dimanche 31 décembre 2023

30-31 décembre 2023 - VELLEXON - PESMES - Sainte Famille - Année B

Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3 ; Ps 104 ; He 11, 8.11-12.17-19 ; Lc 2, 22-40
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, nous avons le récit de la promesse d’un héritier faite par Dieu à Abraham, et en seconde lecture l’exaltation de la foi d’Abraham, lequel a suivi l’appel du Seigneur, a cru sa promesse d’une descendance à travers son fils Isaac, et a traversé l’épreuve du sacrifice de ce fils unique, remplacé in extremis par un bélier. La foi d’Abraham ainsi soulignée, est tournée vers l’espérance qu’attendaient Syméon et Anne, lointains descendants d’Adam et Eve, âgés comme l’était toute l’humanité. Et c’est pourquoi, voyant Jésus, ils louent le Seigneur et que Syméon déclare : « Maintenant, ô Maître Souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller, en paix, selon ta parole » – car la Promesse est réalisée.
On en conclut – et Saint Éphrem le fera dans son Commentaire – que l’Ancien Testament est clos et que la vocation d’Israël n’a plus lieu d’être. Or cela ouvre toute grande la porte à l’hérésie de Marcion, lequel déclare l’Ancien Testament obsolète, pour ne pas dire mauvais, avec tous ceux qui en vivent encore, c’est-à-dire les Juifs. Le Marcionisme, relayé par l’antisémitisme ancien du monde Grec, s’est ensuite répandu au cours des âges jusqu’en Europe. Nous en connaissons l’aboutissement dramatique. Le choix des deux textes de la Genèse et de la Lettre aux Hébreux pour éclairer l’Évangile doit donc être regardé avec beaucoup d’attention.
 
D’autre part, ce dimanche est intitulé « fête de la Sainte Famille », mais l’extrait de l’Évangile que nous avons lu n’y correspond pas. En effet, cette fête a été instaurée pour faire mémoire du recouvrement de Jésus au Temple, et non pas de sa présentation au Temple, une quinzaine d’années auparavant... Du coup, le prédicateur se trouve devant un méli-mélo de références et d’intentions qui ne concordent pas. Comment le bon et saint peuple chrétien peut-il donc y comprendre quelque chose ?
Tirons une leçon très simple de cet état de fait. Il ne faut pas utiliser les Écritures ou l’Évangile pour illustrer ce que l’on veut dire – même si c’est avec les meilleures intentions du monde. Mais inversement, il faut partir de l’Évangile pour se mettre à son écoute, pour apprendre de lui ce que lui a à nous dire.
 
Nous avons donc aujourd’hui l’Évangile de la présentation de Jésus au Temple. Il est très riche en enseignements, mais je dois ici aller très vite : je n’esquisse donc que quelques pistes de réflexion et de contemplation.
 
En premier lieu, Marie et Joseph, comme il est dit, montent à Jérusalem pour mettre en pratique les prescriptions de la Loi de Moïse, ici celle du livre du Lévitique qui stipule qu’une femme qui accouche d’un garçon doit être purifiée au 40ème jour et présenter en offrande un agneau et un jeune pigeon, ou une tourterelle. Et il s’agit ici également de racheter Jésus, qui appartient à Dieu en vertu du fait qu’il est un premier-né. La Loi de Moïse donne donc le cadre de l’interprétation.
On notera que Marie et Joseph suivent scrupuleusement les préceptes de la Loi, car elle est pour eux le vrai moyen d’honorer Dieu et de donner une colonne vertébrale à leur famille, à leur vie sur la terre. Ils n’y voient rien d’obsolète ni de mauvais, bien au contraire.
 
Or, chez saint Luc, qui est pratiquement le seul à nous détailler le temps de l’enfance de Jésus comme le temps après sa résurrection jusqu’à la Pentecôte, il y a la volonté d’expliquer l’un par l’autre. Ce que je dis là est important. Grâce au cadre temporel fourni par la Loi de Moïse, on peut superposer la naissance de Jésus et sa résurrection comme nouvelle naissance ; puis la circoncision au 8ème jour selon la Loi, comme le 8ème jour des apparitions, où saint Thomas est guéri de son incrédulité ; puis la présentation et la purification de la mère au 40ème jour selon la Loi, comme le 40ème et dernier jour des apparitions où  Jésus fait son ascension au Ciel. Ce rapprochement a trois conséquences.

Premièrement, quand saint Luc évoque en détail les événements liés à la naissance et à l’enfance de Jésus, de manière voilée, il parle aussi du sens des événements de sa résurrection jusqu’à la Pentecôte. 
Inversement, si nous voulons comprendre le sens profond du 8ème jour (Thomas) et du 40ème jour (l’Ascension), alors il faut le faire avec ce que prescrit la Loi de Moïse pour l’enfant premier-né et sa mère. 
Et troisièmement, si nous ne voulons pas faire de saint Luc un mauvais historien qui veut faire entrer à toute force les événements de la résurrection dans le cadre de la Loi, il faut comprendre la Loi elle-même comme une prophétie des événements de la Résurrection. C’est-à-dire que si la Loi demande une circoncision au 8ème jour, c’est parce que Jésus a purifié le cœur incroyant de Thomas au 8ème jour pour en faire un cœur croyant – il a circoncis son cœur ! ; et si la Loi demande une offrande au 40ème jour, c’est en raison de l’offrande que fait Jésus de lui-même à son Père lors de son Ascension au Ciel au 40ème jour, comme fils premier-né d’entre les morts. Et en raison de la purification de sa mère, au même moment, qui est la figure de l’Église-Mère, appelée à enfanter de nouveaux enfants de Dieu, ses frères. Et d’ailleurs, les Apôtres commencent immédiatement par remplacer Judas par l’apôtre Matthias, pour reformer le noyau des Douze, avant d’attendre la Pentecôte et les premiers baptêmes.
 
En définitive, s’il faut vraiment parler de sainte famille aujourd’hui, il faut dire que cette famille, préparée par Dieu, rendue visible et charnelle en Marie, Joseph et Jésus, est aussi celle à laquelle nous appartenons tous par notre baptême, avec tous les saints du Ciel, c’est-à-dire la sainte Église de Dieu.  

mardi 26 décembre 2023

25 décembre 2023 - SOING - Nativité du Seigneur - Messe du Jour - Année B

Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1,1-6 ; Jn 1, 1-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous pourrions méditer des heures entières et des jours entiers le Prologue de Saint Jean. Mais peut-être pouvons-nous faire quelques observations rapides.
Tout d’abord, l’Évangile de Jean débute par « Au commencement », de la même manière que le Livre de la Genèse débute par « Au commencement ». C’est évidemment intentionnel. Saint Jean veut nous faire comprendre que l’Évangile, la venue, la mort et la résurrection de Jésus sont à comprendre à partir du livre de la Genèse, et de toutes les Écritures ; mais aussi que cet Évangile nous présente la nouvelle création, celle du Royaume des cieux, auquel nous participons déjà maintenant par notre baptême. Il est donc question de vie et de vie nouvelle.
 
Nous pouvons observer que le texte est structuré en trois parties, entrecoupée par deux évocations de saint Jean-Baptiste.
Il n’est pas très étonnant de trouver ici la mention de Jean-Baptiste, car la tradition tient que saint Jean a d’abord été un disciple de Jean-Baptiste. Mais il a suivi les indications de son maître, à savoir qu’il fallait se mettre à la suite de Jésus, l’Agneau de Dieu, tandis que lui, Jean-Baptiste devait s’effacer. Saint Jean a donc pu vouloir montrer à quel point la mission de Jean-Baptiste était importante pour pouvoir comprendre qui est Jésus ; il a aussi pu vouloir montrer à ses anciens condisciples que la vraie lumière est Jésus et non pas Jean.
Toujours est-il que les trois paragraphes qui parlent du Verbe de Dieu – la Parole de Dieu, de la Lumière, de la vie, du Fils de Dieu, de Jésus en réalité, semblent suivre une progression.
 
Le premier paragraphe parle de Jésus comme du Verbe de Dieu, par lequel le Père a créé tout l’univers, en nommant les choses : « Que la lumière soit », par exemple. Le Père a tout créé par sa Parole. Parce qu’elle est une Parole vivifiante qui est aussi lumière. Un bon physicien ne serait pas étonné : il sait bien que la lumière est tout autant une onde qu’une particule. Ces éléments sont comme inséparables. Et surtout que le néant ou les ténèbres, sont incapable de les dominer. Comme la lumière d’une étoile peut percer la nuit sur des milliard d’années-lumière. Rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Autrement dit, la première manifestation de Jésus, comme Verbe de Dieu, implique qu’il est lié à tout ce qui existe dans le monde, que ce soit les personnes comme les choses, la matière.
 
Or, parmi les créatures, l’une d’entre elle a été choisie pour rendre témoignage à Jésus comme Parole créatrice de Dieu, vie et lumière. Tout d’abord (et c’est le second paragraphe) par le fait que Jean est lui-même éclairé par cette Parole, cette vie et cette lumière créatrice. Cette illumination n’est pas un effet naturel, mais un effet surnaturel, comme une deuxième naissance : « Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. » Cette définition s’applique à tous les prophètes, à tous ceux qui sont devenus « enfants de Dieu ». Et Jean-Baptiste est le plus grand parmi eux. Parce qu’il est celui qui témoigne de la Parole, vie et lumière de Dieu.
Vous voyez comment nous avons fait un pas par rapport au premier paragraphe. Là, toute chose et toute personne porte en lui ou elle la marque de fabrique de la Parole de Dieu ; et ici il se peut que cette Parole viennent les éclairer de l’intérieur, pour leur donner une intensité encore plus forte. C’est la différence entre une ampoule éteinte et une ampoule allumée par le courant électrique.
 
Alors, troisième paragraphe, nous passons à quelque chose de nouveau et de tout à fait étonnant. C’est que cette Parole créatrice, ne laisse pas seulement sa marque dans ce qui existe ; elle ne fait pas qu’illuminer de l’intérieur ce qui existe, de manière spirituelle ; tout à coup elle devient elle-même une réalité existante, visible et palpable, accessible aux sens : la Parole créatrice, la vie et la lumière, c’est Jésus de Nazareth, lui et personne ou rien d’autre. Et le témoignage de Jean – sa force – lui qui est illuminé intérieurement par cette vie et cette Parole de Dieu, est de le désigner nommément : « le Verbe de Dieu, par qui tout a été créé, et qui illumine les prophètes et les enfants de Dieu, c’est lui : c’est Jésus. »Et donc, du coup, ce qui était invisible au commencement, tout à coup est devenu visible : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. »
 
Au bout du compte, et pour finir, nous voyons comment Dieu se révèle à nous : par le fait que nous existons dans la création en portant sa marque de fabrique ; par l’Esprit qui le fait habiter en nous et nous illumine ; et enfin directement par lui-même dans le monde, charnellement, physiquement. Et ce dernier pas, cette révélation ultime de Dieu pour l’homme, c’est justement Noël, quand Jésus naît comme un petit enfant.
 
 
 


24 décembre 2023 - GY - Nativité du Seigneur - Messe de la Nuit - Année B

Is 9, 1-6 ; Ps 95 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Saint Luc est comme le Petit Poucet. Il nous conduit sur un chemin, qui est celui de son Évangile, tout en y semant des petits cailloux. Et bien sûr, ces petits cailloux nous indiquent le sens véritable de ce qu’il veut nous transmettre.
 
Ainsi donc, à lire simplement l’évangile, nous comprenons que Joseph, de la lignée de David, doit aller se faire recenser à Bethléem, sa ville d’origine. Faute d’un endroit adéquat au caravansérail pour accoucher, Marie et Joseph se rendent à l’écart, dans une étable. Et là, Marie donne naissance à Jésus, qui est son « premier-né ».
« Premier-né » est un terme juridique dans la Loi de Moïse : c’est le premier enfant mâle d’une femme, qu’elle ait trente-six enfants ou un seul. À la naissance de ce premier-né, parce qu’il appartient au Seigneur, sont liées des obligations de rachat, ce que feront Marie et Joseph lorsqu’ils iront au Temple offrir deux petites colombes. Donc « premier-né » ne signifie pas du tout que Marie a eu d’autres enfants par la suite. Mais revenons à l’évangile.
Des bergers se trouvent dans les environs et sont avertis par un ange de la naissance du « Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur ». Évidemment, la traduction nous fait rater le jeu de mots qui existe en hébreu. On aurait pu traduire aussi par : « il vous est né Jésus, qui est le Christ, le Seigneur ». Parce que « Jésus » et « Sauveur », en hébreu, c’est exactement le même mot. Et l’ange donne aux bergers le signe qu’ils le trouveront emmailloté dans une mangeoire. Voilà qui est curieux, comme signe, mais passons. Et tout à coup la troupe céleste innombrable des anges chante le Gloire à Dieu.
Voilà le récit que nous donne Luc. Comme chaque année, nous sommes émerveillés et attendris. La naissance d’un enfant, dans des conditions un peu précaires, avec des gens simples qui viennent lui rendre visite, nous parle au cœur. Et nous trouvons si beau que le Seigneur notre Dieu vienne, par sa naissance, épouser notre modeste condition humaine. Et tout cela est très vrai et très bon.
 
Mais saint Luc a semé des petits cailloux sur le chemin. Essayons d’en trouver un ou deux.
« Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors. » Le premier caillou est le mot qu’on a traduit ici par « région ». En hébreu ou en araméen, on dit « en ce lieu ». Mais le sens premier de ce mot dans ces langues est « sanctuaire ». Ainsi donc, on pourrait traduire : « Dans ce sanctuaire (on parle de l’étable où sont Jésus, Marie et Joseph), il y avait des bergers qui vivaient et qui veillaient la nuit pour garder leurs troupeaux. » Or, l’expression utilisée, quand on a compris que saint Luc a fait un rapprochement avec le Temple, fait immédiatement penser aux Lévites, eux prêtres, qui assurent le service du Sanctuaire de Dieu et qui sont les bergers d’Israël, son peuple.
Tout à coup l’ange du Seigneur, nous dit saint Luc, se manifeste. L’Ange du Seigneur, n’est pas un petit ange, c’est l’ange n°1 : en fait, c’est une manière de parler de la présence de Dieu lui-même. Et voilà pourquoi les bergers sont terrorisés : ils sont en présence de Dieu, dans sa gloire. L’Ange du Seigneur leur dit : « ne craignez pas » et il leur donne le signe dont nous parlions tout à l’heure : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté, et couché dans une mangeoire » Et voilà notre second caillou : en hébreu ou en araméen : « dans une mangeoire », c’est un jeu de mot que l’on peut aussi traduire par : « dans la Lumière ». Hé bien oui, quand on est dans le Temple de Jérusalem et qu’on entre dans le sanctuaire, on y trouve le chandelier à sept branches, la lumière, qui évoque le Buisson Ardent. Or dans les deux cas, il signifie la Présence de Dieu. Notre mangeoire est une manière cachée de dire que Jésus, qui habite dans le Sanctuaire, est porté par la lumière : il est Présence de Dieu, il est Dieu lui-même. Et les braves bergers sont comme les lévites, les prêtres du Temple, qui assurent le service de l’adoration de Dieu et qui prennent soin du Peuple de Dieu, les brebis.
 
Alors, évidemment, avec les petits cailloux, on ne lit plus l’évangile tout à fait de la même manière. Mais cela doit nous aider à comprendre ce que nous faisons ici ce soir. Vous êtes comme les bergers ou les prêtres du Temple ; vous êtes entrés dans l’église comme les premiers dans l’étable et les seconds dans le Sanctuaire. Vous y avez trouvé la lumière des bougies à l’autel, comme les bergers la mangeoire de lumière, et les prêtres le chandelier à sept branches rappelant le Buisson Ardent. Et c’est dans cette lumière que repose le pain et le vin, Corps et Sang de Jésus-Sauveur, l’enfant de Bethléem, la Présence de Dieu dans le Saint-des-Saints du Temple de Jérusalem.
Si je joue pour vous ce soir le rôle de l’ange du Seigneur, en vous expliquant ce qu’il se passe, vous, vous êtes les bergers, et aussi les prêtres. Et de fait vous l’êtes en raison de votre baptême. Cela veut dire que votre vocation est d’adorer Dieu dans son Temple, et de transmettre sa bénédiction à tous les hommes, en chantant avec tous les anges du ciel : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix  sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

dimanche 24 décembre 2023

23-24 décembre 2023 - CHOYE - 4ème dimanche de l'Avent - Année B

 2 S 7, 1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88 ; Rm 16,25-27 ; Lc 1,26-38
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous avons entendu et nous aimons toujours entendre le récit de l’Annonciation. Peut-être parce que la rencontre entre la jeune fille et l’ange nous émerveille ; peut-être aussi parce que nous sentons spirituellement qu’à ce moment même se joue notre propre salut, notre propre bonheur. En effet, du seul « oui » de Marie dépendent la réalisation de la foi des Patriarches et l’accomplissement des prophéties, l’Incarnation du Verbe de Dieu, sa prédication évangélique, sa Passion et sa Résurrection, son Ascension dans la gloire et le don de l’Esprit Saint pour le salut du monde.
 
Saint Bernard s’écriait dans un de ses sermons : « Ta réponse, ô douce Vierge, Adam l’implore tout en larmes, exilé qu’il est du paradis avec sa malheureuse descendance ; il l’implore, Abraham, il l’implore, David, ils la réclament tous instamment, les autres patriarches, tes ancêtres, qui habitent eux aussi au pays de l’ombre de la mort. Cette réponse, le monde entier l’attend, prosterné à tes genoux. Et ce n’est pas sans raison, puisque de ta parole dépendent le soulagement des malheureux, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, le salut enfin de tous les fils d’Adam, de ta race entière. »
 
Voilà l’instant incroyable où, comme sur une tête d’épingle dans l’immensité du temps, le plan de Dieu et le bonheur de l’humanité dépendent tous les deux de la seule réponse de la Vierge Marie. Voilà une preuve manifeste du grand amour avec lequel Dieu nous a créé à son image : libres comme lui. Libres pour faire du mal, mais libres aussi pour faire du bien.
 
Saint Luc aime parler de la Vierge Marie dans son Évangile. C’est lui qui nous donne le plus de détails sur elle, sur ses paroles. Comme s’il avait eu la chance de pouvoir la rencontrer, parler avec elle de son histoire, de celle de Jésus, pour nous les faire connaître comme de l’intérieur. Et de fait, qui est-il donc dans la maison lors de la rencontre de Marie et de l’Ange ? Un journaliste ? Un espion ? Une caméra cachée ? Saint Luc a-t-il inventé cette scène, comme on écrit un roman ? Non : le seul moyen pour qu’il ait eu connaissance de l’Annonciation, et nous grâce à lui, c’est que c’est Marie elle-même qui la lui a racontée.
 
Il y a un point sur lequel les incrédules achoppent toujours à propos de la Vierge Marie. C’est justement sa virginité. Qu’elle le soit avant son mariage, ce n’est guère étonnant, surtout dans son milieu et à son époque. Mais qu’elle le demeure ensuite, voilà qui paraît bien surprenant. Tous les naturalistes et les scientistes vous le diront : qu’elle ait conçu et enfanté Jésus en demeurant vierge, voilà qui est impossible.
 
Revenons au dialogue entre Marie et l’ange. Celui-ci lui dit : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus » et « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. » Or Marie lui objecte : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » Pour une jeune fiancée qui va se marier à un descendant de David, il n’y a rien de plus naturel que de penser que l’enfant en question sera bien un fils de Joseph, son époux, lui-même descendant de David. Pourquoi donc répond-elle qu’elle « ne connaît pas d’homme » ? La traduction est confuse ; en réalité elle répond : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connaîtrais pas d’homme ? » Marie, en effet, avant même son mariage avec Joseph avait fait vœu de demeurer vierge, consacrée tout entière au Seigneur.
 
Or cette possibilité pour une femme est prévue dans la Loi de Moïse. Si le fiancé ne dénonce pas cette disposition de sa fiancée, alors il est tenu de la respecter. Cela se trouve au chapitre 30 du livre des Nombres : « Si elle appartient à un homme par le mariage et si elle est liée par des vœux qu’elle s’est imposés ou qu’elle a tenu des propos inconsidérés qui l’obligent elle-même, et que son mari apprenne cela, si, le jour même où il l’apprend, il ne lui dit rien, alors ses vœux restent valides et l’engagement qui l’oblige elle-même reste valide. » Voilà donc la raison de l’objection de Marie à l’ange et pourquoi on l’appelle toujours la Vierge Marie.
 
Alors il faut bien comprendre que la conception de Jésus dans le sein de Marie est vraiment un nouveau geste créateur. De la même manière que, par sa Parole, au commencement, Dieu a tout créé à partir de rien ; par l’Esprit Saint, il a suscité la vie en Marie ; et de cette même manière il a ressuscité Jésus d’entre les morts pour une vie nouvelle et éternelle. Et il en sera de même pour nous, le moment venu. Dieu ne cesse pas de créer : il n’y a rien qui lui soit impossible. La foi de Marie a cru cela : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » et elle est devenue pour nous la Maison de Dieu promise autrefois à David, par l’intermédiaire du prophète Nathan.
 
 

dimanche 17 décembre 2023

16-17 décembre 2023 - BOURGUIGNON-lès-LA CHARITE - ARC-lès-GRAY - 3ème dimanche de l'Avent - Année B

 Is 61, 1-2a.10-11 ; Ct Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54 ; 1 Th 5, 16-24, Jn 1, 6-8.19-28
 

Chers frères et sœurs,
 
Dans sa lettre, Paul recommande aux Thessaloniciens de ne pas mépriser les prophéties. Si nous voulons comprendre ce qu’il se passe au bord du Jourdain entre les envoyés de Jérusalem et Jean le Baptiste, il faut en effet y revenir.
 
La prophétie fondamentale est celle de Jérémie, qui annonce, à son chapitre 25, qu’il se passera 70 ans entre la chute de Jérusalem et son relèvement. Cette prophétie est interprétée par le prophète Daniel, à son chapitre 9, où les 70 ans sont en fait 70 années sabbatiques.
Une année sabbatique, selon la Loi, a lieu tous les sept ans : remise des dettes, libération des esclaves hébreux, mise en jachère des terres et de la vigne, pour que la nature se repose. Comme le sabbat est le repos de Dieu et de l’homme au septième jour, l’année sabbatique est un repos pour toute la société et pour la nature.
Une année jubilaire correspond au calcul de 7 x 7 ans = 49 ans. C’est une super-année sabbatique. À son sujet, la Loi dit : «  Vous ferez de la cinquantième année une année sainte, et vous proclamerez la libération pour tous les habitants du pays. Ce sera pour vous le jubilé : chacun de vous réintégrera sa propriété, chacun de vous retournera dans son clan. » L’année jubilaire est une remise à zéro, un grand remembrement, ou chacun retrouve ses terres, même si elles ont été louées, hypothéquées ou vendues, comme si on venait à nouveau d’entrer en Terre promise : on refait le partage.
Or, Daniel fixe le super Jubilé correspondant au relèvement de la gloire de Jérusalem en comptant 7 x 70 années sabbatiques, soit 490 ans, à compter de l’ordre du roi Artaxerxés à Esdras d’y revenir pour la rebâtir. Si l’ordre d’Artaxerxés a bien été donné en 458 avant Jésus-Christ, à l’occasion d’une première année sabbatique, alors le Jubilé prophétisé par Jérémie et Daniel tombe en 26 ou 27 après-Jésus Christ, c’est-à-dire juste à l’époque où Jean-Baptiste se met à crier dans le désert : « Redressez le chemin du Seigneur » et à annoncer l’avènement du Royaume des Cieux, en appelant les gens à se convertir et à se faire baptiser.
Et on comprend la stupeur des juifs présents dans la synagogue de Nazareth quand Jésus, ouvrant intentionnellement le livre d’Isaïe, lit tranquillement : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » L’année de Bienfaits accordée par le Seigneur – tout le monde le sait – c’est la fameuse année Jubilaire.
 
Voilà donc le problème des prêtres et des lévites envoyés auprès de Jean : si tout le monde est d’accord pour que la super année jubilaire annoncée par Daniel, qui annonce le relèvement de Jérusalem tombe maintenant, alors est-ce que Jean le Baptiste est lui-même le Christ ? Ou bien est-il Elie, qui selon la prophétie de Malachie, doit revenir pour préparer la venue du Christ ? Ou bien est-il comme le prophète Élisée, le disciple d’Elie, qui envoie Naaman le général lépreux se baigner dans le Jourdain pour retrouver sa pureté ? Est-il le Prophète annoncé par Moïse « Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » Bref, est-ce que le moment tant attendu et redouté est arrivé ?
 
On aurait pu croire que Jean-Baptiste, habillé comme un chameau, était un huluberlu. Mais à Jérusalem, on ne le prend pas du tout pour un huluberlu. Personne n’a oublié sa naissance miraculeuse de deux parents âgés, comme Isaac, fils d’Abraham et de Sarah ; que Zacharie son père est prêtre du Temple de Jérusalem, descendant d’Aaron, comme Elisabeth, sa mère. Jean est donc lui-même un prêtre ; personne n’a oublié que son nom est Jean, et non pas Zacharie, comme son Père, et que, quand on change de nom, c’est que Dieu a donné une vocation spéciale. Jean signifie « Dieu fait grâce ». Son nom correspond à sa mission d’annoncer « l’année de grâce accordée par le Seigneur » lue par Jésus dans les prophéties d’Isaïe.
En fait, quand l’évangile dit que « les juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites », il ne faut pas comprendre les « juifs » au sens d’aujourd’hui, qui regroupe l’ensemble des fils d’Israël, mais les « judéens », c’est-à-dire soit les descendants de la tribu de Juda, soit les habitants du territoire de cette tribu, la Judée, dont Jérusalem est la capitale. En somme ce sont les gardiens de Jérusalem, les Judéens, qui demandent aux prêtres et aux lévites, c’est-à-dire à la tribu dont Jean-Baptiste est membre, de voir ce qu’il en est. C’est normal, à l’époque, on appartient d’abord à son clan, et donc, Jean-Baptiste n’est pas ici face à des étrangers ou des intrus, mais face aux membres de sa propre famille, en quelque sorte. D’ailleurs, ils n’insistent pas.
La question des pharisiens va plus loin. La traduction de la phrase « Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens » n’est pas évidente. Soit il s’agit de certains des prêtres et des lévites ayant adopté la spiritualité des pharisiens ; soit il s’agit d’autres envoyés, de la part des pharisiens, c’est-à-dire des scribes ou des docteurs de la Loi. Ce ne sont pas les mêmes. La question porte sur le baptême. Et là Jean répond que lui-même n’est qu’un signe, baptisant dans le Jourdain, tandis que Jésus lui va baptiser en réalité, dans l’Esprit Saint, et accomplir le véritable pardon, la libération véritable, et rendre à Jérusalem sa gloire véritable.
 
Voilà pourquoi ce jour est un jour de joie, et que Marie – elle qui est Jérusalem en personne – peut à bon droit chanter : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. »

jeudi 14 décembre 2023

10 décembre 2023 - FRASNE-LE-CHÂTEAU - 2ème dimanche de l'Avent - Année B

Is 40, 1-5.9-11 ; Ps, 84 ; 2P 3,8-14 ; Mc 1,1-8
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile de Marc se caractérise par sa sobriété : pas un mot de trop, il va à l’essentiel, ici pour comprendre qui est Jean, mais surtout qui est Jésus. Déjà, en trois paragraphes Marc plante le décor : son témoignage annonce la Bonne Nouvelle – l’Évangile – de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Jésus, le Sauveur tant attendu, qui est Dieu (en tant que Fils de Dieu), est lui-même la Bonne Nouvelle. L’Évangile n’est pas un message : c’est une personne ; l’Évangile, la Bonne Nouvelle, c’est Jésus lui-même.
Au second paragraphe, Marc fait intervenir les prophéties de l’Écriture : Isaïe, mais pas seulement, même s’il ne le dit pas : Malachie aussi. L’Évangile a été annoncé par les Écritures – l’Ancien Testament. On ne peut pas comprendre l’Évangile si on ne se réfère pas aux Écritures : elles en sont la clé. Inversement, la réalisation des prophéties des Écritures est bien l’Évangile.
Et d’ailleurs, troisième paragraphe, l’apparition de la figure de Jean comme réalisation des prophéties d’Isaïe et de Malachie, légitime Jean comme prophète authentique, et démontre que les prophéties des Écritures ne sont pas du vent : elles correspondent à une réalité très concrète.
Tout ceci pour dire que ce Jésus qui vient, ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’Ancien Testament et à celle de l’histoire de sa vie réelle, historique. Justement, le témoignage de Marc est une exposition de Jésus au croisement de ces deux sources essentielles. Nous sommes prévenus : il faut toujours y revenir.
 
La mission de Jean Baptiste est d’« ouvrir » le chemin du Seigneur. Les traductions sont variables. On peut aussi comprendre qu’il vient « aplanir, réparer, rétablir, restaurer » le chemin du Seigneur. Jean ne vient donc pas apporter du nouveau, il vient plutôt redresser ce qui existe mais qui est déformé. C’est pourquoi il prêche un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Le baptême rappelle deux franchissements de grandes eaux : celui de la Mer Rouge, libération de l’esclavage, et celui du Jourdain, entrée dans la Terre Promise. Dans les deux cas, et dans le cas du baptême de Jean, la bonne nouvelle est que, par ces franchissement, le Seigneur rend une vie nouvelle et sainte possible. Franchir la Mer Rouge ou le Jourdain, ou recevoir le baptême, est un temps de grâce : un rayon de lumière dans une vie obscure. Mais bien sûr, encore fallait-il l’accepter et le vouloir, ce rayon de grâce : les gens de Judée et de Jérusalem descendaient des montagnes et s’abaissaient à reconnaître publiquement leurs péchés. C’est par l’humilité et la reconnaissance de sa pauvreté qu’on est libéré et qu’on reçoit la vie nouvelle. Plus que de se débarrasser de tel ou tel boulet, c’est la conversion du cœur qui est la plus essentielle. Et c’est bien ce que vise la mission de Jean : préparer la voie du Seigneur, c’est préparer le cœur des hommes. Quand le Seigneur chasse l’obscurité de la Maison, c’est pour l’illuminer et la remplir de la lumière de sa Gloire, de son amour et de sa paix.
Jean précise que Jésus est « plus fort » que lui. En effet, si Jean prépare le cœur des hommes à recevoir le Seigneur, Jésus, lui, va préparer l’humanité tout entière et la création tout entière à recevoir l’Esprit Saint, celui qui va les transformer en humanité nouvelle et en création nouvelle : la communion des Saints dans la Gloire de Dieu. Jésus est vraiment « plus fort » que Jean !
 
Un dernier point. Pourquoi Marc s’attarde-t-il à décrire la tenue et le menu de Jean ? Ce n’est pas pour nous distraire – c’est que c’est essentiel !
Jean est habillé comme un chameau – « gamal » en hébreu – ce qui veut dire « réservoir d’eau ». En effet, comme le chameau dans le désert porte en lui l’eau si vitale, Jean porte en lui l’Esprit Saint qui permet tenir dans le désert spirituel et humain du monde présent.
Il porte une ceinture de cuir autour des reins, signe double. D’abord signe de force : Jean mène une vie sainte, parce qu’il est rempli de la force de Dieu et qu’il lui est fidèle. Ensuite, signe de mouvement : celui qui ceint ses reins est celui qui part en voyage. Ainsi, Jean lui-même marche sur la voie du Seigneur avec assurance. Mais plus encore, pour n’importe quel Juif, la tenue de Jean rappelle immédiatement celle du prophète Élie : « C’était un homme portant un vêtement de poils et une ceinture de cuir autour des reins. » lit-on au second Livre des Rois. Jean est le nouvel Élie. Or le retour d’Élie est LE signe de la venue du Messie. On pourrait ajouter encore que la ceinture fait partie des vêtements caractéristiques du Grand prêtre. Jésus se ceint d’un linge au moment de la dernière Cène, avant de laver les pieds de ses disciples et de faire l’offrande. Tout cela n’échappe pas à l’œil averti.
Mais enfin, et pour terminer : le menu – sauterelles et miel sauvage. Les sauterelles agrémentent habituellement les repas des bédouins, comme les crevettes ceux des Bretons – elles sont d’ailleurs pleines de vitamines. Mais surtout, les sauterelles – toujours en multitude – sont synonymes de dévastation des récoltes. Ainsi Jean se nourrit-il avec amertume de ces épreuves infinies que connaissent les hommes. Il les connaît et il les porte, comme Jésus va porter sa croix. C’est son ascèse. Mais Jean mange aussi du miel sauvage. Au contraire des sauterelles, qui est un plat du désert, le lait et le miel sont au menu en Terre promise. Le miel est le signe du réconfort, de la paix et de la fête. Il est une nourriture de joie. Parce que – « Debora » – le miel en hébreu – signifie la Sagesse et la Parole de Dieu. Ainsi donc, Jean-Baptiste mange, amer, les péchés du monde, mais il goûte aussi avec délice à la Parole de Dieu.
 
Voilà donc, chers frères et sœurs, un petit aperçu concernant Jean-Baptiste et, à travers lui, sur celui qui est « plus fort » que lui : le Christ Jésus, notre Dieu et notre Sauveur.

dimanche 3 décembre 2023

02-03 Décembre 2023 - DELAIN - GRAY - 1er dimanche de l'Avent - Année B

 Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7, Ps 79 ; 1Co 1,3-9 ; Mc 13,33-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus nous demande de veiller, car il va revenir parmi nous par surprise, et ce moment sera celui d’une grande désolation, de grandes destructions. Jésus disait que ce serait un temps de guerres, de tremblements de terre et de famine, que le Temple de Jérusalem serait détruit et que l’abomination de la désolation y serait installée, et que les chrétiens seraient persécutés, y compris dans leurs propres familles. Jésus appelait ce temps un temps d’enfantement. Car sa venue, et l’avènement de son Royaume, sont comparables à une nouvelle naissance, ou à la résurrection dans une vie nouvelle.
En attendant ce jour, où tout sera chamboulé, Jésus demande à ses disciples – aux chrétiens – de s’y préparer, et cela non pas passivement, mais activement.
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, saint Marc ramasse en quelques lignes plusieurs paraboles que nous avons déjà entendues chez Matthieu et chez Luc : la parabole des vignerons et celle des talents, quand le Maître part en voyage et qu’il confie ses biens à ses serviteurs pour qu’ils fassent fructifier, qui sa vigne, et qui ses richesses. À son retour il s’attend à trouver des fruits, un revenu, ou au moins des intérêts. Nous retrouvons aussi la parabole des vierges sages et des vierges insensées, qui s’endorment tandis que l’époux arrive au milieu de la nuit, par surprise. Ici Marc parle « du soir, ou à minuit, au chant du coq ou le matin » : ce sont les quatre tours de garde de la nuit, dans l’armée romaine.
Le point commun à toutes ces paraboles, concentrées en quelques lignes, est que Jésus attend de ses disciples non seulement qu’ils écoutent sa Parole – la Loi, et son enseignement – ses commandements, celui de l’amour de Dieu et celui du prochain – mais aussi qu’ils la mettent en pratique. Car les fruits ou les revenus attendus, ce sont ces gestes d’amour. À ce propos, Jésus a enseigné qu’il attendait de ses disciples qu’ils fassent comme lui a fait pour tous les hommes : visiter les prisonniers, guérir les malades, accueillir l’étranger, vêtir ceux qui sont nus, nourrir et désaltérer ceux qui ont faim et soif. On peut comprendre ces gestes comme des gestes humanitaires – c’est exact – mais aussi comme des gestes liturgiques, sacramentels : baptiser, confirmer, onctionner les malades, pardonner les pécheurs, célébrer l’eucharistie. Gestes sacramentels et gestes humanitaires fonctionnent comme en miroir, selon le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
 
Cependant, Jésus insiste beaucoup ici sur la nécessiter de « veiller ». Il le répète plusieurs fois. Il ne faudrait pas que le Maître, quand il reviendra, retrouve ses disciples « endormis » – c’est-à-dire spirituellement morts. Bien sûr, un moyen de ne pas s’endormir est de s’occuper utilement, et nous venons déjà de voir comment. Mais Jésus nous demande précisément de « veiller ». Dans certains manuscrits araméens anciens, il est écrit – à la place de « veiller » : « priez ». Et dans d’autres, « veillez et priez ». Et nous, nous avons « veillez ». Il est certain que la veille dont parle Jésus a beaucoup à voir avec la prière, une certaine forme de prière.
Nous sommes trop jeunes pour savoir ce que signifie vraiment une « veillée », le soir ou la nuit, en famille, au coin du feu. C’est là qu’on se racontait l’histoire, qu’on faisait mémoire du passé pour comprendre les événements d’aujourd’hui. Pour les chrétiens faire mémoire du passé, c’est raconter l’Évangile pour les anciens, l’apprendre pour les plus jeunes : se le transmettre. Et à la lumière de l’Évangile, comprendre le temps présent. C’est si important, une veillée, que les moines, et les évêques, et les prêtres, et les diacres, continuent toujours, chaque jour et chaque nuit, à faire la veillée. C’est ce qu’on appelle l’Office, ou les Heures, concrètement l’Office des lectures , ou les Vigiles ou les Matines. Tous les fidèles font des veillées eux aussi, pour Noël ou pour Pâques. Mais la liturgie prévoit des veillées pour tous les jours, si on veut. C’est ainsi que l’Église obéit au commandement de Jésus, en veillant sans cesse. C’est-à-dire, en revenant sans cesse à l’Évangile, à la vie de Jésus et à son enseignement, à Jésus lui-même, pour ne jamais l’oublier. Pourquoi ?
Parce que, quand le monde ancien s’écroulera, que le conflit régnera partout, que les certitudes disparaîtront et qu’on ne trouvera plus de points de repère ; que dans la Maison de Dieu même – l’Église – des importuns régneront, persécutant leurs frères les chrétiens fidèles, alors à quoi ou à qui se raccrocher si ce n’est à Jésus lui-même, en faisant mémoire de lui sans cesse, en veillant jour et nuit, jusqu’à ce qu’il vienne et que la paix se fasse ?
Vous l’avez compris, en nous appelant à veiller, Jésus nous exhorte à la foi en lui seul, pour tenir bon, quelles que soient les tempêtes, jusqu’à ce que la nouvelle naissance ou la résurrection se fasse, jusqu’à ce qu’il vienne, jusqu’à Noël, ou jusqu’à Pâques – c’est pareil.
 
Chers frères et sœurs, nous entrons aujourd’hui en Avent : quatre semaines jusqu’à Noël. Il y a autant de veilles que de dimanches ou que de jours, dans la prière, par la pratique des sacrements et de la charité, en attendant avec foi la venue de Jésus en son grand jour de joie.

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