Is
61, 1-2a.10-11 ; Ct Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54 ; 1 Th 5, 16-24, Jn 1,
6-8.19-28
Chers
frères et sœurs,
Dans
sa lettre, Paul recommande aux Thessaloniciens de ne pas mépriser les
prophéties. Si nous voulons comprendre ce qu’il se passe au bord du Jourdain
entre les envoyés de Jérusalem et Jean le Baptiste, il faut en effet y revenir.
La
prophétie fondamentale est celle de Jérémie, qui annonce, à son chapitre 25,
qu’il se passera 70 ans entre la chute de Jérusalem et son relèvement. Cette
prophétie est interprétée par le prophète Daniel, à son chapitre 9, où les 70
ans sont en fait 70 années sabbatiques.
Une
année sabbatique, selon la Loi, a lieu tous les sept ans : remise des
dettes, libération des esclaves hébreux, mise en jachère des terres et de la
vigne, pour que la nature se repose. Comme le sabbat est le repos de Dieu et de
l’homme au septième jour, l’année sabbatique est un repos pour toute la société
et pour la nature.
Une
année jubilaire correspond au calcul de 7 x 7 ans = 49 ans. C’est une
super-année sabbatique. À son sujet, la Loi dit : « Vous ferez de
la cinquantième année une année sainte, et vous proclamerez la libération pour
tous les habitants du pays. Ce sera pour vous le jubilé : chacun de vous
réintégrera sa propriété, chacun de vous retournera dans son clan. » L’année
jubilaire est une remise à zéro, un grand remembrement, ou chacun retrouve ses
terres, même si elles ont été louées, hypothéquées ou vendues, comme si on
venait à nouveau d’entrer en Terre promise : on refait le partage.
Or,
Daniel fixe le super Jubilé correspondant au relèvement de la gloire de
Jérusalem en comptant 7 x 70 années sabbatiques, soit 490 ans, à compter de
l’ordre du roi Artaxerxés à Esdras d’y revenir pour la rebâtir. Si l’ordre d’Artaxerxés
a bien été donné en 458 avant Jésus-Christ, à l’occasion d’une première année sabbatique,
alors le Jubilé prophétisé par Jérémie et Daniel tombe en 26 ou 27 après-Jésus
Christ, c’est-à-dire juste à l’époque où Jean-Baptiste se met à crier dans le
désert : « Redressez le chemin du Seigneur » et à
annoncer l’avènement du Royaume des Cieux, en appelant les gens à se convertir
et à se faire baptiser.
Et
on comprend la stupeur des juifs présents dans la synagogue de Nazareth quand
Jésus, ouvrant intentionnellement le livre d’Isaïe, lit
tranquillement : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la
bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux
captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année
de bienfaits accordée par le Seigneur. » L’année de Bienfaits accordée
par le Seigneur – tout le monde le sait – c’est la fameuse année Jubilaire.
Voilà
donc le problème des prêtres et des lévites envoyés auprès de Jean : si
tout le monde est d’accord pour que la super année jubilaire annoncée par
Daniel, qui annonce le relèvement de Jérusalem tombe maintenant, alors est-ce
que Jean le Baptiste est lui-même le Christ ? Ou bien est-il Elie, qui selon
la prophétie de Malachie, doit revenir pour préparer la venue du Christ ?
Ou bien est-il comme le prophète Élisée, le disciple d’Elie, qui envoie Naaman
le général lépreux se baigner dans le Jourdain pour retrouver sa pureté ?
Est-il le Prophète annoncé par Moïse « Au milieu de vous, parmi vos
frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous
l’écouterez. » Bref, est-ce que le moment tant attendu et redouté est
arrivé ?
On
aurait pu croire que Jean-Baptiste, habillé comme un chameau, était un
huluberlu. Mais à Jérusalem, on ne le prend pas du tout pour un huluberlu. Personne
n’a oublié sa naissance miraculeuse de deux parents âgés, comme Isaac, fils
d’Abraham et de Sarah ; que Zacharie son père est prêtre du Temple de
Jérusalem, descendant d’Aaron, comme Elisabeth, sa mère. Jean est donc lui-même
un prêtre ; personne n’a oublié que son nom est Jean, et non pas Zacharie,
comme son Père, et que, quand on change de nom, c’est que Dieu a donné une
vocation spéciale. Jean signifie « Dieu fait grâce ». Son nom
correspond à sa mission d’annoncer « l’année de grâce accordée par le
Seigneur » lue par Jésus dans les prophéties d’Isaïe.
En
fait, quand l’évangile dit que « les juifs lui envoyèrent de
Jérusalem des prêtres et des lévites », il ne faut pas comprendre les « juifs »
au sens d’aujourd’hui, qui regroupe l’ensemble des fils d’Israël, mais les « judéens »,
c’est-à-dire soit les descendants de la tribu de Juda, soit les habitants du
territoire de cette tribu, la Judée, dont Jérusalem est la capitale. En somme
ce sont les gardiens de Jérusalem, les Judéens, qui demandent aux prêtres et
aux lévites, c’est-à-dire à la tribu dont Jean-Baptiste est membre, de voir ce
qu’il en est. C’est normal, à l’époque, on appartient d’abord à son clan, et
donc, Jean-Baptiste n’est pas ici face à des étrangers ou des intrus, mais face
aux membres de sa propre famille, en quelque sorte. D’ailleurs, ils n’insistent
pas.
La
question des pharisiens va plus loin. La traduction de la phrase « Or,
ils avaient été envoyés de la part des pharisiens » n’est pas
évidente. Soit il s’agit de certains des prêtres et des lévites ayant adopté la
spiritualité des pharisiens ; soit il s’agit d’autres envoyés, de la part
des pharisiens, c’est-à-dire des scribes ou des docteurs de la Loi. Ce ne sont
pas les mêmes. La question porte sur le baptême. Et là Jean répond que lui-même
n’est qu’un signe, baptisant dans le Jourdain, tandis que Jésus lui va baptiser
en réalité, dans l’Esprit Saint, et accomplir le véritable pardon, la
libération véritable, et rendre à Jérusalem sa gloire véritable.
Voilà
pourquoi ce jour est un jour de joie, et que Marie – elle qui est Jérusalem en
personne – peut à bon droit chanter : « Mon âme exalte le
Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son
humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. »