dimanche 21 juillet 2024

20-21 juillet 2024 - ARGILLIERES - LA MADELEINE - 26ème dimanche TO - Année B

 Jr 23, 1-6 ; Ps 22 ; Ep 2, 13-18 ; Mc 6, 30-34
 
Chers frères et sœurs,
 
En première lecture, l’évangile de ce jour nous montre un Jésus attentionné pour ses pauvres apôtres, bien fatigués après leur première mission, et pour les foules de gens qui accourent auprès de lui pour trouver une écoute ou une guérison, une espérance. Nous avons donc ici l’image réconfortante et réjouissante du Bon Pasteur qui fait paître ses brebis sur de bons pâturages. C’est d’ailleurs ce que nous avons chanté dans le psaume. Et nous avons eu raison.
 
Cependant, l’histoire est en réalité un peu plus compliquée. En effet, contrairement à ce que dit notre traduction liturgique – qui a inventé un verset qui n’est pas dans l’évangile de Marc – les Apôtres rejoignent Jésus non pas parce qu’ils ont terminé leur première mission d’annonce du Royaume, mais parce que Jean-Baptiste vient tout juste d’être assassiné par le roi Hérode-Antipas. Or Jésus et Jean-Baptiste, son cousin, nous le savons, sont très liés : Jean-Baptiste a dés
igné Jésus comme Messie pour Israël et l’a baptisé au Jourdain, où il a reçu l’onction de l’Esprit Saint. Jésus et ses disciples sont donc en danger. C’est la vraie raison pour laquelle ils doivent partir dans un endroit désert.
Or ils ne vont pas dans n’importe quel désert : ils se rendent au-delà du Lac de Galilée, près de Bethsaïde, dans les ruines de l’ermitage de Jean-Baptiste. Ce lieu, situé au pied du Golan, ne dépend pas juridiquement du roi Hérode-Antipas, mais de son frère ennemi Philippe le Tétrarque, que défendait justement Jean-Baptiste. Donc Jésus et ses Apôtres, non seulement retournent aux sources en quelque sorte, mais surtout se mettent sous la protection du Tétrarque.
Cependant, les gens des villages alentour ont bien compris ce mouvement de Jésus : ils savent très bien où il va. Et donc, tous ces amis de Jean-Baptiste qui attendent le Messie d’Israël et qui savent que c’est Jésus, se précipitent au rendez-vous, qui ressemble à une sorte d’appel du 18 juin à se retrouver à Londres, de l’autre-côté de la mer. Et c’est bien le problème pour Jésus : il y a une grosse incompréhension entre lui et les gens : il ne vient pas pour instaurer ou restaurer un royaume terrestre, mais il vient annoncer et inaugurer le Règne de Dieu par le don de l’Esprit Saint. Et c’est très différent. Jésus n’est pas De Gaulle !
 
Mais alors, que veut vraiment nous dire l’évangile d’aujourd’hui ? Pour comprendre, il faut revenir au plus près du texte ancien, du grec, et même de sentir l’araméen sous-jacent. C’est mon travail de vous aider à voir cela. On peut comprendre ce qu’a voulu dire saint Marc en pesant les mots qu’il a utilisés.
En premier lieu, les Apôtres rejoignent Jésus pour lui annoncer la mort de Jean et font le bilan de leur première mission. Il y a effervescence autour de Jésus, au point qu’il ne peut pas se retrouver tranquillement avec ses disciples : il y a du monde, il y a des yeux et des oreilles partout. Jésus leur parle alors de partir à l’écart pour se reposer un peu. Mais le repos dont il est question annonce celui du Règne de Dieu, c’est le repos du shabbat, celui de la grande paix de Dieu.
Justement, ils quittent le lieu où ils se trouvent oppressés en passant par la mer. Ils partent en barque, passant en quelque sorte sur les eaux. Ce point est important, car les gens qui les voient partir se mettent eux aussi à partir, en hâte, en courant à pied en passant par la terre. Là, les mots employés par saint Marc sont très importants, car ce sont les mots du passage de la Mer Rouge. De l’Égypte, où ils étaient oppressés, les Hébreux, suivant la colonne de nuée qui les précédait, ouvrant un passage dans la mer, la suivent à la hâte, en marchant à pied sur la terre libérée par les eaux. Très clairement saint Marc a voulu nous faire comprendre que quittant Capharnaüm pour aller à Bethsaïde, Jésus a reproduit la sortie d’Égypte. Et c’est pourquoi, arrivé dans le désert, il va enseigner la foule comme Moïse a reçu la Loi, et il va multiplier les pains (on le verra dimanche prochain) comme le peuple sera nourri à satiété par le don de la manne – le pain qui vient du ciel.
 
Alors seulement maintenant nous pouvons comprendre l’Évangile. L’assassinat de Jean-Baptiste déclenche la véritable mission publique de Jésus : c’est bien lui le Messie. Et maintenant que Jean est mort, tous les yeux se tournent vers Jésus : que va-t-il faire ? Est-ce le signal de la révolte, de la libération d’Israël ? Mais Jésus n’est pas un Messie politique, terrestre : il est le Messie du Règne de Dieu. Et c’est pourquoi saint Marc insiste sur le fait que pour comprendre Jésus, pour le suivre sur son véritable chemin, il faut partir avec lui comme dans un nouvel Exode, pour recevoir de lui la Loi nouvelle et le culte nouveau, pour devenir avec Jésus et grâce à lui, le véritable peuple de Dieu.
Et c’est bien ce que nous faisons chaque dimanche, lorsque nous quittons nos villages pour nous retrouver à l’église comme à l’ermitage de Jean-Baptiste au-delà de la Mer de Galilée, pour y entendre l’enseignement de Jésus et recevoir de lui le véritable Pain du ciel, l’Eucharistie, dont nous avons besoin pour marcher, avec courage et avec joie, jusqu’au royaume des Cieux.

dimanche 14 juillet 2024

14 juillet 2024 - GRAY - 15ème dimanche TO - Année B

 Am 7, 12-15 ; Ps 84 ; Ep 1,3-14 ; Mc 6,7-13
 
Chers frères et sœurs,
 
Dimanche dernier, nous avons vu la prédication de Jésus échouer à Nazareth, ce qui l’a contraint à commencer à prêcher dans les villages alentour. Mais, assez vite, face à l’attente des gens, Jésus a pensé à démultiplier l’annonce du Règne de Dieu en missionnant les Apôtres pour enseigner et agir en son nom. Nous venons d’entendre les consignes qu’il leur a données.
 
Il est intéressant, en première lecture, de voir que la mission n’est pas seulement un enseignement ; elle est aussi une œuvre de guérison et d’exorcisme. Jésus a donné à ses Apôtres autorité sur les esprits impurs. La mission est aussi un combat spirituel – et même d’abord un combat spirituel, puisque l’autorité sur les esprits impurs est mentionnée dès qu’il est question de la mission. Ainsi, prière, enseignement et œuvres de miséricorde sont inséparables, mais d’abord et avant tout fondés sur la prière.
Jésus prescrit à ses Apôtres de voyager léger : « ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. » Ils peuvent mettre des sandales, mais il est inutile de prendre une tunique de rechange. Bref, le mot d’ordre est celui de la pauvreté, de la remise de sa subsistance à la Providence.
En réalité, l’enjeu est ici spirituel. Nous savons avec l’histoire du jeune homme riche, qu’il n’est pas possible de suivre Jésus lorsqu’on est encombré de richesses, mais qu’il faut se faire pauvre, libre de toute attache terrestre, pour se donner entièrement au Règne de Dieu. Nous touchons ici à la radicalité évangélique.
Tous ne sont pas appelés à cette radicalité, mais il est nécessaire quand on est appelé à suivre Jésus plus particulièrement, d’épouser cette radicalité. Elle devient du coup un signe d’authenticité. Et de fait, il n’y a pas à aller chercher très loin des signes que le Seigneur pourvoit largement aux besoins de ceux qui ont tout quitté pour le suivre, à son appel. Même s’ils n’en sont pas dignes.
 
Lorsqu’on a évoqué les notes de la mission, prière, enseignement, œuvres de miséricorde, et l’esprit dans lequel cette mission doit être menée, l’esprit de pauvreté, avons-nous tout dit de ce que nous apprend saint Marc ? Je ne crois pas. En effet, comme vous le savez les évangiles de Matthieu, Marc et Luc sont assez comparables et l’on retrouve chez les uns et les autres un peu les mêmes histoires. Et justement, notre évangile de ce jour se trouve aussi chez Matthieu et Luc. Mais un peu différemment. Je note deux différences parmi d’autres :
 
La première concerne le bâton. Dans saint Marc, Jésus demande de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton. Mais dans saint Luc et saint Matthieu, le bâton fait partie des objets précisément interdits… Voilà qui est curieux, mais la chose est intéressante. En réalité, en araméen, il y a deux mots pour dire « bâton » : un mot où le bâton est plutôt un sceptre, un symbole de gouvernement ; et un autre mot où le bâton est plutôt un gourdin, voire une arme, pour châtier. Dans l’évangile de Marc, Jésus demande aux Apôtres de prendre le bâton de gouvernement, mais dans Luc et Matthieu, il leur interdit de prendre un bâton qui soit pour eux une arme.
Saint Éphrem, qui connaissait l’araméen, a fait exactement cette exégèse, je le cite : « Il dit encore la houlette, en marque de commandement et comme signe d’humilité. Pas de bâton, car ils ne partaient pas, comme Moïse, pour paître un troupeau en révolte. Celui-ci, lorsque le troupeau s’emporta contre son pasteur, abandonna le bâton et prit le glaive. Mais ici, le troupeau vivant en paix, le bâton fut abandonné et la houlette adoptée. »
Nous voyons aujourd’hui, que nos évêques ont comme signe de leur mission une crosse, qui est une houlette, pour gouverner, et non pas un bâton pour frapper.
 
La seconde différence se fait également entre Marc d’un côté, Matthieu et Luc de l’autre. Il s’agit de l’envoi des disciples « deux par deux ». À vrai dire, Luc ne mentionne pas cette disposition pour l’envoi des apôtres, mais il le fait pour l’envoi des soixante-douze disciples, un peu plus tard. Pour comprendre cette prescription de Jésus, il faut savoir que dans une synagogue, quand on lit la Loi de Moïse, on la lit en hébreu. Mais la plupart des gens ne comprennent pas ou plus cette langue. Alors phrase par phrase, on traduit aussitôt dans la langue des auditeurs. Et du coup il faut être deux : le lecteur et le traducteur.
Mais c’est vrai aussi pour l’annonce de l’Évangile : il y a celui qui connaît l’évangile par cœur et qui va réciter, et celui qui va le traduire aussitôt dans la langue des auditeurs. Il y a tout lieu de penser que saint Ferréol ne parlait que grec ou latin et ne connaissait l’évangile qu’en grec, voire en araméen, par cœur. Mais quand il fallait prêcher aux Francs-comtois, à chaque phrase ou à chaque paragraphe, saint Ferjeux traduisait en patois !
Pour saint Matthieu, la prédication évangélique ne se faisait essentiellement qu’aux Juifs, par conséquent la traduction n’était pas nécessaire : on restait dans le même milieu. Mais pour Marc et pour Luc, au moment de s’adresser à toutes les nations, la traduction est devenue indispensable.
Autrement dit, si aujourd’hui nous voulons prêcher l’Évangile à des personnes nouvelles, il faut nous adjoindre quelqu’un qui fasse déjà partie de leur monde, pour traduire l’évangile dans leur langue. Cette réflexion vaut aussi pour la catéchèse : il n’y a rien de plus précieux qu’un enfant qui peut expliquer à ses camarades ce qu’il a compris, avec leurs mots d’enfant. Alors ils peuvent comprendre.
C’est la leçon vécue à Jérusalem quand au retour d’Exil, Esdras fit lire et traduire en même temps le livre de la Loi de Moïse à tout le peuple, pour qu’il la comprenne et puisse la mettre en pratique, pour vivre saintement et être sauvés. Et nous, notre Loi, c’est Jésus lui-même.

dimanche 7 juillet 2024

06-07 juillet 2024 - MERCEY-SUR-SAÔNE - MONT-lès-ETRELLES - 14ème dimanche TO - Année B

 Ez 2, 2-5 ; Ps 122 ; 2Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6
 
Chers frères et sœurs,
 
La question centrale de l’évangile que nous venons d’entendre est celle de l’origine de Jésus, de sa véritable identité. Et par conséquent, pour nous qui sommes ses frères et sœurs par l’Esprit Saint, la question de notre propre identité, l’identité de l’Église dans le monde.
 
Le texte de saint Marc est construit très méthodiquement, en miroir. Ainsi, au début Jésus enseigne à la synagogue de Nazareth, et à la fin, il enseigne dans les villages alentour. Dans la synagogue les nazaréens sont étonnés de la sagesse de Jésus. En quittant la synagogue, Jésus est étonné de leur manque de foi. Ce qui frappait les nazaréens, outre sa sagesse, était sa capacité à faire des miracles. Mais justement, en raison de leur manque de foi, il ne pouvait pas en faire pour eux. Ce qui motivait le doute des nazaréens était qu’il connaissaient Jésus comme un des leurs, de leur clan familial. Or Jésus leur a répondu qu’un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté, sa maison. Et au cœur de tout cela, comme en pointe : « Ils étaient profondément choqués à son sujet », en grec : « scandalisés », ce qui signifie très exactement que Jésus était pour eux un « piège », comme un filet est un piège pour les poissons.
Jésus est un « scandale », un « piège », car il a une double origine. Une origine charnelle, humaine, visible, qui lui vient de sa mère Marie et de son adoption par Joseph. C’est cette origine que connaissent les nazaréens. Et une autre origine spirituelle, divine, invisible qui lui vient de notre Père qui est aux cieux. Cette origine fait de lui un prophète, rempli de sagesse – c’est-à-dire d’Esprit Saint – qui lui donne la puissance d’opérer des miracles. Or, pour les nazaréens – comme pour n’importe quel être humain – comment comprendre que Jésus est en même temps homme et Dieu ? Et c’est justement ce qui les choque profondément, qui les « piège ». Mais comme ils refusent de croire, ils le rejettent.
 
Maintenant, frères et sœurs, puisque nous sommes faits fils et filles de Dieu par notre baptême, membres du Corps du Christ par l’Esprit Saint, quelle est notre origine, l’origine de l’Église ?
Si pour répondre à cette question nous raisonnons comme les nazaréens ou comme n’importe quel être humain, alors l’Église n’a qu’une origine humaine : elle est une religion fondée par un certain Jésus de Nazareth dont les Apôtres étaient les disciples, qui ont transmis son enseignement et quelques rites assez anciens qui ont évolué avec le temps. D’un point de vue sociologique, c’est une association religieuse qui a plutôt bien résisté, au moins jusqu’à présent.
Mais si on adopte le point de vue de l’Évangile, alors l’Église est aussi l’expression d’une vie qui vient de l’Esprit Saint : une sagesse sur Dieu et sur l’homme, des actes étonnants que l’on peut assimiler à des miracles, une mission prophétique qui rend la Parole de Dieu présente et agissante maintenant dans le monde. Mais c’est bien cela : l’Église ne cesse de transmettre l’Évangile et, par sa liturgie – c’est-à-dire les actes miraculeux qui font d’un homme un fils de Dieu, d’un pécheur un saint, du pain et du vin, le Corps et le Sang de Jésus – elle se comporte comme un prophète dans le monde et y rend Dieu présent et agissant.
Or nous l’avons entendu : « un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Certains veulent rendre l’Église crédible ou acceptable dans le monde. Mais si c’est au prix d’y perdre son identité prophétique, elle se condamne à n’être plus un « scandale », un piège, c’est-à-dire le filet qui doit ramener les poissons pris dans le monde pour être ramené dans le Royaume des cieux. Une telle Église perdrait son identité ; elle manquerait à sa mission essentielle.
Le Christ Jésus a accepté la contradiction, le rejet, la croix, par fidélité à son Père, pour nous sauver. Et nous, nous voudrions y renoncer ? Mais pour quel bénéfice, et au profit de qui ? Personne ! L’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle notre filiation divine et nous appelle à en vivre pour « scandaliser » les hommes de ce temps, c’est-à-dire les piéger dans le filet de l’Esprit Saint, pour les ramener à la maison, dans l’amour, la joie et la lumière de Dieu.
 
Je voudrais terminer par la mention des « frères de Jésus », qui sont cités : Jacques, José, Jude et Simon. Autant qu’on puisse en juger, les quatre sont des Apôtres de Jésus : ils font partie des Douze. Saint Joseph avait un frère du nom de Cléophas, celui qui marchait vers Emmaüs le soir de Pâques. Sa femme Marie était la sœur de la Vierge Marie, et se trouvait avec elle au pied de la croix. Cléophas et Marie avaient trois enfants : Simon et Jude, et une fille, Marie. Cette troisième Marie, qui était aussi au pied de la croix, a épousé Alphée, un prêtre, duquel elle a eu Jacques et José. Jacques est devenu le premier évêque de Jérusalem. Simon lui a succédé, puis un autre Jude, le fils de Jacques, a pris la suite.
Si donc Cléophas et Marie, l’oncle et la tante de Jésus, Jude, Simon et Marie ses cousins, et Jacques et José ses petits cousins étaient tous ses disciples, dont certains sont morts martyrs, c’est donc que sa famille humaine ne l’a pas rejeté en bloc, bien au contraire. Mais celle qui l’a rejetée – au moins en partie – c’était sa famille spirituelle, celle qui aurait dû l’accueillir à bras ouvert : la maison d’Israël. C’est pour nous une leçon, nous qui sommes spirituellement la famille de Jésus : si il venait ici maintenant, saurions-nous le recevoir avec joie comme notre Dieu ? « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! »

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