Ez
18,25-28 ; Ps 24 ; Ph2,1-11 ; Mt 21,28-32
Chers
frères et sœurs,
Nous
pouvons comprendre les deux enseignements de Jésus sur trois niveaux différents.
Le premier est à l’évidence un enseignement moral : il vaut mieux – même
si l’on a désobéi d’abord – se raviser et obéir, plutôt que faire l’inverse. En
effet, dans le premier cas, on est un honorable pénitent tandis que, dans le
second, on est un abominable hypocrite.
Le
message de Jésus est clair : les publicains et les prostituées se sont convertis
à la proclamation de Jean-Baptiste : ce sont les honorables
pénitents ; tandis que les grands
prêtres et les anciens du peuple, qui donnent toutes les garanties apparentes
d'une sainte vie religieuse, n’ont pas écouté Jean et encore moins suivi
Jésus : ce sont les abominables hypocrites.
Mais
nous pouvons faire un pas de plus en élargissant notre regard à ce que rapporte
l’Évangile avant ces enseignements de Jésus. Jésus est en discussion avec les
grands prêtres et les anciens parce qu’il vient d’entrer à Jérusalem assis sur
un petit âne, aux acclamations du peuple, et qu’il a chassé les marchands du
Temple à coup de cordes. Il a aussi maudit le figuier qui ne donnait pas de fruits,
et celui-ci s’est immédiatement desséché. C’est alors que les grands prêtres et
les anciens lui ont posé la question suivante : « Par quel pouvoir
fais-tu ces choses ? et qui t’a donné ce pouvoir ? » Jésus
leur avait répondu : « Le baptême de Jean, d’où vient-il ?
Est-il du ciel ou des humains ? » Ils étaient embarrassés :
s’ils répondaient « du ciel », Jésus leur aurait répliqué : « alors,
pourquoi ne l’avez-vous pas écouté ? » ; et s’il répondaient
« des hommes », ils risquaient d’être lapidés par la foule qui tenait
Jean pour un prophète. Du coup, ils se sont tus. C’est alors que Jésus a donné
les deux enseignements que nous avons entendus.
À
la lumière de ce contexte, nous voyons que Jésus s’est présenté en Messie à
Jérusalem, en roi et en prêtre, avec des pouvoirs divins – puisque par sa seule
parole il agit sur la création elle-même. Comme d’habitude, la grande
difficulté pour les prêtres de Jérusalem et les anciens, est de savoir si oui
on non Jésus est réellement le Messie d’Israël ou si c’est un imposteur. Tout
en sachant que s’il est vraiment le Messie, c’en est fini de leur confortable
situation sociale, assise sur le culte et le commerce du Temple.
Ainsi
l’enseignement de Jésus apparaît ici comme un jugement religieux : ayant convaincu
les prêtres et les anciens, premièrement, qu’il vaut mieux être désobéissant
puis obéissant que l’inverse, et deuxièmement, que les pécheurs repentants ont
écouté la voix de Jean-Baptiste – qui est celle d’Elie annonçant la venue du
Messie – et non eux – alors que Jean marchait sur le chemin de la Justice
qu’ils étaient eux-mêmes censés enseigner et pratiquer – Jésus les condamne
donc pour désobéissance à la parole de Dieu et hypocrisie religieuse.
Après
cette charge – et la parabole que nous entendrons dimanche prochain –
nécessairement les grands prêtres et les anciens en voudront à mort à Jésus.
Cependant,
si nous en restons là, nous passons à côté de l’enjeu véritable de la
situation, en risquant de porter nous-même un jugement trop négatif sur le
Temple, les grands prêtres et les anciens d’Israël. Jésus n’est pas venu
détruire le Temple mais le purifier et le transfigurer, puisque le Temple est
l’image de son propre Corps ; il est lui-même le seul et vrai Grand-Prêtre
qui s’offre lui-même en sacrifice ; et il institue pour organiser son
Corps – qui est aussi l’Église – des Anciens, qui ne sont autres que les Apôtres
et, à leur suite, les évêques. Ne condamnons donc pas trop vite le Temple, les
grands prêtres et les anciens pour eux-mêmes.
En
effet, si la situation historique vécue par Jésus à Jérusalem est bien la
prophétie d’une réalité plus grande, alors l’enseignement de Jésus aujourd’hui
a une portée plus grande encore que ce que j’ai déjà expliqué – et une portée
tout à fait actuelle, qui nous concerne.
De
fait, la montée de Jésus à Jérusalem préfigure son Ascension au Ciel, après sa
résurrection. La purification du Temple annonce le renvoi des anges apostats,
des démons, qui comme l’ivraie pervertissent le champ de Dieu. Ce faisant, Jésus
ouvre la voie de la vie nouvelle à tous ceux qui croient à sa parole, ont foi
en lui, sont morts et ressuscités avec lui par le baptême, et qui, libérés des
chaînes du péché, le suivent maintenant sur son chemin de liberté. Dans cette
perspective, les grands prêtres et les anciens représentent ici le chef des
démons, qui occupe ou veut occuper à son profit le trône de Dieu, dans sa gloire.
Aujourd’hui, Jésus lui fait savoir qu’il est jugé et condamné.
Nous
voyons donc, chers frères et sœurs, comment les paraboles de Jésus peuvent être
comprises. On reste certes un peu étourdis de découvrir qu’il y a un lien
profond et tout à fait réel entre les grands événements divins – qui concernent
Dieu, les anges et les hommes – et nos petites histoires d’obéissance et de
désobéissance domestiques. Quand l’extraordinaire de Dieu et l’ordinaire de nos
vies se confondent, c’est là la petite voie de l’Évangile, que nous a justement
rappelée sainte Thérèse de Lisieux dont c’est la fête aujourd’hui.