2
R 4, 42-44 ; Ps 144 ; Ep 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15
Chers
frères et sœurs,
Dimanche
dernier, nous avons vu Jésus et ses Apôtres passer la mer de Galilée pour se
mettre à l’écart. Mais les foules s’étaient précipitées pour les rejoindre.
Alors, Jésus les avait enseignées longuement. Après cela, il décide de les
nourrir.
Pour
bien comprendre ce qu’il se passe, il faut rappeler que Jésus et les Apôtres
ont décidé de quitter la côte ouest de la mer de Galilée juste après
l’assassinat de Jean-Baptiste. Dans le territoire d’Hérode Antipas, ils étaient
en effet en danger : Jean-Baptiste avait désigné Jésus comme Messie. Sur
la côte est, près de Bethsaïde, dans les ruines de l’ermitage de Jean-Baptiste
justement, qui était sous le contrôle de Philippe le Tétrarque, le frère ennemi
d’Hérode, ils étaient davantage en sécurité.
Les
amis de Jean-Baptiste, les foules, ont immédiatement compris où Jésus se
rendait. Comme eux, nous comprenons avec l’évangile d’aujourd’hui, qu’il avait
l’intention de célébrer le rituel repas de deuil : en partageant avec ses
disciples du pain d’orge et du poisson. Le poisson est vraiment caractéristique
du repas de deuil, que l’on offre pour le repos de l’âme des morts. Ainsi,
Philippe et André, qui étaient tous les deux de Bethsaïde et anciens disciples
de Jean-Baptiste, avaient bien prévu ce qu’il fallait pour le repas de Jésus et
des Douze. Mais pas pour cinq mille hommes !
Comme
dans l’évangile de Marc, que nous avons entendu dimanche dernier, il y a une
grande incompréhension entre Jésus et les foules.
Pour
nous faire comprendre son intention, Marc avait fait référence par plusieurs
expressions et mots typiques, qu’en traversant la Mer de Galilée comme les
Hébreux avaient franchi la Mer Rouge, Jésus voulait conduire les foules dans un
nouvel Exode où il allait en faire un nouveau peuple de Dieu, en leur
enseignant une Loi nouvelle et en leur donnant la manne, le pain de vie venu du
ciel.
Ici
justement saint Jean insiste davantage sur le miracle de la multiplication des
pains lui-même, en faisant référence au Livre de la Genèse : la
multiplication est un geste du Dieu créateur, qui donne la vie nouvelle à ses
créatures. Il est remarquable – et la traduction liturgique ne nous aide pas
beaucoup à le voir – que les gestes de Jésus sont très ritualisés : Jésus
« prit les pains », c’est-à-dire : il les
« porta », les « présenta » ; les « leva au
ciel » dit la version araméenne ; il « rendit grâce »,
c’est-à-dire : il « prononça sur eux la bénédiction », il
« bénit sur eux » en araméen ; puis il les « distribua
aux convives », les anciennes versions précisent qu’il « rompit
et partagea » les pains pour ses disciples pour que les disciples puissent
ensuite les distribuer aux convives. On voit très bien comment ce repas de
deuil est vraiment très ritualisé et même hiérarchisé et comment dans l’esprit
de saint Jean il annonce l’eucharistie chrétienne où le pain de vie distribué
par les prêtres est obtenu de Jésus, le seul véritable grand prêtre qui offre
son corps et son sang à son Père sur son autel céleste, pour la vie du monde.
Ainsi
donc, dans l’esprit de Jésus et des évangélistes, la mort de Jean-Baptiste
apparaît comme le signal du commencement de la vraie mission de Jésus – celle
du nouvel Exode au cours duquel le peuple de Dieu, l’Église, sera formé et
vivifié ; mais aussi l’offrande de Jésus de lui-même par laquelle il va
donner en partage sa vie nouvelle, la nouvelle création du Règne de Dieu, ici-bas
par l’intermédiaire de ses apôtres.
Or
cette intention de Jésus n’est pas du tout celle des foules, celle des amis de
Jean-Baptiste, accourus non seulement pour partager le repas de deuil, mais
surtout pour en faire un meeting politique : y reconnaître Jésus comme
Messie pour Israël, messie appelé à les guider dans une libération des tutelles
romaines dans l’ordre politique et grecques dans l’ordre culturel. C’est
pourquoi, après avoir surpris tout le monde par le signe extraordinaire de la
multiplication des pains et des poissons, pour bien montrer qu’il est un Messie
selon l’Esprit de Dieu et non de l’esprit du monde, Jésus quitte les foules et
s’en va seul, prier dans la montagne.
Je
voudrais revenir sur la mention des poissons au menu du repas de deuil. Nous
les retrouvons justement quand les apôtres sont réunis au Cénacle, lors de la
résurrection de Jésus, quand il leur demande un poisson grillé pour le manger
devant eux, et sur le bord du lac de Galilée. C’est ce signe du poisson, qui
rappelle celui de Jonas où le prophète est resté trois jours dans le ventre de
la baleine, dans la mort, avant d’être rendu à la vie, ou de ressusciter à une
vie nouvelle ; c’est ce signe de la vie renaissante qui devient très vite celui
des chrétiens. On le retrouve comme élément de décor dans les cimetières
chrétiens, dans les catacombes à Rome. En grec, poisson se dit Ichtus : « Ἰησοῦς
Χριστὸς Θεοῦ Υἱός, Σωτήρ » : « Jésus-Christ, Fils de Dieu
Sauveur. »