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23, 1-6 ; Ps 22 ; Ep 2, 13-18 ; Mc 6, 30-34
Chers
frères et sœurs,
En
première lecture, l’évangile de ce jour nous montre un Jésus attentionné pour
ses pauvres apôtres, bien fatigués après leur première mission, et pour les
foules de gens qui accourent auprès de lui pour trouver une écoute ou une
guérison, une espérance. Nous avons donc ici l’image réconfortante et
réjouissante du Bon Pasteur qui fait paître ses brebis sur de bons pâturages.
C’est d’ailleurs ce que nous avons chanté dans le psaume. Et nous avons eu
raison.
Cependant,
l’histoire est en réalité un peu plus compliquée. En effet, contrairement à ce
que dit notre traduction liturgique – qui a inventé un verset qui n’est pas
dans l’évangile de Marc – les Apôtres rejoignent Jésus non pas parce qu’ils ont
terminé leur première mission d’annonce du Royaume, mais parce que
Jean-Baptiste vient tout juste d’être assassiné par le roi Hérode-Antipas. Or
Jésus et Jean-Baptiste, son cousin, nous le savons, sont très liés :
Jean-Baptiste a dés
igné
Jésus comme Messie pour Israël et l’a baptisé au Jourdain, où il a reçu
l’onction de l’Esprit Saint. Jésus et ses disciples sont donc en danger. C’est
la vraie raison pour laquelle ils doivent partir dans un endroit désert.
Or
ils ne vont pas dans n’importe quel désert : ils se rendent au-delà du Lac
de Galilée, près de Bethsaïde, dans les ruines de l’ermitage de Jean-Baptiste.
Ce lieu, situé au pied du Golan, ne dépend pas juridiquement du roi
Hérode-Antipas, mais de son frère ennemi Philippe le Tétrarque, que défendait
justement Jean-Baptiste. Donc Jésus et ses Apôtres, non seulement retournent
aux sources en quelque sorte, mais surtout se mettent sous la protection du
Tétrarque.
Cependant,
les gens des villages alentour ont bien compris ce mouvement de Jésus :
ils savent très bien où il va. Et donc, tous ces amis de Jean-Baptiste qui
attendent le Messie d’Israël et qui savent que c’est Jésus, se précipitent au
rendez-vous, qui ressemble à une sorte d’appel du 18 juin à se retrouver à
Londres, de l’autre-côté de la mer. Et c’est bien le problème pour Jésus :
il y a une grosse incompréhension entre lui et les gens : il ne vient pas
pour instaurer ou restaurer un royaume terrestre, mais il vient annoncer et
inaugurer le Règne de Dieu par le don de l’Esprit Saint. Et c’est très
différent. Jésus n’est pas De Gaulle !
Mais
alors, que veut vraiment nous dire l’évangile d’aujourd’hui ? Pour
comprendre, il faut revenir au plus près du texte ancien, du grec, et même de
sentir l’araméen sous-jacent. C’est mon travail de vous aider à voir cela. On
peut comprendre ce qu’a voulu dire saint Marc en pesant les mots qu’il a
utilisés.
En
premier lieu, les Apôtres rejoignent Jésus pour lui annoncer la mort de Jean et
font le bilan de leur première mission. Il y a effervescence autour de Jésus,
au point qu’il ne peut pas se retrouver tranquillement avec ses disciples :
il y a du monde, il y a des yeux et des oreilles partout. Jésus leur parle
alors de partir à l’écart pour se reposer un peu. Mais le repos dont il est
question annonce celui du Règne de Dieu, c’est le repos du shabbat, celui de la
grande paix de Dieu.
Justement,
ils quittent le lieu où ils se trouvent oppressés en passant par la mer. Ils
partent en barque, passant en quelque sorte sur les eaux. Ce point est
important, car les gens qui les voient partir se mettent eux aussi à partir, en
hâte, en courant à pied en passant par la terre. Là, les mots employés par
saint Marc sont très importants, car ce sont les mots du passage de la Mer
Rouge. De l’Égypte, où ils étaient oppressés, les Hébreux, suivant la colonne
de nuée qui les précédait, ouvrant un passage dans la mer, la suivent à la
hâte, en marchant à pied sur la terre libérée par les eaux. Très clairement
saint Marc a voulu nous faire comprendre que quittant Capharnaüm pour aller à
Bethsaïde, Jésus a reproduit la sortie d’Égypte. Et c’est pourquoi, arrivé dans
le désert, il va enseigner la foule comme Moïse a reçu la Loi, et il va
multiplier les pains (on le verra dimanche prochain) comme le peuple sera
nourri à satiété par le don de la manne – le pain qui vient du ciel.
Alors
seulement maintenant nous pouvons comprendre l’Évangile. L’assassinat de
Jean-Baptiste déclenche la véritable mission publique de Jésus : c’est
bien lui le Messie. Et maintenant que Jean est mort, tous les yeux se tournent
vers Jésus : que va-t-il faire ? Est-ce le signal de la révolte, de
la libération d’Israël ? Mais Jésus n’est pas un Messie politique,
terrestre : il est le Messie du Règne de Dieu. Et c’est pourquoi saint
Marc insiste sur le fait que pour comprendre Jésus, pour le suivre sur son véritable
chemin, il faut partir avec lui comme dans un nouvel Exode, pour recevoir de
lui la Loi nouvelle et le culte nouveau, pour devenir avec Jésus et grâce à
lui, le véritable peuple de Dieu.
Et
c’est bien ce que nous faisons chaque dimanche, lorsque nous quittons nos
villages pour nous retrouver à l’église comme à l’ermitage de Jean-Baptiste
au-delà de la Mer de Galilée, pour y entendre l’enseignement de Jésus et
recevoir de lui le véritable Pain du ciel, l’Eucharistie, dont nous avons
besoin pour marcher, avec courage et avec joie, jusqu’au royaume des Cieux.