Dt 30,10-14 ; Ps
68 ; Col 1,15-20 ; Lc 10,25-37
Chers
frères et sœurs,
À
première vue, l’évangile de ce dimanche se comprend très bien : Jésus
encourage le docteur de la Loi – c’est-à-dire nous, avec lui – à aimer d’abord
le Seigneur notre Dieu « de tout notre cœur, de toute notre âme et de
toute notre force », selon le commandement donné par Dieu à Moïse, au
livre du Deutéronome, afin que nous vivions éternellement. Ensuite, Jésus nous appelle
à aimer notre prochain comme nous-mêmes, ainsi qu’il est demandé au peuple
d’Israël au livre du Lévitique, afin que nous soyons saints. Voilà donc les
secrets de la vie éternelle et de la sainteté.
Aimer
Dieu qu’on ne voit pas, c’est déjà une chose, mais aimer son prochain, qu’on
voit, ç’en est une autre ! Comment faire ? La question du docteur de
la Loi est un peu perverse, parce qu’elle sous-entend qu’il y a plusieurs genres
de prochains : il y aurait celui que la Loi m’enjoint d’aimer et celui que
– peut-être – je pourrai tenir à distance. Jésus répond par la parabole du bon Samaritain.
Nous
avons bien compris que ni le prêtre, ni le lévite – qui représentent le culte
et la Loi – ne vont au secours du moribond, qui pourtant est un Juif, venant de
Jérusalem. Seul un étranger – et même pire, un ennemi impur – le Samaritain,
vient aider le mourant. À travers cet exemple Jésus dénonce les pratiques de
pureté rituelle et les contorsions juridiques qui permettaient aux uns et aux
autres de diluer le commandement de l’amour du prochain. Ce faisant, Jésus
montre que ni les prêtres, ni les lévites n’obéissent à la Loi donnée par le
Seigneur à Moïse. Le Samaritain, au contraire, la met exactement en pratique.
Jésus n’est pas contre la Loi, il est contre ceux qui la détournent pour leurs
propres intérêts. Et c’est normal, puisqu’il est lui-même la Parole de Dieu par
laquelle cette Loi a été donnée à Moïse, au Mont-Sinaï.
Cependant,
le docteur de la Loi est un homme honnête : il reconnaît que c’est le
Samaritain qui accomplit la Loi. Et il accepte que Jésus ait retourné sa
question comme une crêpe ! En effet, il avait demandé : « qui
est mon prochain ? » ; et Jésus lui avait répondu :
« qui a été le prochain de l’homme tombé au main des
bandits ? » Qui est le prochain de qui ? Pour Jésus, aimer son
prochain, c’est devenir soi-même le prochain de quelqu’un en accomplissant des
actes bons envers lui. Le prochain n’est donc pas un familier ou un compatriote,
c’est quelqu’un avec qui on a établi un lien de bonté. Et celui qui appelle
cette bonté, c’est celui qui a besoin d’aide, de pitié. Il est celui que Dieu
voit, et que nous – parfois – nous ne voulons pas voir, parce que nous le
considérons comme un fardeau.
Nous
pourrions en rester là de notre lecture de l’évangile. Mais dans son texte
saint Luc a semé quelques petits cailloux pour attirer notre attention. Premier
cailloux : le docteur de la Loi met Jésus « à l’épreuve ».
Il n’y a que le Satan qui met Dieu « à l’épreuve » :
« Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » avait
répondu Jésus au Tentateur, lors de son jeûne au désert. Deuxième
cailloux : l’homme descend « de Jérusalem à Jéricho ».
C’est-à-dire qu’il descend de la ville du ciel – du Paradis – pour se rendre à
la ville du mal et des ténèbres – Jéricho – la ville dont il faut abattre les
murs en tournant sept fois autour avant de pouvoir remonter à Jérusalem,
justement. Cet homme qui descend, c’est Adam, c’est toute l’humanité, qui ayant
quitté le Paradis, est meurtri par les brigands – les démons – et conduit à la
mort en descendant vers les enfers de Jéricho. Alors, troisième cailloux, le
Samaritain le vit et « fut saisi de compassion ». Dans les
Écritures, il n’y a que Dieu qui soit « saisi de compassion ».
Le Samaritain est donc Dieu lui-même. En fait, c’est Jésus, traité par les
grand-prêtres et les scribes de « Samaritain », d’étranger hérétique,
lui qui pourtant accomplit scrupuleusement la Loi de Moïse, sans hypocrisie. Enfin,
quatrième cailloux : « Le lendemain, le Samaritain sortit deux
pièces d’argent ». En araméen, ce n’est pas « Le lendemain »
mais « À l’aube du jour ». Il s’agit du matin du jour de la
résurrection de Jésus. Et justement, il est question de son départ – de son
Ascension – en attendant qu’il revienne, à la fin des temps.
Avec
ses petits cailloux, saint Luc a donné une nouvelle dimension à la rencontre
entre le docteur de la Loi et Jésus et le véritable sens de la parabole de
Jésus.
Ainsi,
nous comprenons que l’homme, ayant quitté le Paradis, est soumis à la violence
des démons au risque d’y perdre jusqu’à la vie éternelle. Mais Dieu lui-même
intervient : il le sauve ; il le soigne ; il le porte sur sa
monture – ou sur ses épaules, comme le Bon Berger. Au matin de la résurrection,
Dieu le confie à l’aubergiste auquel il donne deux deniers. C’est-à-dire que
Jésus confie à l’évêque, dans son Église, deux moyens pour prendre soin des
brebis : la révélation du Père et du Fils, c’est-à-dire l’Ancien et le
Nouveau Testament, ou encore l’attestation que l’homme est fait à l’image de
Dieu, pour vivre éternellement, et qu’il est appelé à sa ressemblance, pour
être saint comme Dieu est saint ; Baptême et Eucharistie.
Le
docteur de la Loi avait mis Jésus « à l’épreuve » en le
poussant à distinguer parmi les hommes les bons et les mauvais prochains. Mais
Jésus lui a répondu que c’est tout l’homme et c’est tout homme, qui a besoin
que quelqu’un se fasse son prochain, pour le sauver. Et celui qui répond le
premier : c’est Dieu. Jésus ne tombe pas dans le piège du Satan qui
détourne la Loi de Dieu pour sauvegarder ses intérêts. Jésus lui rappelle la
Loi absolue de l’amour qui oblige les hommes à l’égard de Dieu et entre-eux, à
l’image de l’amour éternel et saint que Dieu a lui-même pour toute l’humanité.