Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3 ; Ps
104 ; He 11, 8.11-12.17-19 ; Lc 2, 22-40
Chers frères et sœurs,
En première lecture, nous avons le récit de la promesse d’un héritier faite par Dieu à Abraham, et en seconde lecture l’exaltation de la foi d’Abraham, lequel a suivi l’appel du Seigneur, a cru sa promesse d’une descendance à travers son fils Isaac, et a traversé l’épreuve du sacrifice de ce fils unique, remplacé in extremis par un bélier. La foi d’Abraham ainsi soulignée, est tournée vers l’espérance qu’attendaient Syméon et Anne, lointains descendants d’Adam et Eve, âgés comme l’était toute l’humanité. Et c’est pourquoi, voyant Jésus, ils louent le Seigneur et que Syméon déclare : « Maintenant, ô Maître Souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller, en paix, selon ta parole » – car la Promesse est réalisée.
On en conclut – et Saint Éphrem le fera dans son Commentaire – que l’Ancien Testament est clos et que la vocation d’Israël n’a plus lieu d’être. Or cela ouvre toute grande la porte à l’hérésie de Marcion, lequel déclare l’Ancien Testament obsolète, pour ne pas dire mauvais, avec tous ceux qui en vivent encore, c’est-à-dire les Juifs. Le Marcionisme, relayé par l’antisémitisme ancien du monde Grec, s’est ensuite répandu au cours des âges jusqu’en Europe. Nous en connaissons l’aboutissement dramatique. Le choix des deux textes de la Genèse et de la Lettre aux Hébreux pour éclairer l’Évangile doit donc être regardé avec beaucoup d’attention.
D’autre part, ce dimanche est intitulé « fête de la Sainte Famille », mais l’extrait de l’Évangile que nous avons lu n’y correspond pas. En effet, cette fête a été instaurée pour faire mémoire du recouvrement de Jésus au Temple, et non pas de sa présentation au Temple, une quinzaine d’années auparavant... Du coup, le prédicateur se trouve devant un méli-mélo de références et d’intentions qui ne concordent pas. Comment le bon et saint peuple chrétien peut-il donc y comprendre quelque chose ?
Tirons une leçon très simple de cet état de fait. Il ne faut pas utiliser les Écritures ou l’Évangile pour illustrer ce que l’on veut dire – même si c’est avec les meilleures intentions du monde. Mais inversement, il faut partir de l’Évangile pour se mettre à son écoute, pour apprendre de lui ce que lui a à nous dire.
Nous avons donc aujourd’hui l’Évangile de la présentation de Jésus au Temple. Il est très riche en enseignements, mais je dois ici aller très vite : je n’esquisse donc que quelques pistes de réflexion et de contemplation.
En premier lieu, Marie et Joseph, comme il est dit, montent à Jérusalem pour mettre en pratique les prescriptions de la Loi de Moïse, ici celle du livre du Lévitique qui stipule qu’une femme qui accouche d’un garçon doit être purifiée au 40ème jour et présenter en offrande un agneau et un jeune pigeon, ou une tourterelle. Et il s’agit ici également de racheter Jésus, qui appartient à Dieu en vertu du fait qu’il est un premier-né. La Loi de Moïse donne donc le cadre de l’interprétation.
On notera que Marie et Joseph suivent scrupuleusement les préceptes de la Loi, car elle est pour eux le vrai moyen d’honorer Dieu et de donner une colonne vertébrale à leur famille, à leur vie sur la terre. Ils n’y voient rien d’obsolète ni de mauvais, bien au contraire.
Or, chez saint Luc, qui est pratiquement le seul à nous détailler le temps de l’enfance de Jésus comme le temps après sa résurrection jusqu’à la Pentecôte, il y a la volonté d’expliquer l’un par l’autre. Ce que je dis là est important. Grâce au cadre temporel fourni par la Loi de Moïse, on peut superposer la naissance de Jésus et sa résurrection comme nouvelle naissance ; puis la circoncision au 8ème jour selon la Loi, comme le 8ème jour des apparitions, où saint Thomas est guéri de son incrédulité ; puis la présentation et la purification de la mère au 40ème jour selon la Loi, comme le 40ème et dernier jour des apparitions où Jésus fait son ascension au Ciel. Ce rapprochement a trois conséquences.
Premièrement, quand saint Luc
évoque en détail les événements liés à la naissance et à l’enfance de Jésus, de
manière voilée, il parle aussi du sens des événements de sa résurrection
jusqu’à la Pentecôte.
Inversement, si nous voulons comprendre le sens profond
du 8ème jour (Thomas) et du 40ème jour (l’Ascension), alors il faut le faire
avec ce que prescrit la Loi de Moïse pour l’enfant premier-né et sa mère.
Et
troisièmement, si nous ne voulons pas faire de saint Luc un mauvais historien
qui veut faire entrer à toute force les événements de la résurrection dans le
cadre de la Loi, il faut comprendre la Loi elle-même comme une prophétie des
événements de la Résurrection. C’est-à-dire que si la Loi demande une
circoncision au 8ème jour, c’est parce que Jésus a purifié le cœur incroyant de
Thomas au 8ème jour pour en faire un cœur croyant – il a circoncis son
cœur ! ; et si la Loi demande une offrande au 40ème jour, c’est en
raison de l’offrande que fait Jésus de lui-même à son Père lors de son
Ascension au Ciel au 40ème jour, comme fils premier-né d’entre les morts. Et en
raison de la purification de sa mère, au même moment, qui est la figure de
l’Église-Mère, appelée à enfanter de nouveaux enfants de Dieu, ses frères. Et
d’ailleurs, les Apôtres commencent immédiatement par remplacer Judas par l’apôtre
Matthias, pour reformer le noyau des Douze, avant d’attendre la Pentecôte et
les premiers baptêmes.
En définitive, s’il faut vraiment parler de sainte famille aujourd’hui, il faut dire que cette famille, préparée par Dieu, rendue visible et charnelle en Marie, Joseph et Jésus, est aussi celle à laquelle nous appartenons tous par notre baptême, avec tous les saints du Ciel, c’est-à-dire la sainte Église de Dieu.
En définitive, s’il faut vraiment parler de sainte famille aujourd’hui, il faut dire que cette famille, préparée par Dieu, rendue visible et charnelle en Marie, Joseph et Jésus, est aussi celle à laquelle nous appartenons tous par notre baptême, avec tous les saints du Ciel, c’est-à-dire la sainte Église de Dieu.