lundi 25 juillet 2022

23-24 juillet 2022 - VEZET - GRANDECOURT - 17ème dimanche TO - Année C

Gn 18,20-32 ; Ps 137 ; Col 2,12-14 ; Lc 11,13
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans certaines conceptions religieuses, soit Dieu est inaccessible et indifférent aux hommes – c’est le dieu des Grecs ; soit il est à ce point despote qu’il n’y a aucun dialogue possible avec lui : l’homme lui est entièrement soumis. Tel n’est pas le Dieu d’Israël. En effet, Abraham peut discuter avec Dieu et même infléchir ses décisions : Dieu est prêt à sauver Sodome s’il y trouve quelques justes. De même Jean-Baptiste a appris à prier à ses disciples, car la conversation entre l’homme et Dieu doit être constante : faire mémoire de lui et de son action dans le monde et lui en rendre grâce ; mais aussi lui rappeler notre pauvre condition humaine et lui faire part de notre besoin de secours. C’est donc très naturellement que Jésus est prêt à enseigner à ses disciples, non seulement qu’on peut prier Dieu, mais aussi qu’il est bon de le faire, pour nous-mêmes et pour tous les hommes.
 
En accentuant ce que je viens de dire sur la possibilité de l’homme de s’adresser à Dieu, Jésus commence par nous demander de l’appeler « Père » ou plutôt « Papa ». C’est dire que nous sommes ses enfants et que la relation que nous avons avec lui est une relation d’affection. La prière de Jésus est une prière qui se fait dans une ambiance de confiance et d’amour mutuel entre l’homme et Dieu. Ensuite, Jésus enseigne cinq demandes. 
La première : « Que ton Nom soit sanctifié », que l’on peut aussi traduire par « Que ton Nom soit consacré ». Comprenons bien qu’il ne nous revient pas à nous de décerner des brevets de sainteté et de consécration à Dieu ! La demande porte sur-nous-mêmes : « Que ton Nom, que ta Divinité, soit sanctifiée, consacrée, en nous, dans notre cœur, dans notre monde. »
La seconde : « Que ton règne vienne. » C’est la suite logique : si Dieu habite nos cœurs, notre monde, comme dans un Temple, alors naturellement sa gloire va s’étendre à l’univers entier, et Dieu règnera partout et pour toujours. Ce sera son règne de paix.
La troisième : « Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour. » Ici Jésus nous fait demander en même temps le pain dont nous avons besoin pour vivre humainement, mais aussi celui de la vie éternelle, qui est l’eucharistie. Et ce pain, nous en avons besoin chaque jour, c’est-à-dire de manière permanente si ce n’est perpétuelle. En fait, nous demandons à Dieu sa Vie, pour que nous vivions, non pas seulement dans ce temps, mais aussi et surtout dans l’éternité.
La quatrième : « Pardonne-nous nos péchés. » En réalité saint Luc ne parle pas de « pardonner » des péchés ou des « torts », mais de « remettre » des péchés ou des « dettes ». Il faut comprendre qu’un grec parle avec des concepts, mais qu’un hébreu parle avec des images : « Remettre des dettes » pour un hébreu, signifie exactement la même chose que « Pardonner des péchés » pour un grec. Ce qui est important dans les deux cas, c’est que la remise de dette ou le pardon des péchés n’est pas quelque chose d’impossible. Au contraire : on peut rembourser ou même effacer une dette, comme on peut pardonner un péché. Or Jésus nous autorise et même nous recommande de faire cette demande à Dieu : c’est possible. D’ailleurs, nous pouvons déjà pratiquer nous-mêmes cette bonté envers les autres, comme nous espérons que Dieu le fera à notre égard.
Et la dernière demande « Ne nous laisse pas entrer en tentation. » Avez-vous remarqué à quel point nous descendons à chaque demande, dans les ténèbres de nos cœurs ? Nous étions partis du saint Nom de Dieu, qui vient régner dans l’univers, dans lequel nous avons besoin de vivre de sa Vie ; nous avons besoin d’être pardonnés, libérés de nos péchés, et maintenant d’être délivrés du mal. La prière de Jésus est une prière qui fait descendre l’amour de Dieu, la vie de Dieu, la lumière de Dieu jusqu’au plus profond de nos cœurs, de notre humanité, pour qu’ils soient illuminés, vivifiés, remplis d’amour.
 
Une fois cet enseignement terminé, les disciples ne répondent rien. Probablement, les demandes que Jésus nous demande de faire dans notre prière dépassent trop ce qu’il serait possible de demander à Dieu. Alors Jésus raconte la parabole de l’ami importun. 
Qui est-il ? L’ami qui toque à la porte pour demander du pain : c’est nous, qui disons le Notre-Père. Et celui qui dort dans la maison, avec ses enfants, c’est Dieu. Jésus termine sa parabole en disant : « il lui donnera tout ce qu’il lui faut. » Et il ajoute : « Demandez, on vous donnera ». En grec et en hébreu, la tournure de la phrase est mieux respectée : Jésus dit : « Demandez, il vous sera donné », car jamais un Juif ne dit le Nom de Dieu. Quand il veut dire que Dieu va faire quelque chose, il fait une périphrase. Ainsi « il vous sera donné » signifie : « Dieu vous donnera » ; « Frappez : Dieu vous ouvrira ». Et si l’on n’a pas encore compris son enseignement, Jésus insiste : « Quiconque demande reçoit ». Il ne dit pas « Quiconque demande recevra », au futur, mais « reçoit », au présent. Et là, encore mauvaise traduction : « à qui frappe, - non pas « on ouvrira » mais – il est ouvert » ! C’est-à-dire : à qui y frappe dans sa prière, Dieu a déjà ouvert sa porte d’amour, de vie et de lumière, et cette porte est toujours ouverte. Dès maintenant.
 
Je termine par une petite originalité de l’évangile de Luc. La fin de l’enseignement de Jésus se termine sur l’idée que, si nous qui sommes mauvais nous savons donner des choses bonnes à nos enfants, alors combien plus Dieu, qui seul est vraiment bon, nous donnera de « bonnes choses », comme dirait Saint-Matthieu. Mais à la place de « bonnes choses » Luc a parlé de l’Esprit Saint. Quand Dieu donne, il donne l’Esprit Saint. En fait, il se donne tout-entier lui-même à nous. Tel est le vrai pain de ce jour.

17 juillet 2022 - ARC-lès-GRAY - 16ème dimanche TO - Année C

 Gn 18,1-10a ; Ps 14 ; Col 1,24-28 ; Lc 10,38-42
 
Chers frères et sœurs,
 
Tout le monde connaît l’histoire de Marthe et Marie. Et tout le monde s’étrangle en voyant Jésus prendre la défense de Marie contre Marthe, qui pourtant s’épuise à vouloir lui rendre service. « C’est vraiment trop injuste ! » pourrions-nous penser. Mais, avant d’émettre un jugement, prenons le temps de lire attentivement ce que nous dit saint Luc.
En premier lieu, qui sont Marthe et Marie, et leur frère Lazare ? Nous observons que Marthe est maîtresse en sa maison – il n’y a pas d’homme. Ceci est tout à fait spécial : dans la société de l’époque, la seule explication possible est que Marthe est une veuve appartenant à la plus haute société, comme Lydie, la marchande de pourpre qui accueillait saint Paul, et qui appartenait à la famille impériale. Ici Marthe – en raison de son prénom et de celui de ses frère et sœur – est très probablement de l’ancienne famille très riche des grands prêtres du temps du roi Hérode, avant la domination romaine. Le souci de Marthe consisterait donc ici à donner des ordres à son personnel pour que l’accueil de Jésus et de ses disciples soit parfaitement organisé. Marthe est une femme qui dirige son monde – et assez logiquement, elle désire que sa sœur participe à l’action.
 
Lorsque saint Luc écrit qu’elle était « accaparée », le verbe employé renvoie à une citation de l’Ecclésiaste : « J’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer, grâce à la sagesse, tout ce qui se fait sous le ciel ; c’est là une rude besogne que Dieu donne aux fils d’Adam pour les tenir en haleine. J’ai vu tout ce qui se fait et se refait sous le soleil. Eh bien ! Tout cela n’est que vanité et poursuite du vent. »
Et saint Paul réemploie le même verbe dans sa première lettre aux Corinthiens : « Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé. La femme sans mari, ou celle qui reste vierge, a le souci des affaires du Seigneur, afin d’être sanctifiée dans son corps et son esprit. Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde, elle cherche comment plaire à son mari. »
On comprend assez vite que la pauvre Marthe, qui veut pourtant bien faire, est en réalité dispersée, éparpillée, et qu’elle se noie. D’ailleurs, elle s’exclame auprès de Jésus : « Cela ne te fais rien ? », la même expression que les Apôtres ont employée au beau milieu de la tempête sur le lac : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Et Jésus répond à Marthe : « Tu t’agites pour bien des choses ! » Marthe n’y arrive pas, parce que son cœur est divisé, éparpillé, comme une boussole qui ne trouve pas le nord, comme un bateau qui n’a pas de quille, comme une plante sans racines, épuisée par le soleil.
 
Au contraire, Marie, qui se trouve aux pieds du Seigneur pour écouter sa parole, a choisi – non pas la « meilleur part » mais la « bonne part », c’est-à-dire la part qui est réservé aux lévites : Dieu lui-même. De fait, quand Jésus dit à Marthe qu’une seule chose est nécessaire, il lui rappelle le premier commandement : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force », ce que Marie a justement choisi de mettre en application.

Souvenons-nous maintenant des évangiles des deux dimanches précédents, où le docteur de la Loi avait lié le commandement de l’amour de Dieu à celui de l’amour du prochain. En fait, comme le bon Samaritain, Marthe est tout entière donnée dans le commandement de l’amour du prochain : elle voit bien Dieu en Jésus, elle fait tout – elle donne tout pour lui. Mais elle est perdue, parce qu’elle a oublié que l’amour de Dieu doit être premier, dans son cœur. Elle doit avoir foi que Jésus sait, et qu’il voit tout ce qu’elle fait pour lui : elle n’a pas besoin de le lui rappeler. Jésus dormait dans la barque, quand ses Apôtres ont eu peur, mais Jésus leur a répondu : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Jésus aime autant Marthe que Marie, mais Marthe – tout à son énergie à vouloir aimer son prochain, avait oublié l’unique nécessaire : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. »
Dimanche dernier nous avons vu que Jésus reliait le commandement de l’amour de Dieu à la vie éternelle, et le commandement de l’amour du prochain à la sainteté. Aujourd’hui, nous voyons qu’il ne peut pas y avoir de sainteté s’il n’y a pas d’abord un enracinement dans la vie éternelle. Si nous voulons rayonner d’une charité authentique envers les autres sans nous épuiser et sans nous perdre, il nous faut d’abord et sans cesse partager cette charité avec Dieu lui-même.
J’ajouterai ici qu’il y a aussi des différences selon les vocations de chacun. Il y a en saint Pierre quelque chose de Marthe, et en saint Jean quelque chose de Marie. Jésus a fait à Pierre cette réponse, quand il s’inquiétait de la participation active de saint Jean à la pastorale missionnaire de l’Église naissante : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. »
 
Je termine par une petite observation curieuse, dont les juifs sont très friands quand ils lisent les Écritures. Les prénoms de Marthe et de Marie sont formés sur la même racine hébraïque, qui donne aussi « le Seigneur », comme si tous les trois étaient si profondément liés dans l’amour mutuel, que même par leurs noms, ils sont unis comme de vrais frères et sœurs. 

mercredi 20 juillet 2022

09-10 Juillet 2022 - THEULEY - MONT-lès-ETRELLES - 15ème dimanche TO - Année C

 Dt 30,10-14 ; Ps 68 ; Col 1,15-20 ; Lc 10,25-37
 
Chers frères et sœurs,
 
À première vue, l’évangile de ce dimanche se comprend très bien : Jésus encourage le docteur de la Loi – c’est-à-dire nous, avec lui – à aimer d’abord le Seigneur notre Dieu « de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force », selon le commandement donné par Dieu à Moïse, au livre du Deutéronome, afin que nous vivions éternellement. Ensuite, Jésus nous appelle à aimer notre prochain comme nous-mêmes, ainsi qu’il est demandé au peuple d’Israël au livre du Lévitique, afin que nous soyons saints. Voilà donc les secrets de la vie éternelle et de la sainteté.
Aimer Dieu qu’on ne voit pas, c’est déjà une chose, mais aimer son prochain, qu’on voit, ç’en est une autre ! Comment faire ? La question du docteur de la Loi est un peu perverse, parce qu’elle sous-entend qu’il y a plusieurs genres de prochains : il y aurait celui que la Loi m’enjoint d’aimer et celui que – peut-être – je pourrai tenir à distance. Jésus répond par la parabole du bon Samaritain.
Nous avons bien compris que ni le prêtre, ni le lévite – qui représentent le culte et la Loi – ne vont au secours du moribond, qui pourtant est un Juif, venant de Jérusalem. Seul un étranger – et même pire, un ennemi impur – le Samaritain, vient aider le mourant. À travers cet exemple Jésus dénonce les pratiques de pureté rituelle et les contorsions juridiques qui permettaient aux uns et aux autres de diluer le commandement de l’amour du prochain. Ce faisant, Jésus montre que ni les prêtres, ni les lévites n’obéissent à la Loi donnée par le Seigneur à Moïse. Le Samaritain, au contraire, la met exactement en pratique. Jésus n’est pas contre la Loi, il est contre ceux qui la détournent pour leurs propres intérêts. Et c’est normal, puisqu’il est lui-même la Parole de Dieu par laquelle cette Loi a été donnée à Moïse, au Mont-Sinaï.
Cependant, le docteur de la Loi est un homme honnête : il reconnaît que c’est le Samaritain qui accomplit la Loi. Et il accepte que Jésus ait retourné sa question comme une crêpe ! En effet, il avait demandé : « qui est mon prochain ? » ; et Jésus lui avait répondu : « qui a été le prochain de l’homme tombé au main des bandits ? » Qui est le prochain de qui ? Pour Jésus, aimer son prochain, c’est devenir soi-même le prochain de quelqu’un en accomplissant des actes bons envers lui. Le prochain n’est donc pas un familier ou un compatriote, c’est quelqu’un avec qui on a établi un lien de bonté. Et celui qui appelle cette bonté, c’est celui qui a besoin d’aide, de pitié. Il est celui que Dieu voit, et que nous – parfois – nous ne voulons pas voir, parce que nous le considérons comme un fardeau.
 
Nous pourrions en rester là de notre lecture de l’évangile. Mais dans son texte saint Luc a semé quelques petits cailloux pour attirer notre attention. Premier cailloux : le docteur de la Loi met Jésus « à l’épreuve ». Il n’y a que le Satan qui met Dieu « à l’épreuve » : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » avait répondu Jésus au Tentateur, lors de son jeûne au désert. Deuxième cailloux : l’homme descend « de Jérusalem à Jéricho ». C’est-à-dire qu’il descend de la ville du ciel – du Paradis – pour se rendre à la ville du mal et des ténèbres – Jéricho – la ville dont il faut abattre les murs en tournant sept fois autour avant de pouvoir remonter à Jérusalem, justement. Cet homme qui descend, c’est Adam, c’est toute l’humanité, qui ayant quitté le Paradis, est meurtri par les brigands – les démons – et conduit à la mort en descendant vers les enfers de Jéricho. Alors, troisième cailloux, le Samaritain le vit et « fut saisi de compassion ». Dans les Écritures, il n’y a que Dieu qui soit « saisi de compassion ». Le Samaritain est donc Dieu lui-même. En fait, c’est Jésus, traité par les grand-prêtres et les scribes de « Samaritain », d’étranger hérétique, lui qui pourtant accomplit scrupuleusement la Loi de Moïse, sans hypocrisie. Enfin, quatrième cailloux : « Le lendemain, le Samaritain sortit deux pièces d’argent ». En araméen, ce n’est pas « Le lendemain » mais « À l’aube du jour ». Il s’agit du matin du jour de la résurrection de Jésus. Et justement, il est question de son départ – de son Ascension – en attendant qu’il revienne, à la fin des temps.
Avec ses petits cailloux, saint Luc a donné une nouvelle dimension à la rencontre entre le docteur de la Loi et Jésus et le véritable sens de la parabole de Jésus.
 
Ainsi, nous comprenons que l’homme, ayant quitté le Paradis, est soumis à la violence des démons au risque d’y perdre jusqu’à la vie éternelle. Mais Dieu lui-même intervient : il le sauve ; il le soigne ; il le porte sur sa monture – ou sur ses épaules, comme le Bon Berger. Au matin de la résurrection, Dieu le confie à l’aubergiste auquel il donne deux deniers. C’est-à-dire que Jésus confie à l’évêque, dans son Église, deux moyens pour prendre soin des brebis : la révélation du Père et du Fils, c’est-à-dire l’Ancien et le Nouveau Testament, ou encore l’attestation que l’homme est fait à l’image de Dieu, pour vivre éternellement, et qu’il est appelé à sa ressemblance, pour être saint comme Dieu est saint ; Baptême et Eucharistie.
Le docteur de la Loi avait mis Jésus « à l’épreuve » en le poussant à distinguer parmi les hommes les bons et les mauvais prochains. Mais Jésus lui a répondu que c’est tout l’homme et c’est tout homme, qui a besoin que quelqu’un se fasse son prochain, pour le sauver. Et celui qui répond le premier : c’est Dieu. Jésus ne tombe pas dans le piège du Satan qui détourne la Loi de Dieu pour sauvegarder ses intérêts. Jésus lui rappelle la Loi absolue de l’amour qui oblige les hommes à l’égard de Dieu et entre-eux, à l’image de l’amour éternel et saint que Dieu a lui-même pour toute l’humanité.

jeudi 7 juillet 2022

02-03 Juillet 2022 - FRETTES - AUTREY-lès-GRAY - 14ème dimanche TO - Année C

Is 66,10-14c ; Ps 65 ; Ga 6,14-18 ; Lc 10,1-12.17-20
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Évangile de ce dimanche fait suite à celui de dimanche dernier, où il était question de l’appel de Jésus à le suivre immédiatement et totalement pour devenir son disciple. Aujourd’hui, les mêmes disciples qui marchent à la suite de Jésus sont envoyés par lui en mission dans le monde. Je veux dire par là que l’on ne peut pas se dire missionnaire du Christ si l’on ne suit pas d’abord Jésus intégralement « de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force » et si l’on n’est pas missionné par lui. Il y a donc deux conditions pour recevoir la parole de quelqu’un qui se réclame de l’Évangile : est-il réellement disciple de Jésus et Jésus l’a-t-il envoyé ? Si l’on pèse sérieusement ces deux questions on peut parfois faire du tri…
 
Plus encore, lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il leur donne une ligne de conduite tout à fait particulière. Il faut bien comprendre, d’abord, que les disciples n’ont pas un message à transmettre, mais seulement à préparer la venue de Jésus là où lui-même doit venir. Ensuite, qu’ils sont envoyés dans un monde où sont mélangés les loups et les amis de la paix, sans qu’on puisse faire la différence entre eux – sauf au moment où, au moment d’arriver chez eux, le disciple les salue en disant « Paix à cette maison. » Le loup est celui qui refuse la paix et ferme sa porte, l’ami de la paix est celui qui va accueillir et manger avec le missionnaire. En fait, ce qui fait la différence entre le loup et l’ami de la paix, c’est que l’ami de la paix a déjà l’Esprit Saint en lui, qui reconnaît immédiatement et intuitivement le nom de Jésus à travers le mot « paix » prononcé devant chez lui. Comme si on branchait enfin deux pièces qui attendaient depuis longtemps d’être accouplées, parce qu’elles sont faites pour cela.
Jésus ne demande pas de saluer les gens en chemin, à la cantonnade, en leur disant « Paix, Paix ! », mais il demande précisément de dire « Paix à cette maison » lorsqu’on est sur son seuil. La mention de la « maison » est donc très importante. En fait – comme tout juif le comprend, et comme chaque chrétien devrait le comprendre – la maison renvoie au Temple, et par lui à la maison de prière de chacun, c’est-à-dire au cœur de chacun. « Paix à cette maison » peut donc se traduire par : « Que la paix soit dans ton cœur » ; « Que Jésus soit dans ton cœur. »
Mais notre traduction ne nous permet pas comprendre avec précision les paroles de Jésus. Ainsi, la formule « Paix à cette maison », quand elle est traduite directement de l’hébreu ou de l’araméen, devrait plutôt se dire sous forme de question : « Qu’en est-il de la paix dans ta maison ? » Ainsi, si nous reprenons la formule de tout à l’heure, la salutation devient : « Qu’en est-il de la paix dans ton cœur – qu’en est-il de Jésus dans ton cœur ? » On comprend tout de suite le choc que provoque le missionnaire quand il arrive chez quelqu’un, qui se voit tout d’un coup obligé d’apporter – au moins en lui-même – une réponse à cette question. C’est ainsi, finalement, qu’il se révèle soit loup, soit ami de la paix.
 
Mais revenons aux consignes données par Jésus à ses disciples : « Ne portez ni bourse, ni sac, si sandales et ne saluez personne en chemin. » Pris au premier degré, on comprend – comme saint François – qu’il faut « épouser Dame pauvreté » : pas d’argent, pas de bagages, pauvreté jusqu’à une certaine nudité. De fait plusieurs saints ont suivi ce programme à la lettre. Mais on ne comprend pas la suite : « Ne saluez personne en chemin. » Voilà qui est curieux pour des missionnaires ! Quand on ne comprend pas, si on ne peut pas lire le grec, l’araméen ou l’hébreu, il suffit généralement de rechercher les expressions correspondantes dans les Écritures. Souvent cela aide.
« Ne portez ni bourse, ni sac, si sandales » Les seuls emplois de « bourse » dans les Écritures renvoient aux notions d’idolâtrie et de vol. Et on voit se profiler à travers elles la figure du jeune homme riche qui dilapide son héritage. Le seul emploi du même mot araméen « sac » dans les Écritures renvoie au petit sac que David avait attaché à sa ceinture, dans lequel il tenait les cinq pierres pour sa fronde. Jésus ne veut pas que ses disciples portent des sacs de guerre. Pour les « sandales », c’est plus difficile à comprendre. Mais, en suivant la logique de la bourse et du sac, où Jésus ne veut pas qu’on se comporte comme des hommes d’argent ou de guerre, il ne veut pas non plus qu’on se comporte de manière cléricale au mauvais sens du terme, de manière hypocrite et dominatrice. Car l’image des sandales, à l’époque, peut être rapportée aux grands prêtres. On voit donc que le disciple de Jésus ne doit donc pas fraterniser avec les puissances dominantes du monde : car il est très différent. Il est pauvre, innocent, fidèle, non-violent, droit et humble. Voilà le chrétien.
Et cela explique la dernière partie de la consigne : « Ne saluez personne en chemin » – en araméen : « Ne demandez pas la paix en chemin ». C’est-à-dire que Jésus ne veut pas que ses disciples parlent de paix – parlent de lui – loin des maisons, loin des cœurs. Car la paix de ceux qui errent en chemin avec bourse, sac et sandales est celle des idolâtres de l’argent, de la guerre et des idéologies – la soi-disant paix du monde – Et elle n’a rien à voir avec la paix qui vient de Dieu, celle qui doit se trouver dans les maisons, dans les cœurs, quand ils sont habités par l’Esprit Saint.
 
Ainsi donc l’Évangile de ce dimanche pose la question essentielle à tous les hommes et d’abord à nous-même : « Paix à cette maison » ; « Qu’en est-il de Jésus dans ton cœur ? »

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