dimanche 21 avril 2024

21 avril 2024 - VELLEXON - 4ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 4, 8-12 ; Ps 117 ; 1Jn 3, 1-2 ; Jn 10, 11-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes au cœur de l’Évangile. Toute la vie de Jésus – j’entends ici la vie intérieure, profonde, personnelle, de Jésus est dans ces quelques mots. Et par conséquent, il s’agit aussi de la vie intérieure, profonde de l’Église, et de chacun d’entre nous qui sommes baptisés. Il s’agit du cœur de notre vie spirituelle et de notre vie tout court, de notre vocation chrétienne. Essayons d’expliquer.
 
Il y a une relation vitale entre Jésus et son Père, qui est une relation d’amour. Pour en parler, Jésus utilise le verbe « connaître », comme des époux se connaissent l’un l’autre dans l’amour. Il veut dire par là que la communion entre lui et son Père est totale et que c’est une communion d’amour. Cette communion est réelle en ce sens que la vie que Jésus reçoit de son Père, il lui la donne en retour : il la lui offre, comme une offrande. Et le Père la lui rend à nouveau comme une grâce. Et ainsi de suite, éternellement et toujours plus intensément. Cette vie, c’est l’Esprit Saint.
Dieu aurait pu être narcissique et se complaire dans cette communion éternelle entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint, comme dans un cercle fermé. Mais non, il s’est ouvert pour l’homme, pour que l’homme puisse lui-aussi entrer dans cette communion d’amour éternelle et vivifiante. C’est le dessein de Dieu et la vocation de l’homme : vivre éternellement dans la communion d’amour de Dieu.
Pourtant, l’homme concret, la créature de Dieu – la brebis – n’avait pourtant pas grand-chose pour plaire. Il était aveugle et nu, pécheur et possédé par des esprits impurs. Il était malade de son absence de foi en Dieu, et meurtri de ses nombreuses et mortelles blessures. Et divisé avec lui-même et ses semblables, en guerre perpétuelle… Bref : la catastrophe.
Mais Jésus se fait pour l’homme, pour les brebis, le bon berger. « Bon », il n’y a que Dieu qui soit réellement « bon ». Le Bon berger est annoncé par tous les prophètes : c’est Abel, Abraham, Moïse, David… tous ont été des bergers. Mais Jésus est le vrai berger : parce qu’il est celui qui donne sa vie pour ses brebis, parce qu’elles comptent pour lui. Il les aime d’un amour divin.
 
Nous retrouvons ici le jeu du plus grand commandement, celui de l’amour de Dieu, d’abord ; et celui qui lui est semblable : celui de l’amour du prochain. Ainsi Jésus ne cesse pas de recevoir sa vie de son Père et de la lui offrir en retour. C’est le premier commandement : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». C’est un mouvement éternel. Mais voilà qu’il l’ouvre aussi à ses brebis, en imitant à notre égard, le geste que fait son Père à son égard : voilà qu’il offre sa vie à ses brebis, pour ses brebis. C’est le commandement qui est semblable au premier : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Voilà ce que ne fait pas le berger mercenaire, le faux berger. Il veut garder la vie reçue de Dieu pour lui-même, sans s’ouvrir, sans l’étendre à ses brebis. Le faux berger est fondamentalement égoïste et il a peur qu’en s’ouvrant il perde ce qu’il a reçu comme un trésor. Mais ce faisant, il perd ce trésor, il tarit l’eau qui coule en lui-même, il s’assèche et se voue à la mort éternelle. Car qui refuse l’Esprit de Dieu est condamné éternellement. Mais Jésus, le bon berger, s’est ouvert – son côté s’est ouvert – et il a offert sa vie à ses brebis, pour ses brebis.
 
Là, il y a deux genres de brebis, comme il y a deux genres de bergers. Il y a un premier genre de brebis, celles qui écoutent la voix du bon berger et qui vont se mettre à le suivre. Concrètement qui vont se mettre à vivre comme vit le bon berger : aimer Dieu, aimer son prochain et elles aussi, se mettre à donner leur vie pour d’autres brebis. Et il y a un second genre de brebis, qui n’écouteront pas la voix du berger, et donc continueront à errer dans le monde, dans une vie insensée et mortelle.
 
Il est à noter deux choses. La première, que Jésus évoque les brebis qui sont de « cet enclos » - il veut dire l’enclos du Temple, c’est-à-dire les brebis d’Israël, les juifs qui observent la Loi de Moïse ; et les brebis « qui ne sont pas de cet enclos », c’est-à-dire les brebis de l’extérieur, c’est-à-dire des nations païennes. Toutes ont un seul et même berger.
Et la seconde, que Jésus appelle et donne sa vie non pas pour « sa » brebis, mais « ses » brebis. Il est notre berger beaucoup plus collectivement qu’individuellement. Jésus vient sauver le peuple d’Israël et non pas tel ou tel juif en particulier ; il vient sauver les nations et non pas tel ou tel barbare en particulier. Bien sûr, le salut est individuel, car chacun d’entre nous est libre d’écouter la voix du bon berger, mais cela se fait toujours solidairement avec les autres brebis. C’est l’Église.
 
Voilà donc chers frères et sœurs ce que tentait d’expliquer Jésus aux pharisiens qui l’écoutaient dans le Temple de Jérusalem. Aujourd’hui, il leur a livré le secret de l’Évangile : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ».

dimanche 14 avril 2024

13-14 avril 2024 - FEDRY - GRAY - 3ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 3, 13-15.17-19 ; Ps 4 ; 1Jn 2, 1-5a ; Lc 24, 35-48
 
Chers frères et sœurs,
 
Le passage de l’évangile que nous avons entendu est déterminant pour notre foi en Jésus-Christ. Saint Luc s’adresse à une ou des personnes qui n’ont pas connu Jésus et qui culturellement sont grecques ou romaines. C’est-à-dire que leur compréhension de la réalité est fondée sur l’usage de la raison. Nous en sommes intellectuellement les héritiers. L’évangile est donc écrit pour nous aussi.
 
Il y a deux points très importants à souligner. Le premier est la réalité physique du corps de Jésus ressuscité. Saint Luc insiste très lourdement : « Ils croyaient voir un esprit » Jésus n’est pas un fantôme. « Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os, comme vous constatez que j’en ai. » Jésus a un corps physique réel, palpable, résistant. Mais ils n’osaient pas encore y croire. Et Jésus ajoute : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Et il mangea le poisson grillé devant eux. Preuve est faite que le corps ressuscité de Jésus, s’il peut apparaître et disparaître à volonté, peut aussi absorber des choses substantielles, matérielles.
Un esprit doté d’une raison saine a compris que Jésus de Nazareth, mort en croix à Jérusalem, non seulement a repris vie, mais a reçu des facultés de vie nouvelle supra-ordinaires. Et c’est le même homme Jésus de Nazareth qui est vivant. Saint Luc nous annonce un fait brut, difficilement acceptable à un esprit matérialiste, mais indubitable pour ceux qui en ont été les témoins, sauf à se déclarer eux-mêmes fous.
La foi chrétienne est donc fondée sur cet événement, qui résiste à la raison, mais qui n’en est pas moins raisonnable puisqu’il est réel. Saint Paul le dit aux Corinthiens : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu. »
 
Le second point est justement l’explication, le sens, de cet événement. Qu’est-ce que cela veut dire que Jésus de Nazareth, descendant du roi David, messie accrédité par l’Esprit de Dieu au moment de son baptême par Jean, condamné et crucifié comme un paria, est maintenant ressuscité dans une vie nouvelle ? La seule source possible de compréhension donnée par Jésus est celle des Écritures juives : la Loi de Moïse – c’est-à-dire la Torah – les Prophètes et les Psaumes. C’est-à-dire pour nous l’Ancien Testament. On ne peut pas comprendre Jésus si on ne connaît pas les Écritures, si on ne va pas y chercher l’explication. Car les Écritures annoncent Jésus et Jésus accomplit les Écritures : ils sont inséparables. Et cela est d’autant plus important à faire comprendre à des Romains ou à des Grecs qui ne sont pas Juifs. Leur foi serait incomplète ou fragilisée si ils ne font pas l’effort d’assimiler les Écritures, ou plutôt de s’y assimiler – de les faire aussi les leurs. Ainsi, dans leur bibliothèque, avec Platon et Aristote, Cicéron et Tacite, ajouter la Loi, les Prophètes et les Psaumes. C’est déjà la civilisation européenne… mais c’est une autre histoire.
 
Par conséquent, la foi d’un disciple du Christ debout, c’est-à-dire raisonnable, s’appuie sur deux pieds : premièrement, la réalité historique de Jésus de Nazareth mort et ressuscité corporellement dans une vie nouvelle ; deuxièmement, la connaissance des Écritures qui annoncent ce Jésus de Nazareth, qui les rend d’autant plus crédibles qu’il les accomplit réellement. Si on perd l’un de ces deux pieds ou qu’on en ajoute un troisième, il y a des chances pour qu’on se trompe.
Les Apôtres, qui sont les premiers à être mis debout sur leurs deux pieds, qui sont les témoins oculaires de Jésus ressuscité et à qui il a enseigné comment lire les Écritures à la lumière de sa vie et de sa résurrection – et qui ont donc une expérience unique – sont constitués par Jésus comme « témoins ». C’est un acte juridique. Nul ne peut être « témoin » à part eux. C’est ainsi que ce que nous appelons la « foi des Apôtres » ou la « tradition apostolique » correspond exactement à ce témoignage : nul ne peut l’amender, le corriger, y ajouter ou y enlever, sans perdre la foi en Jésus Christ, la foi catholique.
 
Je termine par… le commencement de l’apparition de Jésus, lorsqu’il se présente à ses apôtres en leur disant : « La paix soit avec vous ! » En français nous n’avons qu’un seul mot « paix » pour deux mots ou deux réalités différentes en hébreu « shyna » et « shelma » (qui a donné schalom ou Jérusalem) : « Shyna » évoque un jardin, la tranquillité, la prospérité, en fait un arrangement humain ; et « shelma » est une paix intérieure profonde, un profond repos, un apaisement complet, une paix donnée par Dieu. Or c’est « shelma » que donne Jésus à ses Apôtres – c’est déjà un avant-goût de l’Esprit de Pentecôte. Autrement dit, pour les Apôtres comme pour tout disciple de Jésus, la foi est aussi une grâce reçue de Dieu qui est une immense paix, et c’est en elle que l’on peut recevoir le témoignage des Apôtres et prendre leur relais, par une connaissance tout aussi intérieure que réelle de Jésus, dont cette paix et une grande joie sont les marqueurs. Car Jésus – figurez-vous, chers frères et sœurs – est bien vivant !

dimanche 7 avril 2024

07 avril 2024 - SEVEUX - 2ème dimanche de Pâques - Année B

Ac 4, 32-35 ; Ps 117 ; 1Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
La vie de Dieu, celle qu’il veut communiquer à l’homme, c’est l’Esprit Saint. Une des marques de l’Esprit Saint est la joie. Il y a aussi la paix – une paix profonde – et l’intelligence, c’est-à-dire la compréhension réelle des choses spirituelles et des choses de ce monde. Ce que Dieu veut donc communiquer à l’homme, c’est son Esprit Saint. Il nous en a donné le moyen, si nous l’acceptons : par la foi en Jésus Christ. La foi en Jésus Christ est la clé pour recevoir la vie de Dieu, dans la joie. C’est ce que dit saint Jean à propos des signes rapportés dans son évangile : « Ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » Le problème, pour nous, est donc d’avoir foi en Jésus Christ. Cela n’a rien d’évident, nous en avons la preuve par saint Thomas.
 
Au cours des apparitions rapportées par saint Jean, nous avons d’abord celle de Jésus au Cénacle en présence des disciples – Thomas étant absent.
Le premier point important est que les portes de la maison où ils se trouvaient étaient verrouillées. Ainsi Jésus est comme surgi de rien, quand bien même il leur montre son corps de chair ressuscité – et nous savons par ailleurs qu’il mange du poisson sous leurs yeux. Ils n’ont pas besoin de toucher Jésus, la vision suffit. Mais le phénomène physique d’un corps échappant aux lois naturelles tout en étant un corps réel est destiné à affermir leur foi.
Le second point important est la parole qui accompagne ce phénomène : « La paix soit avec vous ! » N’oublions pas que jusqu’à présent, les disciples s’étaient surtout fait remarquer par leur capacité à disparaître au moment de la Passion, à renier Jésus en public, et à douter de la parole des femmes qui leur annonçaient sa résurrection. Ils avaient largement de quoi aller se confesser… Et c’est la raison pour laquelle Jésus leur dit : « La paix soit avec vous ! » Cette parole est tout autant un pardon pour le passé qu’un don de vie nouvelle pour le présent et l’avenir. D’ailleurs cette paix est déjà celle de l’Esprit Saint qui les remplit de joie.
 
Mais Thomas n’était pas là. Thomas, qui nous ressemble tellement, n’est-ce pas ? Il ne veut pas croire s’il ne voit pas, s’il ne touche pas. Et c’est ainsi que Jésus, lors de sa nouvelle apparition, après avoir renouvelé son annonce de paix – qui rappelle qu’il est bien le même qu’au premier jour – va directement au fait et s’adresse à Thomas en l’invitant à toucher et à regarder son corps.
Le premier point important est que le signe – le critère de résurrection – tourne toujours autour de la réalité physique du corps de Jésus. Notre Jésus, celui en qui nous croyons, est le même Jésus de Nazareth, né de Marie, qui a vécu la passion à Jérusalem, mort et ressuscité le même. Ce n’est pas un Jésus philosophique, un Jésus imaginaire, ou un Jésus psychologique : c’est un Jésus historique. Avec toujours ce constat impitoyable que Jésus dans son corps réel échappe maintenant aux lois de la physique de ce monde, ou plutôt, il arrive à les surmonter – il ne les annule pas mais il en use avec une puissance supérieure. Ce que Thomas et les disciples ne peuvent que constater à moins de devenir fous.
Le second point important ici aussi est que le signe du corps est accompagné d’une parole : « Cesse d’être incrédule , sois croyant. » Quand Dieu parle, ce n’est pas pour faire un vœu pieux : c’est pour être efficace. Comme au premier Jour de la création : « Que la lumière soit » - dit-il ; « Et la lumière fut ». La foi de Thomas vient d’être créée en lui par la parole de Jésus : « sois croyant ! » Il a d’abord retiré ce qui faisait obstacle dans son cœur : « Cesse d’être incrédule. » Il a d’abord retiré le caillou. Voilà qui est intéressant pour nous. Nous avons besoin des paroles de Jésus d’abord pour préparer notre cœur, le guérir de notre orgueil, de ce qui nous retient de croire. Et ensuite d’une nouvelle parole pour croire. Ce processus d’écoute des paroles de Dieu peut prendre trois secondes comme pour Thomas, ou de longues années – chacun est différent. Et à chaque fois les paroles accompagnent un signe qui rappelle le corps de Jésus ressuscité. Et quand cela arrive, c’est un « premier jour » ou un « huitième jour », qui comme vous le savez est aussi un « premier jour », puisqu’il n’y en a que sept ! Or le « premier jour », ou le « huitième jour », pour un juif ou un chrétien, est toujours en rapport avec le premier jour de la création. Un « premier jour », c’est toujours le signe d’une création nouvelle. Et c’est toujours un dimanche.

Chers frères et sœurs, me voyez-vous venir ? Comme les disciples, nous nous réunissons le premier ou le huitième jour, le dimanche, dans la maison-église. Et après que le prêtre a dit sur le pain et le vin les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps » et « Ceci est mon sang », vous pouvez le voir et même le manger : « Voici l’Agneau de Dieu, celui qui enlève les péchés du monde », le corps de Jésus ressuscité. Comme à l’époque du Cénacle, Jésus défie les lois de l’espace et du temps : il est là, chaque dimanche, chaque premier ou huitième jour, toujours au milieu de ses disciples. Si tu as la foi, tu crois et tu es dans la joie. Si tu ne crois pas, le mystère de l’eucharistie appelle ta foi, pour que tu sois aussi dans la joie. Et c’est pour cela que nous lisons les Écritures dans la première partie de la messe : pour préparer notre cœur à croire.
Thomas était absent à la messe le premier dimanche. Heureusement, avec une petite réprimande de Jésus, il a été rattrapé au second ! Moralité de cette histoire : de la messe le dimanche, les absents ont toujours tort !

mardi 2 avril 2024

01 avril 2024 - AUTREY-lès-GRAY - Saint jour de Pâques - Année B

Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117 ; 1Co 3,1-4 ; Jn 20,1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
La résurrection, personne ne s’y attendait. Certainement pas les grands prêtres : vous savez bien que les saducéens ne croyaient pas à la résurrection des morts. Certainement pas non plus les romains ni les grecs présents à Jérusalem. Lorsque saint Paul évoquera ce sujet à Athènes, il ne s’y attirera que des moqueries. Et nous apprenons, dans l’évangile de saint Jean que les disciples non plus ne s’y attendaient pas : « en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Au bout du compte personne ne s’attendait à la résurrection de Jésus : c’est une surprise totale. Et l’on comprend que plusieurs demeurent incrédules.
 
Saint Jean, l’évangéliste qui donne le plus de détails historiques authentiques, est le premier à comprendre ce qu’il se passe. Pour lui, il lui suffit de voir le linge « posé à plat » sur la table du tombeau où reposait Jésus. Cela l’a tellement frappé, qu’il reviendra par trois fois, dans le passage que nous avons lu, sur le fait que ce linge était « posé à plat ». Comme si le corps de Jésus s’était évanoui, et que le linge était retombé comme un soufflé. Que voulez-vous, chers frères et sœurs, il y a des détails qui ne s’inventent pas. Et quand saint Jean s’est retrouvé face à cette situation, il a compris immédiatement qu’il était arrivé au corps de Jésus quelque chose d’extraordinaire.
 
Nous avons du mal à imaginer ce qu’est la résurrection, surtout la résurrection d’un corps. On peut encore comprendre qu’une âme ressuscite, mais un corps ! Et pourtant c’est bien ce qui est arrivé à Jésus et à son corps de chair. Il est entièrement ressuscité. Ce que nous n’arrivons pas à comprendre, c’est qu’il s’agit d’une nouvelle étape dans la création de Dieu, comme nous l’avons déjà compris hier soir, quelque chose d’entièrement nouveau qui concerne l’âme, l’esprit et le corps. D’ailleurs, lors de ses apparitions Jésus a pu passer à travers une porte, tout en étant capable de manger du poisson. Son corps a reçu des facultés pour nous inimaginables, qui sont de l’ordre d’un univers nouveau, inconnu jusqu’à présent, que pourtant Jésus a essayé de nous expliquer, quand il parlait de son Royaume.
 
Ce qu’il y a au tombeau de Jésus, cependant, dépasse l’entendement de saint Pierre. Devant les linges « posés à plat », il reste parfaitement incrédule quoique troublé. Il ne comprend pas ce qu’il s’est passé, et il lui faudra attendre que Jésus vivant se manifeste devant lui, dans sa chair de ressuscité. Cela est vrai de saint Thomas aussi, vous le savez bien. Aucun Apôtre – et encore moins saint Paul – n’a cru à la résurrection lorsqu’elle leur fut annoncée. Mais il a fallu que Jésus lui-même vienne à leur rencontre pour qu’ils aient la foi.
 
Et nous alors ? Nous sommes comme le centurion de Césarée. Nous écoutons, grâce aux évangiles, le témoignage de saint Pierre, de saint Jean, mais aussi de saint Matthieu et de saint Paul, dans ses lettres. Et le centurion croit parce qu’il croit au témoignage de Pierre. Lui ne bénéficie pas d’une vision de Jésus ressuscité, mais il a la vision de Pierre, qui lui raconte ce qu’il a vécu, ce qu’il a entendu et ce qu’il a vu. Et cela lui suffit.
Cela est également vrai pour nous, bien que nous nous soyons bien trop habitués au témoignage des évangiles et à la présence d’un évêque, successeur des Apôtres. Et pourtant ces évangiles qui remontent aux premiers temps de l’Église, comme ces évêques, dont la bénédiction remonte de mains en mains jusqu’aux Apôtres, ce sont des témoignages exceptionnels si l’on veut bien y prêter attention. Nous n’avons pas la vision de l’explosion que représente la résurrection de Jésus, mais nous en avons le souffle et le bruit. Quand on ressent le souffle d’une explosion et qu’on en entend la détonation, on en déduit évidemment qu’il y a eu une explosion, n’est-ce pas ? Alors, en ayant les évangiles et les évêques, nous ne croyons pas à la résurrection de Jésus ? Le centurion n’est pas si compliqué, et pourtant il n’est pas plus stupide que nous : il a écouté attentivement le témoignage de saint Pierre et il a cru que Jésus était vivant.
 
Que le Seigneur nous fasse donc la grâce d’éclairer notre esprit, pour qu’en lisant les évangiles et en considérant attentivement ce qu’est un évêque, nous comprenions toujours plus ce que la résurrection de Jésus signifie concrètement : l’accès pour nous, pauvres pécheurs, à l’univers nouveau du Royaume de Dieu. Cela est déjà vrai aujourd’hui, par les sacrements, et demain, au jour où Jésus nous relèvera, à notre tour, d’entre les morts, pour entrer entièrement, esprit, âme et corps, dans sa joie, sa paix et sa lumière.

30 mars 2024 - ARC-lès-GRAY - Dimanche de Pâques - Veillée pascale - Année B

Gn 1,1-2,2 ; Ex 14,15-15,1a ; Ez 36,16-17a.18-28 ; Rm 6,3b-11 ; Mc 16,1-7

Chers frères et sœurs,

Jésus, que nous avons suivi pas à pas depuis une semaine lors de sa montée royale à Jérusalem, lors des Rameaux, et surtout depuis deux jours – avant-hier lors de la sainte Cène, où il a lavé les pieds de ses disciples faisant d’eux des prêtres, puis hier lors de sa passion où il a donné sa vie pour nous ; notre Jésus, qui était mort, enseveli dans un tombeau, est aujourd’hui vivant.

Les femmes qui viennent au tombeau de grand matin ne sont pas des inconnues. Il y a Marie Madeleine, que Jésus avait délivré de sept démons et qui est depuis toute dévouée à lui. Il y a Marie, Mère de Jacques. D’après d’autres passages des évangiles, cette Marie est la sœur de la Vierge Marie et la femme de Clopas, qui est lui-même frère de saint Joseph. Marie et Clopas ont eu quatre garçons : Jacques, José (ou Joseph), Simon et Jude, ceux-là qui sont appelés les « frères » de Jésus, et qui sont donc en réalité ses cousins. Jacques deviendra le premier évêque de Jérusalem. L’Église l’appelle « Jacques le juste ». Il fut lapidé en 61 ou 62 sur ordre du Grand Prêtre Hanne, le beau-frère de Caïphe. Son petit frère Simon lui succédera. Il sera lui-même crucifié en l’an 108. La dernière femme présente au tombeau s’appelle Salomé, ou plus exactement Marie Salomé. Elle est la femme de Zébédée, pécheur du lac de Galilée. Ils ont deux fils qui sont devenus apôtres : Jacques et Jean, ceux que Jésus appelle les « fils du Tonnerre ». Avec Pierre et André, Jacques et Jean faisaient partie des tous premiers disciples. Ils étaient présents à la Transfiguration de Jésus. Marie Salomé s’était prosternée devant Jésus pour lui demander que ses fils soient à sa droite et à sa gauche à l’avènement de son Royaume. 
Donc, ce matin au tombeau, avec Marie-Madeleine, ce sont des mamans qui sont venues pour parfumer le corps de Jésus. Marie, Mère de Jacques, est tout simplement sa tante. On est en famille.

Saint Marc précise qu’on se trouve de grand matin, au premier jour de la semaine, au lever du soleil. Pourquoi insiste-t-il ? Parce qu’il fait référence aux sept jours de la Création. Dieu avait commencé à créer l’univers un dimanche. Il commence par séparer la lumière et les ténèbres (premier jour), puis les eaux au-dessus du ciel et les eaux qui sont en dessous (deuxième jour), puis dans les eaux qui sont en dessous, il sépare la mer et la terre, sur laquelle il sème des plantes (troisième jour). Le quatrième jour, il crée le soleil, la lune et toutes les étoiles du ciel. Le cinquième jour il crée tous les animaux, dans la mer, dans le ciel et sur la terre. Au sixième jour, donc le vendredi, il crée l’homme et la femme, Adam et Eve. Or, vendredi saint, c’est le jour où nous voyons Pilate désigner Jésus en disant : « Voici l’homme », et où Marie se trouve au pied de la croix. Ici le côté de Jésus endormi dans la mort est transpercé par une lance laissant s’échapper de l’eau et du sang annonçant le baptême et l’eucharistie sacrements constitutifs de l’Église, rappelant Eve – la vivante – qui avait été tirée de la côte d’Adam dans son sommeil. Au septième jour de la création, Dieu se repose : c’est le jour du sabbat. Justement, le Samedi Saint, Jésus, dans le silence, repose dans le tombeau.
Le matin de Pâques, nous voici donc de nouveau Dimanche, le huitième jour. Et c’est comme si la Création recommençait. Et d’abord par la lumière qui déchire les ténèbres. Voilà pourquoi saint Marc insiste sur le grand matin, le soleil levant, le premier jour de la semaine : la résurrection est une nouvelle création de Dieu. Jésus n’est pas ranimé, il n’est pas restauré : il est l’ultime perfection de la création de Dieu, son aboutissement, son couronnement. C’est pourquoi Jésus montre des facultés bizarres après sa résurrection : il peut apparaître et disparaître ; mais il n’est pas un fantôme : on peut toucher son corps, il peut manger du poisson. Jésus est entré – dirait-on – dans la « quatrième dimension ». Il est le premier homme ressuscité. Le premier-né d’entre les morts, entré dans la vie nouvelle créée par Dieu pour nous tous, par la puissance de l’Esprit Saint.

Voilà pourquoi le jour le plus important pour nous autres chrétiens est le dimanche : parce qu’il est le jour de la résurrection de Jésus, le jour où la création est arrivée à sa perfection, le huitième jour, qui annonce notre propre résurrection.
C’est ainsi que les baptistères des premiers siècles étaient en forme d’octogone : ce sont des bassins à huit côtés. À cause du huitième jour. Parce que l’homme qui est baptisé, passant par la mort et la résurrection de Jésus, est recréé comme lui en homme nouveau. Un baptisé, un chrétien, est un homme du huitième jour, un homme de la « quatrième dimension ». Grâce à Jésus et à son Esprit Saint, il a déjà un pied dans la nouvelle création.
Vous allez me dire : « mais comment savons-nous que nous sommes entrés dans la nouvelle création ? » Par le moyen d’un langage spécial que Jésus nous a laissé en héritage, incompréhensible à ceux qui n’ont pas la foi. Ce sont les sept sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la réconciliation, le mariage, l’Ordre, et le sacrement des malades. Avec les sacrements, nous appartenons à la nouvelle création et nous en vivons. C’est pourquoi l’Église elle-même n’est pas d’abord une institution humaine qui s’organise et se gouverne comme une institution humaine, car elle vient de Dieu : son organisation et sa vie interne – qui rassemble dans une même communion non seulement les baptisés sur la terre, mais aussi tous les saints du ciel – sont l’œuvre de l’Esprit Saint. L’Église elle-même est un sacrement.

Chers frères et sœurs, saint Marc a raconté ce qui s’est réellement passé, et c’est pourquoi il a indiqué quelle était l’identité exacte des premiers témoins. Ensuite, par le langage de l’Ancien testament, il a essayé de nous expliquer ce qui aujourd’hui encore nous paraît impossible : Jésus est vivant – et nous qui sommes baptisés, nous sommes en communion avec lui !

29 mars 2024 - ARC-lès-GRAY - Vendredi Saint - Célébration de la Passion du Seigneur - Année B

Is 52,13-53,12 ; Ps 30 ; Hb 4,14-16 ; 5,7-9 ; Jn 18,1-19,42
 
Chers frères et sœurs,
 
Hier, à l’occasion de la mémoire de la sainte Cène et du lavement des pieds, nous avons vu que Jésus agissait comme un prêtre, s’offrant lui-même à Dieu comme véritable Agneau pascal sacrifié pour le salut de tous les hommes, et qu’il avait fait de ses Apôtres des prêtres semblables à lui, dans l’Esprit de charité. Aujourd’hui, par un détail, saint Jean nous confirme que Jésus est bien le véritable prêtre : en effet, il porte une tunique sans coutures, que les soldats sont obligés de jouer aux dés pour se la partager sans la déchirer. Or, dans la liturgie du Temple, seul le Grand prêtre porte une tunique sans coutures.

De même, dimanche dernier, nous acclamions avec des rameaux Jésus montant à Jérusalem sur un petit âne, accomplissant ainsi le rituel d’intronisation des rois d’Israël, ce qui représentait une véritable provocation pour les pouvoirs politiques et religieux de Judée. Mais c’était surtout la préfiguration de la montée du Fils de l’Homme auprès de Dieu son Père, pour s’asseoir à sa droite sur son trône, montée qui sera accomplie en réalité lors de l’Ascension. Aujourd’hui, par un autre détail, saint Jean nous confirme également que Jésus est bien le véritable roi : en effet, il précise que le poids du mélange de myrrhe et d’aloès, des aromates employés pour l’ensevelissement de Jésus, pesait « environ cent livres », c’est-à-dire 32 kilos. Évidemment Nicodème, qui les offrait, était quelqu’un de très riche, et certainement aussi très généreux. Mais enfin, 32 kilos d’aromates, ce n’est justifié que pour l’enterrement… d’un roi.

Ainsi donc, Jésus est vraiment le roi d’Israël, le descendant de David tant attendu, roi de justice et de paix, bon berger, qui règne pour l’éternité dans le royaume de Dieu son Père, là où il nous attend. Et il est vraiment le Grand prêtre qui offre le seul véritable sacrifice qui sauve l’humanité du péché et de la mort, le sacrifice de lui-même par amour, dans le but de nous faire accéder justement à son Royaume de vie éternelle.
 
Mais nous voyons aujourd’hui que ce roi et Grand prêtre passe par la croix, supplice physiquement intolérable et ignominieux pour tout homme, et particulièrement pour les Juifs. Pourtant, il avait bien été annoncé par les prophètes, ainsi que nous l’avons entendu dans la lecture du Livre d’Isaïe. On peut également relire le Psaume 21 qui correspond parfaitement à la Passion de Jésus. Voilà donc que notre Jésus passe par la souffrance. Était-ce bien nécessaire ? Comment comprendre cette souffrance ?
 
Il est des souffrances multiples : insuffisances vitales, comme la faim ou la soif ; douleurs physiques, blessures ou tortures ; angoisses créées par la peur pour soi ou pour les autres ; mais aussi toutes sortes d’oppressions psychologiques et de déprimes, vécues dans une forme de solitude, à l’occasion du départ d’un être aimé par exemple, ou une rupture. Il n’est pas toujours facile d’ailleurs, d’y mettre des mots, tellement cette souffrance peut être intime et profonde.
Jésus a partagé avec nous toutes ces souffrances, non pas seulement en tant qu’homme, mais aussi en tant que Dieu – car il est l’un et l’autre inséparablement. Non pas qu’il ait voulu souffrir, mais il a souffert comme souffre tout être déchu et séparé de Dieu, exilé dans ce monde blessé par le péché qui conduit à la mort. Et nous comprenons que Dieu a fait sienne la souffrance de l’homme qui aspire à vivre épanoui, aimé et aimant, heureux, profondément heureux, dans la joie, la lumière et la paix. Et elle est sienne la souffrance de celui qui aime l’homme et veut sa vie jusqu’à lui donner la sienne, quand l’homme lui-même, détestant sa propre vie parfois, dans sa folie en vient à vouloir sa propre mort. Terrible douleur, terrible glaive qui vient transpercer l’âme de celui ou celle qui regarde une personne aimée qui souffre, comme Marie aux pieds de Jésus en croix.
 
N'attendez pas de moi que je vous donne un remède à la souffrance. Je n’en connaît pas qui soit infaillible.
On pourrait résumer l’histoire de notre civilisation moderne occidentale, et son effondrement, à une fuite devant la souffrance : jeux, drogues, jouissances diverses, droits multiples toujours plus étendus, franchissement des interdits comme celui de ne pas tuer… Dans ce monde, l’homme du futur, le trans-humain, ne doit connaître aucune souffrance et même ignorer la souffrance ultime de devoir mourir.
En regard notre Jésus n’a fui aucune souffrance et a regardé sa mort en face. C’était son combat à Gethsémani. Il l’a accepté, et il l’a accompli en sa Passion. Pourquoi, et comment ? Par la foi. Foi dans les paroles des Prophètes qui annonçaient que le Messie serait serviteur souffrant. Le chemin de croix est balisé : il n’est pas insensé. Foi dans sa mère et dans ses disciples. Oui, ils souffrent eux aussi, angoissés de ne pas pouvoir agir, et terrifiés par la peur. Mais ils sont proches et Jésus le voit et le sait par le cœur. Il n’est pas seul. Cette présence aimante et priante n’a pas de prix. Et surtout, foi dans son Père et dans la puissance de vie de son Esprit Saint. La souffrance de la croix ne conduit pas à la mort, mais à la vie éternelle. À tel point que, pour nous aujourd’hui, elle n’est plus un signe de malheur mais un signe de victoire. Car elle est devenue la clé si précieuse, qui ouvre la porte du Royaume des cieux.
 
La réponse à la souffrance que refuse le monde d’aujourd’hui, c’est la foi. La foi conduit au Royaume de Dieu, ce Royaume où règne notre Jésus, qui nous en a ouvert les portes par son sacrifice ultime offert par amour pour nous.

vendredi 29 mars 2024

28 mars 2024 - ARC-lès-GRAY - Jeudi Saint - Messe en mémoire de la Cène du Seigneur - Année B

Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
 
Chers frères et sœurs,
 
La lecture convenue des événements du Jeudi Saint en fait le mémorial du repas de Pâques célébré par Jésus avec ses Apôtres, au cours duquel, s’abaissant au rang d’esclave, il leur a lavé les pieds en signe d’humilité. Ainsi, l’eucharistie serait un repas faisant mémoire avant tout du service mutuel dans un esprit de fraternité. Soyons clairs : c’est un peu court.
 
Lorsqu’on analyse les témoignages des Apôtres concernant la sainte Cène, d’un point de vue purement historique, on se heurte à deux difficultés. La première regarde la date et la seconde le rituel.
En effet, selon Marc, Matthieu et Luc, Jésus semble célébrer la Pâque avec trois jours d’avance, ce qui est impossible puisqu’on ne peut célébrer la Pâque qu’avec un agneau pascal, qui sera sacrifié au moment même où Jésus sera crucifié – ce que précise saint Jean. Ainsi, pour mieux nous faire comprendre que la sainte Cène était l’annonce du sacrifice de Jésus à Pâques, Marc, Matthieu et Luc en auraient fait un repas pascal. Quant à saint Jean il insiste plus sur le fait que la mort de Jésus correspond exactement au sacrifice de l’agneau pascal, selon ce que Jésus avait annoncé lors de la Cène.
En réalité, Jésus a effectué le rite de l’offrande qui doit accompagner tout sacrifice dans le Temple, selon le livre des Nombres :
« Le Seigneur parla à Moïse. Il dit : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras : Quand vous entrerez dans le pays où vous habiterez, le pays que je vous donne, et que vous présenterez au Seigneur la nourriture offerte, holocauste ou sacrifice, pour accomplir un vœu ou pour rendre grâce, ou bien à l’occasion de vos fêtes, donc lorsque vous présenterez du gros ou du petit bétail en agréable odeur pour le Seigneur, alors celui qui apporte au Seigneur son présent réservé apportera une offrande d’un dixième de fleur de farine pétrie avec un quart de mesure d’huile et aussi un quart de mesure de vin pour la libation : tu l’ajouteras à l’holocauste ou au sacrifice, pour chaque agneau. » (Nb 15,4-5)
 
Il s’agit du rite de l’« offrande pure » qui préfigurait toutes les eucharisties, dont le Seigneur a parlé par la bouche du prophète Malachie :
« Car du levant au couchant du soleil, mon nom est grand parmi les nations. En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom et on présente une offrande pure, car mon nom est grand parmi les nations, – dit le Seigneur de l’univers. » (Ml 1,11)
 
Ainsi, cette « offrande pure » de pain et de vin, doit accompagner tout sacrifice, en particulier celui de Jésus lui-même, véritable agneau pascal, sacrifié lors de la Pâque, à tel point que par sa parole, « Ceci est mon Corps, Ceci est mon Sang », Jésus a identifié les deux : l’offrande pure et son propre sacrifice.
Cette particularité explique que ce rituel de pain et de vin a pu être très facilement détaché d’un simple repas. Et heureusement. Car très tôt – nous le savons par l’affrontement qu’il y a eu à ce sujet entre Pierre et Paul à Antioche – les chrétiens d’origine juive et ceux d’origine païenne ne pouvaient pas prendre leurs repas ensemble. Car les chrétiens d’origine juive suivaient toujours les prescriptions de la Loi de Moïse. Ainsi, très rapidement, la célébration eucharistique a été séparée des repas : elle avait lieu à l’aube, au soleil levant, après une nuit de prière, de lecture des Écritures, de partage de l’Évangile et d’enseignement des Apôtres. Ensuite chacun pouvait manger à sa guise.
 
Nous venons d’apprendre ici quelque chose d’essentiel concernant la sainte Cène, ou la première eucharistie. C’est que si Jésus l’a bien liée directement à son propre sacrifice au jour de Pâques, il n’en reste pas moins qu’à cette occasion, il a transformé le cénacle en Temple, puisque le rituel de « l’offrande pure » dont nous avons parlé se fait bien évidemment dans le Temple, à l’occasion de tout sacrifice sanglant. Ceci explique pourquoi il faut laver les pieds des Apôtres.
Alors que par ailleurs, face à des pharisiens qui s’indignaient que les Apôtres ne se lavaient pas les mains avant les repas, Jésus avait botté en touche en les traitant d’hypocrites, ici il veut absolument laver les pieds de ses Apôtres. De fait, pour pouvoir accéder au Temple lors des fêtes de Pâques, comme tout Juif, Jésus et ses Apôtres avaient suivi les prescriptions de la Loi : ils avaient pris un bain de purification : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. » a bien précisé Jésus. Mais il restait évidemment les pieds. C’est ainsi qu’on devait dénouer la courroie des sandales du Grand prêtre et lui laver les pieds pour qu’il puisse entrer dans le sanctuaire afin d’y présenter au Seigneur les offrandes et les sacrifices, selon ce qui a été prescrit à Moïse :
« Pour les ablutions, tu feras une cuve en bronze sur un support en bronze. Tu placeras la cuve entre la tente de la Rencontre et l’autel, et tu y verseras de l’eau. Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils entreront dans la tente de la Rencontre, ils se laveront avec l’eau, et ainsi ils ne mourront pas ; quand ils s’approcheront de l’autel pour officier, faire fumer une nourriture offerte pour le Seigneur, ils se laveront les mains et les pieds, et ainsi ils ne mourront pas. C’est là un décret perpétuel pour Aaron et sa descendance, de génération en génération. » (Ex 30,17-21)
 
Maintenant tout est clair. En voulant effectuer le rituel de l’offrande pure de pain et de vin conjoint et assimilé au sacrifice prochain de son Corps et de son Sang comme Agneau pascal, Jésus a transformé le Cénacle en Temple de Jérusalem. En lavant les pieds des Apôtres, il les a assimilés à Aaron et à des Grands prêtres consacrés pour offrir l’offrande et le sacrifice. C’est-à-dire comme dit Jésus à Pierre : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi » - tu n’auras pas part à mon sacerdoce. Pierre ne pouvait pas comprendre cela sur le moment. Il en est resté à la vision très sécularisée d’un Jésus s’abaissant à lui laver les pieds comme un simple esclave.
 
Justement, et c’est le dernier enseignement donné par Jésus à ses disciples. En se faisant lui-même serviteur ou lévite, Jésus montre que le véritable Grand prêtre, qui est aussi lui-même le véritable Agneau pascal, est aussi inséparablement celui qui donne sa vie par amour pour ses amis : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » On retrouve cette comparaison dans d’autres paroles de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » ou les enseignements de Paul : « Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. » Ce n’est pas pour rien que saint Jean a placé le récit de la Cène et du lavement des pieds sous le signe de l’amour donné : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »
Offrir l’offrande et le sacrifice, être soi-même l’Agneau pascal sacrifié pour le pardon des péchés, donner sa vie par amour et pardonner – pour Jésus, c’est la même chose. À cela il a voulu donner part à ses Apôtres : c’est la part des prêtres.
 
Maintenant chers frères et sœurs, écoutez bien. Normalement le lavement des pieds est un rituel pratiqué par l’évêque seul à l’égard de ses prêtres – et c’est cohérent avec ce que je viens d’expliquer, parce que l’évêque représente Jésus pour l’Église qui lui est confiée. Mais je vais aussi le faire maintenant à l’égard de simples baptisés.
Qu’ils se souviennent ainsi – et nous tous avez eux – que nous avons été baptisés et consacrés prêtres, prophètes et rois, pour offrir, en union avec le Christ et dans la force de l’Esprit toute notre vie à Dieu notre Père, selon la parole que le prêtre dit au début de la prière eucharistique : « Priez frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. »
Ainsi chers frères et sœurs, avec Jésus, par lui et en lui, entrons dans sa Pâque.
 
 

dimanche 24 mars 2024

24 mars 2024 - MEMBREY - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur - Année B

 Mc 11, 1-10
 
Chers frères et sœurs,
 
Quand nous entrons en procession dans l’église, que nous remontons l’allée centrale jusqu’à l’autel nous revivons la montée de Jésus à Jérusalem, en nous souvenant que cette montée avait deux significations.
 
La première est un rappel des temps anciens où les rois d’Israël étaient oints par de l’huile sainte avant de monter à Jérusalem assis sur un petit âne. Au temps de Jésus, ce rituel du couronnement n’avait pas été célébré depuis très longtemps. Un peu comme si aujourd’hui quelqu’un se faisait sacrer roi à la cathédrale de Reims. Jésus a enthousiasmé les foules, qui voyaient en lui l’homme providentiel, le vrai roi d’Israël, tant espéré et tant attendu. Mais il a aussi alarmé les pouvoirs politiques et religieux, qui finalement ont décidé de le tuer. Il devenait trop dangereux.
 
La seconde signification est une annonce de l’avenir, où selon la prophétie du prophète Daniel, le Fils de l’Homme montera dans les cieux acclamé par les anges après avoir vaincu les démons, pour s’asseoir sur son trône à la droite du Père. En montant à Jérusalem, acclamé par les foules, et après avoir en avoir chassé les marchands à coups de cordes, Jésus va entrer dans le Temple de Dieu, son Père. Jésus indique ainsi que le Fils de l’Homme dont il était question dans la prophétie, c’est lui. Mais sa véritable montée dans les cieux pour s’asseoir à la droite du Père, c’est à l’Ascension.
 
Jésus est donc le vrai roi d’Israël, le Bon Berger du peuple de Dieu, et il est aussi le Fils de l’Homme qui va s’asseoir à la droite du Père, c’est-à-dire le vrai Messie, le vrai Sauveur, celui qui enlève les péchés du monde.
 
Et nous, voilà qui nous sommes, avec nos rameaux : les acclamateurs du roi d’Israël qui monte à Jérusalem et du Fils de l’Homme qui monte dans les cieux. Avec les saints et tous les anges, acclamons avec joie Jésus, notre roi et notre Dieu !
 
 
Is 50, 4-7 ; Ps 22 ; Ph 2, 6-11 ; Mc 14, 1 – 15, 47
 
Chers frères et sœurs,
 
À partir de Gethsémani, l’histoire de Jésus est laissée aux mains du Mauvais et tout s’inverse jusqu’à la Résurrection.
 
Ainsi, les Apôtres qui avaient juré de ne pas renier Jésus ne sont pas capables de veiller une heure – bientôt ils vont s’enfuir en courant ; Judas trahit et livre Jésus… avec un baiser ; les Grands Prêtres jugent avec mépris l’homme Jésus et le condamnent, ne se rendant pas compte qu’ils passent eux-mêmes à ce moment même au tribunal de Dieu, et ils sont pardonnés ; Pierre qui avait osé tirer son épée contre le serviteur du Grand Prêtre au beau milieu d’une troupe en armes, maintenant a peur d’une petite servante désarmée ; Pilate, l’occupant romain, qui aurait dû être le plus intraitable contre Jésus, cherche à défendre sa vie contre les Grands Prêtres – ses compatriotes – qui veulent sa mort ; la foule qui avait acclamé Jésus comme roi, maintenant réclame sa mort sur une croix ; Jésus qui aurait dû être honoré comme vrai Roi de l’univers, est moqué, insulté et frappé comme un misérable ; Lui qui est le Fils de l’Homme, au moment de son élévation vers le Ciel pour être glorifié par les anges et les archanges, est élevé sur une croix et humilié par les insultes des passants et des Grands Prêtres ; à midi, au moment où le soleil est le plus éclatant,  l’obscurité se fit sur toute la terre ; Jésus qui avait dit qu’il ne boirait du vin qu’à l’avènement de son Règne éternel, se voit offrir du vinaigre au moment de son agonie ; et le centurion – un païen étranger à Israël – est le premier à confesser l’espérance d’Israël, la foi de l’Église : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! »
 
Tout est à l’envers. Tout est en ombres chinoises. Le blanc est devenu noir… mais aussi le noir est devenu blanc.
Car nous voyons là l’œuvre du Seigneur : Dieu s’est fait homme ; il s’est abaissé au plus bas de l’humanité jusqu’à être traité comme un paria, alors qu’il est innocent. Il s’est laissé conduire jusqu’à la mort ; il est descendu au séjour des morts. Mais pour libérer l’homme, en remonter l’homme, les hommes pécheurs, tous les hommes, jusqu’à les élever dans sa gloire, la gloire de Dieu, par la puissance de sa résurrection.
 
Souvenons-nous frères et sœurs : quand nous sommes les jouets du Mauvais et que nous sommes accusés et traités injustement, alors nous sommes comme Jésus, avec lui en sa Passion. En remettant à l’endroit ce qui apparaît à l’envers, par la foi, alors nous savons que toute injure sur terre deviendra une acclamation au ciel ; un coup sera effacé par une caresse ; des loups furieux seront remplacés par des anges ; une mort misérable ouvrira à une résurrection glorieuse. Car les premiers dans ce monde deviendront les derniers dans les cieux ; et les derniers en ce monde, par la foi, deviendront les premiers dans les cieux.
 
Voilà la grande leçon de Jésus en sa Passion. On y voit le Dieu innocent passer au tribunal des hommes qui le condamnent à mort ? Mais en réalité, ce qu’il faut vraiment voir, c’est l’inverse : la Passion de Jésus est l’heure du jugement de l’humanité où Dieu, prenant sur lui-même tous ses péchés, lui fait grâce, et lui accorde la vie éternelle.
Tel est le Dieu annoncé et attendu par les Juifs ; tel est le Dieu des chrétiens ; il n’y en a pas d’autre.

lundi 18 mars 2024

17 mars 2024 - PESMES - 5ème dimanche de Carême - Année B

 Jr 31, 31-34 ; Ps 50 ; He 5, 7-9 ; Jn 12, 20-33
 
Chers frères et sœurs,
 
« Nous voudrions voir Jésus »… Il y a deux observations à faire à partir de cette simple demande émise par quelques pèlerins.
 
La première est que ces gens sont venus à Jérusalem pour y adorer Dieu. Mais en définitive, ils veulent rencontrer Jésus pour le voir, exactement comme on cherche Dieu pour pouvoir le contempler et l’adorer. C’est-à-dire que, dans l’esprit de saint Jean au moins, ils pressentent ou ils ont compris que Jésus est Dieu. Et ils veulent le voir pour le contempler – comme les rois Mages l’avaient fait autrefois, à Bethléem. Heureusement, ces Grecs se sont adressés au diacre Philippe, plutôt qu’au descendant du roi Hérode…
Justement, et c’est la seconde observation, ces gens sont des Grecs, qui s’adressent à un disciple de Jésus lui-même d’origine ou de culture grecque : il s’appelle « Philippe » – c’est-à-dire « celui qui aime les chevaux », en grec. Et Philippe lui-même va s’adresser à l’Apôtre André – prénom également de langue grecque, qui signifie tout simplement : « homme ». Et c’est par ce dernier que nos braves pèlerins vont pouvoir rencontrer Jésus.
 
Il y a deux leçons à tirer de cet événement somme toute assez banal.
 
La première est que l’on n’accède pas facilement à la connaissance de Jésus ; il est utile de passer par des intermédiaires, qui soient de la même culture. Ici des Grecs passent par un grec, qui lui-même va voir un Apôtre de culture grecque, avant d’atteindre Jésus. Mais cela marche aussi en sens inverse. Quand les Apôtres ont envoyé des missionnaires, ils les ont envoyés deux par deux, le premier étant comme un apôtre et le second son traducteur dans la langue et la culture du pays où ils sont envoyés. Ainsi il y a gros à parier que saint Ferréol, qui était prêtre ou évêque était l’apôtre, et Ferjeux, son diacre, devait être en réalité un Séquane – il parlait la langue du pays et savait faire la différence entre un pot de cancoillotte et du comté ! Et c’est ainsi que par la parole de Ferjeux les Séquanes pouvaient plus facilement découvrir l’Évangile et, par l’enseignement de Ferréol, accéder à Jésus, c’est-à-dire au baptême. Évidemment, ce jeu entre l’apôtre et son traducteur vaut aussi par exemple entre un prêtre et un catéchiste, ou entre un catéchiste et un enfant du caté qui peut trouver les bons mots pour ses camarades un peu plus éloignés.
 
La seconde leçon est que, tout d’un coup, Jésus découvre que des étrangers – ici des Grecs – s’intéressent à lui et veulent le voir. C’est-à-dire que l’Évangile commence à atteindre des populations au-delà du seul peuple d’Israël. Alors, pour Jésus, c’est que l’Heure est venue. Et son Heure, est celle du don de sa vie sur la croix, pour le salut du monde – ce monde qui vient juste de commencer à le découvrir.
Si l’on prend une image, on peut dire que, par sa prédication du Royaume, par les guérisons qu’il a effectuées, les miracles qu’il a réalisés, Jésus a jeté un filet. Ce filet a atteint son extension maximale au moment où il a touché les premiers Grecs. Il reste maintenant à le ramener à terre, rempli de poissons. Et c’est pourquoi maintenant Jésus tourne son visage vers son Père, vers le Royaume des cieux, et entre dans l’épreuve de la Croix.
Cette conversion – peut-on dire – dans l’activité de Jésus n’est pas facile pour lui : humainement il sait très bien qu’il va tout droit vers la mort. Et c’est pourquoi il est bouleversé. Mais dans sa prière il se dit : « Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » En effet, ce n’est pas au moment de ramener le filet que le pêcheur va renoncer à sa pêche : ce serait absurde !  Jésus fait donc un acte de foi en son Père : oui, il est au pied de l’épreuve. Mais non, il ne va pas mourir : il va ressusciter – et avec lui tous les hommes pécheurs qu’il est venu prendre dans son filet et sauver. Sauver non pas seulement de la mort, mais aussi et surtout du pouvoir du prince de ce monde, que Jésus va vaincre et « jeter dehors » comme il dit. Alors, la voie pour monter au ciel sera libre : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
 
Chers frères et sœurs, il peut arriver que – dans nos vies – nous nous trouvions à un tournant où il faut choisir entre le renoncement et la fidélité à notre vocation, entre la facilité humaine et l’acte de foi en Dieu. Alors, souvenons-nous de Jésus et de son Heure. Quand vient la nôtre, réjouissons-nous : c’est que nous avons été trouvés dignes d’être semblables à Jésus et de monter avec lui vers le Père. C’est l’Esprit Saint qui nous en donne le courage et la force, avec – en même temps – une très profonde joie.

dimanche 10 mars 2024

09-10 mars 2024 - VELLEXON - PESMES - 4ème dimanche de Carême - Année B

 2Ch 36, 14-16.19-23 ; Ps 136 ; Ep 2, 4-10 ; Jn 3, 14-21
 
Chers frères et sœurs,
 
Dieu, qui nous a créés à son image, nous aime plus que tout. Il attend de nous que nous l’aimions nous aussi du mieux que nous pouvons, que nous écoutions sa Parole de vie, afin d’être bons et saints comme lui. Et c’est tout notre bonheur.
 
Aussi bien, lorsqu’on n’aime pas Dieu, qu’on n’écoute pas sa Parole de vie, on se divise, on se disperse, et finalement on se perd dans la nuit. Celui qui nous détourne de la lumière et nous entraîne vers l’obscurité, c’est le serpent menteur, qui a détourné Adam et Eve de l’obéissance à Dieu. Et ils ont été entraînés vers les ténèbres de la mort.
 
C’est ce qui est arrivé aux Hébreux qui vivaient à Jérusalem, au temps du roi Nabuchodonosor : ils étaient infidèles à l’amour de Dieu, ils adoraient les idoles et faisaient n’importe quoi, ils profanaient la Maison de Dieu, le Temple de Jérusalem. Dieu a voulu les avertir qu’ils s’égaraient, qu’ils allaient se perdre : il leur a envoyé les prophètes. Mais ils ont tué les prophètes. Alors Dieu a laissé le roi Nabuchodonosor conquérir la ville de Jérusalem, et détruire son Temple et exiler le peuple à Babylone. Dieu ne s’est pas réjoui de cela : il en a pleuré, parce qu’il aime son peuple. Mais le peuple ne l’écoutait plus.
 
Comme le fils prodigue, affamé, qui gardait les cochons, avait fini par se souvenir de la maison de son père et à regretter ses mauvaises actions, le peuple de Dieu, assis au bord des fleuves de Babylone – le Tigre et l’Euphrate – a eu la nostalgie de Jérusalem et s’est mis a regretter d’avoir abandonné Dieu. C’est le chant du Psaume que nous avons entendu. Cette tristesse a duré 70 ans. Jusqu’au jour où Dieu a pardonné à son peuple et a inspiré au roi Cyrus de faire reconstruire la Maison de Dieu, le Temple de Jérusalem, et d’y faire retourner le peuple. Quelle joie alors !! Quel cadeau inespéré !! C’est ainsi que le peuple a appris que, malgré toutes ses fautes, Dieu l’aime toujours et qu’il l’aimera toujours.
 
Cette histoire de la destruction de Jérusalem au temps du roi Nabuchodonosor, et de sa reconstruction au temps du roi Cyrus, est une leçon qui annonce une réalité plus grande encore.
 
Souvenez-vous d’Adam et Ève, qui avaient désobéi à la Parole de Dieu et qui ont été chassés du Paradis, perdus dans les ténèbres de la mort. Ils avaient été tentés par le serpent. Or le serpent a continué et continue toujours à tenter les hommes, et nous aussi. Le serpent, c’est le menteur, le diviseur : c’est celui qui veut détruire l’amour, la communion entre Dieu et les hommes, et des hommes entre eux.
 
Il s’est trouvé un jour que les Hébreux qui avaient fui l’Égypte se trouvaient dans le désert du Sinaï. Et ils étaient attaqués par des serpents. C’est-à-dire qu’ils commençaient à se détourner de Dieu, à se disputer entre eux, à se mentir, et l’unité du peuple de Dieu commençait à tourner au vinaigre. Moïse a prié pour le peuple et Dieu a donné une solution : Moïse a dressé sur un mat un serpent en bronze, et quand quelqu’un était mordu par un serpent, il regardait vers le serpent en bronze, et il était sauvé. À chaque tentation, désobéissance ou dispute, il fallait regarder vers le serpent de bronze.
 
Cette histoire de serpent de bronze est bien curieuse, mais Jésus en a donné l’explication à Nicodème. Nicodème était un riche pharisien, membre du Sanhédrin, qui aimait beaucoup Jésus et était un de ses disciples en secret. On fête saint Nicodème le 31 août, avec saint Joseph d’Arimathie. Et Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. » Le secret du serpent de bronze qui sauve quand on est mordu par les serpents tentateurs, menteurs et diviseurs, est que c’est Jésus lui-même, élevé sur la croix comme le serpent de bronze, qui sauve – non seulement Adam et Ève – mais aussi toute l’humanité – et nous aussi – des tentations du mauvais. La croix de Jésus c’est la réponse de Dieu à la chute d’Adam et Ève. Si la chute était une chute hors du Paradis vers la mort, la croix, c’est le pardon de Dieu qui fait passer de la mort à la vie éternelle, qui fait revenir au Paradis, et même mieux.
 
Ainsi, l’histoire de la destruction de Jérusalem au temps de Nabuchodonosor c’était le rappel de la chute d’Adam et Ève, qui avaient été, comme les Hébreux, désobéissants. Ils avaient tout perdu. Et l’histoire du retour à Jérusalem au temps du roi Cyrus, et de la reconstruction du Temple, c’est l’annonce de la mort de Jésus sur la croix et surtout de sa résurrection, qui ouvre les portes du Paradis et de la vie éternelle.
 
C’est pourquoi, pour nous chrétiens, la croix de Jésus est signe de pardon, de victoire sur le mal, et d’une joie immense. 

lundi 4 mars 2024

03 mars 2024 - PESMES - 3ème dimanche de Carême - Année B

 Ex 20, 1-17 ; Ps 18b ; 1Co 1, 22-25 ; Jn 2, 13-25
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes dans le temps du carême. Le premier dimanche, nous avons vu Jésus tenté au désert : il luttait contre des ennemis extérieurs. Le second dimanche – dimanche dernier – nous avons vu Jésus transfiguré en compagnie de Moïse et Elie, et Pierre, Jacques et Jean : si la croix est le chemin qu’emprunte Jésus pour le salut du monde, c’est bien vers la lumière, la gloire de Dieu qui est communion des saints, qu’il veut nous conduire. Aujourd’hui, troisième dimanche, nous voyons Jésus opérer une purification du Temple. Ici Jésus lutte non plus contre des ennemis extérieurs, mais contre des ennemis intérieurs.
En effet, Jésus souhaite que le Temple – la Maison de son Père – soit pur pour la Pâque : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Et il chasse marchands et changeurs avec un fouet de cordes. C’est typiquement un geste prophétique et c’est la raison pour laquelle les Juifs lui demandent de s’expliquer. Or le motif donné par Jésus est que ce Temple est la préfiguration de son Corps - dont nous savons qu’il est aussi l’Église. À travers son geste prophétique, Jésus souhaite donc que pour la Pâque l’Église en tant que communauté, soit purifiée.
 
Purifiée, c’est-à-dire qu’elle revienne à l’obéissance de son commandement : celui de l’amour de Dieu et celui du prochain, qui lui est semblable. C’est la raison pour laquelle nous avons eu le récit du don de la Loi en première lecture. Jésus demande que la Loi soit non seulement observée, mais qu’elle soit aussi approfondie dans le sens d’un plus grand amour, grâce au don de l’Esprit Saint. En langage chrétien, les questions que l’Église doit se poser en ce temps de carême sont celles de la manière dont elle honore l’adoration de Dieu, par l’Écoute de sa Parole et la prière d’Action de grâce, mais aussi la manière dont elle annonce l’Évangile dans le monde.
Il va de soi que le regard que nous devons poser sur notre vie d’Église, doit aussi et d’abord se porter sur chacun de nous, chacun dans son cœur. En effet, une addition de loups n’a jamais fait un troupeau d’agneaux ! Jésus souhaite donc que nous chassions de notre cœur les marchands et les changeurs, et tous les bestiaux qui n’ont rien à y faire – pour n’y laisser qu’un espace libre et paisible pour l’écoute de la Parole, la prière personnelle et collective, et la charité fraternelle.
 
Si nous identifions assez vite tout ce qui peut nous encombrer intérieurement : nos petits arrangements avec la vérité ; nos petits renoncements à agir, par paresse parfois ; nos petits caprices, dont on ne veut pas se débarrasser ; nos petites addictions dont nous n’arrivons pas à nous dégager et dont finalement on s’arrange bien… bref tout ce qui fait notre petite diplomatie intérieure, en nous disant : « Hof, le Bon Dieu comprendra bien…, n’est-ce pas !? » C’est là qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas de plus grand ennemi sur la terre que nous-même : un ennemi avec lequel nous collaborons souvent et devant qui nous capitulons sans trop de honte – surtout quand le crime est caché !
Mais attention, je ne suis pas en train de dire que la lutte contre soi-même soit une chose facile et qu’il suffit de dénoncer les compromissions pour qu’une conversion soit totale et immédiate. Ce serait trop facile et certainement même illusoire : soyons honnêtes et réalistes. Lutter contre soi-même est la chose la plus difficile qui soit. Et on peut se demander : « Mais alors, comment faire ? »
 
Regardons ce qu’il se passe au Temple. Ce ne sont pas les Juifs qui chassent les changeurs, les marchands et leur bétail. Ce ne sont évidemment pas ces encombrants  qui s’en vont d’eux-mêmes. Et ce ne sont pas non plus les disciples de Jésus qui les chassent. C’est Jésus lui-même, avec un fouet de cordes. Autrement dit, si nous voulons purifier notre cœur, il faut demander à Jésus que ce soit lui-même qui le fasse, car lui seul a la force et l’autorité pour le faire. Et il va utiliser pour cela un détail de ce bric-à-brac qui n’a rien à faire dans notre cœur, pour en faire un fouet. Il arrive parfois en effet dans nos vies qu’un événement – peut-être un détail, une rencontre, ou une lecture – arrive à nous bousculer et nous conduit à mener notre vie autrement et mieux. C’est ainsi. Et c’est possible.
 
Aussi bien, frères et sœurs, ce que Jésus nous demande d’abord, c’est d’avoir foi en lui : il a la capacité de nous dégager de tout ce qui nous encombre. Il nous demande d’espérer en lui contre toute espérance : rien ne peut résister à son amour, à la puissance de son Esprit Saint. Il nous demande de l’aimer et d’aimer notre prochain – test de vérification. Si nous sommes unis à lui par l’amour, alors nous n’avons rien à craindre : il pourra nous opérer à cœur ouvert, en vue de la joie, de la paix et de la lumière de Dieu.

dimanche 25 février 2024

24-25 février 2024 - CHARCENNE - VELLEXON - 2ème dimanche de Carême - Année B

Gn 22, 1-2.9-13.15-18 ; Ps 115 ; Rm 8,31b-34 ; Mc 9,2-10
 
Chers frères et sœurs,
 
Sur le chemin parfois difficile qui est le nôtre, qui passe par la Croix, nous sommes appelés à garder la foi dans le Seigneur, comme Abraham. Car le Seigneur, qui a accepté la mort de son Fils unique, Jésus, par amour pour nous, veut nous sauver par lui et nous ressusciter avec lui, dans sa gloire lumineuse, avec tous les saints. Tel est le sens général des lectures de ce dimanche. Je voudrais qu’on s’attarde un peu sur l’Évangile.
 
Comme toujours, il faut le lire en ayant à l’esprit ce qu’il s’est passé avant. Une grande foule était venue près de Jésus, parce qu’elle le percevait comme un homme providentiel. Comme elle n’avait pas à manger, à partir des sept pains disponibles, Jésus l’a nourrie abondamment. Puis les pharisiens – qui n’ont rien vu et rien compris – demandent à Jésus de leur donner un signe venant du ciel… En bateau vers Dalmanoutha, les Apôtres constatent qu’ils manquent de pain et se disputent entre eux. Jésus les attrape : « Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! » Et pourtant eux aussi avaient été témoins de la multiplication des pains. On amène ensuite à Jésus un aveugle-né, à qui il donne la vue. Jésus insiste sur le fait que les foules, les pharisiens, les Apôtres, tout comme l’aveugle-né ne voient pas et ne comprennent pas.
Il demande alors aux Apôtres : « Au dire des gens, qui suis-je ? » On lui répond : « Jean-Baptiste, Élie, un des prophètes » ; Jésus leur demande ensuite leur avis : « Et vous que dites-vous ? » Et Pierre répond : « Tu es le Christ. » Jésus leur annonce alors sa Passion prochaine, sa mort et sa résurrection. Personne ne comprend. Ils ne savent pas ce que veut dire « ressusciter » ; et Pierre s’oppose à Jésus : pour lui, ce n’est pas possible que le Christ souffre et meure ! Et ce n’est certainement pas non plus de cette manière-là qu’il va réussir à sauver le peuple d’Israël ! Mais Jésus lui répond violemment : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
À cette étape, on s’aperçoit que même Pierre qui a pourtant un peu de catéchisme, ne comprend rien à la mission de Jésus. Alors il leur redit qu’il n’y a pas d’autre chemin pour marcher à sa suite que de renoncer à soi-même et de prendre sa croix – et l’homme qui a honte de lui sur la terre, Jésus lui-même aura honte de cet homme quand il viendra dans sa gloire. Et c’est alors, que six jours après, Jésus choisit Pierre, Jacques et Jean pour aller avec lui sur la montagne. Pour qu’ils voient et qu’ils comprennent.
 
Il y a une erreur très courante que l’on fait à la lecture de la Transfiguration. C’est celle de penser que Jésus ou ses vêtements se sont allumés comme une ampoule – comme si l’homme Jésus était tout d’un coup traversé par une énergie qui le transformait en lumière pour devenir divin. Le problème est qu’en bonne théologie, Jésus est toujours le Verbe du Père, Dieu né de Dieu, lumière né de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, et qu’il est toujours en communion avec son Père dans l’Esprit Saint. Autrement dit, Jésus est toujours source de lumière.
C’est l’homme qui – comme l’aveugle-né – ne le voit pas. Aussi bien, à la Transfiguration, ce n’est pas tant Jésus qui a changé, que Pierre, Jacques et Jean, qui – par l’Esprit Saint qui les habite – ont les yeux ouverts pour qu’ils voient et qu’ils croient. C’est pour cela que Pierre se sent si bien sur la Montagne, tout habité qu’il est par l’Esprit Saint. La Transfiguration est pour les trois Apôtres un avant-goût de la résurrection – cette résurrection qu’ils ne comprenaient pas – un avant-goût du Royaume des Cieux, qui est l’objectif pour nous de la mission de Jésus. Ainsi par cette illumination, non seulement ils voient, mais aussi ils commencent de comprendre.
Dès lors, si Jésus a été transfiguré à leurs yeux, aux yeux de tous, Pierre, Jacques et Jean, eux, sont transformés. Ils ne sont plus pareils. Et cela est très important à comprendre car l’attitude des uns et des autres par la suite en découle.
 
La foule, qui venait à Jésus, attendant de lui un renouvellement politique et social, qui acclamera Jésus aux rameaux, sera la même qui l’insultera au moment de sa Passion, alors que Jésus donne sa vie pour elle, pour qu’elle obtienne le vrai renouvellement : celui de sa résurrection pour le Royaume.
Les pharisiens comme une partie des disciples, qui veulent des signes mais ne les voient pas – alors que Jésus a multiplié des pains et fait des guérisons extraordinaires – ne peuvent pas comprendre non plus : déçus, ce sont eux qui trahiront Jésus.
Pierre – pour ne prendre que lui – est transformé. Il était pêcheur, il n’exercera plus ce métier. Inutile d’attendre de lui qu’il reprenne un filet. C’est lui qui écrit  :
« En effet, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie ». Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. »
 
Pierre n’a jamais oublié la Transfiguration.
 
Et c’est pourquoi, quand l’Église s’organise après la Pentecôte, il dit aussi :
« Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. »
 
Pierre ne veut pas quitter le cœur de sa vocation – s’il y a des choses d’ordre pastoral à faire, c’est à d’autres, choisis à cette fin et tout à fait capables, de le faire. Si demain nous recevions Pierre ici-même, nous n’aurions pas l’idée absurde de lui demander de nous organiser une soirée-crêpes, mais plutôt de nous parler de Jésus, évidemment. Et bien sûr, ce serait là l’essentiel.
 
Chers frères et sœurs, retenons de l’Évangile de ce dimanche, qu’il appartient à Jésus et à lui seul d’ouvrir les yeux de ses disciples et d’illuminer leur intelligence pour qu’ils comprennent qui il est et quelle est sa mission, passant par la mort de la croix pour conduire tous les hommes à la gloire de la résurrection.
Mais aussi pour que chacun de nous puisse comprendre quelle est sa vocation particulière, personnelle, dans ce monde. Nous avons tous des vocations différentes, qui ne sont pas moins belles les unes que les autres, quand on se laisse habiter par l’Esprit Saint, et qui sont d’autant plus belles qu’elles sont complémentaires, révélant ainsi au monde le vrai visage du Christ dans son Église : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »

 

dimanche 18 février 2024

18 février 2024 - GRAY - 1er dimanche de Carême - Année B

 Gn 9, 8-15 ; Ps 24 ; 1P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15
 
Chers frères et sœurs,
 
Le temps du carême dure quarante jours, comme le temps du combat de Jésus contre Satan dura quarante jours. Notre temps de carême est donc aussi – mais pas seulement – un temps de combat spirituel. Si nous voulons en sortir vainqueurs, il est nécessaire d’en comprendre le sens.
 
Le baptême de Jésus est une théophanie – une manifestation de Dieu. L’Esprit Saint est descendu sur Jésus comme une colombe, et du ciel une voix s’est fait entendre : « Tu es mon Fils bien-aimé. En toi je trouve ma joie. » Dès lors le Satan qui jusqu’alors ne voyait en lui qu’un homme, a pu l’identifier pour qui il est réellement : le Fils de Dieu. Dès lors, le combat était inévitable.

Le premier combat, celui qui suit le baptême de Jésus, est une forme de test de la part de Satan, dont nous savons que Jésus sort victorieux : « Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. »  Saint Luc précise : « Le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé. » En effet, le combat décisif, le combat vital, est celui que Jésus a mené ensuite, à son Ascension, quarante jours après sa résurrection, où comme le dit saint Pierre dans sa lettre, Jésus s’est « soumis les anges ainsi que les Souverainetés et les Puissances ».

Nous comprenons donc bien qu’il y a une correspondance à établir entre d’une part le baptême de Jésus, suivi des quarante jours au désert avec le premier combat contre Satan, et, à la mort de Jean-Baptiste, l’annonce de l’Évangile de Dieu en Galilée – et, d’autre part, la mort et la résurrection de Jésus, suivie des quarante jours avant l’Ascension, combat décisif contre Satan et ses anges, et, quelques jours plus tard, à la Pentecôte, l’annonce de l’Évangile de Dieu à toutes les nations.
 
Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous pouvons faire trois observations.
 
La première est que le baptême de Jésus a suscité l’attention du Satan sur sa personne. Et le combat s’en est suivi. Comme la résurrection – où Jésus s’est révélé pleinement Dieu victorieux de la mort – a déclenché l’ultime combat « à mort » entre lui, le Seigneur glorieux, et les puissances des ténèbres. Il ne faut donc pas s’étonner que les baptisés soient tentés plus que tout autre homme en matière de foi, de charité et d’espérance, toutes ces vertus qui les tiennent en communion avec Dieu. C’est pourquoi d’ailleurs, le sacrement de la confirmation est si important.
 
Mais en quoi consiste exactement le combat. C’est ma seconde observation. Notre traduction de l’évangile de saint Marc dit : « Il resta quarante jours, tenté par Satan. » N’est-il pas intéressant de savoir qu’en araméen la racine du verbe « tenter » est la même que celle des verbes « élever » ou « enlever » ? Sur cette racine commune, la bible joue avec les mots : il y a tentation quand l’homme s’élève lui-même faussement par l’orgueil ; mais il y a ascension quand c’est Dieu qui l’élève, après avoir enlevé en lui la racine des péchés. On a vraiment un jeu de miroir entre les tentations de Jésus au désert et son Ascension au ciel. Avec toujours le même combat contre Satan en arrière-fond, qui prend l’homme par l’orgueil, son point faible, et éprouve sa foi, son espérance et sa charité, tâchant ainsi d’empêcher l’élévation de son âme vers Dieu. Mais alors, avec quelles armes lutter ?
 
Nous arrivons à ma troisième observation. Que firent les Apôtres entre l’Ascension de Jésus et la Pentecôte, où ils commencent à annoncer publiquement l’Évangile de Dieu ? « Tous d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères » dit saint Luc dans les Actes des Apôtres. Nous savons aussi – puisque Jésus le leur avait expressément demandé – qu’« ils rompaient le pain » – c’est-à-dire qu’ils célébraient l’Eucharistie.
Pour lutter contre les tentations, pour se prémunir des faiblesses dues à notre orgueil, pour renforcer notre foi, notre espérance et notre charité, les armes utiles sont donc : la charité fraternelle, la prière commune, en lien avec la mémoire de Jésus durant sa vie terrestre, mais aussi la fréquentation des Écritures qui l’ont annoncé – cette mémoire, c’était le rôle spécifique de Marie, des femmes, et de la famille de Jésus, mémoire consignée pour nous dans le Nouveau Testament – et enfin, la célébration de l’Eucharistie. Charité mutuelle, prière avec fréquentation des Écritures, et célébration de l’Eucharistie. Voilà les armes qui permettent d’être victorieux contre les tentations pour pouvoir aboutir, avec Jésus, à la joie, la paix et la lumière dans la communion des saints.
 
Comprenons donc que si nous entrons dans ce combat, non seulement nous le menons comme Jésus au désert, comme lui lors de son Ascension, en communion avec tous les baptisés depuis les Apôtres et la première communauté chrétienne de Jérusalem, en communion avec toute l’Église, mais surtout, nous savons qu’avec Jésus et avec l’assemblée des saints du ciel et de la terre, nous sommes déjà victorieux. Il n’y a donc rien à craindre, seulement à lutter avec patience et profonde joie jusqu’au jour de la victoire. 

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