dimanche 27 août 2023

26-27 août 2023 - APREMONT - GRAY - 21ème dimanche TO - Année A

Is 22,19-23 ; Ps 137 ; Rm 11,33-36 ; Mt 16,13-20
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme nous le savons, après la mort de Jean-Baptiste, les foules ont voulu faire de Jésus leur roi en Israël. Et de fait, il est le descendant légitime du roi David. Mais Jésus a voulu les détromper : il n’a pas d’avenir politique sur la terre. Au contraire, s’il est roi, c’est plutôt du Royaume des Cieux, en tant que Fils de Dieu, son Père.
 
Du coup, les gens sont un peu perturbés : ils ne savent pas vraiment qui est Jésus. Jean-Baptiste, Elie, Jérémie, l’un des prophètes… ils identifient bien qu’il est un homme de Dieu – un homme de Dieu important même – mais cela reste confus. C’est un peu comme si on faisait un sondage sur Jésus aujourd’hui : on aura des Jésus révolutionnaires, socio-démocrates, un peu écolo et LGBT, voire même ayant quelques ressemblances avec Bouddha… Bref un Jésus qui ressemble à tout ce qui existe sur la terre d’un peu à la mode, mais qui n’est pas vraiment lui-même, qui nous reste mystérieux, comme il restait mystérieux pour les foules de Galilée, à l’époque.
 
Simon-Pierre prend la parole et répond : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Ici, ce n’est pas tant le fait qu’il donne la bonne réponse qui est important, mais ce qu’en dit Jésus : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Première observation : connaître Jésus, savoir qui il est, est une Béatitude : « Heureux es-tu ! » s’exclame Jésus. C’est une grâce. Seconde observation : la connaissance de Jésus n’est pas une connaissance purement rationnelle, scientifique, mais elle est une connaissance par illumination, révélation. C’est d’ailleurs ce qu’explique Jésus : « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Voilà donc quel est le mode de la vraie connaissance de Jésus : c’est une révélation qui vient du Père. Toutes les autres formes de connaissance sont au pire des projections fausses, des idoles, au mieux des connaissances partielles.
 
Jésus, ayant reconnu en Pierre cette illumination qui lui a donné une vraie connaissance de son identité, lui annonce que sur lui, Pierre, il bâtira son Église. L’Église est bâtie sur la foi de Pierre en tant qu’elle est illuminée par Dieu lui-même. L’Église n’est pas une construction qui a des fondations humaines, mais des fondations révélées. Ils se trompent donc, ceux qui conçoivent l’Église comme une assemblée générale, un parti politique, une association militante ou même une confrérie religieuse adaptable à toutes sortes de religions. L’Église véritable est au contraire une construction qui vient de Dieu lui-même, qui est une anticipation sur terre du Royaume des Cieux. Elle ne ressemble à rien de ce que nous connaissons humainement sur la terre : elle est un sacrement.
 
On arrive ici à une difficulté, qui nous embarrasse : c’est que l’Église elle-même rencontre donc nécessairement les mêmes incompréhensions et est confrontée aux mêmes épreuves que celle rencontrées par Jésus lui-même au cours de sa vie terrestre. Et si ce n’est pas le cas, si l’Église se fait caméléon selon les revendications à la mode, pour éviter les contradictions, alors elle n’est plus « de Dieu », mais elle devient « des hommes » : dès lors, elle n’est plus l’Église du Christ, mais une imitation dévoyée, qu’un disciple du Christ doit dénoncer sans état d’âme.
 
Au bout du compte, qu’est-ce qui est important ?
D’abord prier sans cesse pour demander à Dieu, notre Père, qu’il nous donne « notre pain de ce jour », c’est-à-dire sa révélation, son illumination, pour que jamais son Église ne s’égare ou ne se dénature ici-bas, mais qu’elle demeure toujours l’Église vivante de Jésus-Christ.
Et ensuite, justement, s’attacher viscéralement à ce « pain de ce jour » : l’Eucharistie qui fait l’Église et que l’Église fait en célébrant la messe, en n’oubliant jamais que la messe, dans l’Église, est toujours et d’abord celle célébrée par l’Évêque successeur des Apôtres, dont la foi est illuminée par Dieu comme l’a été celle de Pierre.
Tout se tient.
 
Ainsi Credo, Évêque, Eucharistie et Église ne doivent jamais aller séparément. Il n’y a que dans une telle Église, révélation et sacrement reçus de Dieu, Église souvent incomprise par les hommes, que nous sommes certains de pouvoir accéder à la vraie connaissance de Jésus, et par lui, d’accéder à la Béatitude du Royaume des cieux.

dimanche 20 août 2023

20 août 2023 - ARC-lès-GRAY - 2àème dimanche TO - Année A

Is 56,1.6-7 ; Ps 66 ; Rm 11,13-15.29-32 ; Mt 15,21-28
 
Chers frères et sœurs,
 
Une exégèse un peu rapide, non dénuée d’idéologie à la mode, pourrait nous faire croire que c’est par la seule force de son caractère, surmontant l’abominable cléricalisme des Apôtres, que la femme Cananéenne a obtenu de Jésus ce qu’elle voulait, à savoir qu’il guérisse sa fille. Après tout, sainte Catherine de Sienne, qui n’hésitait pas à remonter les bretelles au pape, s’adressait aussi à Dieu dans sa prière en lui disant « Je veux »…  Mais ici les choses sont quand même un peu plus subtiles.
 
Saint Matthieu, qui rapporte cette histoire écrit son évangile à l’attention de juifs devenus chrétiens. Il s’agit notamment de leur expliquer pourquoi et de quelle manière les païens peuvent aussi vivre de la vie éternelle, peuvent communier au pain de Vie. En effet, le salut en Jésus-Christ n’est pas réservé au seul peuple d’Israël, mais, comme l’avait déjà prophétisé Isaïe, tous ceux qui s’attacheront au Seigneur pour honorer et aimer son Nom, qui deviendront ses serviteurs, pourront accéder à sa montagne sainte, à son Temple. Et leurs sacrifices – c’est-à-dire leurs prières – seront exaucés.
 
Nous pouvons observer ce mouvement de conversion chez la femme cananéenne. Tout d’abord elle s’adresse à Jésus comme Fils de David, c’est-à-dire comme roi d’Israël. Elle croit qu’il est comme le roi de France, qui a le pouvoir de guérir des écrouelles. Autrement dit, elle le prend pour un simple guérisseur. À cette façon de voir Jésus ne répond même pas : il se fait un grand silence.
 
La femme trouve alors la faille : les Apôtres. Ils ont beau être désagréables, et transmettre à Jésus une demande parfaitement contraire à ce qu’elle voulait, c’est quand même eux qui déclenchent la première réponse de Jésus. On notera donc que ce cléricalisme a, certes, un abord déplaisant, mais il demeure efficace. Jésus a répondu aux Apôtres… cependant la femme entendu sa parole et elle a compris. Malgré eux, malgré leur insuffisance voire leur bêtise, les Apôtres ont rempli leur fonction d’intercession.
 
Ainsi, la parole de Jésus est adressée formellement aux Apôtres et aux Juifs à travers eux : c’est d’abord pour eux que le Verbe s’est fait chair : ce sont bien à eux, les premiers – qui ont les Alliances –, à qui est annoncée l’Évangile de la Vie. Mais de ce fait, la parole de Jésus est en même temps audible à tous ceux qui ont des oreilles pour entendre, dont cette femme étrangère, païenne : la cananéenne.
 
Si donc elle veut être considérée elle aussi par Jésus comme une des brebis perdues de la maison d’Israël, alors elle doit le lui prouver en le reconnaissant comme Dieu. C’est ce qu’elle fait en se prosternant devant lui tout en l’appelant « Seigneur ». Sa parole : « Seigneur, viens à mon secours », est aujourd’hui reprise à l’ouverture de tous les offices chrétiens : « Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, viens vite à mon secours. » C’est dire si elle a marqué les Apôtres par son intensité.
 
Déjà à ce moment, Jésus a craqué, parce qu’il s’adresse maintenant directement à la femme. Il considère que, par son adoration, elle est comme entrée par effraction dans la maison de Dieu, pour y prendre le pain des fils de Dieu, exactement comme le ferait un chien ayant bon appétit, trouvant une assiette bien garnie sur une table. Ne nous y trompons pas : l’image partagée entre Jésus et la femme est très claire pour eux : il ne s’agit pas d’un pain ordinaire ; il s’agit de la vie même de Dieu. Un Chrétien y reconnaît l’eucharistie, la communion des saints, la gloire de Dieu.
 
C’est justement ce qu’a confessé la femme cananéenne. Jésus lui reproche de prendre le pain réservé aux fils. Elle lui répond que les chiens vivent eux aussi du même pain, même s’ils n’en reçoivent que les miettes. Elle reconnaît donc qu’il n’y a que dans ce pain que se trouve la Vie, la vraie Vie. Alors Jésus voit que non seulement elle s’est tournée vers lui pour l’adorer et l’appeler par son nom : « Seigneur », mais en plus elle a reconnu que c’est lui qui seul peut donner le pain de Vie, le pain de la Vie éternelle. Elle a fait une confession de foi complète, en parole et en actes. Par conséquent Jésus ne peut que lui accorder le fruit de sa prière : la guérison de sa fille.
 
Chers frères et sœurs, prions à l’image de la Cananéenne. Ne nous décourageons pas ; ne craignons pas de confier nos prières aux serviteurs de Dieu, parce que leur intercession est plus forte que leurs faiblesses ; et tâchons de nous adresser à Dieu de tout notre cœur en étant certains qu’en lui seul se trouve la vraie Vie et notre vrai bonheur.

jeudi 17 août 2023

15 août 2023 - CHARCENNE - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année A

 Ap 11,19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44 ;1 Co 15,20-27a ; Lc 1, 39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme chaque année, les lectures et l’évangile que nous écoutons nous impressionnent, quelquefois nous irritent, tellement les réalités qu’ils décrivent nous paraissent lointaines. Et pourtant... Nous devrions savoir que, dans les Écritures et dans les évangiles, la Bienheureuse Vierge Marie est la figure de l’Église par excellence. Nous pouvons à bon droit la chanter comme la « première en chemin », car nous sommes tous en elle comme ses enfants, et elle nous précède là où nous avons vocation d’être, c’est-à-dire au ciel.
 
Ainsi, nous voyons dans le livre de l’Apocalypse Marie qui enfante. Elle enfante évidement Jésus et le dragon rouge feu n’est autre que le roi Hérode, qui veut mettre à mort l’innocent. Nous savons que Jésus lui échappe. Et c’est bien lui, Jésus, qui, finalement, lors de son Ascension, détruisant toutes les puissances de mort, vient s’asseoir à la droite de Dieu son Père.
Cependant, par le baptême, Marie-Église nous enfante nous aussi, tous les baptisés, qui sommes frères et sœurs de Jésus, et ce depuis la Pentecôte jusqu’à la fin des temps. Et il est un autre dragon rouge feu qui veut aussi nous détruire. Car comme Jésus dérangeait les puissances de son temps, nous sommes aussi des signes de contradiction pour les idéologies de notre temps. Nier ou oublier qu’il existe de par le monde et en tous temps des puissances nuisibles à fuir ou à combattre, est faire preuve, sinon d’un angélisme irresponsable et coupable, en tous cas d’un assez sérieux manque de discernement.
 
Dans le psaume, nous retrouvons la jeune fille, parée de ses bijoux, qui vient se présenter devant le roi : c’est une jolie mariée attendue par son époux, qui entre dans son palais en procession. Mais bien sûr, c’est Marie qui en son Assomption fait son entrée dans le ciel, accompagnée de toutes les saintes femmes comme elle, qui lui font cortège. Et les anges. « Le roi sera séduit par ta beauté », et comment : Marie est l’Immaculée conception. Il n’y a en elle aucun péché : elle est toute sainte. Elle est resplendissante.
Bien évidemment, ce psaume chante aussi l’entrée dans les cieux de Marie-Église : cette joie dans le ciel éclate quand la foule des saints et des saintes de Dieu fait son entrée au fil des temps. N’oublions pas que nous sommes – chacun de nous – saints et saintes depuis notre baptême : nous avons été sanctifiés par le saint-chrême, nous avons reçu la lumière, nous avons revêtu le vêtement blanc de l’innocence. Certes, nous sommes parfois un peu ébréchés, mais Dieu ne retire jamais les dons qu’ils a faits. Saints nous le sommes et nous le seront toujours aux yeux de Dieu, même s’il faut faire un peu de confessionnal ou de purgatoire avant d’entrer à notre tour dans le palais du roi.
 
C’est là, dans leur maison, qu’en présence d’Elisabeth sa cousine et de Zacharie, que Marie chante le Magnificat. Elle exulte parmi les patriarches et les prophètes, représentés par Zacharie, et parmi toutes les saintes femmes d’Israël : Sara, Rachel, Léa, Déborah, Esther, mais aussi Marie-Madeleine, Anne, et Jeanne, et j’en oublie, représentées par Elisabeth. La maison de Zacharie est une figure du Temple de Jérusalem : elle est une figure du ciel.
Et il en va de même pour Marie-Église, qui exulte de joie dans les cieux, en présence de tous les saints et saintes de Dieu, et tous les anges et les archanges, et toutes les puissances des cieux. C’est ainsi que lorsque nous entrons en procession dans l’Église à la messe, que nous sommes réunis nombreux, que nous chantons de tout notre cœur des hymnes de joie et des psaumes, nous représentons l’Église du ciel : Marie-Église qui exulte de joie, c’est nous, à chaque messe.
 
Et le Magnificat dit qui nous sommes. Nous sommes les humbles serviteurs du Seigneur, parce qu’il a fait pour nous des merveilles. Devant la grandeur de son Nom, c’est-à-dire l’impressionnante puissance de sa divinité, nous sommes si petits, parfois si misérables. Mais c’est alors qu’il nous fait miséricorde : il prend soin de chacun de nous comme son bien le plus précieux, la perle de grand prix. Ainsi, si nous sommes méprisés, il nous grandit ; si nous avons faim, il nous rassasie ; si nous tombons, il nous relève, car, comme Marie est la Bien-aimée du Cantique des Cantiques, de même le Seigneur notre Dieu nous a aimé, nous aime et nous aimera toujours. Voilà l’Évangile.

lundi 14 août 2023

12-13 août 2023 - COURTESOULT - MOTEY-sur-SAÔNE - 19ème dimanche TO - Année A

 1R 19,9a.11-13a ; Ps 84 ; Rm 9,1-5 ; Mt 14,22-33
 
Chers frères et sœurs,
 
Après la mort de Jean-Baptiste, Jésus est allé se retirer dans les ruines où Jean résidait, près de Bethsaïde. À cet endroit, une foule nombreuse est venue le trouver, avec un double sentiment : trouver en lui un nouveau guide spirituel (et politique) après la mort de Jean, et comme il avait été désigné par Jean comme le Messie, porter Jésus au pouvoir : faire de lui le roi d’Israël.
Jésus a bien senti le premier sentiment – il voyait ce peuple comme un troupeau de brebis sans berger. C’est pourquoi il a nourri les foules par son enseignement et par la multiplication des pains. Mais il a bien perçu également le second sentiment, par lequel les foules voulaient faire de lui le roi. Et c’est pourquoi, il ordonne à ses disciples de partir, et lui-même – après avoir congédié les foules – s’échappe seul dans la montagne. Arrive alors l’épisode que nous avons entendu.
 
Si on s’arrête au miracle lui-même de Jésus marchant sur les eaux, et avec l’arrière-fond matérialiste qui est le nôtre, nous risquons d’en arriver à la conclusion de saint Thomas à propos des apparitions : « si je ne le vois pas marcher sur les eaux, non je ne croirais pas ! » Et pourtant, il s’agit exactement du même problème. Car nous devons lire cet évangile en pensant en même temps à la Résurrection de Jésus.
Ainsi, quand Jésus envoie ses Apôtres en bateau sur la mer déchaînée, c’est comparable au temps où les mêmes Apôtres sont réunis au Cénacle, enfermés par peur des Juifs. Pendant ce temps Jésus part seul dans la montagne, comme Jésus, mort sur la croix, échappe à notre vie terrestre et disparaît dans le mystère de Dieu. C’est vers la fin de la nuit que Jésus vient en marchant sur la mer, comme c’est aux premières lueurs de l’aube que Jésus se manifeste ressuscité, piétinant les abîmes de la mort.
La réaction des disciples est la même, que ce soit sur le lac ou au Cénacle : « C’est un fantôme ! », disent-ils. Et Jésus leur répond la même chose : « C’est moi, n’ayez pas peur. » Là où Thomas ne croyait pas et voulait toucher les plaies de Jésus, ici c’est Pierre qui veut faire le test de la réalité : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir avec toi sur les eaux. » Saint Pierre veut faire – déjà ici-bas – l’expérience de la vie future qui est au-delà de la mort. Et Jésus l’appelle : « Viens ! »
Où l’on s’aperçoit que, si Jésus le veut, s’il y appelle, il peut donner à n’importe lequel d’entre nous des facultés qui dépassent les lois naturelles, des facultés qui proviennent directement du monde à venir, du Règne de Dieu. C’est ainsi par exemple qu’il appelle tel ou tel à être évêque, prêtre, et qu’il lui confie la faculté de célébrer et d’administrer les sacrements, qui sont des réalités du monde à venir. Pour certains, ce sont des symboles, pour d’autres des signes, mais pour un chrétien, ce sont des réalités de la vie future qui viennent déjà, par anticipation, illuminer et donner la vie divine en ce vieux monde.
Mais saint Pierre se met à douter : il a peur. Il a peur de la force du vent. Comme Thomas a douté. En fait Pierre se met à mourir : il s’enfonce dans les abîmes de la mer. C’est pourquoi Jésus le prend par la main, comme il avait pris la petite fille de Jaïre par la main et lui avait dit « Talitha qoum » : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et il le ressuscite. Jésus monte dans la barque – il est présent en elle – et le vent tombe : il se fait une grande paix et les Apôtres adorent Jésus parce qu’il est vraiment le Fils de Dieu. Comme au Cénacle Jésus enseigne ses disciples quarante jours, et après vient le don de l’Esprit Saint, qui leur donne – avec le cœur en paix et malgré toutes les contradictions – la force de proclamer l’Évangile de Jésus-Christ Fils de Dieu par toutes les nations.
 
Chers frères et sœurs, vous l’avez compris, l’épisode de la marche sur les eaux est une répétition générale des apparitions de Jésus ressuscité. Les deux événements s’éclairent et se comprennent l’un par l’autre. Et là je dois donner deux petites précisions de vocabulaire, pour montrer à quelle profondeur cet évangile nous renvoie.
Le texte dit : « Il gravit la montagne à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. » En araméen, « le soir venu » se dit « il y eut un soir », exactement comme dans ce verset de la Genèse : « Dieu appela la lumière “jour”, il appela les ténèbres “nuit”. Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. » La nuit de la mort et de la résurrection de Jésus, est comparable à la nuit du premier jour de la Création. La résurrection est une création nouvelle, c’est pourquoi les capacités physiques nouvelles de Jésus dépassent les lois de la nature de la vieille création.
Un peu plus loin, nous avons : « Mais, voyant la force du vent, Pierre eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : “Seigneur, sauve moi !” » Mais quelle est cette force du vent dont Pierre a eu peur ? En araméen, elle renvoie à deux réalités : la première est la force, la puissance des eaux du Déluge. On comprend que, humainement, Pierre ne pouvait pas lutter. La seconde réalité à laquelle renvoie la force du vent est la dureté, la lourdeur des péchés. Et ils s’agit de ceux de Sodome et de Gomorrhe. Là aussi, humainement, que faire ?
La force du vent dont Pierre a eu peur est donc l’abomination des péchés qui transforment la mer paisible et poissonneuse de ce monde en un abîme de mort. Sauf à remonter vite-fait dans le bateau, qui lui-même résiste difficilement à la tempête, il faut à Pierre, pour se maintenir, le courage de la foi en la présence réelle et toute-puissante de Jésus-Christ, dans le bateau – c’est-à-dire l’Église – et par tout l’univers. Puisque c’est en présence de Jésus – et lui seul – que le vent tomba.

dimanche 6 août 2023

05-06 août 2023 - VEREUX - GRAY - Transfiguration du Seigneur - Année A

Dn 7,9-10.13-14 ; Ps 96 ; 2P 1,16-19 ; Mt 17,1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
Six jours avant la Transfiguration, Jésus avait enseigné à ses disciples qu’il était le Fils de l’homme, le Christ, le fils du Dieu vivant, qui va manifester son règne. Mais avant cela, il fallait qu’il souffre beaucoup, qu’il soit tué et qu’au troisième jour il ressuscite, ce qui avait suscité l’incompréhension de Pierre. Et Jésus avait dit : « Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son Règne. » Nous y sommes.
En effet, lors de la Transfiguration, Jésus se manifeste à Pierre, Jacques et Jean tel qu’il est réellement : il est « le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles ; il est Dieu né de Dieu, lumière né de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ». Jusqu’à présent ces Apôtres le connaissaient comme homme. Maintenant ils vont le connaître comme Dieu.
 
De même que Dieu avait fait monter Moïse et Elie au Mont Horeb, Jésus fait monter Pierre, Jacques et Jean sur une haute montagne, pour y vivre la même rencontre : celle du Dieu vivant. En effet, ils font la même expérience : la rencontre avec un personnage éblouissant, tel que le visage de Moïse en était brûlé, tel que Elie ne pouvait le voir que de dos, car nul ne peut voir la face de Dieu sans mourir.
La traduction liturgique parle de la « transfiguration » de Jésus. Dans l’hébreu ou l’araméen, on lit que « l’apparence de sa face fut changée. » Or le terme « apparence » est technique. Il est toujours employé quand Dieu se manifeste : l’homme ne voit que l’« apparence » de Dieu, et ne le reconnaît pas immédiatement, sauf à mourir, justement. Ainsi par exemple, il n’est pas étonnant que Marie-Madeleine ne reconnaisse pas immédiatement Jésus ressuscité – elle en voit l’apparence – et elle ne l’identifie vraiment que quand il lui parle. De même saint Paul est ébloui sur le chemin de Damas : « Qui es-tu Seigneur ? » Il n’en voit que l’apparence, et il n’identifie Jésus que quand celui-ci lui répond : « Je suis celui que tu persécutes. »
Pour que l’homme reconnaisse Dieu dans l’apparence par laquelle il se manifeste, il faut que Dieu se dévoile : il faut qu’il parle et dise qui il est. Et c’est pourquoi, on entend la voix qui dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Alors là les choses deviennent très claires : Jésus, dans son apparence éblouissante, est Dieu. Il est réellement Dieu. Le résultat sur Pierre, Jacques et Jean est automatique : ils tombent face contre terre et ils meurent de peur, car ils ont vu Dieu. Nul ne peut voir Dieu sans mourir. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’à la fin Jésus vient, les touche et leur dit « relevez-vous », exactement comme il a saisi la main de la petite fille de Jaïre, et lui avait dit : « talitha koum », pour la ressusciter d’entre les morts.
On s’aperçoit ici que connaître Dieu, en avoir l’intelligence, revient à être illuminé par lui, à entendre sa Parole, et d’une manière ou d’une autre, à mourir et être ressuscité par lui : c’est un baptême.
 
Je voudrais faire encore deux observations.
 
La première concerne les tentes que Pierre veut dresser pour abriter Jésus, Moïse et Elie. À proprement parler, elles ne sont pas en toile, comme les celles des bédouins dans le désert. Mais il s’agit de huttes, de cabanes faites de branchages, juste pour avoir de l’ombre et s’abriter du soleil.
Or, depuis l’Exode et encore aujourd’hui les Juifs célèbrent la fête des tentes (soukkôt) pour laquelle ils bâtissent des cabanes. Il s’agit de rendre grâce après les récoltes pour demander à Dieu la bénédiction de la pluie ; et – en bâtissant une maison pour célébrer Dieu – de rappeler que c’est Dieu lui-même qui bâtit sa maison pour y habiter : la Demeure, ou le Temple. D’ailleurs, d’après le vocabulaire utilisé dans les Écritures, l’ombre des branchages de la hutte est la même que celle des ailes des chérubins qui protègent l’Arche d’alliance, dans la Tente de la rencontre, ou le Temple de Jérusalem.
Quand on est chrétien, et à la lumière du geste de Pierre, nous voyons bien que son désir de bâtir des huttes déclenche l’arrivée de la pluie, de la nuée, c’est-à-dire la venue de l’Esprit Saint vivifiant. Et justement, cette nuée, comme les ailes des chérubins, les couvre tous de son ombre : parce que Jésus est la véritable Présence de Dieu, qui demeure sur l’Arche d’alliance. Ainsi, si Pierre voulait bâtir un temple en branchages pour rendre grâce à Dieu, Dieu lui-même lui répond que le véritable Temple n’est autre que Jésus-Christ, qui se construit, à l’ombre de l’Esprit Saint, en écoutant et en mettant en pratique sa Parole. Ce Temple, c’est l’Église, en laquelle réside la Présence de Dieu.
 
La seconde observation est plus brève. Lorsqu’on écoute le témoignage du prophète Daniel, auquel on pourrait ajouter celui de Moïse, celui d’Elie, celui d’Ézéchiel et bien d’autres prophètes d’Israël, et le témoignage de Pierre, auquel on pourrait ajouter celui de Paul, de Marie-Madeleine et bien d’autres saints, nombreux sont ceux qui ont reçu la grâce de la vision de la gloire de Dieu, comme à la Transfiguration. Cela veut dire que c’est également possible pour chacun de nous. Et cela l’est déjà à chaque sacrement célébré, pourvu que l’Évangile soit annoncé dans son entière vérité, afin que ceux qui y participent voient, soient illuminés, et croient.

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