Is
56,1.6-7 ; Ps 66 ; Rm 11,13-15.29-32 ; Mt 15,21-28
Chers
frères et sœurs,
Une
exégèse un peu rapide, non dénuée d’idéologie à la mode, pourrait nous faire
croire que c’est par la seule force de son caractère, surmontant l’abominable
cléricalisme des Apôtres, que la femme Cananéenne a obtenu de Jésus ce qu’elle
voulait, à savoir qu’il guérisse sa fille. Après tout, sainte Catherine de
Sienne, qui n’hésitait pas à remonter les bretelles au pape, s’adressait aussi
à Dieu dans sa prière en lui disant « Je veux »… Mais ici les choses sont quand même un peu
plus subtiles.
Saint
Matthieu, qui rapporte cette histoire écrit son évangile à l’attention de juifs
devenus chrétiens. Il s’agit notamment de leur expliquer pourquoi et de quelle
manière les païens peuvent aussi vivre de la vie éternelle, peuvent communier
au pain de Vie. En effet, le salut en Jésus-Christ n’est pas réservé au seul
peuple d’Israël, mais, comme l’avait déjà prophétisé Isaïe, tous ceux qui
s’attacheront au Seigneur pour honorer et aimer son Nom, qui deviendront ses
serviteurs, pourront accéder à sa montagne sainte, à son Temple. Et leurs
sacrifices – c’est-à-dire leurs prières – seront exaucés.
Nous
pouvons observer ce mouvement de conversion chez la femme cananéenne. Tout
d’abord elle s’adresse à Jésus comme Fils de David, c’est-à-dire comme roi
d’Israël. Elle croit qu’il est comme le roi de France, qui a le pouvoir de
guérir des écrouelles. Autrement dit, elle le prend pour un simple guérisseur.
À cette façon de voir Jésus ne répond même pas : il se fait un grand
silence.
La
femme trouve alors la faille : les Apôtres. Ils ont beau être
désagréables, et transmettre à Jésus une demande parfaitement contraire à ce
qu’elle voulait, c’est quand même eux qui déclenchent la première réponse de
Jésus. On notera donc que ce cléricalisme a, certes, un abord déplaisant, mais
il demeure efficace. Jésus a répondu aux Apôtres… cependant la femme entendu sa
parole et elle a compris. Malgré eux, malgré leur insuffisance voire leur
bêtise, les Apôtres ont rempli leur fonction d’intercession.
Ainsi,
la parole de Jésus est adressée formellement aux Apôtres et aux Juifs à travers
eux : c’est d’abord pour eux que le Verbe s’est fait chair : ce sont
bien à eux, les premiers – qui ont les Alliances –, à qui est annoncée
l’Évangile de la Vie. Mais de ce fait, la parole de Jésus est en même temps
audible à tous ceux qui ont des oreilles pour entendre, dont cette femme
étrangère, païenne : la cananéenne.
Si
donc elle veut être considérée elle aussi par Jésus comme une des brebis
perdues de la maison d’Israël, alors elle doit le lui prouver en le
reconnaissant comme Dieu. C’est ce qu’elle fait en se prosternant devant lui
tout en l’appelant « Seigneur ». Sa parole : « Seigneur,
viens à mon secours », est aujourd’hui reprise à l’ouverture de tous
les offices chrétiens : « Dieu, viens à mon aide ; Seigneur,
viens vite à mon secours. » C’est dire si elle a marqué les Apôtres par
son intensité.
Déjà
à ce moment, Jésus a craqué, parce qu’il s’adresse maintenant directement à la
femme. Il considère que, par son adoration, elle est comme entrée par
effraction dans la maison de Dieu, pour y prendre le pain des fils de Dieu, exactement
comme le ferait un chien ayant bon appétit, trouvant une assiette bien garnie sur
une table. Ne nous y trompons pas : l’image partagée entre Jésus et la
femme est très claire pour eux : il ne s’agit pas d’un pain ordinaire ;
il s’agit de la vie même de Dieu. Un Chrétien y reconnaît l’eucharistie, la
communion des saints, la gloire de Dieu.
C’est
justement ce qu’a confessé la femme cananéenne. Jésus lui reproche de prendre
le pain réservé aux fils. Elle lui répond que les chiens vivent eux aussi du
même pain, même s’ils n’en reçoivent que les miettes. Elle reconnaît donc qu’il
n’y a que dans ce pain que se trouve la Vie, la vraie Vie. Alors Jésus voit que
non seulement elle s’est tournée vers lui pour l’adorer et l’appeler par son
nom : « Seigneur », mais en plus elle a reconnu que c’est
lui qui seul peut donner le pain de Vie, le pain de la Vie éternelle. Elle a
fait une confession de foi complète, en parole et en actes. Par conséquent
Jésus ne peut que lui accorder le fruit de sa prière : la guérison de sa
fille.
Chers
frères et sœurs, prions à l’image de la Cananéenne. Ne nous décourageons pas ;
ne craignons pas de confier nos prières aux serviteurs de Dieu, parce que leur
intercession est plus forte que leurs faiblesses ; et tâchons de nous
adresser à Dieu de tout notre cœur en étant certains qu’en lui seul se trouve
la vraie Vie et notre vrai bonheur.