lundi 30 octobre 2023

29 octobre 2023 - AUTREY-lès-GRAY - 30ème dimanche TO - Année A

 Ex 22,20-26 ; Ps 17 ; 1Th 1,5c-10 ; Mt 22,34-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Depuis quelques dimanches déjà, nous voyons Jésus aux prises avec les sadducéens, les pharisiens, les Hérodiens… bref toutes sortes d’autorités constituées en Israël chargées de faire produire à la vigne son fruit – c’est-à-dire de faire rayonner le Peuple de Dieu de sainteté.
Pour autant ces controverses sont présentées par saint Matthieu comme des mises à l’épreuves, des tentations, pour Jésus. Ses interlocuteurs cherchent en effet, avec plus ou moins d’hypocrisie, à le faire tomber. De fait, ils agissent comme le démon qui tentait Jésus au désert, après son baptême. Et Jésus lui répondait avec la Parole de Dieu, en citant les Écritures. Il en va de même ici.
Vous connaissez le jeu du tir à la corde, où deux équipes tirent chacune une corde à un bout. Une tactique possible est de tirer fortement, puis d’un coup relâcher la tension pour déséquilibrer l’équipe adverse, et tirer de nouveau pour remporter la victoire. C’est exactement ce que va faire Jésus avec son interlocuteur pharisien.
 
Ce dernier est présenté comme un docteur de la « Loi », au sens strict, c’est-à-dire du Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. De ce point de vue, c’est un docteur de la Loi tout à fait orthodoxe, qui convient également aux Sadducéens, aux Esséniens, et même d’un certain point de vue aux Samaritains. Le Pentateuque, en effet, est le socle commun à tous les juifs, quelles que soient ensuite leurs particularités et leurs divergences sur l’usage des autres livres des Écritures.
De ce fait, dans sa réponse, Jésus est lui-aussi parfaitement orthodoxe : il cite le Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » ; et le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » La réponse convient donc non seulement au docteur de la Loi mais aussi à n’importe quel Juif. Dans les évangiles parallèles de Marc et de Luc, dans un cas le docteur de la Loi s’écrie : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai ! » ; et dans l’autre c’est le docteur de la Loi lui-même qui fait la même réponse que Jésus, tandis que Jésus l’interrogeait sur ce que disait la Loi pour accéder à la vie éternelle.
Saint Irénée de Lyon tirait de cet accord fondamental entre juifs et chrétiens qu’il y a un seul et même auteur de la Loi et de l’Évangile : « Les commandements essentiels de la vie, du fait qu’ils sont les mêmes de part et d’autre – disait-il –, manifestent en effet le même Seigneur : car, s’il a édicté des commandements particuliers adaptés à l’une et l’autre alliance, pour ce qui est des commandements universels et les plus importants, sans lesquels il n’est pas de salut, ce sont les mêmes qu’il a proposé de part et d’autre. » Et saint Éphrem le Syrien nous dit en une ligne pourquoi ces commandements sont universels et essentiels pour le salut de tous : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain comme toi-même. L’amour de Dieu nous épargne la mort, et l’amour de l’homme, le péché ; car personne ne pèche contre celui qu’il aime. »
 
Nous comprenons donc que le docteur de la Loi et Jésus nous ont conduit au cœur de ce qui doit faire notre relation avec Dieu et avec notre prochain, pour pouvoir entrer dans la vie éternelle. Mais – et c’est là que Jésus va surprendre le docteur de la Loi, qui ne l’oublions pas est aussi un pharisien – Jésus ajoute : « De ces deux commandements, dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » Dans l’araméen le mot « Loi » est ici plus large que celui employé dans l’expression « docteur de la Loi ». Au sens strict, je l’ai dit tout à l’heure, la Loi se limite aux cinq livres du Pentateuque – qui est la « Loi écrite », mais au sens large comme le dit maintenant Jésus, la Loi s’étend aussi à la « Loi orale » qu’enseignaient les pharisiens mais que refusaient les sadducéens, par exemple. Et avec la Loi orale, Jésus ajoute les Prophètes. Autrement dit, il affirme que les deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain sont comme l’âme ou la colonne vertébrale de toutes les Écritures, de tout l’enseignement religieux d’Israël et sa mise en pratique. Et cela ne peut que plaire à son interlocuteur pharisien, à sa très grande surprise !
 
Là où il croyait coincer Jésus, le pharisien se retrouve donc retourné comme une crêpe, puisque Jésus lui donne sa bénédiction. Ce que Jésus reproche aux pharisiens – ce pourquoi il les traite d’hypocrites – c’est qu’ils ont souvent tendance à appliquer la Loi dans sa lettre mais pas dans son esprit, qui nous l’avons vu, doit être toujours fondamentalement un amour de Dieu et du prochain. En fait, Jésus reproche aux pharisiens de manquer eux-mêmes souvent à leur propre fondement religieux.
Cependant, en définitive, il faut bien reconnaître que dans nos vies et nos pratiques religieuses, nous autres chrétiens, parfois nous ne sommes pas très loin de nos cousins pharisiens, lorsque nous oublions nous aussi l’appel universel de Dieu à la vie éternelle, et à la sainteté, dans son amour et celui du prochain. Pour tous, juifs ou chrétiens, il n’y a pas d’autre chemin.

dimanche 22 octobre 2023

21-22 octobre 2023 - CHARCENNE - RENAUCOURT - 29ème dimanche TO - Année A

 Is 45,1.4-6 ; Ps 95 ; 1Th 1,1-5b ; Mt 22,15-21
 
Chers frères et sœurs,
 
« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »… tout le monde connaît cette réponse de Jésus fort utile pour séparer le champ politique du champ religieux et qui – quoi qu’on en pense – est le fondement de la laïcité française. En effet, en dehors de cette distinction entre Dieu et César opérée par Jésus, religion et politique sont toujours mélangées faisant des dégâts immenses dans l’humanité, comme on le voit encore aujourd’hui, malheureusement, notamment en Terre Sainte. J’attire votre attention à ce propos sur le fait que le dollar américain est à l’effigie des premiers présidents des États-Unis et porte la marque « In God we Trust » – « Nous croyons en Dieu », mélangeant ainsi ici aussi politique et religion… et argent.
Mais revenons à la rencontre entre Jésus et ses adversaires. Si ceux-ci cherchent à le coincer justement en mélangeant religion et politique, la réponse de Jésus n’est-elle vraiment qu’une leçon de laïcité à la française ? Il est probable que non et que Jésus veut nous dire beaucoup plus. La mise en scène est très simple : avec Jésus sont présents des pharisiens et des Hérodiens.
 
Les pharisiens, comme la plupart des habitants d’Israël, aspirent à une indépendance complète de leur pays, à sa libération de la tutelle romaine. Un certain Judas le Galiléen, révolutionnaire proche des pharisiens, a appelé les gens à ne pas payer l’impôt dû à César. Bien qu’il soit mort en 4 avant Jésus-Christ, ses fils ont poursuivi activement son mouvement – devenu celui des Zélotes. Ils seront crucifiés par les Romains dans les années 45/48. Or, nous le savons, d’une part Jésus – appelé et reconnu par tous comme le Fils de David – est attendu et espéré par beaucoup comme le vrai libérateur politique légitime ; et d’autre part même parmi ses disciples se trouvent des zélotes – dont l’Apôtre Simon le zélote, qui est de la famille de Jésus ! Si en leur présence, Jésus répond qu’il faut payer l’impôt à César, alors, en quelque sorte, il les renie et il trahit la cause d’Israël. Il sera donc rejeté.
En face, nous avons les Hérodiens, qui eux dépendent complètement, politiquement et financièrement, de la tutelle romaine. Hérode le Grand est devenu roi de Judée par acclamation du Sénat romain en 40 avant Jésus-Christ. À l’époque de Jésus, son fils Hérode-Antipas, règne sur la Galilée et la Pérée – c’est lui qui fonde la ville de Tibériade, en l’honneur de l’Empereur Tibère… Si donc en la présence des Hérodiens Jésus dit qu’il ne faut pas payer l’impôt à César, alors il se range dans le camp des zélotes, et il sera aussitôt dénoncé par les Hérodiens comme rebelle aux Romains pour atteinte à l’autorité de l’Empereur. La sanction est la crucifixion.
 
On voit que le piège est bien tendu. Plus encore, les pharisiens veulent acculer Jésus à une réponse claire : « Maître, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité » : c’est-à-dire que Jésus non seulement est attaché à la vérité, mais surtout qu’il la met en pratique : il n’y a pas d’hypocrisie en lui, ni en paroles ni en actes. Ce point est très important pour comprendre la réponse de Jésus, qui justement, en s’adressant aux pharisiens les traite d’hypocrites. Ils sont hypocrites non seulement par leurs paroles cajoleuses – ils l’ont appelé « Maître » alors qu’ils veulent le piéger – mais aussi et surtout dans leurs actes. Car c’est bien à eux que Jésus demande qu’on lui montre la monnaie de l’impôt, et ils le font : ils appellent à ne pas payer le denier de César, mais ils en ont plein les poches ! Ils se disent résistants contre le système, mais, comme les Hérodiens, ils baignent dedans ! Ils sont lamentables… En regard, puisqu’il demande qu’on lui montre une pièce, et comme nous le savons par ailleurs quand il demande à Pierre d’aller pêcher un poisson pour y trouver de quoi payer l’impôt, Jésus ne porte pas sur lui de cet argent. Jésus se montre ici plus zélote que les prétendus zélotes ! Mais la réponse de Jésus ne s’arrête pas là. Il a désarmé les pharisiens hypocrites ; il s’adresse maintenant à tous, nous y compris.
 
Jésus demande quelles sont l’effigie et l’inscription qui sont sur la pièce. On lui répond comme de juste : « de César ». Il demande alors de donner à César ce qui lui revient – en fait de reconnaître son autorité politique. Car il est de tradition constante en Israël, que le pouvoir d’une autorité est toujours accordé par Dieu, notamment quand cette autorité est fidèle aux commandements de Dieu. C’est ainsi que le roi Cyrus, comme nous l’avons entendu dans la lecture du livre d’Isaïe, est même qualifié par Dieu de « messie ». Et Jésus a répondu à Pilate, qui lui parlait de son pouvoir de tuer ou de gracier, en lui disant : «Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut ». C’est pourquoi les chrétiens ont toujours été de fidèles citoyens.
Mais la vraie leçon est la suivante : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». Or qu’est-ce qui est à l’effigie et à l’inscription de Dieu ? Qu’est-ce qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu, et qui doit être rendu à Dieu ? Ce n’est pas un denier, une pièce en métal, mais c’est l’homme lui-même ! Et qui plus est pour un chrétien, qui par le baptême a été configuré au Christ prêtre, prophète et roi, et porte sur son front l’inscription de Dieu, la croix de Jésus. Nous devons certainement l’obéissance à l’autorité légitime qui organise la vie et le bien commun, et cela se manifeste notamment par la participation à l’impôt – et cela est politique – mais nous devons encore plus l’adoration qui est due à Dieu seul, par l’offrande de tout nous-mêmes et de toute notre vie – et c’est exactement ce que l’on appelle la « vertu de religion » et que de tout temps on a toujours un peu tendance à oublier…


dimanche 15 octobre 2023

15 octobre 2023 - CHAMPLITTE - 28ème dimanche TO - Année A

 Is 25,6-10a ; Ps 22 ; Ph 4,12-14.19-20 ; Mt 22,1-14
 
Chers frères et sœurs,
 
L’enseignement de Jésus est assez incisif. En effet, à la fin de la parabole, on peut considérer qu’il y a trois catégories d’invités. La première est celle de ceux qui refusent de venir à la noce pour mille et une raisons et qui, finalement, s’en excluent eux-mêmes. C’est leur choix. La seconde est celle de ceux qui répondent à l’invitation, qu’ils soient bons ou mauvais, et s’y présentent habillés correctement avec un vêtement de noces : ceux-là peuvent s’y réjouir sans limite. Et enfin, la troisième est celle de ceux qui ont également répondu à l’invitation, mais qui s’y sont rendus sans le vêtement de noces. Ici joue le critère d’accueil à la fête ou de son exclusion : ceux qui n’ont pas le vêtement de noce sont renvoyés sans ménagement.
En définitive, si tous sont invités aux réjouissances du Roi, chacun doit faire librement deux pas : d’une part, accepter l’invitation et s’y rendre, et d’autre part s’habiller avec un vêtement de noce.
 
Nous avons bien compris que le Roi qui invite, c’est Dieu le Père qui nous invite tous à nous réjouir avec lui, éternellement, dans la gloire de son Royaume, dans son amour. Il le fait d’abord par les prophètes, qui sont les premiers serviteurs envoyés au Peuple d’Israël, malheureusement ignorés, ou dénigrés, maltraités et même tués. Il le fait aussi par les Apôtres et les missionnaires de l’Évangile. Ceux-là sont les seconds serviteurs, qui vont aux croisées des chemins, inviter tous les hommes, juifs et païens, bons et mauvais, jusqu’à ce que la salle des noces soit remplie.
On s’aperçoit donc que l’invitation à participer aux réjouissances est présentée aux hommes tout au long de leur histoire, au temps de l’Ancien Testament comme au temps du Nouveau – auquel nous appartenons nous-mêmes. Les hommes sont libres d’y répondre ou non : c’est leur choix. Encore faut-il que les serviteurs du Roi, juifs et chrétiens présentent bien aux hommes un carton d’invitation valide, pas modifié ou sali par leurs propres mains : c’est-à-dire que les hommes entendent bien l’appel de Dieu et non pas autre chose. Mais c’est un autre problème, qui n’est pas sans importance.
 
Cependant, tous ceux qui, de bonne foi, répondent à l’invitation pour se rendre au repas de noces doivent s’y rendre correctement habillés. Il y a là un critère décisif d’admission à la soirée. La question n’est pas de savoir si on est bon ou mauvais, comprendre si on a le passeport de fils de Dieu ou si on ne l’a pas ; les « bons » sont les fils de Dieu, les juifs et les chrétiens ; les « mauvais » sont les autres : païens, athées ou d’autres religions. Car le vrai critère n’est pas la carte d’identité mais le vêtement. Il devient donc pour nous tous extrêmement important de bien comprendre quel est ce fameux vêtement.
 
La parabole de dimanche dernier peut nous aider. Aujourd’hui, nous avons un Roi qui invite les hommes à son repas de réjouissance et qui est intéressé, en définitive, par ce fameux vêtement de noces. Tandis que dimanche dernier, nous avions un Maître de vigne, qui envoyait des serviteurs et même son Fils, pour se faire remettre la récolte, le fruit de la vigne. Jésus conclue même la parabole par cette phrase : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé – disait-il aux grands prêtres et aux anciens - pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. » Cette nation, c’est l’Église, et son devoir – comme celui des grands prêtres et des anciens d’Israël –, c’est de faire produire des fruits à la vigne. Ce sont ces fruits qui intéressent le maître de la vigne. Le « vêtement de noces » et les « fruits de la vigne » renvoient donc à la même réalité, celle que nous cherchons à comprendre.
 
Dans le langage de Jésus, des juifs et des premiers chrétiens, il est assez évident que les « fruits de la vigne » correspondent aux œuvres bonnes, celles d’une mise en pratique de la Loi : aimer Dieu et aimer son prochain, pratiquer les dix commandements, mais aussi vivre les béatitudes… vivre en hommes justes, être des hommes de paix. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne saint Irénée de Lyon. Écoutons-le : « [Le Seigneur] a encore fait connaître que, en plus de l’appel, il nous faut être ornés des œuvres de la justice pour que repose sur nous l’Esprit de Dieu. Car c’est lui l’habit de noces […]. » Aussi bien, celui qui n’est pas revêtu du Saint Esprit est écarté du festin des noces et « jeté pieds et poings liés dans les ténèbres du dehors. »
 
En effet, celui auquel s’adresse le Roi en l’appelant « mon ami », comme il a appelé « mon ami » le vigneron de la première heure qui réclamait d’être mieux payé que ceux de la dernière heure, et comme il a aussi appelé « mon ami » Judas qui venait de le trahir par un baiser au Jardin des Oliviers… cet « ami » est celui qui est voué aux ténèbres, le traître, le chef des anges apostats, le démon lui-même qui par principe non seulement refuse l’Esprit Saint mais veut même le combattre, pour sa propre perte.
 
Si donc nous ne voulons pas être rangés dans cette catégorie peu recommandable et sans avenir, il nous faut absolument acquérir l’Esprit Saint. C’est le but de notre vie chrétienne, disait saint Séraphim de Sarov. Et c’est justement l’Esprit Saint que Jésus nous a appris à demander dans notre prière : « Donne-nous notre pain de ce jour. » Mais pas seulement le demander et le recevoir : en vivre aussi, selon la parole de Jésus : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! », c’est-à-dire la mettent en pratique. C’est ainsi que l’on donne de bons fruits en vue du festin des noces de l’Agneau.

lundi 9 octobre 2023

07-08 octobre 2023 - COURCUIRE - VELLEXON - 27ème dimanche TO - Année A

Is 5,1-7 ; Ps 79 ; Ph 4,6-9 ; Mt 21,33-43
 
Chers frères et sœurs,
 
La signification de la parabole de Jésus est claire. Le Maître de la vigne, c’est Dieu le Père ; sa vigne c’est son peuple Israël, mais qu’avec Jésus on peut étendre à l’humanité ou à la création tout entière, qui a vocation à devenir le Royaume des cieux. D’après saint Irénée de Lyon et saint Éphrem, la clôture, c’est la Loi de Moïse, le pressoir c’est le Temple, et la tour de garde, c’est Jérusalem. Les vignerons sont les prêtres et les anciens du peuple. Et le Maître, c’est-à-dire Dieu le Père, attend le produit de sa vigne c’est-à-dire la récolte.
En Israël, la fête de la récolte c’est Soukkot : la fête des Tentes. C’est la Fête par excellence qui anticipe le jour où tout Israël, mais aussi toutes les nations, convergeront vers Jérusalem pour y adorer le Seigneur dans son Temple et être favorisé par lui de ses bénédictions. Soukkot est une ascension vers Dieu, dans sa gloire, pour recevoir de lui son Esprit Saint.
En définitive, le problème ici est que les prêtres et les anciens semblent refuser de remettre les fruits de la vigne au Maître, c’est-à-dire les louanges qui reviennent légitimement à Dieu et qui sont portées à lui par ses serviteurs, c’est-à-dire les anges. Prêtres et anciens refusent à Dieu l’adoration qui lui est due.
 
De ce fait, Dieu le Père envoie auprès de ces vignerons des serviteurs successifs. J’ai évoqué les anges, mais dans l’esprit de Jésus, ce sont aussi les prophètes : Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Amos… et aussi Jean-Baptiste. Tous ont été persécutés ou tués. Le Père envoie alors son Fils Jésus, dont il espère qu’ils le recevront avec égard.
Nous voyons ici dans l’enseignement de Jésus qu’il n’est pas question de renverser la clôture, détruire le pressoir ou la tour de garde, ni même de renvoyer les vignerons, mais seulement de recevoir les fruits de la vigne. Dieu attend et espère toujours que, par Jésus, les grands prêtres et les anciens se convertiront pour que Israël et le monde, et la toute la création, produisent leurs fruits d’adoration et de louange – pour la grande fête !
Mais ceux-ci se saisissent du fils, le jettent hors de la vigne et le tuent. Jeté hors de la vigne : c’est-à-dire condamné par la Loi, exclu du Temple et expulsé de Jérusalem. Ainsi Jésus a-t-il été condamné par le Sanhédrin, banni d’Israël, crucifié et enterré à l’extérieur des murs de la ville. Ici Jésus prophétise ce qui va lui arriver bientôt.
 
Le plus étonnant est que les grands prêtres et les anciens énoncent eux-mêmes leur propre condamnation : « Ces misérables, le Maître les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus cite alors dans les Écritures le psaume 117 où il est question de sa résurrection : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! » et il annonce l’Église : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. » À l’Église est confiée la mission des vignerons : à elle d’entretenir la vigne et d’en présenter les fruits pour le jour de la fête du Seigneur.
 
Nous pouvons noter ici trois points utiles pour nous.
 
Le premier a trait aux Écritures. Jésus dit aux prêtres et aux anciens : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures » Pour les Juifs, pour Jésus, pour les Apôtres et les évangélistes, les Écritures, ce sont les livres de la Torah – Genèse, Exode, Lévitique, Nombre et Deutéronome –, les livres des Prophètes, et les Psaumes. C’est ce que nous appelons maladroitement l’Ancien Testament. Il n’y a pas d’autres Écritures. Ce que nous appelons le Nouveau Testament, c’est l’Évangile de Jésus Christ, c’est-à-dire sa vie et son enseignement, en quatre récits complémentaires, puis l’histoire des Actes des Apôtres, le livre de l'Apocalypse et des lettres. Les Écritures prophétisent l’Évangile et l’Évangile est la réalisation des Écritures. Les deux vont ensemble et ne peuvent se lire et se comprendre qu’ensemble. D’ailleurs le Maître de la vigne est le même maître de tous : des premiers vignerons, des serviteurs, de son fils et des nouveaux vignerons. La vigne est toujours au même endroit : elle est entourée d’un mur, équipée d’un pressoir et gardée par une tour.
 
Justement, et c’est mon deuxième point, l’Église a été comparée par les premiers chrétiens à une construction, à un pressoir et à une tour. Baptisés, nous sommes les pierres de la construction ; la croix est un pressoir d’où sort le sang de Jésus – comprendre que le sacrifice de Jésus sur la Croix est la source de la grâce du pardon et de la vie nouvelle – le vin nouveau. C’est justement ce sacrifice que l’Église renouvelle sans cesse par la célébration de l’eucharistie. Et l’Église est une tour vigilante, une ville nouvelle, qui défend  contre les dangers du mauvais et protège la paix de ce qui est bon. Je parle ici de l’Église véritable qui est celle des Apôtres et des saints.
 
Ainsi – troisième et dernier point – mesurons le fait que chacun de nous, en vertu de son baptême, est un vigneron du Royaume. Il nous revient, par notre prière et notre travail, de bonifier la vigne là où nous sommes, et d’en présenter les fruits à notre Dieu, le jour prochain où il viendra, c’est-à-dire maintenant.

dimanche 1 octobre 2023

30 septembre - 1er octobre 2023 - VARS - CHARGEY-lès-GRAY - 26ème dimanche TO - Année A

Ez 18,25-28 ; Ps 24 ; Ph2,1-11 ; Mt 21,28-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous pouvons comprendre les deux enseignements de Jésus sur trois niveaux différents. Le premier est à l’évidence un enseignement moral : il vaut mieux – même si l’on a désobéi d’abord – se raviser et obéir, plutôt que faire l’inverse. En effet, dans le premier cas, on est un honorable pénitent tandis que, dans le second, on est un abominable hypocrite.
Le message de Jésus est clair : les publicains et les prostituées se sont convertis à la proclamation de Jean-Baptiste : ce sont les honorables pénitents ;  tandis que les grands prêtres et les anciens du peuple, qui donnent toutes les garanties apparentes d'une sainte vie religieuse, n’ont pas écouté Jean et encore moins suivi Jésus : ce sont les abominables hypocrites.
 
Mais nous pouvons faire un pas de plus en élargissant notre regard à ce que rapporte l’Évangile avant ces enseignements de Jésus. Jésus est en discussion avec les grands prêtres et les anciens parce qu’il vient d’entrer à Jérusalem assis sur un petit âne, aux acclamations du peuple, et qu’il a chassé les marchands du Temple à coup de cordes. Il a aussi maudit le figuier qui ne donnait pas de fruits, et celui-ci s’est immédiatement desséché. C’est alors que les grands prêtres et les anciens lui ont posé la question suivante : « Par quel pouvoir fais-tu ces choses ? et qui t’a donné ce pouvoir ? » Jésus leur avait répondu : « Le baptême de Jean, d’où vient-il ? Est-il du ciel ou des humains ? » Ils étaient embarrassés : s’ils répondaient « du ciel », Jésus leur aurait répliqué : « alors, pourquoi ne l’avez-vous pas écouté ? » ; et s’il répondaient « des hommes », ils risquaient d’être lapidés par la foule qui tenait Jean pour un prophète. Du coup, ils se sont tus. C’est alors que Jésus a donné les deux enseignements que nous avons entendus.
À la lumière de ce contexte, nous voyons que Jésus s’est présenté en Messie à Jérusalem, en roi et en prêtre, avec des pouvoirs divins – puisque par sa seule parole il agit sur la création elle-même. Comme d’habitude, la grande difficulté pour les prêtres de Jérusalem et les anciens, est de savoir si oui on non Jésus est réellement le Messie d’Israël ou si c’est un imposteur. Tout en sachant que s’il est vraiment le Messie, c’en est fini de leur confortable situation sociale, assise sur le culte et le commerce du Temple.
Ainsi l’enseignement de Jésus apparaît ici comme un jugement religieux : ayant convaincu les prêtres et les anciens, premièrement, qu’il vaut mieux être désobéissant puis obéissant que l’inverse, et deuxièmement, que les pécheurs repentants ont écouté la voix de Jean-Baptiste – qui est celle d’Elie annonçant la venue du Messie – et non eux – alors que Jean marchait sur le chemin de la Justice qu’ils étaient eux-mêmes censés enseigner et pratiquer – Jésus les condamne donc pour désobéissance à la parole de Dieu et hypocrisie religieuse.
Après cette charge – et la parabole que nous entendrons dimanche prochain – nécessairement les grands prêtres et les anciens en voudront à mort à Jésus.
 
Cependant, si nous en restons là, nous passons à côté de l’enjeu véritable de la situation, en risquant de porter nous-même un jugement trop négatif sur le Temple, les grands prêtres et les anciens d’Israël. Jésus n’est pas venu détruire le Temple mais le purifier et le transfigurer, puisque le Temple est l’image de son propre Corps ; il est lui-même le seul et vrai Grand-Prêtre qui s’offre lui-même en sacrifice ; et il institue pour organiser son Corps – qui est aussi l’Église – des Anciens, qui ne sont autres que les Apôtres et, à leur suite, les évêques. Ne condamnons donc pas trop vite le Temple, les grands prêtres et les anciens pour eux-mêmes.
En effet, si la situation historique vécue par Jésus à Jérusalem est bien la prophétie d’une réalité plus grande, alors l’enseignement de Jésus aujourd’hui a une portée plus grande encore que ce que j’ai déjà expliqué – et une portée tout à fait actuelle, qui nous concerne.
De fait, la montée de Jésus à Jérusalem préfigure son Ascension au Ciel, après sa résurrection. La purification du Temple annonce le renvoi des anges apostats, des démons, qui comme l’ivraie pervertissent le champ de Dieu. Ce faisant, Jésus ouvre la voie de la vie nouvelle à tous ceux qui croient à sa parole, ont foi en lui, sont morts et ressuscités avec lui par le baptême, et qui, libérés des chaînes du péché, le suivent maintenant sur son chemin de liberté. Dans cette perspective, les grands prêtres et les anciens représentent ici le chef des démons, qui occupe ou veut occuper à son profit le trône de Dieu, dans sa gloire. Aujourd’hui, Jésus lui fait savoir qu’il est jugé et condamné.
 
Nous voyons donc, chers frères et sœurs, comment les paraboles de Jésus peuvent être comprises. On reste certes un peu étourdis de découvrir qu’il y a un lien profond et tout à fait réel entre les grands événements divins – qui concernent Dieu, les anges et les hommes – et nos petites histoires d’obéissance et de désobéissance domestiques. Quand l’extraordinaire de Dieu et l’ordinaire de nos vies se confondent, c’est là la petite voie de l’Évangile, que nous a justement rappelée sainte Thérèse de Lisieux dont c’est la fête aujourd’hui.

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