dimanche 10 novembre 2024

10 novembre 2024 - GRAY - 32ème dimanche TO - Année B

 1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment lisons-nous l’Évangile ? Il y a une lecture qui consiste à s’insurger contre le cléricalisme insupportable des scribes et à s’apitoyer sur le sort de la pauvre veuve, injustement exploitée. Et Jésus de glorifier victorieusement cette dernière après avoir condamné lourdement les premiers. De fait, la leçon ne vaut pas seulement pour les scribes de Jérusalem d’hier, elle est aussi un avertissement sévère pour ceux de l’Église d’aujourd’hui. D’ailleurs, en attirant leur attention sur le geste généreux de la pauvre veuve, c’est bien à ses disciples seuls, et non à la foule en général, que Jésus s’adresse. Les voilà prévenus, et moi aussi !

Cependant, si on s’arrête à ce niveau de lecture, après qu’il ait reproché aux scribes, grands-prêtres et pharisiens, de vivre vissés dans l’observance de la Loi et d’y enfermer tout le monde – sans que personne ne puisse vraiment y vivre en conformité – on a tôt fait de Jésus un « père-la-morale » qui surenchérit dans l’échelle de la moralité. Comme l’observent souvent les disciples avec stupeur, dans bien des cas, l’évangile paraît à ce point exigeant qu’il en est humainement impraticable. Par extension, une telle approche transforme également tous les évangélisateurs et les prédicateurs en moralistes, prêchant un nouvel ordre moral. On ne voit pas très bien, alors, où est la bonne nouvelle ?

Mais on peut faire une lecture différente de notre évangile, où la morale de l’histoire n’est pas tout à fait la même. Au lieu de nous enfermer dans une culpabilité malsaine, elle nous ouvre au contraire une porte vers le ciel. En tous cas, je l’espère.

La première chose à faire quand on lit un passage de l’évangile est de se demander où et quand exactement la scène se passe. Ici, Jésus après avoir franchi le Jourdain, a guéri Bartimée à Jéricho, puis est monté à Jérusalem, y est entré en triomphe assis sur un âne et a pénétré dans le temple pour en chasser les marchands. C’est alors qu’il est entré en débat avec les autorités d’Israël. Comprenez que, tel Josué, Jésus est entré en Terre promise et en a entrepris la libération, puis la purification jusqu’en son cœur, pour y faire entrer en possession son peuple, le peuple des sauvés, des baptisés. Dans le temple où se trouve Jésus, l’objet des débats est donc le cœur de la foi, la nature même de la relation de l’homme avec Dieu. C’est essentiel de comprendre cela.
 
Dans notre évangile, il y a une opposition construite entre les scribes d’un côté et les veuves de l’autre. Les scribes sont les représentants d’une religion faite d’apparence extérieure, qui n’exprime pas un besoin vital, mais seulement une activité sociale somme toute accessoire : on va au temple comme on va au théâtre, pour se faire bien voir. En aucun cas, la vie des scribes ou des riches donateurs ne semble menacée, et même, par leurs dons généreux ils peuvent se targuer de permettre au temple de fonctionner. Au contraire, les veuves sont l’expression d’une religion où la relation avec Dieu est un enjeu vital : le devenir du temple ne dépend pas du don de la veuve, en revanche le devenir de la veuve dépend bien de la bénédiction de Dieu qui habite dans le temple. On voit donc que Jésus désigne quelle doit être la nature de la religion entre l’homme et Dieu : c’est une relation vitale.

Mais on peut faire un pas de plus. Pourquoi une veuve ? Et pourquoi pas un veuf ? Ou une Galiléenne ? Ou un samaritain ?... Jésus a vu une veuve, et c’est bien une veuve qui l’a impressionné. Ce n’est pas un hasard. La veuve, dans l’Évangile, c’est la femme qui a perdu son époux, qui a la nostalgie de son époux, qui espère et qui attend de le retrouver dans la vie éternelle. Cette veuve, pour un chrétien : c’est l’Église. Et même, si on veut donner plus d’intensité ou de chair à cette figure de l’Église, c’est la Bienheureuse Vierge Marie. Jésus est toujours sensible aux veuves parce qu’à travers elles, il voit la figure de sa mère. Il ne faut jamais l’oublier. Et c’est pourquoi dès les débuts les veuves ont toujours eu une place très particulière dans l’Église, et même un statut en particulier. Parce qu’elles sont la figure-même de l’Église qui attend son époux, le Christ Jésus, son Seigneur.

Donc, en désignant la veuve qui fait son offrande, Jésus enseigne à ses apôtres quelle est la religion attendue par le Père, la religion de l’Église : dans l’humilité, et même dans une grande pauvreté de moyens, l’Église honore son Dieu, verse deux piécettes dans le trésor du temple, fait avec foi l’offrande d’elle-même en sacrifice, dans l’attente, dans l’espérance, de la bénédiction du Seigneur, de son retour. On voit, à la lumière de l’histoire de la veuve de Sarepta que l’offrande du pain qui lui est demandée, qui vaut pour elle offrande de toute sa vie – et celle de son fils – est non seulement une offrande agréée mais elle est aussi une offrande inépuisable jusqu’au retour de la pluie – c’est-à-dire jusqu’au jour de la bénédiction de Dieu. Comprenons que l’offrande de l’eucharistie – si peu de choses en pratique – mais qui doit signifier pour nous toute notre vie, est non seulement l’offrande attendue par Dieu, mais qu’elle nous est donnée en nourriture jusqu’au retour de Jésus, Pentecôte définitive.
 
Chers frères et sœurs, Jésus est assis dans le temple : il est assis parce qu’il est en train d’exercer le jugement. Ainsi donc, nous serons jugés à la manière dont nous vivons notre relation avec le Seigneur. Ou bien, nous le traitons en valet, auquel nous accordons avec condescendance l’accessoire de notre vie, tout en affectant d’être les plus pieux des hommes – et nous serons sévèrement jugés ; ou bien nous le regardons comme la source unique de toute notre vie, pour laquelle nous ne savons et ne pouvons offrir que notre pauvre indigence, ou un peu de pain et un peu de vin, pour qu’ils les transforment et nous transfigure avec, dans sa vie éternelle, dans sa communion.

Articles les plus consultés