dimanche 26 novembre 2023

26 novembre 2023 - AUTOREILLE - Solennité du Christ Roi de l'Univers - Année A

 Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22 ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46
 
Chers frères et sœurs,
 
La fête du Christ, « Roi de l’Univers », sonne à des oreilles d’homme occidental du XXIe siècle comme une prétention surréaliste, sinon surannée, qui sent son XIXe siècle alors que bon nombre de catholiques cherchaient à restaurer la royauté après la Révolution française ! Mais le titre de « Roi de l’univers » accordé à Jésus n’a rien à voir avec l’histoire de France : c’est dans les Écritures qu’il faut chercher une explication !
 
Il y a deux mentions du « Roi de l’univers » dans les Écritures. Au livre de Tobie, qui – au retour de son voyage – bénit « le Seigneur du Ciel et de la terre, le roi de l’Univers » ; et surtout au livre de Ben Sira le Sage : « Seul le Seigneur sera reconnu juste, il n’y en a pas d’autre que lui. Il tient le gouvernail du monde avec la paume de sa main, tout obéit à sa volonté, car, par sa puissance, il est roi de l’univers ; les choses saintes, il les sépare des profanes. »
Le roi de l’univers est donc Dieu lui-même, qui est le créateur de toutes choses, et qui en est aussi le juge, lui qui sépare ce qui est saint de ce qui est profane. C’est-à-dire qu’il reconnaît ce qui est de lui, ce qui est saint, de ce qui vient du mauvais et qui est destiné au néant – le profane.
 
Les Écritures emploient aussi souvent l’expression « Seigneur de l’Univers », notamment dans le Livre de Samuel, où la royauté de Dieu est confiée à David. Mais la royauté terrestre de David est l’annonce et l’image de la royauté céleste du Fils de David, Jésus. Ainsi Dieu fait la promesse suivante à David : « Ainsi parle le Seigneur de l’univers : C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. J’ai été avec toi partout où tu es allé, j’ai abattu devant toi tous tes ennemis. Je t’ai fait un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre. Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël, je l’y planterai, il s’y établira et ne tremblera plus, et les méchants ne viendront plus l’humilier, comme ils l’ont fait autrefois. » 
Nous retrouvons ici la prophétie du bon roi, ou du bon berger, le Fils de David, qui conduira le peuple de Dieu vers le bon pâturage du ciel, les prés d’herbe fraîche dont parle le Psaume.

Mais le Peuple de Dieu attendait en David, ou dans le Fils de David, un homme qui soit aussi roi comme Dieu lui-même, pas simplement son représentant. En effet, c’est la fameuse vision du prophète Daniel, qui est tellement importante pour comprendre qui est vraiment Jésus : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » 
Bien sûr, le « Vieillard » c’est Dieu-le Père et le « Fils d’Homme », c’est Jésus. C’est exactement de cette prophétie dont parle Saint Paul dans l’extrait de sa lettre aux Corinthiens que nous avons entendu en seconde lecture.

Voilà donc comment Jésus – toute référence politique mise à part – est vraiment le « Roi de l’Univers », en tant que Berger du Peuple de Dieu, à l’image de David, et en tant que Fils de l’Homme, celui à qui est remise toute royauté dans les cieux. Et c’est lui qui est chargé de prendre soin des brebis, de sanctifier le peuple, et d’en écarter ce qui est mauvais, ce qui est profane.
 
Il est donc nécessaire d’avoir ces références à l’esprit quand on veut comprendre l’Évangile de ce dimanche, où Jésus déclare : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. » – c’est la vision de Daniel. Et : « Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs » – c’est la double référence à David et à Ben Sira le Sage.
 
On s’aperçoit alors que le jugement de Jésus se porte sur les gestes que les hommes auront eus à l’égard des personnes affamées, assoiffées, nues, malades et en prison. C’est sur ces gestes que porte le critère de la sainteté. Pourquoi ?
Parce que c’est ce que Jésus a fait pour nous, ce que Dieu a fait pour l’homme par son Incarnation, sa mort et sa résurrection et son Ascension. C’est Adam qui était dans la prison de la mort – Dieu l’a ressuscité. Il était malade de son péché – Dieu l’en a guéri. Il était nu, ayant perdu le vêtement de la gloire de Dieu – Dieu l’en a revêtu, l’élevant au-dessus des anges. Il était affamé et assoiffé – Dieu l’a nourri au banquet des noces de l’Agneau, par son Corps et par son Sang, Pain et Vin de la vie éternelle. 
Voilà ce que, par Jésus, Dieu a fait en grand pour l’homme. Et c’est pourquoi, quand nous faisons ces gestes à l’égard d’autrui, modestement, à notre mesure, Dieu y reconnaît les siens. Ce sont des gestes de bonté, de sainteté, des gestes divins.
 
Je termine par une observation de saint Irénée. Que pouvons-nous faire, nous les hommes, pour remercier Dieu, notre roi et notre berger, d’avoir pris soin de nous et de nous avoir sanctifiés ? À vrai dire pas grand-chose, car nous sommes vraiment tout petits et nous ne possédons rien sinon ce que Dieu nous a donné. C’est pourquoi – dit saint Irénée – Jésus nous a donné l’exemple de ces gestes d’humanité comme gestes d’offrande pour le remercier de ses bienfaits. Voilà qui est à notre portée et qui vient réellement de nous. 
Nous faisons preuve d’amour pour Dieu quand nous pratiquons l’amour à l’égard du prochain. Et la perfection de l’amour, c’est la sainteté – la gloire des bienheureux. 

dimanche 19 novembre 2023

19 novembre 2023 - VALAY - 33ème dimanche TO - Année A

 Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 ; 1Th 5,1-6 ; Mt 25,14-30
 
Chers frères et sœurs,
 
En première analyse de cet enseignement de Jésus, nous comprenons que le Seigneur donne à chacun d’entre nous des talents, qu’il nous revient de faire fructifier sous peine de nous voir condamnés durement. Cela place sur nos épaules une lourde responsabilité, selon ce que l’on estime avoir reçu de lui, et en regard des vies bien modestes que nous pouvons lui présenter en retour.
Mais il s’agit de ne pas se tromper de talents. Car il n’est pas d’abord question de dons naturels que nous aurions pu développer ou pas. Il y a certainement ici des Mozart qui s’ignorent… Mais si personne ne leur a révélé leur don musical exceptionnel, comment pourraient-ils être tenus pour responsable de ne pas l’avoir développé ? Ou bien, la vie aura fait qu’il n’était pas possible de le développer, et ils ne peuvent pas ici non plus être tenus pour responsables. Non, dans l’Évangile, il s’agit de toute autre chose.
En Orient, il est de coutume d’attribuer les cinq talents aux évêques, les deux talents aux prêtres et le talent aux diacres. Ce n’est probablement pas ce qu’a voulu dire Jésus, mais cela nous donne une piste. On voit ici que le Seigneur attend davantage de ceux à qui il a donné – non pas des honneurs – mais des charges d’âmes : les talents, ce sont en même temps les autres, et l’Évangile qu’on doit leur porter, qui est leur nourriture pour qu’ils puissent vivre et développer leur foi. En fait, pour saint Éphrem, le talent donné par le Seigneur est la foi elle-même, qu’il attend de voir se développer et de donner du fruit. De fait, nous pouvons faire deux observations.
 
La première est que le Maître ne s’intéresse pas au nombre de talents qu’il aura pu récolter à son retour, mais il s’intéresse au fait que les serviteurs leur auront fait produire du fruit, chacun selon sa capacité. Il répond d’ailleurs exactement la même chose à celui qui a produit deux talents qu’à celui qui en a produit cinq. En revanche, il reproche au dernier d’avoir caché son talent et de ce fait, de ne lui avoir rien fait produire, même pas les intérêts d’un dépôt en banque.
Ainsi, le Seigneur se réjouira au ciel autant de l’arrivée de sainte Thérèse de Lisieux ou de saint Vincent de Paul que de la petite dame qui a mis cinq centimes dans le tronc du Temple de Jérusalem ou du lépreux samaritain qui est revenu simplement le remercier pour sa guérison. À chacun selon ses capacités. En revanche aux prêtres, par exemple, qui ont beaucoup reçu en matière de connaissance des choses divines, en pouvoir de gouvernement des communautés, en capacité de célébrer les sacrifices ou les sacrements, et qui en ont enfouis l’usage, ou pire, l’ont détourné à des fins mauvaises, ceux-là perdront tout puisqu’ils seront chassés de la salle des noces de l’Agneau, tout prêtre qu’ils auront pu être.
 
Mais ne pensons pas trop vite que, plus on a reçu de catéchisme, de séminaire ou de sacrements, plus on a reçu de talents. C’est plutôt une question d’état d’esprit. Comparons donc – et c’est ma deuxième observation – les qualificatifs que le maître attribue à chacun des serviteurs. Les deux premiers sont qualifiés de bons et fidèles ; et le dernier de mauvais et paresseux.
Celui qui est bon, c’est Dieu lui-même. Ainsi le serviteur bon agit comme Dieu lui-même agirait. Ce n’est pas qu’il a reçu une bonne note, le serviteur bon, c’est qu’il a agi avec bonté, qu’il a fait du bien, gratuitement et sans compter, autour de lui. Et il est dit aussi de lui qu’il est fidèle, c’est-à-dire qu’il a la foi. Le bon et fidèle serviteur, c’est celui qui accomplit la Loi : celui qui aime Dieu et son prochain, réellement.
À l’inverse se trouve le serviteur mauvais et paresseux. Dans la bouche de Jésus, la référence au paresseux n’est pas un hasard, c’est une référence directe au Livre des Proverbes où est décrit quinze fois ce qu’est être paresseux : le paresseux manque de sagesse – c’est-à-dire qu’il n’écoute pas la Parole de Dieu ; il s’est endormi ; il n’a pas mis en pratique les commandements ; et surtout : il a peur devant la tâche à accomplir ! D’ailleurs, le mauvais serviteur le dit lui-même : « J’ai eu peur. » Car le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, c’est la peur !
La femme parfaite décrite dans la première lecture – extraite justement du Livre des Proverbes –, est le miroir inversé du mauvais paresseux. Cette femme, c’est l’Église, elle qui craint le Seigneur – elle a la foi –, qui travaille avec ardeur, est attentive aux pauvres, et dont on chante publiquement les louanges pour ses œuvres bonnes.
 
Chers frères et sœurs, à nous qui sommes baptisés – prêtres, prophètes et roi – qui avons reçu le don de la foi, avec un peu capacité pour prier le Seigneur, un peu de catéchisme pour annoncer l’Évangile, et un peu de responsabilités familiales, sociales ou communautaires, le Seigneur attend de nous que nous fassions fructifier tout cela de bon cœur, comme lui : en aimant et Dieu et notre prochain, c’est-à-dire en nous offrant pour eux autant que nous pouvons et jusqu’à toute notre vie. Alors, nous pourrons un jour entendre le Seigneur nous dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur ! »

dimanche 12 novembre 2023

11/12 novembre 2023 - BUCEY-lès-GY - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 32ème dimanche TO - Année A

 Sg 6, 12-16 ; Ps 62 ; 1Th 4,13-18 ; Mt 25,1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, nous comprenons qu’à travers sa parabole Jésus nous demande d’être prévoyants en vue de sa venue. Celle-ci peut arriver à tout moment, même si elle semble tarder, à tel point qu’on peut même s’endormir. La surprise n’en sera que d’autant plus forte au réveil ! Que signifie alors l’huile si précieuse pour alimenter nos lampes au moment de la venue du Christ ? Sans grand risque, nous pouvons répondre : nos œuvres bonnes, notre vie sainte. Et c’est bien cela.
Mais cette lecture un peu rapide nous fait manquer quelques points importants de l’enseignement de Jésus. Il ne s’agit pas pour lui de nous faire simplement une leçon de morale. Comme d’habitude, pour bien comprendre l’Évangile, il faut le lire en correspondance avec tous les autres passages de l’Évangile, et avec les lunettes des Écritures, c’est-à-dire de l’Ancien Testament.
 
Rien que le premier verset campe le tableau : il y est question de dix jeunes filles, invitées aux noces de l’époux. Les versions anciennes de la Bible disent plus précisément qu’il est question de dix vierges, invitées aux noces du jeune marié, l’époux, et de la jeune mariée, l’épouse.
L’époux, on le retrouve en saint Matthieu quand Jésus dit, parlant de ses disciples : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l’Époux est avec eux ? Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront » ; et en saint Jean, Jean-Baptiste explique : « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. »
L’épouse, nous la retrouvons dans l’Apocalypse : « Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari » et encore : « Alors arriva l’un des sept anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux, et il me parla ainsi : « Viens, je te montrerai la Femme, l’Épouse de l’Agneau. » En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. »
Il faut donc comprendre que Jésus est lui-même l’époux, et la Jérusalem nouvelle, l’Église, est son épouse. Dans ce cas, les dix jeunes filles sont les figures des nations, qui sont appelées à se joindre aux noces, mais pas sous n’importe quelles conditions.
 
Précisons d’abord de quelles noces il s’agit. La racine la plus ancienne du mot (en araméen ou en hébreu) ne renvoie pas d’abord à une célébration nuptiale, à la consommation d’un mariage, mais plutôt à une célébration, où l’on boit du bon vin : c’est la fête. Ce sont les noces de Cana, par exemple. Or il est question de ces noces annoncées par Dieu dans le livre du prophète Jérémie : « Les chants d’allégresse et les chants de joie, le chant de l’époux et le chant de l’épousée, le chant de ceux qui présentent le sacrifice d’action de grâce dans la maison du Seigneur, en disant : « Rendez grâce au Seigneur de l’univers ! Oui, le Seigneur est bon : éternel est son amour ! » ». 
Voilà de quoi il est question : les noces sont la célébration d’un sacrifice d’action de grâce pour la bonté du Seigneur. Pour un chrétien, il s’agit de l’Eucharistie, tout simplement.
 
Alors, de quelle huile s’agit-il, qui permet d’entrer dans la salle des noces, dans l’Église, pour y offrir le sacrifice d’action de grâce, participer au banquet des noces de l’Agneau ?
Les versions grecques et araméennes ne parlent pas de vierges insouciantes et prévoyantes, mais de vierges folles ou insensées, et de vierges sages. Exactement comme on est fou ou insensé quand on construit sa maison sur du sable, et sage quand on la construit sur le rocher. Bien évidemment, le rocher c’est le Christ ou, pour un juif, c’est la Torah, la Loi donnée par Dieu à Moïse. Ainsi donc, les jeunes filles dites prévoyantes, signifient en réalité toutes les personnes qui fondent leur vie sur l’écoute de la Parole de Dieu et qui, par sa mise en pratique, se constituent des réserves d’huile, c’est-à-dire des fruits de sagesse, des bonnes œuvres. Tandis que les personnes qui vivent sans écouter la Parole de Dieu, qui se laissent emporter à tous les vents comme des girouettes, sont incapables de produire de bons fruits : elles sont vides. Et quand le Seigneur vient, au bout de la nuit, c’est la douche froide… il est trop tard.
Jésus se montre grinçant quand il fait dire aux vierges folles qu’elle doivent aller en catastrophe chez les marchands pour s’acheter de l’huile… et cela en pure perte puisque la porte de la salle des noces demeure fermée. En effet, jamais personne ne peut acheter de la sagesse avec de l’argent ! Jésus se moque de ceux qui croient pouvoir s’acheter une place au ciel (ou dans l’Église) avec de l’argent.
 
En définitive, dans sa parabole Jésus nous enseigne que celui qui écoute sa Parole et la met en pratique porte du fruit à travers une vie bonne et juste, éclairée qu’elle est par la Sagesse. Celui-là – même s’il est d’origine païenne – a accès à l’Église qui célèbre l’Eucharistie, le sacrifice d’action de grâce. Et c’est là que l’offrande de toute sa vie illumine le banquet des noces de l’Agneau.

dimanche 5 novembre 2023

04-05 novembre 2023 - SAINT-GAND - CHARCENNE - 31ème dimanche TO - Année A

 Ml 1,14b-2,2b.8-10 ; Ps 130 ; 1Th 2,7b-9.13 ; Mt 23,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus est toujours dans le Temple après y être monté selon le rituel du couronnement royal, assis sur un ânon et acclamé par les foules. Après avoir chassé les marchands du Temple et guéri des malades, il est entré en controverse avec les autorités religieuses : prêtres, docteurs de la Loi et pharisiens. Depuis plusieurs dimanches nous suivons cette controverse, qui aboutit en pratique à la dénonciation de l’hypocrisie de ces autorités. Jésus – qui est Dieu – a donc fait son entrée dans son Temple ; Lumière née de la Lumière, il en chasse les ténèbres ; il dévoile ce qui est voilé ; il purifie ce qui est impur : il abaisse les puissants et élèves les humbles.
 
Aujourd’hui, au-delà du risque d’hypocrisie qui colle à la peau de toute autorité, quelle qu’elle soit, Jésus nous apprend positivement deux choses. La première est l’autorité supérieure de la Loi de Moïse. En effet, Jésus non seulement ne la remet pas en cause, mais il recommande même de l’observer et de la mettre en pratique. Pour saint Irénée de Lyon, les choses sont très claires : si Jésus est l’accomplissement de la Loi, et même son dépassement, en ce sens qu’il aussi plus exigeant, il en est aussi le principe, l’origine. Il n’y a pas d’opposition entre la Loi de Moïse et Jésus. Et c’est bien ce que nous avons vu quand Jésus et le docteur de la Loi, pharisien, se sont trouvés tous les deux d’accord pour affirmer que le cœur de la Loi est bien l’amour de Dieu et celui du prochain. Ce que Jésus reproche aux pharisiens, c’est de ne pas appliquer ce principe dans leur pratique.
 
Nous le savons, mettre en pratique la Loi de Moïse, les commandements de Dieu, les Béatitudes le cas échéant, ce n’est pas facile. Cela n’est jamais facile. Parce que – quand on fait le pas – la vie change du tout au tout, et on marche comme sur les eaux, au risque de couler si l’on perd la foi ! Ainsi par exemple, Antoine, jeune chrétien sympathique, d’une famille paysanne assez aisée, est passé un jour devant une église où l’on proclamait l’évangile suivant : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi. » C’est la parole adressée par Jésus au jeune homme riche. Antoine aurait pu se contenter de l’écouter et ne pas se sentir concerné. Mais non : il l’a prise pour lui, et surtout : il l’a mise en pratique. C’est ainsi qu’il est devenu saint Antoine, premier des moines du désert d’Égypte, modèle de tous les moines dans l’Église jusqu’à aujourd’hui. Par le seul principe suivant : mettre en pratique l’Évangile ; ne pas se contenter de l’écouter. 
Évidemment, vous voyez bien le changement de vie que cela a impliqué. Tout le monde n’est pas appelé par le Seigneur à le suivre à la manière de saint Antoine, mais chacun sait dans son cœur, dans sa conscience, là où le Seigneur l’appelle.
 
Pour se souvenir de l’appel du Seigneur à observer la Loi et le cœur de la Loi, et les mettre en pratique, les juifs ont l’habitude de porter des phylactères et des franges. 
Les phylactères contiennent les Paroles du Seigneur selon cette prescription consignée dans le Deutéronome : « Les paroles que je vous donne, vous les mettrez dans votre cœur, dans votre âme. Vous les attacherez à votre poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur votre front. » 
Et les franges sont des fils de pourpre, selon ce commandement donné par le Seigneur à Moïse, consigné dans le Livre des Nombres : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras qu’ils se fassent une frange aux pans de leurs vêtements, et ceci d’âge en âge, et qu’ils placent sur la frange du pan de leur vêtement un cordon de pourpre violette. Vous aurez donc une frange ; chaque fois que vous la regarderez, vous vous rappellerez tous les commandements du Seigneur et vous les mettrez en pratique ; vous ne vous laisserez pas entraîner, comme les explorateurs, par vos cœurs et vos yeux qui vous mèneraient à la prostitution. Ainsi vous vous rappellerez et vous mettrez en pratique tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu. »

Voilà donc que phylactères et franges sont des signes qui rappellent matériellement cette nécessité de se souvenir de la Loi en tout temps, et de la mettre en pratique. Les premiers rappellent que c’est le Seigneur qui parle et se révèle ; c’est lui le seul Maître. Et les secondes, les franges, rappellent que celui qui les porte est un serviteur du Seigneur, pour mettre en pratique ses commandements. La couleur pourpre rappelle le rang royal de ces serviteurs : ils sont saints. 
Il est donc bien dramatique de voir les autorités religieuses chargées d’enseigner la Loi et d’être des modèles dans sa mise en pratique, d’exagérer dans les dimensions de ces signes et ce d’autant plus qu’ils font l’inverse de ce qu’ils représentent ! L’hypocrisie à son comble.
 
Et c’est là le second enseignement de Jésus. Oui, il est difficile de mettre en pratique les commandements ; c’est pourquoi avant d’en charger les autres, il faut commencer par les porter soi-même autant qu’on peut. Mais ce n’est pas difficile quand on le fait avec beaucoup d’humilité, petitement d’abord, et de plus en plus, et de mieux en mieux, autant qu’on peut. Alors, le Maître, qui voit celui qui arrive dans la salle des noces se mettre humblement à la dernière place, vient le chercher et lui dit, l’élevant à la première place : « Mon ami, monte plus haut ! » Il reçoit alors le couronnement des Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ! »

vendredi 3 novembre 2023

02 novembre 2023 - SOING - Commémoration de tous les fidèles défunts - Année A

Sg 3,1-6.9 ; Ps 26 ; 1Co 15,51-57 ; Mt 25,31-46
 
Chers frères et sœurs,
 
Vous vous souvenez – il y a quelques dimanches – de la parabole des Vignerons homicides, qui ont tué les envoyés du Maître, et même son Fils, alors que celui-ci attendait que les vignerons lui donnent le fruit de sa vigne, qui sont les bonnes œuvres de la Loi, bien comprise et mise en pratique. De même vous vous souvenez de la parabole des invités au repas des noces, où le Père fait appeler les invités – qui refusent, puis fait venir tout le monde, pour finalement chasser de la salle un importun qui ne portait pas le vêtement des noces. Ce vêtement, comme le fruit de la vigne, est le signe d’une vie sainte, une vie selon la Loi de Moïse ou des Béatitudes, toute faite de l’amour de Dieu et du prochain. Ce vêtement, pour saint Irénée de Lyon, n’est autre que l’Esprit Saint.
 
L’évangile de ce jour se comprend à la lumière des précédents. En définitive, ceux qui sont les bénis du Père, sont ceux qui sont comparable à une vigne qui porte du fruit, ou à des invités qui sont habillés du vêtement des noces. Leur vie est fécondée, colorée, par l’Esprit Saint, et les gestes dont parle Jésus aujourd’hui leur sont familiers : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! »
En revanche, ceux qui ne portent pas de fruit, ni le vêtement des noces, sont des gens stériles : ils ne sont pas habités, mus intérieurement par l’Esprit Saint. Et dans ce cas, le Maître les retranche ou les renvoie.
 
Les actes que propose Jésus – nourrir, accueillir, habiller, visiter ou réconforter – sont profondément humains. On peut se dire qu’il n’y a pas besoin d’être chrétien pour faire cela. Et tant mieux, car ces actions, faite avec un esprit droit pourront certainement sauver ceux qui les auront faites qu’ils soient chrétiens ou non. Mais pour nous les chrétiens, ils revêtent une profondeur et une signification très particulières qui nous y obligent d’une certaine façon. En effet, ce sont des gestes que Dieu a fait à notre égard, à nous qui sommes des fils d’Adam. Adam et Eve, bannis du Paradis, étaient enseveli dans les profondeurs des enfers comme dans une prison. Le samedi Saint Jésus y est descendu pour y chercher nos vieux parents et il les a libérés par sa résurrection. Malades de leur péché, il les a guéri par le sang de sa croix, en leur appliquant le baume de sa miséricorde, de son pardon. Nus ils étaient. Jésus les as revêtus du manteau de sa divinité : il les a revêtus de l’Esprit Saint, de sortent qu’ils puissent entrer au Ciel, dans la salle des noces. Et c’est là qu’il les a nourris de lait et de miel, de tous les mets du banquet de l’Agneau, dans la joie du Paradis retrouvé. Vous comprenez frères et sœurs, que lorsque nous visitons, habillons, nourrissons, quelqu’un, nous faisons à notre mesure les gestes qu’a fait le Seigneur à notre égard, pour nous sauver et nous ramener à la vie. Et c’est pourquoi, reconnaissant en nous les gestes que lui-même a fait pour nous, il en fait la louange.
 
Allons plus loin, et remarquons que par le baptême, nous sommes plongés dans la mort et nous ressuscitons avec le Christ. Nous quittons les ténèbres de la mort pour entrer dans la vie. Nous sortons de notre prison. Par le baptême et la confirmation, nous sommes guéris de notre inclination foncière au péché, cette maladie mortelle de tout homme. Au baptême, nous avons été revêtus du vêtement blanc, le vêtement des noces, celui de l'innocence des saints. Par le baptême enfin nous avons accès à la communion eucharistique, au Corps et au Sang de Jésus, pain et vin de la vie éternelle. Les sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie libèrent, guérissent, habillent et nourrissent. Ainsi donc, quand nous célébrons ces sacrements, nous faisons aussi ce que le Seigneur attend de nous, car nous faisons ici aussi comme il a fait pour Adam et Eve, pour toute l’humanité.
 
Alors, ayant considéré tout cela, pourquoi aurions-nous peur du jugement de Dieu, si en beaucoup ou peu de choses nous avons libéré, visité, habillé et nourri celui qui est dans le besoin, si nous avons fait comme Jésus – que ce soit en pleine conscience de la signification de ces gestes, ou dans une parfaite ignorance mais avec un cœur droit, par amour du prochain ? Le Seigneur connaît nos cœurs, il connaît le cœur de nos défunts pour lesquels nous prions aujourd’hui. Nul doute qu’il y trouvera ce qu’il faut pour les faire entrer dans sa vie éternelle et sa joie. 

mercredi 1 novembre 2023

01 Novembre 2023 - AUTREY-lès-GRAY - Solennité de tous les saints - Année A

 Ap 7,2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a deux manières de lire l’évangile. La première, au premier degré, où l’on parle de personnes pauvres, tristes ou douces, qui aspirent à un monde de justice et de paix, de personnes qui, avec un cœur pur, font miséricorde, c’est-à-dire pardonnent à leur prochain, et à qui il est promis de voir Dieu. L’incompréhension suscitée par cet état d’esprit peut conduire à la persécution, mais la récompense sera grande dans le royaume des cieux. Souvent nous comprenons les Béatitudes de cette manière.
Mais il est une seconde manière de lire l’évangile, plus conforme à l’enseignement de Jésus, mais qui demande de notre part un peu de travail. En effet, cet enseignement a été donné il y a 2000 ans, et les mots de Jésus, en araméen, ne correspondent pas aux mots français d’aujourd’hui. Il faut donc étudier, et c’est à cela que doit servir le catéchisme : donner des clés pour lire et mieux comprendre l’évangile.
 
Alors… Jésus « gravit la montagne », « s’assit » et « ouvrit la bouche ». Cela veut dire qu’il est un roi qui siège sur son trône et qui décrète officiellement une loi. La situation est semblable à celle du Mont Horeb, où Dieu a donné les Tables de la Loi à Moïse. C’est de la même importance.
« Heureux les pauvres de cœur. » La traduction est ici assez compliquée, il faut bien le dire. L’araméen est plus explicite : il désigne des personnes complètement inoffensives, d’une bonté totale, et par conséquent d’une fragilité extrême : ces sont des agneaux innocents.
« Heureux ceux qui pleurent. » Il ne s’agit pas ici d’abord de gens tristes parce qu’ils souffrent d’un deuil, d’un échec ou d’une blessure (par exemple), mais ce sont des gens qui sont affligés par le mal qui est dans le monde : ils pleurent les péchés du monde et d’abord leur propre péché. Ce sont des pénitents. Leur consolation est l’Esprit-Saint lui-même, qui est pour cela appelé le « Consolateur ».
« Heureux les doux. » Avec la douceur, il faudrait joindre ici l’humilité. Les doux sont des gens qui sont bien là où ils sont, qui ne désirent rien de nouveau, mais se réjouissent de tout de ce qui leur arrive comme des dons de Dieu. Il n’y a pas d’ambition chez eux, ils sont paisibles, car au fond, tout leur appartient.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Pour faire bref, à la place de « justice », on doit lire « sainteté » : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la sainteté. » C’est un don de Dieu. Au fond, c’est ce qu’on demande dans notre prière : « Donne-nous notre pain de ce jour. »
« Heureux les miséricordieux » correspond à la suite de la prière de Jésus : « Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Comment peut-on espérer de Dieu le don de la sainteté alors que nous sommes pécheurs, si nous refusons le pardon à ceux qui nous ont offensé ? Car le don de la sainteté est une miséricorde à notre égard de la part de Dieu et il est juste que nous imitions autant que possible à l’égard d’autrui la bonté qu’il a pour nous.
« Heureux les cœurs purs. » Attention au piège : pour un hébreu, le cœur n’est pas le lieu des sentiments, mais le lieu de l’intelligence ! Ainsi « Heureux les cœurs purs » veut dire en réalité : « Heureux ceux qui ont l’intelligence pure », l’intelligence droite, l’intelligence éclairée. Et c’est bien pourquoi ils peuvent « voir Dieu » : Dieu illumine leur intelligence, leur âme, leur cœur.
« Heureux les artisans de paix. » La paix ici est comme la justice : il ne s’agit pas d’une paix humaine, mais de la vraie paix qui vient de Dieu, de son « repos ». L’artisan de paix est celui qui travaille à la paix en essayant de promouvoir dans le monde une paix qui ressemble autant que possible à ce repos de Dieu, mais il est aussi celui qui, par sa prière, – et notamment par l’exercice du sacerdoce – appelle cette paix de Dieu sur le monde, appelle sa bénédiction, qui est le don de son repos, de sa grâce, notamment par les sacrements.
« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. » Ils ne s’agit pas d’activistes d’une ONG, mais des prophètes de l’Ancien Testament. Ils ont été persécuté pour avoir annoncé la venue Royaume de Dieu, pour avoir annoncé Jésus, qui est le Saint de Dieu. Ainsi, la dernière béatitude est-elle pour les chrétiens : « Heureux êtes vous si l’on vous persécute… à cause de moi. »
 
Vous voyez bien, chers frères et sœurs, que le tableau général des Béatitudes tel que je viens de le présenter, est un peu différent du tableau habituel. Plutôt que de tableau, je devrai parler de visage. Car les Béatitudes forment le portrait de Dieu, le portrait de Jésus : c’est lui l’agneau innocent, qui pleure les péchés du monde, l’humble qui se réjouit de toutes les grâces de Dieu, qui aspire à la sainteté du monde et pratique en même temps la miséricorde envers les pécheurs. C’est lui qui voit Dieu son Père en tout temps parce que son intelligence est sans cesse illuminée par l’Esprit Saint. C’est lui l’artisan de paix parce qu’il œuvre à l’établissement du Royaume en s’offrant lui-même à son Père pour le rachat des péchés du monde. En sa Passion et sur la croix, il est le premier persécuté pour cette justice : la résurrection d'entre les morts et le pardon des péchés qui ouvre à la sainteté.
Nous avons donc ici, dans les Béatitudes, un portrait de Jésus, un portrait de notre Dieu, auquel nous participons chacun à notre manière, par certains traits, en vertu de notre baptême et par vocation.
 
Je termine en soulignant une particularité. La première et la dernière béatitude ne sont pas au futur mais au présent : « le royaume des cieux est à eux. » Cela veut dire que dès ici-bas, les pauvres de cœur – les agneaux innocents – et ceux qui sont persécutés pour la justice – ceux qui sont prophètes du Royaume et de Jésus, ou les évangélisateurs – ceux-là participent déjà maintenant au Royaume des Cieux. Ou plus exactement, ils sont le Royaume des Cieux déjà présent sur la terre. Agneaux innocents et prophètes de l’Évangile, voilà un beau résumé de la vie chrétienne, ou tout simplement de la vie sainte que nous sommes appelés à vivre.

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