PÈRE,
DONNE-NOUS D’IMITER LA CHARITE DU CHRIST
Chers
frères et sœurs,
La semaine dernière, j’avais développé ma
méditation à partir de cette prière : « Père, augmente en nous la
foi ». Considérant que la liturgie eucharistique était l’expression et la
nourriture de cette foi, nous avions scrutée celle-ci dans ses profondeurs.
Mais lorsque Jésus a laissé ses recommandations
aux Apôtres, il ne leur a pas seulement dit « vous ferez cela en mémoire de moi » (Lc 22,19), il leur a
aussi demandé d’aller de toutes les nations, de faire des disciples et de les
baptiser au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). L’activité
chrétienne se porte à l’amour de Dieu mais aussi à l’amour du prochain, selon
le grand commandement donné par Jésus à ses disciples. L’oraison de ce dimanche
nous invite d’ailleurs à tourner notre regard vers nos frères humains
puisqu’elle exprime notre vœu d’imiter la charité du Christ, qui a donné sa vie
par amour pour le monde.
Je vous propose donc de rechercher aujourd’hui,
à la lumière de la foi, quelle peut être notre attitude à l’égard de notre
prochain.
Mais, avant d’entrer dans cette réflexion, je
voudrais m’arrêter sur un choix opéré par le traducteur de l’oraison. En
introduisant la notion d’imitation de la charité du Christ, celui-ci nous
pousse à considérer notre activité à l’égard du monde essentiellement dans une
perspective morale. Or, ce n’est pas dans cette seule perspective que l’oraison
a été rédigée primitivement.
D’une part, la perspective morale ne constitue
pas à elle seule la position que nous avons à tenir à l’égard de Dieu et à
l’égard du monde. Il est une autre perspective, qui est de type sacramentel,
que je vais tâcher de nous faire redécouvrir.
D’autre part la perspective morale nous conduit,
en suivant une pente assez naturelle, à considérer les choses surtout d’un
point de vue individuel, tandis qu’une perspective sacramentelle nous permet de
considérer aussi le corps de l’Église dans son ensemble, dont chaque baptisé
est membre.
Pour illustrer ce propos et pour mieux en
appréhender l’enjeu, nous allons dans un premier temps nous pencher sur la
notion de sainteté. Ce choix, très volontaire, est justifié par le fait que la
sainteté est la perfection de la charité. Ensuite, dans un second temps, nous
reviendrons à notre réflexion sur l’attitude chrétienne à l’égard du prochain.
1) La sainteté, perfection de la charité
Quand nous évoquons la sainteté, nous devons
être attentifs au fait que cette notion se partage au moins en trois sens
différents.
Le premier sens est que Dieu lui-même est la
sainteté même : il est « le Saint ». Isaïe, bénéficiaire d’une
vision de Dieu dans le Temple, entendait chanter les anges : « Saint ! Saint ! Saint ! le
Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de ta gloire » !
« Saint est son nom »
disait fort justement la Bienheureuse Vierge Marie dans son Magnificat. Le second sens de la
sainteté nous est peut-être plus commun : nous considérons qu’il est une
qualité ou une propriété de Dieu : il est le « Dieu saint » ;
on parle de la « sainteté de Dieu ». Nous sommes alors tentés de concevoir
cette sainteté comme une vertu morale, et ce d’autant plus que, troisième sens,
nous les humains, nous sommes aussi appelés à adopter cette sainteté pour
devenir des saints. Nous sommes tous appelés à la sainteté.
Aussi, quand on entend « Soyez saints car je suis Saint »
(Lv 20,26), nous comprenons qu’il s’agit d’une invitation, ou plutôt d’un ordre,
d’acquérir ou d’imiter la sainteté de Dieu, pour tâcher de l’égaler.
Si nous sommes pélagiens, nous considérerons
qu’il nous appartient en propre de faire des efforts, des sacrifices
personnels, pour imiter cette sainteté. Certainement devons-nous y mettre du
nôtre pour vivre en bons chrétiens, mais, quant à vouloir atteindre par
nous-mêmes la sainteté de Dieu… Nous savons bien que c’est humainement impossible !
Inversement, nous serions radicalement
augustiniens si nous considérions que, de nous-mêmes, nous ne pouvons rien
faire, et que seule la grâce de Dieu peut nous permettre de vivre un tant soit
peu chrétiennement. Certains ont poussé cette position jusqu’à dire que nous
serions donc prédestinés, les uns à devenir saints, les autres à se consumer en
enfer.
Nous voyons bien que ces deux positions poussées
à l’extrême, la pélagienne et l’augustinienne, sont des impasses.
En réalité, c’est bien Dieu qui le premier nous
donne sa grâce, en nous poussant intérieurement vers le bien et en nous
appelant à y répondre librement par notre volonté, en la mettant en œuvre par
des pensées et des actions bonnes, c’est-à-dire en nous convertissant. Le
Seigneur nous aide alors, aussi par sa grâce, à accomplir ces bonnes œuvres avec
persévérance.
Prêcher la morale sans évoquer la grâce
préalable de Dieu est une perversion de l’Évangile qu’il faut dénoncer. Mais
cette grâce est un appel à notre liberté, et cela aussi, il ne faut jamais
l’oublier.
Nous comprenons donc qu’imiter la charité de
Jésus ou devenir saint sont des activités qui sont de notre responsabilité,
mais qui ne dépendent jamais d’elle seule.
Cette dernière remarque nous permet de
retrouver la première définition de la sainteté. Elle est d’abord et toujours
celle de Dieu lui-même. Grâce prévenante avant toute action libre de l’homme,
grâce sanctifiante qui lui permet de se convertir, grâce qui lui permet de
persévérer, la grâce de Dieu sous toutes ses formes, imprègne ou éclaire tout
le cheminement de l’homme. Elle est comme la lumière qui éclaire son chemin.
Aussi, la sainteté ne dépend absolument pas de nous : elle est donnée
comme le soleil éclaire la terre, qu’il y ait des nuages ou pas. Et elle est de
nature complètement différente de la nôtre : elle est divine alors que
nous sommes des créatures, et, pour nous, devenir saint c’est devenir divin.
Nous comprenons bien que cela n’est pas de notre ressort.
À ce propos, il est une autre formulation de
l’appel à la sainteté que j’ai mentionné tout à l’heure : « Vous serez saints car je suis Saint ». Ici il n’est pas question d’abord
d’une obligation morale mais d’une promesse de sanctification qui sera accordée
par Dieu. Dieu veut nous communiquer sa sainteté et il désire simplement que
nous nous préparions à l’accueillir. Dans ce cas, l’appel à la sainteté n’est
pas d’abord une obligation morale mais une question de capacité d’accueil de la
grâce de Dieu : c’est se tourner vers Dieu pour se mettre à l’écoute de sa
Parole et tâcher de mettre celle-ci en pratique autant que nous en sommes
capables. La sainteté de Dieu nous déborde, nous éblouit entièrement, mais en
mettant nos faibles capacités à son service, nous pouvons en refléter, en
transmettre, quelques rayons.
Justement, il est important de bien comprendre
que la sainteté n’est pas un bloc monolithique tel que nous serions saints ou
pas du tout, de manière binaire. Entrer dans la sainteté de Dieu, en être
revêtu, est une question de gradation, par des conversions et des consécrations
successives. Les auteurs spirituels classiques se sont plus à décrire celles-ci
comme des étapes : les commençants, les progressants et les parfaits, lesquels
passent d’abord par la voie purgative, puis la voie illuminative et enfin la
voie unitive. La théologie mystique du pseudo-Denys est à cet égard très
stimulante. D’autres auteurs parlent, en faisant référence à la vision de
Jacob, d’une échelle qui permet de monter au ciel. Sainte Thérèse d’Avila a
proposé de se représenter le cheminement de la vie spirituelle comme un
parcours dans un château, dans lequel il y a plusieurs chambres. Il est
toujours intéressant de fréquenter ces auteurs, mais en prenant garde de ne pas
mélanger trop rapidement leurs repères. Pour certains, par ailleurs, les degrés
de la vie spirituelle correspondent théoriquement avec ceux du sacrement de
l’Ordre, l’évêque ayant en lui la plénitude du Saint-Esprit. Nous retrouvons
cela chez Bérulle, et dans l’école française de spiritualité. Notre époque,
marquée par de nombreux échecs et scandales pourrait nous faire douter de la
validité de telles constructions, mais les auteurs ont toujours affirmé que des
chutes retentissantes étaient possibles et que les péchés commis étaient
d’autant plus monstrueux que l’homme spirituel était avancé.
De ces considérations sur la sainteté, retenons
donc, premièrement, que la sainteté de Dieu à laquelle nous sommes personnellement
appelés – sainteté qui nous est sans cesse donnée et proposée par Dieu – attend
de nous un accueil, une réception libre, une conversion efficace en actes, pour
vivre de manière sainte dans ce monde. À travers luttes et tentations, nous
avons vu que cette sainteté peut grandir d’étapes en étapes jusqu’à nous unir à
celle de Dieu lui-même, pour que nous devenions véritablement saints.
Mais, deuxièmement, la sainteté de Dieu ne peut
pas être réduite à une exigence morale, qui concernerait d’abord les personnes
individuelles : il est une autre perspective qui est première. Le Dieu
saint, par l’incarnation de son Fils Jésus et par le don de son Esprit, nous manifeste
sa sainteté et nous y fait participer. Il s’agit d’un don de Dieu, d’une
illumination autant que d’une sanctification-consécration qui revêt un
caractère sacramentel, et ce don concerne d’abord le peuple choisi par Dieu,
l’Église, avant de s’appliquer de manière individuelle à chaque personne. L’Église
n’est donc pas une assemblée profane, mais une assemblée sainte, dont la
structure très particulière, hiérarchique et charismatique, reflète la sainteté
de Dieu même, quel que soit le degré de sainteté de ses membres.
En nous rappelant que la sainteté est la
perfection de la charité, nous pouvons donc affirmer que l’Église est
l’expression sacramentelle, hiérarchique et charismatique, de la charité de
Dieu, qui se construit et se donne à comprendre au monde de cette manière
particulière. Nous pouvons affirmer également que, recevant et vivant de ce don
de Dieu, nous sommes tous appelés collectivement et individuellement à répondre
à cette divine charité, en nous en imprégnant, en l’imitant, pour devenir nous
aussi, par grâce, une communauté et des personnes charitables, jusqu’à être tous
unis dans la charité même.
2) La charité chrétienne à l’égard du prochain
Maintenant nous pouvons revenir à notre propos
initial, relatif à notre attitude chrétienne à l’égard de notre prochain, en
nous remémorant l’oraison de ce dimanche et en n’oubliant pas que l’imitation
de la charité du christ n’est pas seulement morale mais d’abord
sacramentelle : « Que ta grâce nous obtienne Seigneur, d’imiter avec
joie la charité du Christ qui a donné sa vie par amour pour le monde ».
Je vous propose donc simplement deux brèves
méditations avant d’arriver à la conclusion. La première méditation me
permettra d’illustrer concrètement ce que j’entends quand j’emploie le mot
« sacramentel ». La seconde, en guise d’application, me permettra ensuite
de mettre en perspective la charité concrète comme expression des mystères du
salut.
Un sacrement, chers frères et sœurs, est un
signe par lequel nous est communiquée la vie divine. Ce signe, institué par
Jésus et confié à son Église, est sensible et efficace. L’Église elle-même est
un sacrement de l’action de Dieu dans le monde. Par l’Église, Dieu communique
son amour au monde, sa charité. Elle le fait de manière excellente quand elle
célèbre l’Eucharistie et permet à chacun de ses membres d’accéder à la
communion des saints. La posture qui permet donc à l’Église de communiquer la
charité de Dieu au monde, c’est d’offrir à Dieu le sacrifice d’action de grâce.
Cette dernière observation appelle trois commentaires.
Premièrement la plus grande charité de Dieu
pour le monde – la communion au Corps et au Sang de Jésus – lui est communiquée
par une œuvre non pas d’abord individuelle mais collective, hiérarchisée
certes, mais commune. Ainsi donc, lorsque nous voulons apporter l’amour au
monde, la charité, la justice et la paix, dans leur plus grande intensité, il
faut considérer que c’est une activité de toute l’Église, dans laquelle nous
avons tous notre responsabilité, chacun à notre mesure, par participation. Et
la qualité de cette participation a à voir avec notre propre sanctification
personnelle, l’accomplissement de notre propre vocation dans l’Église.
Comment voulez-vous qu’un orchestre joue
magnifiquement s’il manque les violons ? Ou bien si les violons ne sont
pas accordés ? Mais, la prééminence du collectif n’empêche pas, nous le
verrons, que l’action charitable soit aussi individuelle, dans une moindre
mesure. Après-tout, on peut aussi jouer un concerto avec un seul violon !
Deuxième commentaire : ce n’est pas une
charité propre à elle-même que l’Église communique au monde, mais la charité de
Dieu lui-même, qui est Dieu lui-même. Ainsi donc, la vraie charité que nous
avons à porter à notre prochain n’est pas une charité qui provient de nous-même,
de notre propre jugement, mais elle doit être le fruit de l’amour que nous
portons à Dieu : elle est une charité qui vient de Dieu, que nous lui
demandons et qui est donnée à d’autres à travers nous. C’est exactement ce
qu’il se passe quand nous disons : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Il n’en demeure pas moins que la qualité de
l’amour que nous portons à Dieu est justement vérifiée par l’intensité de la
charité que nous avons aussi pour notre prochain.
C’est comme si nous étions des panneaux
solaires. Si nous voulons produire de l’électricité ou de la charité avec une
intensité maximale, il faut que nous soyons tournés le plus possible vers le
soleil, c’est-à-dire vers Dieu. Faute de quoi nous serions bien peu
performants. Et on peut toujours diriger notre panneau avec un peu
d’électricité pour qu’il suive la course du soleil : la charité que nous
avons pour notre prochain nous aide aussi à nous tourner droit vers notre Père.
Troisième commentaire enfin, il ne faut pas
oublier que si le Seigneur nous demande de célébrer la liturgie eucharistique,
ce n’est pas pour sa gloire, mais c’est pour que nous puissions recevoir
celle-ci. Si nous voulons avoir la charité pour l’exercer au bénéfice de notre
prochain, il nous faut accomplir un acte liturgique dont le ressort principal
est l’amour de Dieu comme action de grâce pour ses bienfaits.
Or, ne nous trompons pas, l’acte liturgique
dont je parle est signifié sacramentellement de manière parfaite dans la
liturgie eucharistique, mais il est de même nature quand il est aumône, jeûne
et prière, pratiqués de manière cachée. De manière cachée, exactement comme le
Grand Prêtre est caché quand il pénètre dans le Saint des Saints pour la
liturgie du Grand Pardon. Ainsi, dans des actes de charité très concrets et
très simples, quand ceux-ci sont pratiqués de manière cachée, se trouve aussi
le secret de l’amour de Dieu et du prochain.
Au bout du compte, être chrétien, c’est être
comme un vitrail : avec notre personnalité propre qui lui donne des
couleurs particulières, notre vocation est de nous laisser illuminer et de
laisser passer à travers nous une lumière divine qui vient d’ailleurs. Il
s’agit que notre prochain soit éclairé d’une lumière, d’une charité qui ne peut
pas provenir de nous, mais qui provient de Dieu. Et c’est pourquoi nous devons
agir de manière cachée et nous faire transparents : « Il faut qu’il grandisse et que moi je
diminue » disait saint Jean-Baptiste (Jn 3,30). « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le
Christ qui vit en moi », s’exclamait saint Paul (Ga 2,20). Et Jésus
lui-même affirmait : « Celui
qui m’a vu, a vu le Père ; le Père qui demeure en moi fait ses propres
œuvres » (Jn 14,10).
N’y-a-t-il donc pas de meilleure manière
d’imiter le Christ que de vouloir faire comme lui la volonté de son Père, par
amour ? Et cette volonté n’est-elle pas que tous les hommes vivent dans sa
sainteté, c’est-à-dire dans sa charité ? (1Th 4,3). Telle est la
vocation de l’Église-sacrement.
Il est possible, chers frères et sœurs, que
vous ayez l’impression que mes propos, malgré quelques touches concrètes,
soient quelques peu éloignés de la vie réelle. Et pourtant je voudrais vous
montrer – et c’est ma seconde brève méditation – que des gestes très simples,
sont profondément enracinés dans l’évangile, non pas parce qu’il s’agirait
d’obligations morales, d’une loi de charité obligatoire promulguée par Jésus,
mais parce que c’est toujours la gloire de Dieu, sa sainteté, sa divine charité
qui est en jeu.
Vous vous souvenez certainement de ces paroles
de Jésus : « Venez, les bénis de mon
Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du
monde. Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et
vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez
accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et
vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ».
Bien sûr, Jésus parle ici de lui-même :
« chaque fois que vous l’avez fait à
l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »
et il nous montre ainsi que d’aimer son prochain est une manière concrète
d’aimer Dieu. Le pauvre est aussi, malgré lui, un vitrail qui fonctionne dans
l’autre sens.
Mais pensez-vous que la parabole de Jésus se
limite à cette lecture immédiate ? Je ne crois pas, parce que Dieu ne nous
demande pas de pratiquer des choses qu’il n’aurait jamais pratiquées auparavant
pour nous. Je veux dire que lui-même a pris soin du plus petit de ses frères.
Et celui-ci a un nom : c’est Adam.
N’est-ce pas que Jésus, en se faisant chair, en
acceptant de mourir et de descendre aux enfers, est venu jusqu’à lui qui habite
la prison par excellence, celle de la mort ? N’est-ce pas que Jésus, en se
faisant condamner comme un pécheur et en donnant sa vie sur une croix pour le
pardon des péchés, est venu guérir la plaie toujours ouverte de son péché, pour
lui permettre de revivre dans la lumière de l’amour de Dieu ? N’est-ce pas
que Jésus, en ressuscitant Adam avec lui, l’a couvert, lui qui était nu, du
vêtement somptueux de la gloire de Dieu, de sa sainteté, le vêtement lumineux
des corps ressuscités ? N’est-ce pas que Jésus lui a accordé aussi, à lui
qui était devenu étranger du Paradis, d’y être maintenant accueilli comme fils
de Dieu, supérieur aux anges ? Il est comme le fils prodigue, qui après
avoir été vêtu, se voit passer au doigt l’anneau d’une alliance éternelle, avec
Dieu son Père. N’est-ce pas enfin, que Jésus a conduit le vieil Adam, jusqu’au
festin des noces de l’Agneau, pour y trouver à manger et à boire en abondance,
dans la joie et les danses ?
En effet, chers frères et sœurs, comme vous le
voyez, ce que Jésus nous demande de faire, par imitation, c’est d’offrir, à
notre mesure à notre prochain, le même salut que Jésus lui-même nous a gagné
par son incarnation, sa mort et sa résurrection et son ascension.
Mais plus encore, le modèle-même de ces actes
charitables – vous le savez depuis que j’ai relié la parabole du fils prodigue
avec eux – se trouve dans les sacrements de l’initiation chrétienne. Il n’y a
jamais séparation entre la liturgie et les activités caritatives, mais
compénétration selon le sens et l’orientation donnés par l’histoire du salut.
Et il n’y a qu’une seule charité en Dieu, qui se diffracte selon des modes
différents.
Pour terminer, chers frères et sœurs, je ne
voudrais pas vous laisser sur un non-dit et manquer à votre égard de charité,
de vérité. Il me reste à vous dire une dernière chose, qui concerne la
condition de possibilité de toutes mes paroles, de leur rapport avec la
réalité.
Si Jésus n’est pas vraiment homme et vraiment
Dieu ; s’il ne s’est pas fait chair, n’est pas réellement mort et
réellement ressuscité ; s’il n’est pas réellement apparu vivant d’une vie
nouvelle à ses disciples avant son ascension ; et si ceux-ci n’ont pas été
remplis de l’Esprit Saint, alors – comme dirait Saint Paul – mes propos sont
vides et notre foi est vaine (1Co 15,17).
Si, au contraire, ces affirmations de notre foi
– telles que nous les avons reçues dans le Credo
– expriment la réalité, alors nous ne sommes pas seulement dépositaires de
l’histoire extraordinaire de Jésus sauveur, mais coopérateurs de sa charité
toujours à l’œuvre, qui sauve, qui guérit, qui élève et qui fait vivre, non pas
seulement pour la vie présente, mais aussi et déjà pour la vie éternelle, dans
l’amour de notre Dieu. Alors seulement, chers frères et sœurs, nous sommes le
Corps du Christ offert pour le monde.