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5, 1-9 ; Ps 125 ; Ph 1, 4-6.8-11 ; Lc 3, 1-6
[en présence de l'Harmonie de Champlitte, venue fêter sainte Cécile]
Chers
frères et sœurs,
L’évangile
que nous avons entendu s’ouvre comme un livre, où deux pages se trouvent face à
face.
Sur
la première, nous avons la terre. La terre, c’est-à-dire l’espace et le temps
où vivent les hommes. L’espace, c’est l’Empire
romain, la Judée, la Galilée, l’Iturée, la Traconitide, Abilène, et par défaut
Jérusalem où se trouve le Temple de Dieu. Mais la Parole de Dieu est adressée
Jean, dans le désert. Et le temps, c’est
le calendrier déterminé par le règne de l’Empereur de Rome, le temps des
hommes. Mais aujourd’hui est un jour nouveau puisque – arrêtant le cours du
temps – aujourd’hui, la Parole de Dieu fut sur Jean.
Vous
savez bien que sur la ligne du temps, il suffit d’une date pour identifier un
événement. Vous savez aussi que sur un plan, il faut deux coordonnées :
l’abscisse et l’ordonnée. Et dans l’espace, il en faut trois : trois
dimensions. Mais aujourd’hui, dans le désert, pour préciser que la Parole de
Dieu s’est fait entendre, saint Luc a donné sept coordonnées. La parole de Dieu
est à sept dimensions – la perfection. Et pour cela il a donné sept noms :
Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe. Telle est la
première page : la réalité spatiale et temporelle du monde des hommes dans
laquelle – tout à coup – aujourd’hui, Dieu parle.
Sur
la seconde page, qui fait face à la première, c’est le ciel. Ou plus exactement
le ciel qui prend possession de la terre et la transfigure : l’Esprit de
Dieu qui transforme tout en harmonie lumineuse, en communion d’amour. À écouter
la prophétie d’Isaïe, on a l’impression qu’il s’agit surtout de travaux titanesques
de tractopelles et de bulldozers : « toute montagne et toute
colline seront abaissées […] les chemins rocailleux seront aplanis. »
Mais, nos pères les Hébreux ne parlaient pas comme nous, avec des concepts,
comme les philosophes grecs, mais ils utilisaient des images pour parler des
réalités de Dieu. Il faut donc traduire leur langage, pour les comprendre.
Pour
ce faire, je vais moi aussi utiliser une image. Prenez… la musique. La musique
se donne à voir d’abord dans une partition, feuille couverte de notes et de
signes, qui seuls ne donnent aucun son. C’est le désert : tout est en
attente. On n’entend que le silence. Il faut « préparer le chemin du
Seigneur » : il faut que la musique s’entende.
Pour
cela on appelle des musiciens, avec leurs instruments. Les musiciens représentent
tous les hommes, des plus pécheurs aux plus souffrants : les plaines, dans
la Bible sont aussi bien le lieu de Babel et de Sodome et Gomorrhe que le lieu où
Jésus prononça les Béatitudes. Les instruments sont comme les ravins, le lit
des rivières qui, asséchés attendent qu’en eux coule une eau vive : les
instruments attendent de servir, ils attendent le souffle, ils attendent le
mouvement, la vie.
Mais
si chaque musicien joue sa propre partition, sans direction, sans rythme, c’est
la dissonance, la cacophonie. Ce sont les montagnes, les collines, qui doivent
être abaissées, dirigées par la seule véritable montagne légitime, la montagne
de Sion, où se tient la présence de Dieu : Jérusalem ; c’est-à-dire le
chef d’orchestre, pour rythmer, pour diriger, pour donner l’harmonie à
l’ensemble.
Mais
cela ne suffit pas. Vous le savez bien : il ne suffit pas qu’un musicien soit
bon, qu’il soit bien dirigé et dispose d’un bon instrument pour jouer de la
musique. Je veux dire, pas des notes, mais de la musique, dans laquelle passe un
esprit : quand le musicien lui-même, et tout l’auditoire avec lui, est
emporté par la Musique dans la beauté qui élève l’âme et qui, parfois fait remonter
du plus profond de soi des larmes. C’est quand les « passages tortueux
deviennent droits » ; quand les rigidités, les froideurs, sont
évincées par la souplesse et la chaleur de la Musique, quand ce n’est plus le
corps qui dirige l’instrument, mais l’âme à travers le corps. Quand l’âme, le
corps et l’instrument ne font plus qu’un.
Alors
« tout être vivant verra le salut de Dieu ». C’est quand on
est au sommet de la Musique ; quand grâce à Esprit qui l’anime, la
communion s’est faite entre tous ; que les musiciens et les instruments lui
obéissent, et les notes sur les partitions ne sont plus des commandements, mais
des empreintes, des signes, faible témoignage d’un instant de beauté tout aussi
éternel au ciel, que fugitif sur la terre.
Voilà
chers frères et sœurs, les deux pages de l’évangile de ce jour : d’un
côté, le monde des hommes, de tous les hommes, est en attente de la Musique qui
vient de Dieu, la musique de l’âme habitée par l’Esprit, qui conduit à la
communion, de l’autre. Et voilà qu’aujourd’hui, dans le désert, Jean le Baptiste,
le fils de Zacharie, vient briser le grand silence et commence à battre la
mesure, « en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des
péchés », en appelant les musiciens de toute la terre, de tous les
temps, de tout l’univers, à préparer leur instrument, leur vie, et leur âme, à se
laisser guider par l’Esprit, à entrer dans la Musique, la Musique de Dieu.
L’exercice
de cette Musique, chers frères et sœurs, dans une Église qui en est comme l’instrument,
c’est la liturgie. À nous de jouer maintenant, sous la conduite de l’Esprit
Saint, pour qu’Il nous conduise au point d’orgue : la sainte communion.