Gn 18,20-32 ; Ps
137 ; Col 2,12-14 ; Lc 11,13
Chers
frères et sœurs,
Dans
certaines conceptions religieuses, soit Dieu est inaccessible et indifférent
aux hommes – c’est le dieu des Grecs ; soit il est à ce point despote
qu’il n’y a aucun dialogue possible avec lui : l’homme lui est entièrement
soumis. Tel n’est pas le Dieu d’Israël. En effet, Abraham peut discuter avec Dieu
et même infléchir ses décisions : Dieu est prêt à sauver Sodome s’il y
trouve quelques justes. De même Jean-Baptiste a appris à prier à ses disciples,
car la conversation entre l’homme et Dieu doit être constante : faire
mémoire de lui et de son action dans le monde et lui en rendre grâce ;
mais aussi lui rappeler notre pauvre condition humaine et lui faire part de
notre besoin de secours. C’est donc très naturellement que Jésus est prêt à
enseigner à ses disciples, non seulement qu’on peut prier Dieu, mais aussi
qu’il est bon de le faire, pour nous-mêmes et pour tous les hommes.
En
accentuant ce que je viens de dire sur la possibilité de l’homme de s’adresser
à Dieu, Jésus commence par nous demander de l’appeler « Père » ou
plutôt « Papa ». C’est dire que nous sommes ses enfants et que la
relation que nous avons avec lui est une relation d’affection. La prière de
Jésus est une prière qui se fait dans une ambiance de confiance et d’amour
mutuel entre l’homme et Dieu. Ensuite,
Jésus enseigne cinq demandes.
La première : « Que ton Nom soit
sanctifié », que l’on peut aussi traduire par « Que ton Nom soit
consacré ». Comprenons bien qu’il ne nous revient pas à nous de décerner
des brevets de sainteté et de consécration à Dieu ! La demande porte
sur-nous-mêmes : « Que ton Nom, que ta Divinité, soit sanctifiée,
consacrée, en nous, dans notre cœur, dans notre monde. »
La
seconde : « Que ton règne vienne. » C’est la suite
logique : si Dieu habite nos cœurs, notre monde, comme dans un Temple,
alors naturellement sa gloire va s’étendre à l’univers entier, et Dieu règnera
partout et pour toujours. Ce sera son règne de paix.
La
troisième : « Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour
chaque jour. » Ici Jésus nous fait demander en même temps le pain dont
nous avons besoin pour vivre humainement, mais aussi celui de la vie éternelle,
qui est l’eucharistie. Et ce pain, nous en avons besoin chaque jour,
c’est-à-dire de manière permanente si ce n’est perpétuelle. En fait, nous
demandons à Dieu sa Vie, pour que nous vivions, non pas seulement dans ce
temps, mais aussi et surtout dans l’éternité.
La
quatrième : « Pardonne-nous nos péchés. » En réalité
saint Luc ne parle pas de « pardonner » des péchés ou des
« torts », mais de « remettre » des péchés ou des
« dettes ». Il faut comprendre qu’un grec parle avec des concepts,
mais qu’un hébreu parle avec des images : « Remettre des
dettes » pour un hébreu, signifie exactement la même chose que
« Pardonner des péchés » pour un grec. Ce qui est important dans les
deux cas, c’est que la remise de dette ou le pardon des péchés n’est pas
quelque chose d’impossible. Au contraire : on peut rembourser ou même
effacer une dette, comme on peut pardonner un péché. Or Jésus nous autorise et
même nous recommande de faire cette demande à Dieu : c’est possible.
D’ailleurs, nous pouvons déjà pratiquer nous-mêmes cette bonté envers les
autres, comme nous espérons que Dieu le fera à notre égard.
Et
la dernière demande « Ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Avez-vous remarqué à quel point nous descendons à chaque demande, dans les
ténèbres de nos cœurs ? Nous étions partis du saint Nom de Dieu, qui vient
régner dans l’univers, dans lequel nous avons besoin de vivre de sa Vie ;
nous avons besoin d’être pardonnés, libérés de nos péchés, et maintenant d’être
délivrés du mal. La prière de Jésus est une prière qui fait descendre l’amour
de Dieu, la vie de Dieu, la lumière de Dieu jusqu’au plus profond de nos cœurs,
de notre humanité, pour qu’ils soient illuminés, vivifiés, remplis d’amour.
Une
fois cet enseignement terminé, les disciples ne répondent rien. Probablement,
les demandes que Jésus nous demande de faire dans notre prière dépassent trop
ce qu’il serait possible de demander à Dieu. Alors Jésus raconte la parabole de
l’ami importun.
Qui est-il ? L’ami qui toque à la porte pour demander du
pain : c’est nous, qui disons le Notre-Père. Et celui qui dort dans la
maison, avec ses enfants, c’est Dieu. Jésus termine sa parabole en
disant : « il lui donnera tout ce qu’il lui faut. » Et il
ajoute : « Demandez, on vous donnera ». En grec et en
hébreu, la tournure de la phrase est mieux respectée : Jésus dit :
« Demandez, il vous sera donné », car jamais un Juif ne dit le
Nom de Dieu. Quand il veut dire que Dieu va faire quelque chose, il fait une
périphrase. Ainsi « il vous sera donné » signifie : « Dieu
vous donnera » ; « Frappez : Dieu vous ouvrira ». Et
si l’on n’a pas encore compris son enseignement, Jésus insiste : « Quiconque
demande reçoit ». Il ne dit pas « Quiconque demande recevra »,
au futur, mais « reçoit », au présent. Et là, encore mauvaise
traduction : « à qui frappe, - non pas « on ouvrira » mais
– il est ouvert » ! C’est-à-dire : à qui y frappe dans sa
prière, Dieu a déjà ouvert sa porte d’amour, de vie et de lumière, et cette
porte est toujours ouverte. Dès maintenant.
Je
termine par une petite originalité de l’évangile de Luc. La fin de
l’enseignement de Jésus se termine sur l’idée que, si nous qui sommes mauvais
nous savons donner des choses bonnes à nos enfants, alors combien plus Dieu,
qui seul est vraiment bon, nous donnera de « bonnes choses », comme
dirait Saint-Matthieu. Mais à la place de « bonnes choses » Luc a
parlé de l’Esprit Saint. Quand Dieu donne, il donne l’Esprit Saint. En fait, il
se donne tout-entier lui-même à nous. Tel est le vrai pain de ce jour.