dimanche 28 avril 2019

27-28 avril 2019 - IGNY - RAY-SUR-SAONE - 2ème dimanche de Pâques - Année C


Ac 5, 12-16 ; Ps 117 ; Ap 1, 9-11a.12-13.17-19 ; Jn 20, 19-31

Chers frères et sœurs,

Essayons de comprendre ce qu’il s’est passé au cénacle, tandis que les disciples étaient réunis et que Jésus s’est manifesté au milieu d’eux.

Tout d’abord, il y a la vision. Le fait que Jésus dise « la paix soit avec vous » indique que les disciples étaient tout autant terrorisés par la vision qu’émerveillés par elle. Il en va toujours ainsi lorsqu’un humain est mis en présence de Dieu ou de son ange : stupeur et émerveillement. C’est pourquoi, aussitôt, en présence de Dieu, comme par réflexe, l’homme se prosterne, et il a besoin d’être relevé par Dieu ou son ange, qui lui dit généralement : « N’aie pas peur ». Ici Jésus dit : « la paix soit avec-vous ».
Pour nous rendre compte de la puissance de la vision de Jésus ressuscité, nous pouvons nous reporter à celle que nous décrit saint Jean dans l’Apocalypse, terme qui ne veut pas dire « fin du monde » mais « Révélation ». Dans cette vision Jésus se révèle donc, habillé comme le Grand Prêtre qui se trouve dans le Temple de Jérusalem, illuminé par la lumière du chandelier à sept branches. Malheureusement il nous manque la suite de la description de Jésus : « sa tête et ses cheveux étaient blancs comme la laine blanche, comme la neige, et ses yeux comme une flamme ardente ; ses pieds semblaient d’un bronze précieux affiné au creuset, et sa voix était comme la voix des grandes eaux ; il avait dans la main droite sept étoiles ; de sa bouche sortait un glaive acéré à deux tranchants. Son visage brillait comme brille le soleil dans sa puissance ». On comprend qu’avec une telle vision, Jean dit : « quand je le vis, je tombais à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : "Ne crains pas" ».
Et c’est ce même Jésus, qui montre ses mains et son côté à ses disciples. Ils le reconnaissent alors, et c’est à bon droit qu’ils « furent remplis de joie ».

Maintenant, je voudrais souligner trois points.

Le premier est l’envoi en mission. Jésus est venu prouver sa résurrection à ses disciples et les envoyer témoigner de cette résurrection dans le monde, avec ses conséquences qui concernent tous les hommes : tous les péchés sont pardonnés, et le ciel est ouvert à tous ceux qui croient en Jésus. C’est ainsi que les apôtres ont reçu le pouvoir de pardonner les péchés et de baptiser ceux qui sont devenus croyants, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

Le deuxième point est le problème de saint Thomas. Thomas, lors de la première apparition, n’était pas là. Et il ne croit pas. Parce qu’il est exactement comme nous : il n’apprend la résurrection de Jésus que par un témoignage extérieur, et il veut une preuve. Il lui faut la marque des clous, la blessure du côté. Quelque chose d’indubitable, de physique. Mais il ne s’y attend certainement pas quand Jésus vient pour la seconde fois, huit jours plus tard. Non seulement Jésus rappelle à Thomas ses paroles, mais il invite ce dernier à vérifier physiquement que c’est bien lui. Revenez à la vision de saint Jean et imaginez-vous que ce Jésus si impressionnant vous demande de le toucher. Impossible : car vous êtes complètement bouleversé, et confondu. D’ailleurs Thomas ne sait plus quoi dire devant Jésus ; il ne peut que balbutier « Mon Seigneur et mon Dieu ».
Vous me direz, finalement, saint Thomas a eu de la chance, Jésus lui est apparu physiquement et, du coup, il a pu croire au témoignage des autres disciples. Et nous, nous n’avons pas eu cette apparition physique de Jésus pour nous aider à croire. Oui mais nous, nous avons le témoignage des œuvres de l’Esprit Saint, que saint Thomas ne pouvait pas encore avoir.

Et quel est-il ce témoignage ? C’est mon troisième et dernier point. L’Esprit Saint, qui a été donné aux Apôtres, et après eux aux évêques et par eux aux prêtres et à tous les fidèles, ne fait qu’une seule chose : il construit le corps du Christ ressuscité et le vivifie. Cela veut dire que, dans notre monde, l’Esprit Saint ne fait qu’une seule chose : il construit l’Église, qui est le corps du Christ, et la fait vivre.
Et il la construit et la vivifie d’abord à partir du corps et du sang de Jésus, l’eucharistie, à laquelle et pour laquelle nous sommes réunis pour communier. Le premier corps, en quelque sorte, c’est l’hostie. Le deuxième corps, c’est nous, l’Église-communauté. Le troisième corps, c’est l’église de pierre, matière naturelle travaillée pour être signifiante et belle, dans laquelle nous nous réunissons pour communier.
Et pour bien nous rappeler que tout part du même Jésus ressuscité, dans la liturgie le prêtre s’habille comme lui : en blanc ; l’église est comme un Temple de Jérusalem en réduction, avec le chandelier à sept branches qui correspond aux bougies placées sur l’autel. Sept allumées quand l’évêque est présent. Et dans ce temple, nous chantons le sanctus, le chant qui acclame Dieu, présent au milieu des saints et des anges, trônant sur toute la création transformée et illuminée.
La présence de Jésus ressuscité dans le monde, l’œuvre de l’Esprit Saint : c’est l’eucharistie. Là est donnée la preuve physique que, comme saint Thomas, le monde cherche pour croire.

mardi 23 avril 2019

21 avril 2019 - BEAUJEU - Saint jour de Pâques - Année C


Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117 ; 1Co 3,1-4 ; Jn 20,1-9


Chers frères et sœurs,

La résurrection, personne ne s’y attendait. Certainement pas les grands prêtres : vous savez bien que les saducéens ne croyaient pas à la résurrection des morts. Certainement pas non plus les romains ni les grecs présents à Jérusalem. Lorsque saint Paul évoquera ce sujet à Athènes, il ne s’y attirera que des moqueries. Et nous apprenons, dans l’évangile de saint Jean que les disciples non plus ne s’y attendaient pas : « en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Au bout du compte personne ne s’attendait à la résurrection de Jésus : c’est une surprise totale. Et l’on comprend que plusieurs demeurent incrédules.

Saint Jean, l’évangéliste qui donne le plus de détails historiques authentiques, est le premier à comprendre ce qu’il se passe. Pour lui, il lui suffit de voir le linge « posé à plat » sur la table du tombeau où reposait Jésus. Cela l’a tellement frappé, qu’il reviendra par trois fois, dans le passage que nous avons lu, sur le fait que ce linge était « posé à plat ». Comme si le corps de Jésus s’était évanoui, et que le linge était retombé comme un soufflé. Que voulez-vous, chers frères et sœurs, il y a des détails qui ne s’inventent pas. Et quand saint Jean s’est retrouvé face à cette situation, il a compris immédiatement qu’il était arrivé au corps de Jésus quelque chose d’extraordinaire.

Nous avons du mal à imaginer ce qu’est la résurrection, surtout la résurrection d’un corps. On peut encore comprendre qu’une âme ressuscite, mais un corps ! Et pourtant c’est bien ce qui est arrivé à Jésus et à son corps de chair. Il est entièrement ressuscité. Ce que nous n’arrivons pas à comprendre, c’est qu’il s’agit d’une nouvelle étape dans la création de Dieu, quelque chose d’entièrement nouveau qui concerne l’âme, l’esprit et le corps. D’ailleurs, lors de ses apparitions Jésus a pu passer à travers une porte, tout en étant capable de manger du poisson. Son corps a reçu des facultés pour nous inimaginables, qui sont de l’ordre d’un univers nouveau, inconnu jusqu’à présent, que pourtant Jésus a essayé de nous expliquer, quand il parlait de son Royaume.

Ce qu’il y a au tombeau de Jésus, cependant, dépasse l’entendement de saint Pierre. Devant les linges « posés à plat », il reste parfaitement incrédule quoique troublé. Il ne comprend pas ce qu’il s’est passé, et il lui faudra attendre que Jésus vivant se manifeste devant lui, dans sa chair de ressuscité. Cela est vrai de saint Thomas aussi, vous le savez bien. Aucun Apôtre – et encore moins saint Paul – n’a cru à la résurrection lorsqu’elle leur fut annoncée. Mais il a fallu que Jésus lui-même vienne à leur rencontre pour qu’ils aient la foi.

Et nous alors ? Nous sommes comme le centurion de Césarée. Nous écoutons, grâce aux évangiles, le témoignage de saint Pierre, de saint Jean, mais aussi de saint Matthieu et de saint Paul, dans ses lettres. Et le centurion croit parce qu’il croit au témoignage de Pierre. Lui ne bénéficie pas d’une vision de Jésus ressuscité, mais il a la vision de Pierre, qui lui raconte ce qu’il a vécu, ce qu’il a entendu et ce qu’il a vu. Et cela lui suffit.
Cela est également vrai pour nous, bien que nous nous sommes bien trop habitués au témoignage des Évangiles et à la présence d’un évêque, successeur des Apôtres. Et pourtant ces Évangiles qui remontent aux premiers temps de l’Église, comme ces évêques, dont la bénédiction remonte de mains en mains jusqu’aux Apôtres, ce sont des témoignages exceptionnels si l’on veut bien y prêter attention. Nous n’avons pas la vision de l’explosion que représente la résurrection de Jésus, mais nous en avons le souffle et le bruit. Quand on ressent le souffle d’une explosion et qu’on en entend la détonation, on en déduit évidemment qu’il y a eu une explosion, n’est-ce pas ? Alors, en ayant les Évangiles et les évêques, nous ne croyons pas à la résurrection de Jésus ? Le centurion n’est pas si compliqué, et pourtant il n’est pas plus stupide que nous : il a écouté le témoignage de saint Pierre et il a cru que Jésus était vivant.

Que le Seigneur nous fasse donc la grâce d’éclairer notre esprit, pour qu’en lisant les Évangiles et en considérant attentivement ce qu’est un évêque, nous comprenions toujours plus ce que la résurrection de Jésus signifie concrètement : l’accès pour nous, pauvres pécheurs, à l’univers nouveau du Royaume de Dieu. Cela est déjà vrai aujourd’hui, par les sacrements, et demain, au jour où Jésus nous relèvera, à notre tour, d’entre les morts, pour entrer entièrement, esprit, âme et corps, dans sa joie, sa paix et sa lumière.

20 avril 2019 - CHAMPLITTE - Veillée pascale - Résurrection du Seigneur - Année C


Gn 22,1-18 ; Ex 14,15-15,1a ; Is 55,1-11 ; Rm 6,3b-11 ; Lc 24,1-12


Chers frères et sœurs, chère Servane,

Ce soir, nous célébrons la résurrection de Jésus d’entre les morts, gage de celle de ceux qui nous ont quittés, et de la nôtre, le moment venu. Plus encore, comme nous le verrons avec le baptême de Servane, la résurrection nous fait entrer dans la vie de Dieu, où nous sommes revêtus de sa gloire, où nous sommes faits prêtres, prophètes et rois, fils et filles de Dieu, où nous rayonnons de sa sainteté. C’est le couronnement de notre vie. Et c’est pourquoi c’est fête aujourd’hui. Et cette bonne église de Champlitte en est tout illuminée.

Cette joie qui nous habite ce soir nous donne la force d’affronter les difficultés de la vie présente, qui reste celle d’un combat, jusqu’à ce que nous soyons pleinement entrés dans la gloire de Dieu. En effet, être chrétien aujourd’hui n’est pas facile. En France, il nous faut accepter maintenant d’être différent et de l’assumer publiquement.
Beaucoup de gens ne croient pas en la résurrection de Jésus ni dans la bonne nouvelle qu’il est venu nous annoncer. C’est-à-dire, d’une part, que par son sacrifice sur la croix, nous sommes délivrés de nos péchés, et d’autre part que, par Jésus, Dieu s’est révélé Père, Fils et Esprit Saint, communion d’amour, grâce à l’action de l’Esprit Saint. Mort et résurrection de Jésus, amour de Dieu et pardon des péchés, révélation de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit et glorification de l’homme, c’est tout un : on ne peut pas enlever un élément sans abîmer les autres. Cette foi en Jésus et en son Évangile, nous la résumons et nous la proclamons dans le Credo. C’est notre boussole.
Mais il y a aussi beaucoup d’autres gens qui ne croient pas non plus en Dieu, tout simplement. Pour eux, le monde est le fruit du hasard. Et donc qu’il n’y a dans la vie ni sens, ni but, ni vocation, ni morale. Tout est possible, avant d’être anéanti un jour. Mais ces personnes-là ne sont-elles pas à plaindre ? Est-ce que la jouissance immédiate des biens peut vraiment suffire au bonheur de l’homme ? Je ne le pense pas. En regard, un chrétien est donc comme une lumière, une petite étoile dans la nuit, parce que lui il sait d’où il vient – de Dieu – et où il va : à Dieu.

Être croyant, être chrétien, c’est donc être différent. Assumer cela par tous les aspects de sa vie, c’est entrer dans un combat. Un combat intérieur et un combat extérieur.
Le combat intérieur nous le voyons en Abraham. Il vit à une époque et dans une région du monde où pour honorer le dieu Moloch, il fallait lui sacrifier par le feu les garçons premiers-nés. Donc Abraham, qui voulait remercier Dieu pour la naissance d’Isaac, le premier-né de sa femme Sarah, s’est senti lui aussi appelé à sacrifier son fils. Mais Dieu, par son ange, a arrêté son geste et a substitué un bélier à l’enfant. Dès lors, en Israël, le sacrifice des nouveaux nés fut strictement prohibé. Cela, les chrétiens s’en sont souvenus dès les origines : la vie humaine est sacrée parce qu’elle est un don de Dieu. Mais dire cela et surtout le mettre en pratique, c’est se montrer profondément différents des autres, vous le savez bien. Or il s’agit bien ici d’un combat intérieur, comme d’une objection de conscience.
Il y a aussi des combats extérieurs, comme nous le voyons avec Moïse et le peuple Hébreu, fuyant les Égyptiens. Il n’est pas bon être différent et parfois cela suscite de la jalousie, parfois de la haine, parfois encore de la violence physique. Cette réalité n’est pas loin de nous, dans bon nombre de pays où règne l’intolérance religieuse, qu’elle soit au nom d’une fausse religion, ou qu’elle soit au nom d’une absence de religion. Combien de chrétiens sont-ils persécutés aujourd’hui en raison de leur foi au Pakistan ou en Chine, pour ne citer que ces pays-là ? Mais ne croyons pas qu’en France nous soyons épargnés. La vérité est que pour l’instant, nous courbons la tête devant le mépris, en espérant que la haine du christianisme n’augmentera pas en intensité.

Mais au fond, pourquoi aurions-nous peur ? Nous avons en nous une richesse incroyable : l’amour de Dieu, la lumière de sa vérité, la puissance de l’espérance, la force de la foi, la douceur de la charité. Et nous savons ce qu’il faut faire pour servir Dieu et, en le servant, nous ajuster petit à petit à lui pour devenir des saints. Le baptême est comme une semence, la confirmation est comme un désherbant et comme un engrais, la communion est le fruit de la semence, notre nourriture. Que nous manque-t-il donc pour vivre, et vivre heureux, déjà sur la terre, en attendant d’être comblés de joie au ciel ?
Chers frères et sœurs, chère Servane, il n’y a pas d’autre nom que celui de Jésus pour nous ouvrir les portes du bonheur. Tous ceux qui l’ignorent se perdent, tous ceux qui le haïssent se condamnent. Au contraire, réjouissons-nous de le connaître et de vivre par lui, avec lui et en lui, maintenant et toujours.

samedi 20 avril 2019

19 avril 2019 - VELLEXON - Vendredi saint - Passion du Seigneur - Année C


Is 52,13 à 53,12 ; Ps 30 ; Hb 4,14-16 ; 5,7-9 ; Jn 18,1 à 19,42

Chers frères et sœurs,

Après ce grand déferlement de violence, voilà qu’il se fait un grand silence. Jésus repose dans le tombeau après avoir reçu les soins de Joseph d’Arimathie et de Nicodème. Des soins de roi. Une page se tourne sur le grand mystère de Jésus.
Pour Joseph et Nicodème, comme pour tous les disciples, c’est la consternation. Ce Jésus, fils de la lignée royale de David, maître de sagesse en Israël, consacré par Dieu comme Messie sauveur, dont l’autorité en a imposé jusqu’au préfet de Judée, voilà qu’il est mort, réduit au silence, anéanti. Et avec lui toutes les espérances de ses disciples, qui de surcroît, l’ont assez lâchement abandonné durant sa Passion. C’est le vide, c’est le doute, c’est l’échec : c’est le Vendredi Saint.

Jésus avait prévu ce moment douloureux. Il avait prévenu ses disciples : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ». C’était au Jardin des Oliviers, alors qu’il priait son Père : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux ». Car en effet, l’Heure de Jésus était venue, cette Heure qu’il attendait autant qu’il la redoutait. N’avait-il pas déclaré dans un bref moment d’angoisse : « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ». Voyez-vous chers frères et sœurs, Jésus savait que son Heure serait difficile, insoutenable même, et il avait donné le remède à ses disciples : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ».
Mais au fait, qui a été tenté le plus durant la Passion ? Les disciples ou bien Jésus lui-même ?

Souvenez-vous, lorsque Jésus avait été quarante jours au désert, après son baptême, le diable l’avait tenté par trois fois, et par trois fois Jésus l’avait repoussé. Or, avait rapporté saint Luc, « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé ». Le « moment fixé », c’est justement son Heure.
C’est donc bien en sa Passion que le diable est revenu pour faire échouer Jésus, au moment le plus important de sa mission, et le faire tomber pour de bon. Tentation de répondre à la violence par la violence… Jésus se laisse mener à l’abattoir comme un agneau. Tentation de maudire ceux qui le crucifient… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Tentation d’arrêter le supplice : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » lui a crié le mauvais larron... Tentation jusqu’au doute de l’amour de son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », tentation ultime qu’il rejette victorieusement : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Voyez donc, chers frères et sœurs, combien Jésus a été tenté en sa Passion.

Quand l’Heure vient, avec son lot de tentations, le seul remède qui soit à la hauteur, c’est donc la veille et la prière. Le disciple, qui n’est pas plus grand que son maître, passe par le même chemin que lui. C’est ainsi que, pour les disciples de Jésus, en ce soir du vendredi saint, l’heure de veiller et de prier est venue.

Dans nos vies aussi, il peut arriver des moments de découragement, de dégoût, d’angoisse, des moments où l’on perd le sens de ce qu’on fait, de ce qu’on est, des moments de doute, désagréables, où tout semble être remis en cause. Nous avons alors part au Vendredi saint des disciples, et à l’Heure de Jésus.
Que le Seigneur nous fasse alors la grâce de nous souvenir que c’est au moment même où nous pensons qu’il s’est éloigné, qu’en réalité il nous appelle : il nous appelle à veiller et à prier, à combattre. Et plus les tentations sont fortes, plus l’enjeu est important. Pour Jésus, il s’agissait du pardon des péchés de tous les hommes et de leur résurrection, pour les disciples, de la foi en Jésus ressuscité. Car à des tentations importantes correspondent des grâces importantes, pas seulement pour soi, mais aussi et surtout pour les autres.

Chers frères et sœurs, le cardinal Robert Sarah, a déclaré récemment que le temps que nous vivons actuellement dans l’Église est semblable au Vendredi Saint. Certains ont trahi ; l’Église semble s’effondrer en occident ; on se prend à douter ; on se demande où est Jésus ? Mais la réponse, Jésus nous l’a déjà donnée ; elle est toujours la même : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ».
Pour répondre aux défis de notre temps, chers frères et sœurs, cet appel à la veille et à la prière ne doit pas rester à l’état de slogan : il doit orienter toute notre vie, jusqu’à ce que se lève dans notre cœur et dans notre monde, la lumière de la résurrection.

18 avril 2019 - VELLEXON - Jeudi saint - Cène du Seigneur - Année C


Ex 12,1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1Co 11,23-26 ; Jn 13,1-15


Chers frères et sœurs,

Nous avons tous été émus par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Un incendie, c’est toujours impressionnant et même cela fait peur. Car, attisé par le souffle du vent, la destruction que le feu entraîne semble inexorable. On ne peut que saluer ici le courage et le professionnalisme des sapeurs-pompiers, dont nous pouvons être fiers. En définitive, l’apparence extérieure de la cathédrale est atteinte, la flèche est tombée, mais les structures, les biens les plus précieux et la croix qui présidait dans le cœur – comme la statue de Notre-Dame – n’ont pas été détruits.
Nous pouvons y lire une parabole de l’état de notre Église catholique aujourd’hui. Car une église de pierre est à l’Église de chair – celle que nous formons – ce que la croûte d’un pain est à sa mie. Vous le savez bien, ça brûle dans notre Église aujourd’hui et l’apparence extérieure, sur laquelle soufflent les médias, est en feu. Comme la flèche de Notre-Dame, un des plus hauts hiérarques de l’Église de France est tombé, entraînant dans sa chute beaucoup de dégâts, peut-être irréparables. Et on se demande quand ce cataclysme va s’arrêter. Justement, nous devons faire confiance à tous ceux – soldats du feu, les anges et les saints dont nous pouvons faire partie – qui s’occupent d’éteindre l’incendie. Et il nous faut espérer que leur combat – car c’en est un – permettra de montrer que la structure de l’Église, son cœur en laquelle se trouve la croix de Jésus, est indestructible.
Car il faut bien comprendre, chers frères et sœurs, ce qu’est l’Église : elle est le corps de Jésus ressuscité. Elle est donc indestructible et éternelle, parce qu’elle vit et se nourrit sans cesse de lui. L’Église, ce sont les chrétiens qui, en communion avec leur évêque, célèbrent l’eucharistie et communient au Corps et au Sang de Jésus. Le cœur de l’Église c’est la messe. Et justement, c’est à cause d’elle et pour elle que les chrétiens construisent des églises. Aussi bien peut-on détruire des églises de pierre, tant que des chrétiens iront à la messe, ils les reconstruiront pour témoigner de leur foi en la résurrection de Jésus. C’est aussi évident et naturel qu’un boulanger, ça fait du pain, et qu’un vigneron, ça fait du vin.

Maintenant venons-en à ce qu’il se passe avec Jésus, ce soir, au cours de la toute première messe de l’histoire. Il s’agit de la préparation des Apôtres à sa célébration et à la communion : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », explique Jésus à saint Pierre. Pourquoi donc fallait-il que Jésus lave leurs pieds alors qu’ils venaient de se laver dans des bains de purification, comme font tous les juifs pour pouvoir participer à la Pâque ? Parce que Jésus n’a pas besoin de spectateurs pour la messe, il veut des prêtres pour la célébrer avec lui.
La Pâque n’est pas un spectacle où assistent des curieux, c’est une œuvre de tout le peuple, avec les prêtres, tous ensemble, au service de Dieu. Et c’est ce que demande Jésus à ses disciples : en achevant de les laver entièrement, jusqu’aux pieds, il les prépare à faire ce que font les prêtres : servir Dieu en lui offrant le sacrifice d’action de grâce, avec lui. La messe est un service de Dieu que nous accomplissons tous ensemble, chacun selon sa vocation, avec Jésus.
Souvenez-vous chers frères et sœurs, quand vous avez été baptisés, vous avez été oints avec le saint-Chrême qui a fait de vous des prêtres, des prophètes et des rois. Par le geste du lavement des pieds, Jésus, à travers le prêtre qui accomplit ce geste de purification, permet au prêtre spirituel que nous sommes tous, en vertu de notre baptême, de pouvoir célébrer avec lui l’eucharistie et de communier à lui en toute sainteté.
Mais ne nous trompons pas, il ne s’agit pas d’un rite magique. Si Jésus s’abaisse en retirant son vêtement, et en passant un linge autour des reins ; si saint Pierre est profondément gêné par ce geste où Jésus s’humilie ainsi devant lui, c’est parce que cette purification est une déclaration d’amour de Dieu à ses Apôtres. Dieu s’humilie et donne sa vie, pour que nous soyons associés à lui dans sa gloire, pour avoir part à sa sainteté. Le lavement des pieds est un geste d’amour que fait Dieu à notre égard, et il nous demande – pour être vraiment ses prêtres – de refaire nous-même ce geste d’amour – ou tout autre similaire – à l’égard de nos frères.

En conclusions, chers frères et sœurs, nous pouvons voir les choses ainsi. Dieu nous a aimé et a donné sa vie pour nous, pour que nous vivions de son amour et que nous partagions cet amour avec les autres. Cette vie et ce partage, c’est exactement la communion : le corps et le sang de Jésus auquel nous communions. Et c’est à cause de cela et pour cela que nous nous réunissons et que nous formons l’Église de Dieu, l’Église catholique, la même dans tous les pays du monde. Et parce que cette communion d’amour et de vie est si puissante, nous bâtissons des chapelles, des églises, des cathédrales. Et tant que l’amour de Dieu sera la source de notre vie, rien, pas même les rires du démon, ne nous empêchera de les reconstruire si nécessaire. Chers frères et sœurs, tant que nous communions à la messe, nous sommes des vivants.

mardi 16 avril 2019

14 avril 2019 - GY - Dimanche des Rameaux et de la Passion - Année C


Lc 19,28-40

Chers frères et sœurs,

Jésus, assis sur un âne, montant à Jérusalem, acclamé par ses disciples, accomplit le rite du couronnement d’un roi en Israël. Mais il n’est pas un roi de la terre : il est le roi du ciel. Aujourd’hui, Jésus commence à prendre possession de son règne.

Les disciples appellent Jésus « Seigneur », qui est le nom de Dieu, tandis que les pharisiens l’appellent « Maître ». Ils se trompent. Les pharisiens n’ont pas les yeux de la foi : ils ne peuvent pas reconnaitre en Jésus le roi du ciel. Et ils trouvent son entrée à Jérusalem ridicule et dangereuse.

Mais les disciples, eux, sont poussés par la foi. Ils acclament Jésus, de la même manière que les anges qui chantaient dans la nuit de Noël : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ». C’est le signe que Dieu, qui était venu du ciel sur la terre, va maintenant passer de la terre au ciel. Jésus, à la tête de ses disciples, leur ouvre – et nous ouvre – le chemin du ciel.

Combien étaient-ils à l’acclamer ? Sans doute un petit nombre comme nous, en regard des 150.000 personnes résidant alors à Jérusalem, pour le grand pèlerinage de la Pâque. Mais rien ne peut arrêter Jésus : si nous nous taisons parce que nous avons peur, les pierres crieront.

Alors, mettons-nous en route joyeusement et avançons vers le ciel, à la suite de Jésus, notre Seigneur.



Is 50,4-7 ; Ps 21 ; Ph2,6-11 ; Lc 22,14–23,56

Chers frères et sœurs,

On ne peut comprendre Jésus qu’avec le cœur.

Tous ceux qui cherchent en lui une puissance terrestre se trompent. Les pharisiens, les scribes et les grands prêtres ont eu peur d’un avènement politique, qui aurait signé la fin de leur maigre pouvoir, déjà partagé avec celui de Pilate et celui d’Hérode. Ils ont donc décrété la mise à mort de Jésus. Mais son règne n’est pas terrestre.

Les disciples aussi se sont trompés : ils ont cru eux-aussi que Jésus, entré comme un roi à Jérusalem, qui leur demandait de vendre leur bien le plus précieux pour acheter des épées, allait bientôt déclencher une révolution, pour enfin prendre le pouvoir et libérer Israël. Mais Jésus leur a répondu : « ça suffit »… Eux aussi n’avaient rien compris. Jésus est venu en serviteur pour nous laver de nos péchés.

Il n’y a que les saintes femmes et Joseph d’Arimathie, l’homme discret qui ressemble à Saint Joseph, qui lui restent fidèles jusqu’au bout. Parce qu’ils suivent Jésus avec le cœur. C’est ce que saint Pierre a commencé à comprendre, au moment de pleurer amèrement, après avoir renié Jésus. Et c’est ce qu’il comprendra complètement, quand Jésus le retrouvera pour l’interroger trois fois : « Pierre, m’aimes-tu ? » ; « Pierre, m’aimes-tu ? » ; « Pierre, m’aimes-tu ? »…

Chers frères et sœurs, si nous n’aimons pas Jésus, si nous n’aimons pas Dieu, et si nous ne nous laissons pas aimer par lui, nous ne tiendrons pas, dans un monde qui devient de plus en plus hostile aux amis de Jésus. En revanche, l’amour de Dieu, qui se moque des jugements, donne la force d’agir à contre-courant, s’il le faut, comme les saintes femmes, comme Joseph d’Arimathie. Car cet amour est la vraie puissance de Dieu, déjà à l’œuvre sur la terre.

Vous recherchez l’amour de Dieu et sa puissance ? Venez à la messe, il est toujours là. Alors, petit à petit, vous le connaîtrez avec le cœur, et vous vivrez.

samedi 13 avril 2019

Rosaire I - De la naissance du Premier-Né à la communion des saints - Les Mystères glorieux


Une méditation du frère Serge parue dans la Revue du Rosaire de juin 2008


La Résurrection

« Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit »

La création est une œuvre conjointe du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint : elle est une œuvre de Dieu. Mais ce Dieu nous demeure énigmatique. C’est Jésus Christ qui par son Esprit nous manifeste le visage du Père, à travers son histoire depuis la conception jusqu’à l’Ascension. L’amour du Père se révèle notamment à travers la nouvelle création qu’est la Résurrection.

Prions pour les baptisés qui commencent une vie nouvelle dans le Christ, et pour lesquels le Christ est devenu principe actif de développement. Prions pour que les nouveau-nés soient nourris et grandissent en sainteté par l’écoute de la Parole et sa mise en pratique.


L’Ascension

« Élevons notre cœur ! »

La vie chrétienne est une action de grâce où l’homme se présente lui-même comme offrande au Père. Il faut du courage pour entreprendre le pèlerinage qui mène à Jérusalem – la cité de Dieu. Il faut aussi de la disponibilité à l’action purificatrice et formatrice de l’Esprit Saint.

Prions pour les chrétiens, afin qu’ils offrent au Père le don d’une vie selon l’Évangile, par leur droiture et leur charité, par leur désir de mieux le connaître à travers l’enseignement de l’Église et par une prière unanime et régulière. Prions pour les évêques et les prêtres, afin qu’ils sachent conduire à bon port le troupeau du Seigneur.


La Pentecôte

« Unis dans le même esprit, nous pouvons dire avec confiance la prière que nous avons reçue du Sauveur »

La Pentecôte est l’aboutissement du pèlerinage terrestre du Christ. Elle est aussi le signal de l’achèvement de la gestation de l’Église et du commencement de sa mission dans le monde. Le témoignage joyeux de l’unité de la foi dans la diversité des langues est source d’étonnement pour les hommes.

Prions pour que les chrétiens se réconcilient afin d’offrir à Dieu et au monde un unique témoignage de foi, quelles que soient leurs différences culturelles. Prions pour que l’Église soit trouvée pleinement catholique quand le Seigneur viendra, afin qu’Il se reconnaisse en elle.


L’Assomption

« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde »

Chaque chrétien vit en lui-même ce que vit l’Église : la réconciliation avec le Seigneur, avec soi-même et son prochain, pour offrir à tous le témoignage d’une vie lumineuse. Ainsi disposé, il peut être revêtu du manteau de sainteté qui, comme Marie, l’élève au-dessus des anges.

Prions pour que nos âmes soient correctement préparées à la venue du Seigneur. Qu’à l’instar de Marie, celui-ci se penche avec miséricorde sur ses humbles serviteurs, notamment ceux qui ne se sentent pas dignes de pénétrer dans la communion de son Royaume.


Le Couronnement

« Le Corps du Christ. Amen »

Le Jugement dernier est la Pentecôte définitive, où retentissent pour la dernière fois les trompettes de l’Évangile, où s’écroulent les murs de la cité des ténèbres et où enfin la cité de Dieu apparaît dans toute sa blancheur immaculée. Voici maintenant le Règne du Christ, pour les siècles des siècles.

Prions pour les chrétiens qui, après le baptême et la confirmation, communient dans un même esprit aux mystères divins : le Corps et le Sang du Christ. Le sacrement préfigure et signifie la réalité qui vient et est déjà actualisée par l’Esprit Saint.

Rosaire I - De la naissance du Premier-Né à la communion des saints - Les Mystères douloureux


Une méditation du frère Serge parue dans la Revue du Rosaire de juin 2008


L’Agonie

« Relève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire » (Actes 9, 6).

Paul, le persécuteur devenu Apôtre par la grâce de Dieu, entame une course qui le conduira au martyre, à Rome. Cette course est semblable à la Passion du Christ, qui commence par la soumission de la volonté humaine à la volonté divine : « Père… non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14, 36).

Prions pour ceux qui portent en eux-mêmes une vocation, un appel de Dieu lancé à leur conscience, qui les met en situation de rupture par rapport à leur vie actuelle, à leur entourage, au monde ambiant. Que l’Esprit Saint les fortifie afin que leur conversion soit effective.


La Flagellation

« La foule s’ameuta contre eux, et les stratèges – après leur avoir fait arracher leurs vêtements – ordonnèrent de les battre de verge » (Actes 16, 23).

Comme Jésus, Paul est fouetté. Ce châtiment nécessite que les vêtements du condamné soient déposés au préalable. Or le vêtement signifie sa dignité, et quand il s’agit d’un vêtement blanc, de sa gloire divine. Paul et Jésus sont dépouillés de leurs vêtements : les bourreaux nient leur dignité humaine.

Prions pour ceux qui portent sur leur prochain des regards de mépris. Et prions aussi pour les bons samaritains qui, par miséricorde, couvrent de dignité les hommes nus : ils seront eux-mêmes revêtus de la divinité.


Le Couronnement d’épines

« Tous ces gens-là contreviennent aux édits de César en affirmant qu’il y a un autre roi, Jésus » (Actes 17, 6).

Paul se trouve pris dans la controverse qui amena Jésus à être couronné d’épines. La prédication de l’Évangile génère une incompréhension sur la légitimité des pouvoirs humains en regard du Règne de Dieu qui vient. Or une manière facile d’annihiler ceux qui dérangent est de les frapper médiatiquement par la dérision.

Prions pour les chrétiens dont le témoignage se trouve en butte aux pouvoirs humains de toutes sortes. Que celui-ci soit empreint d’humilité et de charité, afin de vaincre par ces armes douces les armes violentes qui s’attaquent à la chair mais ne peuvent atteindre l’esprit.


Le Portement de croix

« De ville en ville, l’Esprit Saint m’avertit que chaînes et tribulations m’attendaient » (Actes 20, 23).

Nul disciple n’est plus grand que le Maître. Paul en fait l’expérience dont la route ressemble maintenant davantage à celle de la montée de Jésus au Golgotha. Mais on le sent habité par l’Esprit qui lui donne courage, confiance et même joie.

Prions pour tous ceux qui se trouvent devant des situations a priori insurmontables pour le Nom du Seigneur. Qu’ils n’aient pas peur et ne perdent pas espoir dans le Seigneur, leur Dieu. Prions pour les chrétiens qui souffrent de la persécution.


Le Crucifiement

« Je suis prêt, moi, non seulement à me laisser lier, mais encore à mourir à Jérusalem pour le Nom du Seigneur Jésus » (Actes 21, 13).

Comme Jésus et Étienne, Paul se dit prêt à devenir à son tour agneau pascal et à se présenter au sacrifice. Bien des chrétiens ne connaissent pas le martyre de sang mais se trouvent confrontés à d’autres dépouillements matériellement, intellectuellement, spirituellement tout aussi douloureux.

Prions pour tous les hommes en fin de vie, afin qu’ils puissent – avec l’aide de l’Esprit Saint – concevoir celle-ci comme une offrande d’action de grâce faite à Dieu. Prions pour les soignants et l’entourage de ceux qui partent, afin qu’ils sachent les affermir dans la foi.


Rosaire I - De la naissance du Premier-Né à la communion des saints - Les Mystères lumineux


Une méditation du frère Serge parue dans la Revue du Rosaire de juin 2008


Le Baptême

« Il se posa une langue de feu sur chacun d’eux. Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint » (Actes 1, 3-4).

Le premier événement de la vie publique de Jésus est le baptême dans le Jourdain, où l’Esprit de Dieu vient reposer sur lui. Comme le pain est cuit par le feu du boulanger avant d’être vendu, ainsi le Christ et l’Église sont marqués par l’Esprit avant d’entrer dans la mission.

Prions pour tous ceux qui ont à commencer une nouvelle mission dans l’Église. Prions pour qu’ils ne soient pas effrayés par leur tâche mais qu’ils soient remplis de la force et de la joie de l’Esprit Saint. Prions pour ceux et celles qui travaillent à la première évangélisation.


Les noces de Cana

« Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés » (Actes 2, 47).

Il n’est pas plus miraculeux de transformer de l’eau en vin que des pécheurs en apôtres. C’est en faisant ainsi que Jésus le bon pasteur réjouit le cœur du Père et celui des saints convives présents au repas des noces. Telle est l’œuvre du Christ à Cana, durant sa vie publique et encore de nos jours.

Prions pour les convertis, les catéchumènes, et nous-mêmes qui sommes encore en chemin, afin que nous sachions laisser le Christ nous transformer en bon pain et en bon vin pour le Royaume. Prions pour les pécheurs qui sont appelés par le Seigneur à devenir des saints.


La Prédication

« Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, marche ! » (Actes 3, 6).

Jésus – dont le nom signifie « Dieu sauve » – impressionna ses contemporains par la puissance et l’autorité de sa parole. N’est-il pas le Verbe fait chair ? Il avait pouvoir de pardonner et de guérir. Proclamer le Nom de Jésus avec la puissance que donne l’Esprit Saint produit les mêmes effets.

Prions pour les médecins des âmes et des corps, pour les personnels salariés et bénévoles des services de santé, sociaux et humanitaires, afin que par-delà leurs compétences techniques transparaisse surtout la miséricorde de Dieu à l’égard des hommes et que le Nom de Jésus soit glorifié.


La Transfiguration

« Les hommes que vous avez mis en prison, les voilà qui se tiennent dans le Temple et enseignent le peuple » (Actes 5, 25).

L’action du Christ et de l’Église n’est pas seulement morale et charitable. Elle est aussi catéchétique et liturgique. Monter sur la montagne comme à l’autel, ou entrer dans le Temple pour y enseigner et célébrer le sacrifice d’action de grâce, va de pair avec connaître et contempler la gloire lumineuse de Dieu.

Prions pour les pasteurs de l’Église, les théologiens et les catéchistes, afin que leur enseignement soit autant celui du cœur que celui de la tête. Prions pour que le Seigneur donne à son Église davantage de docteurs selon son cœur.


L’Eucharistie

« “Seigneur Jésus, reçois mon esprit”, puis il fléchit les genoux » (Actes 7, 59).

Comme un agneau immolé en sacrifice – à l’image du Christ lui-même – Étienne, le premier martyr chrétien, rend l’esprit. La célébration du dernier repas est marquée par le sacrifice de la Pâque juive durant laquelle se déroule la Passion du Christ, la Pâque véritable.

Prions pour les pénitents et tous les chrétiens qui marchent à la suite du Christ. Que fortifiés par le pain céleste, l’enseignement des Apôtres, la prière et la charité de l’Église, nous soyons trouvés courageux et persévérants dans la Voie qui mène au salut.



Rosaire I - De la naissance du Premier-Né à la communion des saints - Les Mystères joyeux


Une méditation du frère Serge parue dans la Revue du Rosaire de juin 2008


L’Annonciation

« L’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre » (Matthieu 28, 2).

La puissance de Dieu suscite la vie en Marie, comme elle ressuscite le Christ des ténèbres du tombeau. Le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous est le même Verbe de Dieu, Jésus-Christ qui est ressuscité d’entre les morts et qui est monté aux cieux.

Prions pour tous les hommes placés devant la présence mystérieuse de Dieu et sa puissance. Que par l’Esprit Saint leur cœur soit disposé à accueillir cette présence, pour découvrir en elle la bienveillance qui leur est adressée.


La Visitation

« Allez dire à ses disciples – et notamment à Pierre – qu’il vous précède en Galilée » (Marc 16, 7).

Comme Marie, toutes baignées de crainte et de joie, les saintes femmes s’en vont vite porter la bonne nouvelle à leur entourage. C’est l’ange du Seigneur lui-même qui les pousse à prendre la route.

Prions pour tous les croyants, porteurs de la Parole de Dieu dans le monde. Qu’ils sachent, malgré les incompréhensions et les obstacles de l’Ennemi, en témoigner par leur vie entière, en paroles et en actes, et par leur prière d’action de grâce.


La Naissance

« Après cela, il se manifesta sous d’autres traits à deux d’entre eux qui étaient en chemin et s’en allaient à la campagne » (Marc 16, 12).

Les rois mages venus d’Orient et les bergers viennent adorer le Seigneur en la personne inattendue du Verbe fait chair : Jésus qui vient de naître. De même, de manière inattendue, les yeux des disciples d’Emmaüs reconnaissent le Seigneur ressuscité à la fraction du pain.

Prions pour les chrétiens, témoins de Jésus, Fils de Dieu, le Verbe fait chair. Que par l’Esprit Saint, ils soient guidés et que leurs yeux soient ouverts pour reconnaître la présence discrète mais véritable du Christ ressuscité en ce monde, notamment dans l’eucharistie.


La Présentation au Temple

« Enfin, il se manifesta aux Onze eux-mêmes, pendant qu’ils étaient à table » (Marc 16, 14) et « après leur avoir parlé, il fut enlevé au ciel » (Marc 16, 19).

Quarante jours après sa naissance, Jésus est présenté officiellement au Temple. Par sa présence au milieu des anciens, il comble leur espérance et leur donne sa paix. Ensuite les prêtres procèdent au rite de l’offrande pour le rachat des premiers-nés.

Prions pour les évêques, les prêtres et les diacres qui servent dans le Temple du Seigneur – le corps du Christ – afin qu’ils conservent toujours l’unité, qu’ils sachent entendre et transmettre en vérité l’enseignement qui vient du Seigneur et qu’avec humilité ils sachent recevoir et présenter en action de grâce les dons venus de Dieu.


La vie cachée

« Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement » (Actes 1, 13).

Dans l’attente du jour de Dieu, où Jésus se manifestera, la Parole de Dieu travaille dans les cœurs et s’y épanouit lentement. Ainsi est le temps de Nazareth – fait de travail et de prière – et le temps de l’Église dans ce monde.

Prions pour les religieux qui, dans le cénacle de leurs monastères ou de leurs couvents, attendent la venue du Seigneur. Prions pour qu’ils gardent fidèlement la solitude, qu’ils s’enrichissent des trésors de la vie commune et offrent au Seigneur le parfum d’une prière incessante.


dimanche 7 avril 2019

7 avril 2019 - Cathédrale de Besançon - Conférence de Carême II - Père, donne-nous d'imiter la charité du Christ





PÈRE, DONNE-NOUS D’IMITER LA CHARITE DU CHRIST


Chers frères et sœurs,

La semaine dernière, j’avais développé ma méditation à partir de cette prière : « Père, augmente en nous la foi ». Considérant que la liturgie eucharistique était l’expression et la nourriture de cette foi, nous avions scrutée celle-ci dans ses profondeurs.

Mais lorsque Jésus a laissé ses recommandations aux Apôtres, il ne leur a pas seulement dit « vous ferez cela en mémoire de moi » (Lc 22,19), il leur a aussi demandé d’aller de toutes les nations, de faire des disciples et de les baptiser au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). L’activité chrétienne se porte à l’amour de Dieu mais aussi à l’amour du prochain, selon le grand commandement donné par Jésus à ses disciples. L’oraison de ce dimanche nous invite d’ailleurs à tourner notre regard vers nos frères humains puisqu’elle exprime notre vœu d’imiter la charité du Christ, qui a donné sa vie par amour pour le monde.
Je vous propose donc de rechercher aujourd’hui, à la lumière de la foi, quelle peut être notre attitude à l’égard de notre prochain.

Mais, avant d’entrer dans cette réflexion, je voudrais m’arrêter sur un choix opéré par le traducteur de l’oraison. En introduisant la notion d’imitation de la charité du Christ, celui-ci nous pousse à considérer notre activité à l’égard du monde essentiellement dans une perspective morale. Or, ce n’est pas dans cette seule perspective que l’oraison a été rédigée primitivement.
D’une part, la perspective morale ne constitue pas à elle seule la position que nous avons à tenir à l’égard de Dieu et à l’égard du monde. Il est une autre perspective, qui est de type sacramentel, que je vais tâcher de nous faire redécouvrir.
D’autre part la perspective morale nous conduit, en suivant une pente assez naturelle, à considérer les choses surtout d’un point de vue individuel, tandis qu’une perspective sacramentelle nous permet de considérer aussi le corps de l’Église dans son ensemble, dont chaque baptisé est membre.

Pour illustrer ce propos et pour mieux en appréhender l’enjeu, nous allons dans un premier temps nous pencher sur la notion de sainteté. Ce choix, très volontaire, est justifié par le fait que la sainteté est la perfection de la charité. Ensuite, dans un second temps, nous reviendrons à notre réflexion sur l’attitude chrétienne à l’égard du prochain.


1)    La sainteté, perfection de la charité

Quand nous évoquons la sainteté, nous devons être attentifs au fait que cette notion se partage au moins en trois sens différents.
Le premier sens est que Dieu lui-même est la sainteté même : il est « le Saint ». Isaïe, bénéficiaire d’une vision de Dieu dans le Temple, entendait chanter les anges : « Saint ! Saint ! Saint ! le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de ta gloire » ! « Saint est son nom » disait fort justement la Bienheureuse Vierge Marie dans son Magnificat. Le second sens de la sainteté nous est peut-être plus commun : nous considérons qu’il est une qualité ou une propriété de Dieu : il est le « Dieu saint » ; on parle de la « sainteté de Dieu ». Nous sommes alors tentés de concevoir cette sainteté comme une vertu morale, et ce d’autant plus que, troisième sens, nous les humains, nous sommes aussi appelés à adopter cette sainteté pour devenir des saints. Nous sommes tous appelés à la sainteté.

Aussi, quand on entend « Soyez saints car je suis Saint » (Lv 20,26), nous comprenons qu’il s’agit d’une invitation, ou plutôt d’un ordre, d’acquérir ou d’imiter la sainteté de Dieu, pour tâcher de l’égaler.
Si nous sommes pélagiens, nous considérerons qu’il nous appartient en propre de faire des efforts, des sacrifices personnels, pour imiter cette sainteté. Certainement devons-nous y mettre du nôtre pour vivre en bons chrétiens, mais, quant à vouloir atteindre par nous-mêmes la sainteté de Dieu…  Nous savons bien que c’est humainement impossible !
Inversement, nous serions radicalement augustiniens si nous considérions que, de nous-mêmes, nous ne pouvons rien faire, et que seule la grâce de Dieu peut nous permettre de vivre un tant soit peu chrétiennement. Certains ont poussé cette position jusqu’à dire que nous serions donc prédestinés, les uns à devenir saints, les autres à se consumer en enfer.
Nous voyons bien que ces deux positions poussées à l’extrême, la pélagienne et l’augustinienne, sont des impasses.
En réalité, c’est bien Dieu qui le premier nous donne sa grâce, en nous poussant intérieurement vers le bien et en nous appelant à y répondre librement par notre volonté, en la mettant en œuvre par des pensées et des actions bonnes, c’est-à-dire en nous convertissant. Le Seigneur nous aide alors, aussi par sa grâce, à accomplir ces bonnes œuvres avec persévérance.
Prêcher la morale sans évoquer la grâce préalable de Dieu est une perversion de l’Évangile qu’il faut dénoncer. Mais cette grâce est un appel à notre liberté, et cela aussi, il ne faut jamais l’oublier.
Nous comprenons donc qu’imiter la charité de Jésus ou devenir saint sont des activités qui sont de notre responsabilité, mais qui ne dépendent jamais d’elle seule.

Cette dernière remarque nous permet de retrouver la première définition de la sainteté. Elle est d’abord et toujours celle de Dieu lui-même. Grâce prévenante avant toute action libre de l’homme, grâce sanctifiante qui lui permet de se convertir, grâce qui lui permet de persévérer, la grâce de Dieu sous toutes ses formes, imprègne ou éclaire tout le cheminement de l’homme. Elle est comme la lumière qui éclaire son chemin. Aussi, la sainteté ne dépend absolument pas de nous : elle est donnée comme le soleil éclaire la terre, qu’il y ait des nuages ou pas. Et elle est de nature complètement différente de la nôtre : elle est divine alors que nous sommes des créatures, et, pour nous, devenir saint c’est devenir divin. Nous comprenons bien que cela n’est pas de notre ressort.
À ce propos, il est une autre formulation de l’appel à la sainteté que j’ai mentionné tout à l’heure : « Vous serez saints car je suis Saint ». Ici il n’est pas question d’abord d’une obligation morale mais d’une promesse de sanctification qui sera accordée par Dieu. Dieu veut nous communiquer sa sainteté et il désire simplement que nous nous préparions à l’accueillir. Dans ce cas, l’appel à la sainteté n’est pas d’abord une obligation morale mais une question de capacité d’accueil de la grâce de Dieu : c’est se tourner vers Dieu pour se mettre à l’écoute de sa Parole et tâcher de mettre celle-ci en pratique autant que nous en sommes capables. La sainteté de Dieu nous déborde, nous éblouit entièrement, mais en mettant nos faibles capacités à son service, nous pouvons en refléter, en transmettre, quelques rayons.

Justement, il est important de bien comprendre que la sainteté n’est pas un bloc monolithique tel que nous serions saints ou pas du tout, de manière binaire. Entrer dans la sainteté de Dieu, en être revêtu, est une question de gradation, par des conversions et des consécrations successives. Les auteurs spirituels classiques se sont plus à décrire celles-ci comme des étapes : les commençants, les progressants et les parfaits, lesquels passent d’abord par la voie purgative, puis la voie illuminative et enfin la voie unitive. La théologie mystique du pseudo-Denys est à cet égard très stimulante. D’autres auteurs parlent, en faisant référence à la vision de Jacob, d’une échelle qui permet de monter au ciel. Sainte Thérèse d’Avila a proposé de se représenter le cheminement de la vie spirituelle comme un parcours dans un château, dans lequel il y a plusieurs chambres. Il est toujours intéressant de fréquenter ces auteurs, mais en prenant garde de ne pas mélanger trop rapidement leurs repères. Pour certains, par ailleurs, les degrés de la vie spirituelle correspondent théoriquement avec ceux du sacrement de l’Ordre, l’évêque ayant en lui la plénitude du Saint-Esprit. Nous retrouvons cela chez Bérulle, et dans l’école française de spiritualité. Notre époque, marquée par de nombreux échecs et scandales pourrait nous faire douter de la validité de telles constructions, mais les auteurs ont toujours affirmé que des chutes retentissantes étaient possibles et que les péchés commis étaient d’autant plus monstrueux que l’homme spirituel était avancé.

De ces considérations sur la sainteté, retenons donc, premièrement, que la sainteté de Dieu à laquelle nous sommes personnellement appelés – sainteté qui nous est sans cesse donnée et proposée par Dieu – attend de nous un accueil, une réception libre, une conversion efficace en actes, pour vivre de manière sainte dans ce monde. À travers luttes et tentations, nous avons vu que cette sainteté peut grandir d’étapes en étapes jusqu’à nous unir à celle de Dieu lui-même, pour que nous devenions véritablement saints.
Mais, deuxièmement, la sainteté de Dieu ne peut pas être réduite à une exigence morale, qui concernerait d’abord les personnes individuelles : il est une autre perspective qui est première. Le Dieu saint, par l’incarnation de son Fils Jésus et par le don de son Esprit, nous manifeste sa sainteté et nous y fait participer. Il s’agit d’un don de Dieu, d’une illumination autant que d’une sanctification-consécration qui revêt un caractère sacramentel, et ce don concerne d’abord le peuple choisi par Dieu, l’Église, avant de s’appliquer de manière individuelle à chaque personne. L’Église n’est donc pas une assemblée profane, mais une assemblée sainte, dont la structure très particulière, hiérarchique et charismatique, reflète la sainteté de Dieu même, quel que soit le degré de sainteté de ses membres.

En nous rappelant que la sainteté est la perfection de la charité, nous pouvons donc affirmer que l’Église est l’expression sacramentelle, hiérarchique et charismatique, de la charité de Dieu, qui se construit et se donne à comprendre au monde de cette manière particulière. Nous pouvons affirmer également que, recevant et vivant de ce don de Dieu, nous sommes tous appelés collectivement et individuellement à répondre à cette divine charité, en nous en imprégnant, en l’imitant, pour devenir nous aussi, par grâce, une communauté et des personnes charitables, jusqu’à être tous unis dans la charité même.


2)    La charité chrétienne à l’égard du prochain

Maintenant nous pouvons revenir à notre propos initial, relatif à notre attitude chrétienne à l’égard de notre prochain, en nous remémorant l’oraison de ce dimanche et en n’oubliant pas que l’imitation de la charité du christ n’est pas seulement morale mais d’abord sacramentelle : « Que ta grâce nous obtienne Seigneur, d’imiter avec joie la charité du Christ qui a donné sa vie par amour pour le monde ».
Je vous propose donc simplement deux brèves méditations avant d’arriver à la conclusion. La première méditation me permettra d’illustrer concrètement ce que j’entends quand j’emploie le mot « sacramentel ». La seconde, en guise d’application, me permettra ensuite de mettre en perspective la charité concrète comme expression des mystères du salut.

Un sacrement, chers frères et sœurs, est un signe par lequel nous est communiquée la vie divine. Ce signe, institué par Jésus et confié à son Église, est sensible et efficace. L’Église elle-même est un sacrement de l’action de Dieu dans le monde. Par l’Église, Dieu communique son amour au monde, sa charité. Elle le fait de manière excellente quand elle célèbre l’Eucharistie et permet à chacun de ses membres d’accéder à la communion des saints. La posture qui permet donc à l’Église de communiquer la charité de Dieu au monde, c’est d’offrir à Dieu le sacrifice d’action de grâce. Cette dernière observation appelle trois commentaires.

Premièrement la plus grande charité de Dieu pour le monde – la communion au Corps et au Sang de Jésus – lui est communiquée par une œuvre non pas d’abord individuelle mais collective, hiérarchisée certes, mais commune. Ainsi donc, lorsque nous voulons apporter l’amour au monde, la charité, la justice et la paix, dans leur plus grande intensité, il faut considérer que c’est une activité de toute l’Église, dans laquelle nous avons tous notre responsabilité, chacun à notre mesure, par participation. Et la qualité de cette participation a à voir avec notre propre sanctification personnelle, l’accomplissement de notre propre vocation dans l’Église.
Comment voulez-vous qu’un orchestre joue magnifiquement s’il manque les violons ? Ou bien si les violons ne sont pas accordés ? Mais, la prééminence du collectif n’empêche pas, nous le verrons, que l’action charitable soit aussi individuelle, dans une moindre mesure. Après-tout, on peut aussi jouer un concerto avec un seul violon !

Deuxième commentaire : ce n’est pas une charité propre à elle-même que l’Église communique au monde, mais la charité de Dieu lui-même, qui est Dieu lui-même. Ainsi donc, la vraie charité que nous avons à porter à notre prochain n’est pas une charité qui provient de nous-même, de notre propre jugement, mais elle doit être le fruit de l’amour que nous portons à Dieu : elle est une charité qui vient de Dieu, que nous lui demandons et qui est donnée à d’autres à travers nous. C’est exactement ce qu’il se passe quand nous disons : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ».  Il n’en demeure pas moins que la qualité de l’amour que nous portons à Dieu est justement vérifiée par l’intensité de la charité que nous avons aussi pour notre prochain.
C’est comme si nous étions des panneaux solaires. Si nous voulons produire de l’électricité ou de la charité avec une intensité maximale, il faut que nous soyons tournés le plus possible vers le soleil, c’est-à-dire vers Dieu. Faute de quoi nous serions bien peu performants. Et on peut toujours diriger notre panneau avec un peu d’électricité pour qu’il suive la course du soleil : la charité que nous avons pour notre prochain nous aide aussi à nous tourner droit vers notre Père.

Troisième commentaire enfin, il ne faut pas oublier que si le Seigneur nous demande de célébrer la liturgie eucharistique, ce n’est pas pour sa gloire, mais c’est pour que nous puissions recevoir celle-ci. Si nous voulons avoir la charité pour l’exercer au bénéfice de notre prochain, il nous faut accomplir un acte liturgique dont le ressort principal est l’amour de Dieu comme action de grâce pour ses bienfaits.
Or, ne nous trompons pas, l’acte liturgique dont je parle est signifié sacramentellement de manière parfaite dans la liturgie eucharistique, mais il est de même nature quand il est aumône, jeûne et prière, pratiqués de manière cachée. De manière cachée, exactement comme le Grand Prêtre est caché quand il pénètre dans le Saint des Saints pour la liturgie du Grand Pardon. Ainsi, dans des actes de charité très concrets et très simples, quand ceux-ci sont pratiqués de manière cachée, se trouve aussi le secret de l’amour de Dieu et du prochain.

Au bout du compte, être chrétien, c’est être comme un vitrail : avec notre personnalité propre qui lui donne des couleurs particulières, notre vocation est de nous laisser illuminer et de laisser passer à travers nous une lumière divine qui vient d’ailleurs. Il s’agit que notre prochain soit éclairé d’une lumière, d’une charité qui ne peut pas provenir de nous, mais qui provient de Dieu. Et c’est pourquoi nous devons agir de manière cachée et nous faire transparents : « Il faut qu’il grandisse et que moi je diminue » disait saint Jean-Baptiste (Jn 3,30). « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi », s’exclamait saint Paul (Ga 2,20). Et Jésus lui-même affirmait : « Celui qui m’a vu, a vu le Père ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres » (Jn 14,10).
N’y-a-t-il donc pas de meilleure manière d’imiter le Christ que de vouloir faire comme lui la volonté de son Père, par amour ? Et cette volonté n’est-elle pas que tous les hommes vivent dans sa sainteté, c’est-à-dire dans sa charité ? (1Th 4,3). Telle est la vocation de l’Église-sacrement.

Il est possible, chers frères et sœurs, que vous ayez l’impression que mes propos, malgré quelques touches concrètes, soient quelques peu éloignés de la vie réelle. Et pourtant je voudrais vous montrer – et c’est ma seconde brève méditation – que des gestes très simples, sont profondément enracinés dans l’évangile, non pas parce qu’il s’agirait d’obligations morales, d’une loi de charité obligatoire promulguée par Jésus, mais parce que c’est toujours la gloire de Dieu, sa sainteté, sa divine charité qui est en jeu.

Vous vous souvenez certainement de ces paroles de Jésus : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ».
Bien sûr, Jésus parle ici de lui-même : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » et il nous montre ainsi que d’aimer son prochain est une manière concrète d’aimer Dieu. Le pauvre est aussi, malgré lui, un vitrail qui fonctionne dans l’autre sens.

Mais pensez-vous que la parabole de Jésus se limite à cette lecture immédiate ? Je ne crois pas, parce que Dieu ne nous demande pas de pratiquer des choses qu’il n’aurait jamais pratiquées auparavant pour nous. Je veux dire que lui-même a pris soin du plus petit de ses frères. Et celui-ci a un nom : c’est Adam.
N’est-ce pas que Jésus, en se faisant chair, en acceptant de mourir et de descendre aux enfers, est venu jusqu’à lui qui habite la prison par excellence, celle de la mort ? N’est-ce pas que Jésus, en se faisant condamner comme un pécheur et en donnant sa vie sur une croix pour le pardon des péchés, est venu guérir la plaie toujours ouverte de son péché, pour lui permettre de revivre dans la lumière de l’amour de Dieu ? N’est-ce pas que Jésus, en ressuscitant Adam avec lui, l’a couvert, lui qui était nu, du vêtement somptueux de la gloire de Dieu, de sa sainteté, le vêtement lumineux des corps ressuscités ? N’est-ce pas que Jésus lui a accordé aussi, à lui qui était devenu étranger du Paradis, d’y être maintenant accueilli comme fils de Dieu, supérieur aux anges ? Il est comme le fils prodigue, qui après avoir été vêtu, se voit passer au doigt l’anneau d’une alliance éternelle, avec Dieu son Père. N’est-ce pas enfin, que Jésus a conduit le vieil Adam, jusqu’au festin des noces de l’Agneau, pour y trouver à manger et à boire en abondance, dans la joie et les danses ?

En effet, chers frères et sœurs, comme vous le voyez, ce que Jésus nous demande de faire, par imitation, c’est d’offrir, à notre mesure à notre prochain, le même salut que Jésus lui-même nous a gagné par son incarnation, sa mort et sa résurrection et son ascension.
Mais plus encore, le modèle-même de ces actes charitables – vous le savez depuis que j’ai relié la parabole du fils prodigue avec eux – se trouve dans les sacrements de l’initiation chrétienne. Il n’y a jamais séparation entre la liturgie et les activités caritatives, mais compénétration selon le sens et l’orientation donnés par l’histoire du salut. Et il n’y a qu’une seule charité en Dieu, qui se diffracte selon des modes différents.


Pour terminer, chers frères et sœurs, je ne voudrais pas vous laisser sur un non-dit et manquer à votre égard de charité, de vérité. Il me reste à vous dire une dernière chose, qui concerne la condition de possibilité de toutes mes paroles, de leur rapport avec la réalité.
Si Jésus n’est pas vraiment homme et vraiment Dieu ; s’il ne s’est pas fait chair, n’est pas réellement mort et réellement ressuscité ; s’il n’est pas réellement apparu vivant d’une vie nouvelle à ses disciples avant son ascension ; et si ceux-ci n’ont pas été remplis de l’Esprit Saint, alors – comme dirait Saint Paul – mes propos sont vides et notre foi est vaine (1Co 15,17).
Si, au contraire, ces affirmations de notre foi – telles que nous les avons reçues dans le Credo – expriment la réalité, alors nous ne sommes pas seulement dépositaires de l’histoire extraordinaire de Jésus sauveur, mais coopérateurs de sa charité toujours à l’œuvre, qui sauve, qui guérit, qui élève et qui fait vivre, non pas seulement pour la vie présente, mais aussi et déjà pour la vie éternelle, dans l’amour de notre Dieu. Alors seulement, chers frères et sœurs, nous sommes le Corps du Christ offert pour le monde.

Articles les plus consultés