Ml
1,14b-2,2b.8-10 ; Ps 130 ; 1Th 2,7b-9.13 ; Mt 23,1-12
Chers
frères et sœurs,
Jésus
est toujours dans le Temple après y être monté selon le rituel du couronnement
royal, assis sur un ânon et acclamé par les foules. Après avoir chassé les
marchands du Temple et guéri des malades, il est entré en controverse avec les
autorités religieuses : prêtres, docteurs de la Loi et pharisiens. Depuis
plusieurs dimanches nous suivons cette controverse, qui aboutit en pratique à
la dénonciation de l’hypocrisie de ces autorités. Jésus – qui est Dieu – a donc
fait son entrée dans son Temple ; Lumière née de la Lumière, il en chasse
les ténèbres ; il dévoile ce qui est voilé ; il purifie ce qui est
impur : il abaisse les puissants et élèves les humbles.
Aujourd’hui,
au-delà du risque d’hypocrisie qui colle à la peau de toute autorité, quelle
qu’elle soit, Jésus nous apprend positivement deux choses. La première est
l’autorité supérieure de la Loi de Moïse. En effet, Jésus non seulement ne la
remet pas en cause, mais il recommande même de l’observer et de la mettre en
pratique. Pour saint Irénée de Lyon, les choses sont très claires : si
Jésus est l’accomplissement de la Loi, et même son dépassement, en ce sens
qu’il aussi plus exigeant, il en est aussi le principe, l’origine. Il n’y a pas
d’opposition entre la Loi de Moïse et Jésus. Et c’est bien ce que nous avons vu
quand Jésus et le docteur de la Loi, pharisien, se sont trouvés tous les deux
d’accord pour affirmer que le cœur de la Loi est bien l’amour de Dieu et celui
du prochain. Ce que Jésus reproche aux pharisiens, c’est de ne pas appliquer ce
principe dans leur pratique.
Nous
le savons, mettre en pratique la Loi de Moïse, les commandements de Dieu, les
Béatitudes le cas échéant, ce n’est pas facile. Cela n’est jamais facile. Parce
que – quand on fait le pas – la vie change du tout au tout, et on marche comme
sur les eaux, au risque de couler si l’on perd la foi ! Ainsi par exemple,
Antoine, jeune chrétien sympathique, d’une famille paysanne assez aisée, est
passé un jour devant une église où l’on proclamait l’évangile suivant :
« Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi. »
C’est la parole adressée par Jésus au jeune homme riche. Antoine aurait pu se
contenter de l’écouter et ne pas se sentir concerné. Mais non : il l’a
prise pour lui, et surtout : il l’a mise en pratique. C’est ainsi qu’il
est devenu saint Antoine, premier des moines du désert d’Égypte, modèle de tous
les moines dans l’Église jusqu’à aujourd’hui. Par le seul principe
suivant : mettre en pratique l’Évangile ; ne pas se contenter de
l’écouter.
Évidemment, vous voyez bien le changement de vie que cela a impliqué.
Tout le monde n’est pas appelé par le Seigneur à le suivre à la manière de
saint Antoine, mais chacun sait dans son cœur, dans sa conscience, là où le
Seigneur l’appelle.
Pour
se souvenir de l’appel du Seigneur à observer la Loi et le cœur de la Loi, et
les mettre en pratique, les juifs ont l’habitude de porter des phylactères et
des franges.
Les phylactères contiennent les Paroles du Seigneur selon cette
prescription consignée dans le Deutéronome : « Les paroles que je
vous donne, vous les mettrez dans votre cœur, dans votre âme. Vous les
attacherez à votre poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur votre
front. »
Et les franges sont des fils de pourpre, selon ce
commandement donné par le Seigneur à Moïse, consigné dans le Livre des
Nombres : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras qu’ils se
fassent une frange aux pans de leurs vêtements, et ceci d’âge en âge, et qu’ils
placent sur la frange du pan de leur vêtement un cordon de pourpre violette.
Vous aurez donc une frange ; chaque fois que vous la regarderez, vous vous
rappellerez tous les commandements du Seigneur et vous les mettrez en
pratique ; vous ne vous laisserez pas entraîner, comme les explorateurs,
par vos cœurs et vos yeux qui vous mèneraient à la prostitution. Ainsi vous
vous rappellerez et vous mettrez en pratique tous mes commandements, et vous
serez saints pour votre Dieu. »
Voilà
donc que phylactères et franges sont des signes qui rappellent matériellement
cette nécessité de se souvenir de la Loi en tout temps, et de la mettre en
pratique. Les premiers rappellent que c’est le Seigneur qui parle et se
révèle ; c’est lui le seul Maître. Et les secondes, les franges,
rappellent que celui qui les porte est un serviteur du Seigneur, pour mettre en
pratique ses commandements. La couleur pourpre rappelle le rang royal de ces
serviteurs : ils sont saints.
Il est donc bien dramatique de voir les
autorités religieuses chargées d’enseigner la Loi et d’être des modèles dans sa
mise en pratique, d’exagérer dans les dimensions de ces signes et ce d’autant plus
qu’ils font l’inverse de ce qu’ils représentent ! L’hypocrisie à son
comble.
Et
c’est là le second enseignement de Jésus. Oui, il est difficile de mettre en
pratique les commandements ; c’est pourquoi avant d’en charger les autres,
il faut commencer par les porter soi-même autant qu’on peut. Mais ce n’est pas
difficile quand on le fait avec beaucoup d’humilité, petitement d’abord, et de
plus en plus, et de mieux en mieux, autant qu’on peut. Alors, le Maître, qui
voit celui qui arrive dans la salle des noces se mettre humblement à la
dernière place, vient le chercher et lui dit, l’élevant à la première
place : « Mon ami, monte plus haut ! » Il reçoit
alors le couronnement des Béatitudes : « Heureux les pauvres de
cœur, le Royaume des cieux est à eux ! »