dimanche 31 mai 2020

30-31 mai 2020 - VELESMES-VALAY - Solennité de la Pentecôte - Année A


Ac 2,1-11 ; Ps 103 ; 1Co 12,3b-7.12-13 ; Jn 20,19-23

Chers frères et sœurs,

Il n’est pas possible de prêcher pour la Pentecôte comme si rien ne s’était passé depuis deux mois. Et il est difficile de mettre des mots sur une situation pénible, comme sur une blessure toujours douloureuse et, pour tout dire, humiliante. Et qui sait vraiment voir la réalité et en parler de manière juste, comme savaient le faire les prophètes du Seigneur, Jésus lui-même bien sûr, et ses Apôtres animés par son Esprit ? Je veux donc être modeste aujourd’hui, et vous partager ceci :

Il n’est pas besoin d’être chrétien pour comprendre que l’expérience de confinement que nous venons de vivre est en même temps un révélateur de la réalité et un accélérateur de l’histoire.

Révélateur de la réalité car, très rapidement, se sont manifestés les esprits de chacun, des familles, associations et communautés que nous formons, et jusqu’à l’État lui-même, à travers nos prises de paroles et nos actions concrètes. Repli sur soi ou générosité, dissimulation et mensonge ou bien action et vérité… 
Au IIIème siècle les évêques Cyprien de Carthage et Denys d’Alexandrie avaient été confrontés à la même difficulté que nous. Et pour eux, le partage des eaux était le même : soit on avait peur de la mort et, dans ce cas, on était porté à se comporter de manière inhumaine, soit on avait foi en la résurrection de Jésus et, dans ce cas, la peur ayant disparu, il n’y avait pas de limite à la générosité dans le service du prochain, quitte à mourir en martyr de la charité, à l’image de Jésus.
Le confinement que nous avons vécu est donc d’abord une épreuve de vérité pour notre foi.

Ensuite, cette expérience inédite, est un accélérateur de l’histoire. Certains ont été tentés de voir dans ces jours des prémices de l’Apocalypse. En effet, nous avons le sentiment que beaucoup de repères se sont écroulés – et parfois la hiérarchie ecclésiastique elle-même. Nous sentons que l’avenir est incertain. Et, pour ceux qui ont quelques connaissances de l’Ancien Testament, nous savons que les épreuves ne vont jamais seules : après la maladie, viennent souvent la famine et puis la guerre. Que le Seigneur nous en préserve !
Mais les évêques Cyprien et Denys ne pensaient pas que l’épidémie de leur temps était la fin du monde, mais seulement une épreuve. Il en va de même pour nous, car de la fin du monde, nous ne savons ni le jour ni l’heure. Cependant, nous ne devons pas nous leurrer : car si ce n’est pas la fin du monde, c’est au moins la fin d’un monde.
Cette épidémie va accélérer l’histoire et aggraver les fractures. Pour ce qui nous concerne, si la société s’éloignait de l’Église, elle s’en est éloignée encore plus ; si l’Église était un petit troupeau : elle l’est devenue encore plus. L’esprit du monde nous demandait déjà d’être forts dans le témoignage chrétien : il exige de nous encore bien plus, dès maintenant.
L’épreuve que nous avons vécue jusqu’à présent et dans laquelle nous sommes encore, a un effet accélérateur et aggravant. Mais heureusement, pas seulement pour le mal, mais aussi pour le bien ! Car c’est dans les grandes épreuves qu’on voit aussi à l’œuvre les plus grands saints !

Justement, jusqu’à présent il n’était pas besoin d’être chrétien pour faire toutes ces observations. Or chrétiens nous sommes. On peut dire que les Apôtres, entre la mort et la résurrection de Jésus, et la Pentecôte, ont vécu quelque chose de semblable : ils avaient peur ; ils ne savaient pas où aller ; ils étaient enfermés. Parfois Jésus venait les visiter, comme nous, nous avons sans doute ouvert notre poste de télévision, pour l’accueillir, pour suivre la messe du dimanche, sans mettre notre doigt à travers l’écran pour vérifier si c’était bien du direct… Mais voilà qu’au jour de la Pentecôte, les Apôtres de Jésus reçoivent l’Esprit Saint. Et là, tout change.

D’abord, par le don de son Esprit, Jésus prouve qu’il est vivant et qu’il est vivant éternellement. Aujourd’hui nous sommes de nouveau réunis pour l’eucharistie et recevoir la communion : il en sera toujours ainsi, quoiqu’il arrive, jusqu’au retour de Jésus, parce qu’il est toujours vivant.
Ensuite, l’Esprit Saint qui est répandu sur les Apôtres les purifie et les rend plus fort. On parle des sept dons de l’Esprit Saint : sagesse, intelligence, science, force, conseil, piété et crainte du Seigneur. Cette vie de Dieu nous est aussi donnée en ce temps d’épreuve, pour faire de nous des chrétiens solides, vivants et joyeux.
Et enfin, chose étonnante, les Apôtres qui vivaient dans la peur se sont mis à parler de Jésus au grand jour. Le don de l’Esprit Saint, c’est passer de la peur à la foi. Et c’est vrai pour nous aussi.

Aujourd’hui, chers frères et sœurs, par le fait même que vous soyez là, comme tous ces gens venus en pèlerinage à Jérusalem, vous montrez que votre cœur cherche l’Esprit du Seigneur, et même qu’il est prêt à le recevoir. Or c’est cet Esprit qui vous sera donné dans la communion, car Jésus est vivant, il est toujours présent, et il vous aime. Alléluia !

dimanche 24 mai 2020

24 mai 2020 - VELLEXON - 7ème dimanche de Pâques - Année A


Ac 1,12-14 ; Ps 26 ; 1P 4,13-16 ; Jn 17,1b-11a

Chers frères et sœurs,

Des lectures que nous venons d’entendre, nous pouvons tirer quelques enseignements destinés à nous encourager en ces temps incertains.

En premier lieu, remarquons que ce dimanche – placé entre l’Ascension et la Pentecôte – est très particulier. Il est vraiment le dimanche qui correspond le mieux à l’Église que nous formons, avec le Christ.
D’un côté nous voyons les Apôtres réunis dans la chambre haute, avec la Sainte Vierge Marie, la famille de Jésus et d’autres femmes, tous assidus à la prière, attendant le don de l’Esprit Saint. Ils formaient déjà l’Église de la terre, que notre petite assemblée d’aujourd’hui perpétue. Et de l’autre côté, pendant ce temps, Jésus lui-même n’est pas inactif : il prie intensément le Père pour eux, à l’époque, et pour nous, maintenant.
En effet, Jésus est la tête de l’Église et nous, nous sommes son corps. Jamais nous ne sommes séparés de lui, même si il est au ciel et nous dans le monde. Nous sommes toujours en communion ; communion perpétuelle manifestée à la Pentecôte par le don de l’Esprit Saint, et aujourd’hui par la communion eucharistique, à chaque messe.

Deuxième point : nous appartenons au Père et à Jésus. Écoutons sa prière : « J’ai manifesté ton Nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. » Et encore : « Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. »
Nous appartenons à Jésus et au Père. Depuis notre baptême, nous sommes enfants de Dieu et nous sommes ses héritiers : héritiers de l’amour miséricordieux et de la vie éternelle. Nous avons vocation à participer à la gloire de Dieu.
Ainsi, dans ce monde où nous attendons la venue de Jésus, nous n’avons aucune raison de craindre pour notre avenir : nous lui appartenons et nous appartenons au Père. Notre vie est avec eux. Et quand je dis « notre », c’est bien ensemble que nous sommes au Père, avec tous ceux qui nous ont précédé et ceux qui nous suivront.
Heureux sont-ils les baptisés, car c’est autant eux qui se donnent à Dieu, que Dieu qui se donne à eux. N’oublions jamais que le baptême est une alliance entre Dieu et l’homme. De son côté, Dieu s’engage à ce que nous puissions entrer dans sa vie. Et il tient parole. Si jamais nous sommes pécheurs, il fera ce qu’il faut pour nous tirer de là : c’est son affaire, c’est son mystère. Pour nous, croyons avec assurance que nous lui appartenons et qu’il nous aime jusqu’à la mort et au-delà de la mort. C’est l’essentiel.

Enfin, nous ne devons pas être étonnés si, dans ce monde, nous sommes incompris, si nous sommes un tout petit troupeau.
Comment peut-on en vouloir aux hommes qui n’ont pas fait de catéchisme et qui n’ont pas bénéficié de la prédication évangélique, de ne pas nous comprendre ? Ils sont du monde, et nous nous avons déjà un pied dans le ciel ! Pour eux, c’est incompréhensible. Cela ne doit pas nous empêcher de les aimer, bien au contraire.
Que nous soyons maintenant un petit troupeau ne doit pas non plus nous faire peur : nous sommes fils et filles de Dieu, héritiers de la vie éternelle. Nous sommes comme des hosties vivantes résidant dans le tabernacle de nos villages. Il nous revient d’être rayonnants de foi, de joie et de charité. Marchons avec courage, en chantant, sur le chemin du Seigneur, le cœur et l’âme en paix, dans l’attente de la venue de Jésus.

jeudi 21 mai 2020

21 mai 2020 - Ascension du Seigneur - Année A - Commentaire


Ac 1, 1-11, Ps 46, 2-3, 6-7, 8-9 ; Ep 1, 17-23 ; Mt 28, 16-20

Chers frères et sœurs,

Nous ne pouvons pas comprendre le sens de la fête de l’Ascension de Jésus si nous oublions que, par-dessus tout, Jésus aime son Père.
Or la volonté du Père est que l’homme, sa créature bien aimée, soit sauvée et revienne dans son amour éternel. Ainsi, lorsque Jésus ressuscité est de retour auprès du Père, lui ramenant cette brebis perdue sauvée au prix de son sang, il lui offre en même temps que le plus beau des cadeaux, la plus belle preuve de son amour.
L’Ascension de Jésus est l’offrande de l’humanité sauvée, accomplie par amour par Jésus ressuscité, à son Père. Et la preuve que le Père agrée cette offrande est, finalement, le don de l’Esprit Saint, à la Pentecôte.

L’Ascension de Jésus a lieu au quarantième jour après Pâques, en accomplissement de la Loi de Moïse, qui prescrit une offrande pour le rachat des garçons premiers-nés, quarante jours après leur naissance. Marie et Joseph ont d’ailleurs scrupuleusement respecté cette prescription lors de la Présentation de Jésus au Temple.
Il s’agit de comprendre ici que Jésus ressuscité est le véritable premier-né : celui qui est le premier né d’entre les morts pour une vie éternelle. Cependant, au lieu d’offrir des créatures innocentes pour racheter l’enfant, ici c’est l’inverse : l’enfant Jésus s’est offert lui-même pour le rachat des créatures pécheresses, c’est-à-dire les hommes.
Ainsi donc, à l’Ascension, Jésus offre l’humanité à son Père, et il s’offre aussi lui-même en rachat pour les péchés de cette humanité. Là encore, le don de l’Esprit prouve que le Père a agréé cette offrande et que nous sommes donc réellement libérés de nos péchés.

Maintenant, faisons un pas de plus pour entrer dans le mystère de l’Ascension.

Lorsque Jésus a célébré la première eucharistie, il a dit : « Ceci est mon corps, livré pour vous » ; « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. » Le pain et le vin, par cette consécration, sont devenus le Corps et le Sang de Jésus.
Or, le prêtre – qui représente liturgiquement le Christ – en fait ensuite l’offrande au Père, lorsqu’il dit, élevant la patène et le calice : « Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu le Père tout-Puissant, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Nous retrouvons dans la messe, précisément à ce moment, le mystère de l’Ascension.
À cette offrande faite par Jésus au Père, remplis d’espérance, nous joignons immédiatement notre prière, le « Notre-Père » : nous lui demandons son amour, le pardon de nos offenses et la délivrance du mal. Or, tout cela, le Père l’accorde finalement dans le don de l’Esprit Saint, c’est-à-dire pour nous, lors de la messe, dans la communion.

Pour terminer, revenons à l’Évangile du jour. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le magnifique tympan intérieur de la Basilique de Vézelay pour nous rappeler que, lorsque Jésus s’élève vers son Père, se présentant lui-même et nous-mêmes en offrande, c’est pour que nous soyons remplis d’Esprit Saint et en communion par lui avec le Père.
Cette vie nous est donnée pour que nous l’annoncions et la partagions auprès de nous et jusqu’au bout du monde, si le Seigneur nous y appelle. L’Ascension ouvre toujours à la Pentecôte. Et il n’y a jamais de Pentecôte sans Ascension préalable. Si nous voulons vraiment être des disciples-missionnaires, il nous faut d’abord être des amoureux de Dieu et lui demander dans notre prière la grâce de pouvoir nous offrir à lui, par amour pour lui et pour nos frères, à la suite de Jésus.




dimanche 10 mai 2020

10 mai 2020 - 5ème dimanche de Pâques - Année A - Commentaire


Ac 6,1-7 ; Ps 32, 1-2, 4-5, 18-19 ; 1P 2,4-9 ; Jn 14,1-12

Chers frères et sœurs,

Les textes de ce dimanche sont remplis d’enseignements pour l’Église, quelles que soient les époques et les situations.

Jésus prépare ses disciples à son départ. Leur cœur (c’est-à-dire leur attachement à Jésus mais aussi leur intelligence), ne comprend pas ce départ et le vit douloureusement. Jésus les rassure en expliquant qu’il va leur préparer une place.
La suite est déroutante et on comprend que les Apôtres aient du mal à saisir les propos de Jésus. Il leur explique, en effet, qu’il est lui-même le chemin par lequel il faut passer pour aller à la maison du Père. Et déjà, le connaissant par ses paroles et par ses œuvres, ils connaissent aussi qui est le Père.

Ces propos ne se comprennent que par le don de l’Esprit Saint qui seul peut ouvrir les cœurs. C’est par l’Esprit, en effet, que l’on peut « connaître » Jésus et donc aussi son Père. « Connaître » est une expression très spéciale de saint Jean qui doit se comprendre autant comme une illumination de l’intelligence que comme une communion spirituelle qui atteint jusqu’à nos sens physiques, comme ce fut le cas pour Pierre, Jacques et Jean lors de la Transfiguration.

Ainsi donc, Jésus est toujours le même, qu’il soit au ciel ou sur la terre, où ses paroles et ses gestes nous le rendent visible et compréhensible. Aux aveugles qui ne reconnaissent pas Jésus à travers ces signes, l’Esprit Saint donne la vue pour le « connaître » et trouver ainsi leur place dans le ciel, dans la maison du Père et en sa présence. Il n’y a donc rien de plus important – disait saint Séraphim de Sarov – que d’acquérir l’Esprit Saint. Ce don se demande tout simplement dans la prière.

Nous comprenons donc mieux les textes qui précèdent l’évangile. Je m’arrête ici à la première lecture.

En effet, les Apôtres ont trois occupations essentielles, dont deux sont fondamentales, qui sont aussi celles de l’Église en général et de tout chrétien en particulier. Écoutons les Douze : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. […] En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole. »

La première occupation essentielle des Apôtres est d’être « assidus à la prière ». Nous savons par ailleurs, que les Apôtres continuaient de fréquenter le Temple de Jérusalem pour les prières quotidiennes. Ainsi, ce que nous appelons la Liturgie des Heures (laudes, vêpres…) ou plus communément les prières du matin et du soir, sont les premières occupations, les premiers devoirs, des chrétiens. Cette prière est louange de Dieu, prière d’action de grâce et de demande. Rien ne doit détourner les chrétiens de cette activité fondamentale. Et l’on en comprend l’enjeu puisque par cette prière nous demandons à Dieu son Esprit Saint pour nous-mêmes et pour le monde : « Donne-nous notre pain de ce jour » !

La seconde occupation essentielle est le « service de la parole ». La Parole, c’est Jésus, dont les Apôtres furent les témoins oculaires et les serviteurs. La Parole se dit, elle s’enseigne et elle se met en pratique : il s’agit de connaître Jésus, ses paroles et ses œuvres. Elle est féconde : il y a en elle un principe de vie. Ainsi, est-il essentiel à l’Église et à nous-mêmes, de transmettre et faire connaître la Parole, c’est-à-dire Jésus dans ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Les traces écrites de cet enseignement sont les évangiles. Mais les sacrements en sont aussi les traces, exprimées par la parole et par le geste.

Ainsi donc prière assidue pour demander l’Esprit Saint et enseignement de la Parole, c’est-à-dire exposition du visage, des paroles et des actions de Jésus, sont les deux activités essentielles et nécessaires de l’Église (et de nous-mêmes) pour que les hommes puissent « connaître » Jésus et entrer dans la maison du Père. Les deux forment ensemble ce que l’on appelle la Tradition de l’Église.

La troisième occupation essentielle des Apôtres est le « service des tables », mais elle peut être déléguée par ordination. Il s’agit toujours d’une activité essentielle de l’Église qui demeure de la responsabilité des successeurs des Apôtres, mais sa mise en œuvre peut en être partagée. La charité, qui est la communion des cœurs et des biens, découle des deux occupations précédentes. C’est par le don de l’Esprit et la connaissance de Jésus que l’on trouve la capacité d’exercer librement et en vérité la charité. La charité, en retour, est comme le sceau qui vérifie l’authenticité de la prière et de la connaissance de la Parole, c’est-à-dire de Jésus.

Il s’agit alors d’en tirer la conclusion pour l’Église : quelles que soient les époques et les situations, il est essentiel qu’elle prie, qu’elle enseigne et qu’elle exerce la charité. C’est ainsi que, chaque jour, par l’Esprit Saint, Jésus est présent vivant au milieu de nous et que nous sommes en communion avec lui.

lundi 4 mai 2020

03 mai 2020 - 4ème dimanche de Pâques - Année A - Commentaire


Ac 2,14a.36-41 ; Ps 22 ; 1P 2,20b-25 ; Jn 10,1-10

Chers frères et sœurs,

Une fois n’est pas coutume, je vais commenter la seconde lecture plutôt que l’évangile. Une phrase de la lettre de saint Pierre attire mon attention : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » et nous lisons aussitôt : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »
Les choses sont claires : le Seigneur Jésus a souffert pour nous, afin de nous faire entrer au ciel. Nous sommes tous appelés à le suivre, et si certains sont conduits à souffrir comme lui – parce qu’ils ont fait le bien – alors c’est une grâce pour eux. Nous trouvons ici le motif de la vénération que les chrétiens ont toujours portée aux martyrs de sang, mais aussi aux martyrs de la charité, quand la pratique de celle-ci les a aussi conduits à la mort.

Nous retrouvons cette vision des choses dans deux témoignages d’évêques du IIIème siècle, confrontés en leur temps à une épidémie massive : Saint Denys d’Alexandrie, et Saint Cyprien de Carthage. Ces témoignages ont été étudiés par le sociologue Rodney Stark, dans un chapitre de son livre L’Essor du christianisme, paru en 2013, dont je vous recommande la lecture.

Saint Cyprien de Carthage écrit en 251. Pour lui, seuls les non-chrétiens avaient quelque chose à redouter de la peste. En effet, alors que la mort frappe indistinctement justes et injustes, elle n’est pas pour autant identique pour eux : « Les justes sont appelés à jouir d’un bonheur éternel, tandis que les injustes sont livrés au supplice ; les croyants trouvent une protection dans leur foi, les incroyants ne recueillent que des châtiments. »
Son jugement nous paraît dur, mais Saint Cyprien en donne les motifs : « […] comment ignorer l’importance et la nécessité de ce fléau, de cette peste si horrible et funeste en apparence, qui éprouve l’équité de chacun et sonde l’âme de l’homme afin de déceler si les forts assistent les faibles, si les parents nourrissent des sentiments affectueux à l’égard des leurs ; si les maîtres traitent avec bienveillance leurs serviteurs accablés de travail ; si les médecins ne négligent pas leurs malades ».
Le jugement porte donc sur la manière dont on se comporte pendant l’épidémie. Pour le chrétien, explique Saint Cyprien, la condition de mortel a l’avantage de lui « faire aborder le martyre sans répulsion en lui apprenant à ne pas craindre la mort » : « Tous les événements qui composent notre existence de mortels sont autant d’occasions d’exercer nos qualités, non de nous affliger ; ils permettent à notre âme d’accéder à la gloire de la vaillance et la préparent à l’apothéose en l’habituant à mépriser la mort. » Ainsi, ajoute-t-il « Nous ne devons pas nous affliger du rappel à Dieu de nos frères, puisque nous savons bien qu’ils ne sont pas perdus, mais qu’ils ne font que nous devancer. »

Ainsi donc, selon Saint Cyprien, face à l’épidémie qui frappe tout le monde, le chrétien, qui n’a pas peur de la mort, peut librement exercer la charité à l’égard de son prochain. S’il est lui-même touché et meurt pour ce motif, il est assimilé à un martyr et il est appelé au bonheur éternel. Le païen, par peur de la mort, au contraire, se refuse à la charité et, partant de là, se ferme le ciel.

Saint Denys d’Alexandrie écrit au moment de la fête de la Pâque, en 262. La situation est difficile : « A présent, vraiment, tout est lamentation, tous sont dans le deuil ; les gémissements retentissent dans la ville à cause de la multitude de ceux qui sont morts et de ceux qui meurent chaque jour. »
Comme Saint Cyprien, Saint Denys compare l’état d’esprit des païens et celui des chrétiens : « Pour eux, ce fut chose plus redoutable que tout autre objet de crainte, donc plus cruelle que n’importe quel malheur, et, comme l’a rapporté un de leurs écrivains, « l’unique affaire entre toutes qui ait dépassé toute attente ». Pour nous, elle ne fut pas cela mais elle fut, tout comme les autres épreuves [de la persécution], une palestre et un test, car la maladie ne nous a pas épargnés, nous non plus, si elle a beaucoup frappé les païens. »
Tandis donc que les païens apparaissent écrasés par le fléau, les chrétiens réagissent différemment : « La plupart de nos frères en tous cas, débordants de charité et d’amour fraternel, sans s’épargner personnellement, s’attachaient les uns aux autres, visitaient sans se ménager les malades, les servaient magnifiquement, les soignaient dans le Christ et ils étaient heureux d’être emportés avec eux, contaminés par le mal des autres, attirant de leurs proches la maladie sur eux-mêmes et se chargeant volontiers de leurs souffrances. Beaucoup mouraient, après avoir soigné et réconforté les autres, ayant transféré sur eux la mort des autres ; ils accomplissaient dans la réalité le mot bien connu, qui semblait être toujours de pure bienveillance : ils s’en allaient comme les « très humbles serviteurs » de leurs frères. Les meilleurs de nos frères sortirent donc ainsi de la vie – des prêtres, des diacres, des laïcs –, couverts de louanges, car ce genre de mort provoquée par une grande piété et une foi robuste ne paraissent en rien inférieur au martyre. Ils recevaient les corps des saints dans leurs mains tendues et sur leur poitrine ; ils purifiaient leurs yeux et fermaient leurs bouches ; ils les portaient sur leurs épaules et les ensevelissaient ; ils s’attachaient à eux, les embrassaient, les paraient de vêtements, après les avoir baignés ; et peu après ils obtenaient les mêmes soins, car les survivants poursuivaient sans cesse l’œuvre de leurs devanciers. »
Au contraire, en effet, tout opposée était la conduite des païens : « Même ceux qui commençaient à être malades, ils les chassaient ; ils fuyaient les personnes les plus chères ; ils jetaient dans les rues des hommes à demi morts ; ils mettaient eu rebut des cadavres sans sépulture, dans leur désir d’échapper à la transmission et au contact de la mort, mais même à ceux qui employaient toutes sortes de moyens, il n’était pas facile de l’écarter. »

Saint Denys parle comme Saint Cyprien : à Alexandrie comme à Carthage, n’ayant pas peur de la mort, les chrétiens déploient des trésors de charité sans craindre pour eux-mêmes. Et s’ils se trouvent eux-aussi emportés par l’épidémie, ils atteignent à la gloire du martyre, c’est-à-dire la mort à l’image de celle du Seigneur Jésus qui nous a enseigné : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Au contraire, les païens sont ici aussi caractérisés par la peur de la mort et les réactions inhumaines.

Finalement, on s’aperçoit qu’à Carthage en 251 comme à Alexandrie en 262, l’épidémie n’est pas perçue par les chrétiens comme une malédiction contre qui que ce soit. Elle est plutôt perçue par eux comme une épreuve, un test pour la foi en la résurrection. De cette foi naît une intense charité, qui apparaît alors comme la porte du ciel.

Alors que nous sommes aujourd’hui confrontés à la même épreuve, nous avons dans l’épître de Saint Pierre comme dans les témoignages de Saint Cyprien et Saint Denys de quoi nourrir notre foi et donner force à notre charité. Que le Seigneur nous fasse la grâce de nous montrer dignes de nos anciens dans la foi.

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