celui qui demeure en moi, et moi en vous » dit Jésus – par cette communion à la vigne véritable, le sarment peut porter du fruit.
Or c’est vraiment ce qu’attend le Père : comme dans la parabole du Vigneron, le Maître attend la récolte, le fruit de la vigne, … pour en faire du vin ! Car c’est en buvant le vin qu’on entre dans la joie. Et cette joie est inséparable de la gloire de Dieu, de l’Esprit Saint. Nous avons un Dieu qui aime la joie et qui veut nous faire communier à sa joie.
 
Cependant, pour qu’un sarment donne plus de fruit – donc plus de vin et plus de joie, il est taillé, « purifié ». Or Jésus explique qu’il a déjà purifié ses disciples par la parole qu’il leur a dite. Cette parole, c’est l’Évangile, c’est Jésus lui-même, son enseignement et ses actes. Ainsi donc est purifié celui qui reçoit l’Évangile, qui reçoit Jésus, qui croit en Jésus, qui a foi en Jésus. Il est alors en communion avec lui, et par cette communion, recevant la vie de la Vigne véritable, il porte beaucoup de fruit.
 
Mais pourquoi lisons-nous cet épisode de l’Évangile pendant le temps des apparitions alors que, chronologiquement, il a eu lieu au début de la Passion ? Pour deux raisons.
 
La première est que lors de ses apparitions, Jésus a rappelé à ses disciples ce qu’il leur avait enseigné auparavant, en lien avec les Écritures. C’est ce qu’il dit lors de son apparition le soir de Pâques au Cénacle : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » En quelque sorte, Jésus et les disciples font une relecture de la vie de Jésus, de sa naissance à sa résurrection. Mais alors, pourquoi lire aujourd’hui plus particulièrement l’enseignement donné par Jésus au moment de la Cène et après ?
Parce que les apparitions ne durent que quarante jours. Elles vont se terminer à l’Ascension, où Jésus va vraiment quitter ses disciples pour monter s’asseoir à la droite du Père. Jésus est donc sur le départ, comme au moment de la Cène, il était sur le départ de sa vie humaine. Dans les deux cas, Jésus livre en quelque sorte son testament, l’essentiel de son enseignement, et ce que les disciples devront dire et faire à l’avenir, en son absence, mais cette fois-ci avec le secours de l’Esprit Saint.
 
Pour nous aujourd’hui, les paroles de Jésus demeurent d’actualité, et c’est la seconde raison de la lecture de cet enseignement. Car c’est bien pour que nous soyons purifiés à notre tour que les Apôtres et les Évangélistes nous ont transmis l’Évangile. Parce que c’est toujours le même Jésus qui, dans ses paroles et dans ses actes, continue de purifier ses sarments, pour qu’ils puissent porter toujours plus de fruit pour la plus grande gloire et la plus grande joie de son Père et de notre Père. Dans ses paroles, en écoutant et recevant en nous l’Évangile, et dans ses actes, en recevant ses sacrements, particulièrement celui de l’Eucharistie, où nous sommes en communion avec lui.
 
Par l’Esprit Saint, Jésus nous est proche et il continue chaque jour et à toute heure, à purifier les cœurs, pour que monte vers le ciel la louange de Dieu et que l’Évangile continue à se propager dans le monde.

dimanche 21 avril 2024

21 avril 2024 - VELLEXON - 4ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 4, 8-12 ; Ps 117 ; 1Jn 3, 1-2 ; Jn 10, 11-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes au cœur de l’Évangile. Toute la vie de Jésus – j’entends ici la vie intérieure, profonde, personnelle, de Jésus est dans ces quelques mots. Et par conséquent, il s’agit aussi de la vie intérieure, profonde de l’Église, et de chacun d’entre nous qui sommes baptisés. Il s’agit du cœur de notre vie spirituelle et de notre vie tout court, de notre vocation chrétienne. Essayons d’expliquer.
 
Il y a une relation vitale entre Jésus et son Père, qui est une relation d’amour. Pour en parler, Jésus utilise le verbe « connaître », comme des époux se connaissent l’un l’autre dans l’amour. Il veut dire par là que la communion entre lui et son Père est totale et que c’est une communion d’amour. Cette communion est réelle en ce sens que la vie que Jésus reçoit de son Père, il lui la donne en retour : il la lui offre, comme une offrande. Et le Père la lui rend à nouveau comme une grâce. Et ainsi de suite, éternellement et toujours plus intensément. Cette vie, c’est l’Esprit Saint.
Dieu aurait pu être narcissique et se complaire dans cette communion éternelle entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint, comme dans un cercle fermé. Mais non, il s’est ouvert pour l’homme, pour que l’homme puisse lui-aussi entrer dans cette communion d’amour éternelle et vivifiante. C’est le dessein de Dieu et la vocation de l’homme : vivre éternellement dans la communion d’amour de Dieu.
Pourtant, l’homme concret, la créature de Dieu – la brebis – n’avait pourtant pas grand-chose pour plaire. Il était aveugle et nu, pécheur et possédé par des esprits impurs. Il était malade de son absence de foi en Dieu, et meurtri de ses nombreuses et mortelles blessures. Et divisé avec lui-même et ses semblables, en guerre perpétuelle… Bref : la catastrophe.
Mais Jésus se fait pour l’homme, pour les brebis, le bon berger. « Bon », il n’y a que Dieu qui soit réellement « bon ». Le Bon berger est annoncé par tous les prophètes : c’est Abel, Abraham, Moïse, David… tous ont été des bergers. Mais Jésus est le vrai berger : parce qu’il est celui qui donne sa vie pour ses brebis, parce qu’elles comptent pour lui. Il les aime d’un amour divin.
 
Nous retrouvons ici le jeu du plus grand commandement, celui de l’amour de Dieu, d’abord ; et celui qui lui est semblable : celui de l’amour du prochain. Ainsi Jésus ne cesse pas de recevoir sa vie de son Père et de la lui offrir en retour. C’est le premier commandement : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». C’est un mouvement éternel. Mais voilà qu’il l’ouvre aussi à ses brebis, en imitant à notre égard, le geste que fait son Père à son égard : voilà qu’il offre sa vie à ses brebis, pour ses brebis. C’est le commandement qui est semblable au premier : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Voilà ce que ne fait pas le berger mercenaire, le faux berger. Il veut garder la vie reçue de Dieu pour lui-même, sans s’ouvrir, sans l’étendre à ses brebis. Le faux berger est fondamentalement égoïste et il a peur qu’en s’ouvrant il perde ce qu’il a reçu comme un trésor. Mais ce faisant, il perd ce trésor, il tarit l’eau qui coule en lui-même, il s’assèche et se voue à la mort éternelle. Car qui refuse l’Esprit de Dieu est condamné éternellement. Mais Jésus, le bon berger, s’est ouvert – son côté s’est ouvert – et il a offert sa vie à ses brebis, pour ses brebis.
 
Là, il y a deux genres de brebis, comme il y a deux genres de bergers. Il y a un premier genre de brebis, celles qui écoutent la voix du bon berger et qui vont se mettre à le suivre. Concrètement qui vont se mettre à vivre comme vit le bon berger : aimer Dieu, aimer son prochain et elles aussi, se mettre à donner leur vie pour d’autres brebis. Et il y a un second genre de brebis, qui n’écouteront pas la voix du berger, et donc continueront à errer dans le monde, dans une vie insensée et mortelle.
 
Il est à noter deux choses. La première, que Jésus évoque les brebis qui sont de « cet enclos » - il veut dire l’enclos du Temple, c’est-à-dire les brebis d’Israël, les juifs qui observent la Loi de Moïse ; et les brebis « qui ne sont pas de cet enclos », c’est-à-dire les brebis de l’extérieur, c’est-à-dire des nations païennes. Toutes ont un seul et même berger.
Et la seconde, que Jésus appelle et donne sa vie non pas pour « sa » brebis, mais « ses » brebis. Il est notre berger beaucoup plus collectivement qu’individuellement. Jésus vient sauver le peuple d’Israël et non pas tel ou tel juif en particulier ; il vient sauver les nations et non pas tel ou tel barbare en particulier. Bien sûr, le salut est individuel, car chacun d’entre nous est libre d’écouter la voix du bon berger, mais cela se fait toujours solidairement avec les autres brebis. C’est l’Église.
 
Voilà donc chers frères et sœurs ce que tentait d’expliquer Jésus aux pharisiens qui l’écoutaient dans le Temple de Jérusalem. Aujourd’hui, il leur a livré le secret de l’Évangile : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ».

Articles les plus consultés