Ap
7,2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12a
Chers
frères et sœurs,
Il
y a deux manières de lire l’évangile. La première, au premier degré, où l’on
parle de personnes pauvres, tristes ou douces, qui aspirent à un monde de
justice et de paix, de personnes qui, avec un cœur pur, font miséricorde,
c’est-à-dire pardonnent à leur prochain, et à qui il est promis de voir Dieu.
L’incompréhension suscitée par cet état d’esprit peut conduire à la persécution,
mais la récompense sera grande dans le royaume des cieux. Souvent nous
comprenons les Béatitudes de cette manière.
Mais
il est une seconde manière de lire l’évangile, plus conforme à l’enseignement
de Jésus, mais qui demande de notre part un peu de travail. En effet, cet
enseignement a été donné il y a 2000 ans, et les mots de Jésus, en araméen, ne
correspondent pas aux mots français d’aujourd’hui. Il faut donc étudier, et
c’est à cela que doit servir le catéchisme : donner des clés pour lire et mieux
comprendre l’évangile.
Alors…
Jésus « gravit la montagne », « s’assit » et
« ouvrit la bouche ». Cela veut dire qu’il est un roi qui
siège sur son trône et qui décrète officiellement une loi. La situation est
semblable à celle du Mont Horeb, où Dieu a donné les Tables de la Loi à Moïse.
C’est de la même importance.
« Heureux
les pauvres de cœur. » La traduction est ici assez compliquée, il faut
bien le dire. L’araméen est plus explicite : il désigne des personnes complètement
inoffensives, d’une bonté totale, et par conséquent d’une fragilité
extrême : ces sont des agneaux innocents.
« Heureux
ceux qui pleurent. » Il ne s’agit pas ici d’abord de gens tristes
parce qu’ils souffrent d’un deuil, d’un échec ou d’une blessure (par exemple),
mais ce sont des gens qui sont affligés par le mal qui est dans le monde :
ils pleurent les péchés du monde et d’abord leur propre péché. Ce sont des
pénitents. Leur consolation est l’Esprit-Saint lui-même, qui est pour cela
appelé le « Consolateur ».
« Heureux
les doux. » Avec la douceur, il faudrait joindre ici l’humilité. Les
doux sont des gens qui sont bien là où ils sont, qui ne désirent rien de
nouveau, mais se réjouissent de tout de ce qui leur arrive comme des dons de
Dieu. Il n’y a pas d’ambition chez eux, ils sont paisibles, car au fond, tout
leur appartient.
« Heureux
ceux qui ont faim et soif de la justice. » Pour faire bref, à la place
de « justice », on doit lire « sainteté » :
« Heureux ceux qui ont faim et soif de la sainteté. » C’est un don de
Dieu. Au fond, c’est ce qu’on demande dans notre prière : « Donne-nous
notre pain de ce jour. »
« Heureux
les miséricordieux » correspond à la suite de la prière de
Jésus : « Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui
nous ont offensés. » Comment peut-on espérer de Dieu le don de la
sainteté alors que nous sommes pécheurs, si nous refusons le pardon à ceux qui
nous ont offensé ? Car le don de la sainteté est une miséricorde à notre
égard de la part de Dieu et il est juste que nous imitions autant que possible à
l’égard d’autrui la bonté qu’il a pour nous.
« Heureux
les cœurs purs. » Attention au piège : pour un hébreu, le cœur
n’est pas le lieu des sentiments, mais le lieu de l’intelligence ! Ainsi
« Heureux les cœurs purs » veut dire en réalité :
« Heureux ceux qui ont l’intelligence pure », l’intelligence droite,
l’intelligence éclairée. Et c’est bien pourquoi ils peuvent « voir Dieu » :
Dieu illumine leur intelligence, leur âme, leur cœur.
« Heureux
les artisans de paix. » La paix ici est comme la justice : il ne
s’agit pas d’une paix humaine, mais de la vraie paix qui vient de Dieu, de son « repos ».
L’artisan de paix est celui qui travaille à la paix en essayant de promouvoir
dans le monde une paix qui ressemble autant que possible à ce repos de Dieu,
mais il est aussi celui qui, par sa prière, – et notamment par l’exercice du
sacerdoce – appelle cette paix de Dieu sur le monde, appelle sa bénédiction,
qui est le don de son repos, de sa grâce, notamment par les sacrements.
« Heureux
ceux qui sont persécutés pour la justice. » Ils ne s’agit pas d’activistes
d’une ONG, mais des prophètes de l’Ancien Testament. Ils ont été persécuté pour
avoir annoncé la venue Royaume de Dieu, pour avoir annoncé Jésus, qui est le
Saint de Dieu. Ainsi, la dernière béatitude est-elle pour les chrétiens :
« Heureux êtes vous si l’on vous persécute… à cause de moi. »
Vous
voyez bien, chers frères et sœurs, que le tableau général des Béatitudes tel
que je viens de le présenter, est un peu différent du tableau habituel. Plutôt
que de tableau, je devrai parler de visage. Car les Béatitudes forment le
portrait de Dieu, le portrait de Jésus : c’est lui l’agneau innocent, qui
pleure les péchés du monde, l’humble qui se réjouit de toutes les grâces de
Dieu, qui aspire à la sainteté du monde et pratique en même temps la
miséricorde envers les pécheurs. C’est lui qui voit Dieu son Père en tout temps
parce que son intelligence est sans cesse illuminée par l’Esprit Saint. C’est
lui l’artisan de paix parce qu’il œuvre à l’établissement du Royaume en
s’offrant lui-même à son Père pour le rachat des péchés du monde. En sa Passion
et sur la croix, il est le premier persécuté pour cette justice : la résurrection
d'entre les morts et le pardon des péchés qui ouvre à la sainteté.
Nous
avons donc ici, dans les Béatitudes, un portrait de Jésus, un portrait de notre
Dieu, auquel nous participons chacun à notre manière, par certains traits, en
vertu de notre baptême et par vocation.
Je
termine en soulignant une particularité. La première et la dernière béatitude
ne sont pas au futur mais au présent : « le royaume des cieux est
à eux. » Cela veut dire que dès ici-bas, les pauvres de cœur – les
agneaux innocents – et ceux qui sont persécutés pour la justice – ceux qui sont
prophètes du Royaume et de Jésus, ou les évangélisateurs – ceux-là participent
déjà maintenant au Royaume des Cieux. Ou plus exactement, ils sont le Royaume
des Cieux déjà présent sur la terre. Agneaux innocents et prophètes de
l’Évangile, voilà un beau résumé de la vie chrétienne, ou tout simplement de la
vie sainte que nous sommes appelés à vivre.