Ez
2, 2-5 ; Ps 122 ; 2Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6
Chers
frères et sœurs,
La
question centrale de l’évangile que nous venons d’entendre est celle de
l’origine de Jésus, de sa véritable identité. Et par conséquent, pour nous qui
sommes ses frères et sœurs par l’Esprit Saint, la question de notre propre
identité, l’identité de l’Église dans le monde.
Le
texte de saint Marc est construit très méthodiquement, en miroir. Ainsi, au
début Jésus enseigne à la synagogue de Nazareth, et à la fin, il enseigne dans
les villages alentour. Dans la synagogue les nazaréens sont étonnés de la
sagesse de Jésus. En quittant la synagogue, Jésus est étonné de leur manque de
foi. Ce qui frappait les nazaréens, outre sa sagesse, était sa capacité à faire
des miracles. Mais justement, en raison de leur manque de foi, il ne pouvait
pas en faire pour eux. Ce qui motivait le doute des nazaréens était qu’il
connaissaient Jésus comme un des leurs, de leur clan familial. Or Jésus leur a
répondu qu’un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté, sa maison.
Et au cœur de tout cela, comme en pointe : « Ils étaient
profondément choqués à son sujet », en grec :
« scandalisés », ce qui signifie très exactement que Jésus était pour
eux un « piège », comme un filet est un piège pour les poissons.
Jésus
est un « scandale », un « piège », car il a une double
origine. Une origine charnelle, humaine, visible, qui lui vient de sa mère
Marie et de son adoption par Joseph. C’est cette origine que connaissent les
nazaréens. Et une autre origine spirituelle, divine, invisible qui lui vient de
notre Père qui est aux cieux. Cette origine fait de lui un prophète, rempli de
sagesse – c’est-à-dire d’Esprit Saint – qui lui donne la puissance d’opérer des
miracles. Or, pour les nazaréens – comme pour n’importe quel être humain –
comment comprendre que Jésus est en même temps homme et Dieu ? Et c’est
justement ce qui les choque profondément, qui les « piège ». Mais
comme ils refusent de croire, ils le rejettent.
Maintenant,
frères et sœurs, puisque nous sommes faits fils et filles de Dieu par notre
baptême, membres du Corps du Christ par l’Esprit Saint, quelle est notre
origine, l’origine de l’Église ?
Si
pour répondre à cette question nous raisonnons comme les nazaréens ou comme
n’importe quel être humain, alors l’Église n’a qu’une origine humaine :
elle est une religion fondée par un certain Jésus de Nazareth dont les Apôtres
étaient les disciples, qui ont transmis son enseignement et quelques rites
assez anciens qui ont évolué avec le temps. D’un point de vue sociologique,
c’est une association religieuse qui a plutôt bien résisté, au moins jusqu’à
présent.
Mais
si on adopte le point de vue de l’Évangile, alors l’Église est aussi
l’expression d’une vie qui vient de l’Esprit Saint : une sagesse sur Dieu
et sur l’homme, des actes étonnants que l’on peut assimiler à des miracles, une
mission prophétique qui rend la Parole de Dieu présente et agissante maintenant
dans le monde. Mais c’est bien cela : l’Église ne cesse de transmettre
l’Évangile et, par sa liturgie – c’est-à-dire les actes miraculeux qui font
d’un homme un fils de Dieu, d’un pécheur un saint, du pain et du vin, le Corps
et le Sang de Jésus – elle se comporte comme un prophète dans le monde et y
rend Dieu présent et agissant.
Or
nous l’avons entendu : « un prophète n’est méprisé que dans son
pays, sa parenté et sa maison. » Certains veulent rendre l’Église
crédible ou acceptable dans le monde. Mais si c’est au prix d’y perdre son
identité prophétique, elle se condamne à n’être plus un « scandale »,
un piège, c’est-à-dire le filet qui doit ramener les poissons pris dans le
monde pour être ramené dans le Royaume des cieux. Une telle Église perdrait son
identité ; elle manquerait à sa mission essentielle.
Le
Christ Jésus a accepté la contradiction, le rejet, la croix, par fidélité à son
Père, pour nous sauver. Et nous, nous voudrions y renoncer ? Mais pour
quel bénéfice, et au profit de qui ? Personne ! L’Évangile
d’aujourd’hui nous rappelle notre filiation divine et nous appelle à en vivre
pour « scandaliser » les hommes de ce temps, c’est-à-dire les piéger
dans le filet de l’Esprit Saint, pour les ramener à la maison, dans l’amour, la
joie et la lumière de Dieu.
Je
voudrais terminer par la mention des « frères de Jésus », qui sont
cités : Jacques, José, Jude et Simon. Autant qu’on puisse en juger, les
quatre sont des Apôtres de Jésus : ils font partie des Douze. Saint Joseph
avait un frère du nom de Cléophas, celui qui marchait vers Emmaüs le soir de
Pâques. Sa femme Marie était la sœur de la Vierge Marie, et se trouvait avec
elle au pied de la croix. Cléophas et Marie avaient trois enfants : Simon et
Jude, et une fille, Marie. Cette troisième Marie, qui était aussi au pied de la
croix, a épousé Alphée, un prêtre, duquel elle a eu Jacques et José. Jacques
est devenu le premier évêque de Jérusalem. Simon lui a succédé, puis un autre
Jude, le fils de Jacques, a pris la suite.
Si
donc Cléophas et Marie, l’oncle et la tante de Jésus, Jude, Simon et Marie ses
cousins, et Jacques et José ses petits cousins étaient tous ses disciples, dont
certains sont morts martyrs, c’est donc que sa famille humaine ne l’a pas
rejeté en bloc, bien au contraire. Mais celle qui l’a rejetée – au moins en
partie – c’était sa famille spirituelle, celle qui aurait dû l’accueillir à
bras ouvert : la maison d’Israël. C’est pour nous une leçon, nous qui
sommes spirituellement la famille de Jésus : si il venait ici maintenant,
saurions-nous le recevoir avec joie comme notre Dieu ? « Seigneur, je
ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai
guéri ! »