mercredi 27 avril 2022

24 avril 2022 - CHARCENNE - 2ème dimanche de Pâques - Année C

 Ac 5,12-16 ; Ps 117 ; Ap 1, 9-11a.12-13.17-19 ; Jn 20,19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Évangile se présente à nous comme trois étages d’une fusée. Le premier est celui des événements qui se sont déroulés à l’époque de Jésus, sans lesquels on ne peut rien dire. Le second est celui de la signification de ces événements, signification telle que l’ont comprises les Apôtres et les Évangélistes. Et au troisième, nous trouvons les conséquences que cette signification a pour nous, pour notre vie.
 
Je passe rapidement sur le premier étage, en signalant simplement que Jean est un témoin direct, qui a vécu avec Jésus. La critique historique ne l’a jamais pris en défaut quand elle a pu établir des éléments de comparaison tant littéraires qu’archéologiques. Cela nous suffit donc pour faire confiance à son récit.
 
Passons maintenant au second étage : comme tous les évangélistes, saint Jean a compris l’enseignement et les actes de Jésus, ainsi que sa personnalité, à la lumière des Écritures. Nous devons donc nous servir d’elles comme d’une clé de lecture pour mieux comprendre son témoignage.
 
Ainsi, comme dimanche dernier, le « premier jour de la semaine » doit être lu comme le « jour un », c’est-à-dire la mémoire du premier jour de la Création, où la Lumière fut. On remarquera aussitôt que Thomas rencontre Jésus « huit jour plus tard », selon notre texte. Mais la version araméenne dit : « Le jour un de la semaine suivante ». Cela veut dire que chaque dimanche est le « jour un » : chaque dimanche est un écho du jour de la résurrection, du jour de la nouvelle création. Donc aujourd’hui aussi.
 
Poursuivons : Jésus arrive alors que les portes du lieu où les Apôtres se trouvent sont « verrouillées ». Il dit : « La paix soit avec vous » et « Les disciples sont remplis de joie ». Saint Jean évoque des détails importants et utilise des expressions qu’on rencontre ailleurs dans les Évangiles, ceci pour nous signaler qu’à travers les évènements visibles se trouve une réalité cachée, très intense et très importante. Souvenez-vous : quand des hommes ont-ils été remplis de joie tandis qu’on leur annonçait la paix, et qu’il était pourtant impossible que Jésus leur apparaisse ? Hé bien c’est à Noël ! Il était impossible en effet qu’il naisse un enfant à une Vierge, mais lorsque les anges ont chanté « Gloire à Dieu et paix aux hommes sur la terre », les bergers ont exulté de joie en contemplant le nouveau-né. Le miracle de Pâques, où la vie nouvelle se manifeste, est semblable à celui de Noël : c’est une nouvelle naissance extraordinaire, et c’est aussi – nous l’avons vu – une nouvelle création.
 
Lorsque saint Jean rédige son évangile, il travaille donc en même temps avec ses souvenir de Jésus et son livre de la Genèse. La suite est remplie d’allusions. Ainsi, Jésus, après avoir déclaré « envoyer » ses Apôtres – tout en sachant que jusqu’alors, il n’y a que Dieu qui avait « envoyé » des prophètes, mais jamais des hommes n’avaient envoyé d’autres hommes – ainsi Jésus souffle sur eux. Ce souffle est celui du Dieu créateur qui donne vie à l’homme, comme autrefois Dieu à Adam, modelé de terre. Ainsi aujourd’hui, par le souffle de Jésus se trouve dans les Apôtres, envoyés par lui, le souffle de la vie éternelle, celui de la vie de la résurrection. Mais voilà… Thomas n’est pas là !
 
Saint Jean a la curieuse manie de vouloir nous traduire ce nom – « jumeau » – à chaque fois ou presque, alors qu’il ne le fait pas pour les autres disciples. Pourquoi ? Probablement parce que le sens de ce nom se trouve dans le Cantique des Cantiques où il signifie, dans les odeurs de l’amour, plénitude et perfection. Alors Thomas manque à l’appel, certes, mais son retard permet providentiellement à Jésus de montrer à ses Apôtres jusqu’où va la profondeur de son amour, de sa miséricorde, dont la perfection est la définition même de la sainteté.
 
Thomas ne veut pas croire tant qu’il n’a pas mis son doigt dans la marque des clous, sa main dans le côté de Jésus. Là aussi, on ne comprend pas si on n’a pas, comme saint Jean, le livre de la Genèse sous le coude. Ce que veut faire Thomas, c’est étendre sa main vers l’Arbre de vie qui est dans le Jardin. Il ne veut pas croire que le Paradis est enfin là, s’il ne peut pas y toucher. Or, là où Dieu avait interdit à Adam et Eve de toucher à l’arbre de vie, aujourd’hui Jésus invite Thomas à en goûter les fruits. Car là où Eve avait pris vie du côté d’Adam, aujourd’hui c’est du côté de Jésus que l’Église prend vie. La blessure de Jésus où sort de l’eau et du sang est certes guérie, car Jésus est ressuscité, mais elle est toujours vive, car de son côté ouvert sort éternellement l’eau et l’Esprit qui régénèrent, par le baptême et l’Eucharistie, ceux qui deviennent croyants.

Pauvre et bienheureux Thomas, qui a dû tomber à genoux devant Jésus, car voilà toute son espérance réalisée ! L’espérance de tout Israël depuis Abraham, Moïse et les Prophètes est réalisée : aujourd’hui « jour un », l’arbre de vie, la source de la vie éternelle, est devenue accessible à tout homme.
 
Et c’est bien ce par quoi termine saint Jean – qui sera le troisième étage de notre fusée et notre conclusion : Avec beaucoup de précision, Jean a rédigé ce récit pour qu’aujourd’hui, à notre tour, nous puissions croire en Jésus Fils de Dieu – et surtout, pour qu’étendant nos mains et nos cœurs vers la source des sacrements, nous puissions accéder nous aussi à la Vie éternelle en son Nom. Telle est la volonté amoureuse et miséricordieuse de Dieu, pour toute l’humanité, et la mission de son Église. 

dimanche 17 avril 2022

17 avril 2022 - BUCEY-lès-GY - Saint Jour de Pâques - Année C

 Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117 ; Col 3,1-4 ; Seq. ; Jn 20,1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme à l’accoutumée, en préparant mon homélie cette nuit sur l’évangile de ce jour, j’ai parcouru l’antique version araméenne qui a été retrouvée il y a quelques dizaines d’années au Monastère Sainte-Catherine du Mont Sinaï.
 
J’y ai appris que lorsque nous lisons en français : « Le premier jour de la semaine », l’araméen nous donne : « Le jour un de la semaine. » Cette manière de parler n’est pas simpliste, mais elle renvoie directement au premier jour de la création, dans le livre de la Genèse : le « jour un », est celui – vous le savez bien – de la création de la lumière, que Dieu sépara des ténèbres.
Ainsi, le jour de la résurrection de Jésus est celui d’une nouvelle création où l’humanité devient possiblement bénéficiaire de la vie divine éternelle, vie séparée des ténèbres de la mort.
 
Un peu plus loin, nous lisons en français que, Jean étant arrivé le premier au tombeau, « en se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ». La version araméenne nous dit : « Et il observa ; il vit les tissus de lin qui étaient mis là. » Le verbe « observer » qui a été utilisé se retrouve un peu plus loin, quand Marie-Madeleine pleure assise au bord du tombeau : « elle observait le tombeau » Or, ce même verbe est employé dans le Cantique des Cantiques pour signifier le regard amoureux du bien-aimée et de la bien-aimée.
Ainsi, que ce soit Jean – dont nous savons qu’il est le disciple bien-aimé de Jésus – ou que ce soit Marie-Madeleine, dont nul ne doute de l’affection pour Jésus, tous entretiennent avec lui une relation qui passe davantage par le cœur que par le cerveau. C’est une leçon pour nous : si nous voulons connaître Jésus vivant, il nous faut d’abord apprendre à l’aimer. Alors lui-même se révélera bientôt à nous, comme il le fera juste après pour Marie-Madeleine, et pour Saint Jean, avec les autres Apôtres, au Cénacle.
 
Un peu plus loin, notre évangile dit que Pierre « s’aperçoit que les linges sont posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus ». Dans l’araméen, le terme qui a été traduit en français par « suaire » est le même que celui qui désigne le voile dont Moïse se couvrait la face après s’être entretenu avec le Seigneur tant au Mont Horeb que dans la Tente de la Rencontre. Il cachait son visage, car il devenait alors rayonnant – comme à la Transfiguration. Il était éblouissant. Cela est raconté au Livre de l’Exode.
Ainsi nous apprenons que, pour les chrétiens les plus proches de la réalité historique, les chrétiens de langue araméenne, ce suaire était marqué par le visage rayonnant de Jésus. Lorsqu’on connaît les caractéristiques d’exposition de l’image du Saint-Suaire de Turin et du Voile d’Oviedo, on est d’autant plus invité à observer ce mystère avec le cœur. Et pourquoi pas avec l’intelligence également.
 
Je pourrai continuer à faire des comparaisons entre nos deux versions de l’Évangile. Mais ces trois exemples suffisent pour ce que je veux dire maintenant. La foi chrétienne est fondée d’une part sur les Écritures – l’Ancien Testament – ici la Genèse, le Cantique des Cantiques et l’Exode, et d’autre part sur la réalité historique. L’Évangile de Jean n’est pas un roman, ni une fiction, ni une légende, mais un témoignage qui se veut véridique, pour que nous qui sommes éloignés dans l’espace et le temps, nous puissions croire à notre tour en Jésus ressuscité. Et bien sûr, la foi chrétienne est un don de Dieu, qui nous transperce le cœur et l’intelligence quand Jésus vivant se fait connaître à nous et que nous comprenons que l’Écriture et l’Évangile disent vrai.
 
Évidemment, si la résurrection de Jésus est une réalité, qui a même une dimension physique – et c’est bien le cœur de notre foi chrétienne – alors notre perception de l’univers et de nous-mêmes change radicalement. Et nous comprenons, et nous savons, que tous les sacrements sont des actes réels de Jésus lui-même aujourd’hui. Le baptême fait vraiment entrer dans sa vie nouvelle ; la confirmation est vraiment une purification et une consécration qui nous permettent d’accéder à Dieu, et l’eucharistie est vraiment une communion au corps et au sang de Jésus, c’est-à-dire à la vie divine. Tel est le cadeau inestimable que les parents de Tom et Léo, et de Maxine, veulent leur offrir aujourd’hui : bénis soient-ils !
 
 
 

16 avril 2022 - VELLEXON - Vigile Pascale - Année C

 Gn 1,1-2,2 ; Ps 103 ; Ex 14,15-15-1a ; Ct Ex 15 ; Is 54,5-14 ; Ps 29 ; Rm 6,3b-11 ; Ps 117 ; Lc 24,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Que faisons-nous ici, ce soir, dans cette église ? Nous célébrons en même temps la plus grande fête juive et la plus grande fête chrétienne : Pâques. Pâques, libération d’Égypte et constitution d’Israël ; Pâques, résurrection de Jésus d’entre les morts et naissance de l’Église.
Pâques est une création nouvelle dans l’univers. Création tellement éblouissante, tellement bouleversante, tellement intelligente, tellement bonne et tellement réelle, qu’on en reste aveuglés, sans voix, tremblants et même prosternés.
Et comme nous n’avons pas les mots pour dire cette création nouvelle, il ne nous reste que le chant, la poésie, les gestes, nos cinq sens : ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on sent, ce qu’on touche, et ce qu’on goûte. Dans le langage savant, tout cela s’appelle la liturgie : la célébration de Pâques, avec toujours le même rituel, les mêmes chants, les mêmes bougies, les mêmes fleurs, le même encens, les mêmes prières, les mêmes vêtements blancs, tout quoi. Tout cela pour dire avec des mots et sans mots cette création nouvelle de Dieu dans l’univers.
 
Sans le savoir, et même sans le faire exprès, simplement parce que nous sommes ici, nous conservons dans tout l’univers la mémoire de cette création de Dieu : la création du premier jour, la création du Peuple de Dieu à la sortie d’Égypte, la création de l’homme nouveau ressuscité des morts, au matin de Pâques, la création de l’Église qui est déjà la communion des saints, avec un pied sur la terre et un pied dans le ciel.
À partir de cette liturgie de Pâques, qui est la mémoire de l’action créatrice de Dieu dans l’univers, on peut réfléchir, faire de la théologie, écrire des sermons. Jamais notre intelligence n’arrivera à tout dire de ce que dit la liturgie, qui elle-même n’arrive pas à tout dire du grand mystère de la vie créatrice de Dieu.
Mais la connaissance de ce mystère nous fait nous réunir, nous qui le partageons comme un trésor précieux, et nous fait agir, nous qui pensons qu’il est un appel à une vie meilleure, une vie plus intense, une vie plus belle. Alors nous nous rassemblons en Église, que nous organisons pour vivre et transmettre aux enfants ce trésor précieux. Nous créons des diocèses, des paroisses, des équipes pastorales et des catéchistes.
Nous organisons aussi notre vie quotidienne par le calendrier liturgique : Pâques en premier, bien sûr, mais aussi le Carême et le Temps pascal, Noël et l’Avent. Et puis tous les dimanches, qui sont comme des petites Pâques, des petits cailloux sur le chemin, pour nous rappeler Pâques et nous préparer à Pâques. Oserai-je dire que les dimanches sont un peu comme des doses de rappel… !? Mais chaque messe, chaque office du matin, du midi, du soir, nos prières au lever et au coucher sont autant de petites lumières qui nous rappellent chaque jour, et presque à chaque heure, la grande lumière de Pâques, la grande lumière du mystère de Pâque, la grande lumière du grand mystère de la vie créatrice de Dieu.
 
Alors, évidemment, quand on pense l’univers, la société, sa famille, et sa propre vie – y compris sa vie quotidienne – à la lumière de ce grand mystère de la vie de Dieu, on pense différemment de ceux qui ne le connaissent pas. On n’est pas câblé pareil. Du coup, on agit différemment et on vit différemment. Déjà, ce soir nous ne sommes pas devant la télé, ni dans une boîte de nuit, ni en train de jouer à un jeu vidéo... Car nous sommes là pour nous remplir les yeux et le cœur, l’intelligence et la mémoire, du grand mystère de Pâques pour vivre mieux, pour vivre heureux, pour devenir des saints.
C’est dire que le grand mystère de la vie créatrice de Dieu, non seulement est à l’origine de l’univers, puis d’une transformation de cet univers, pour que notre vie humaine y soit rendue éternelle et sainte, mais aussi il est à l’origine du Peuple de Dieu, du Peuple d’Israël et de l’Église du ciel et de la terre, aujourd’hui civilisation particulière, et demain communion de vie. Tout cela est dans la liturgie de Pâques, où tout semble fait pour des enfants ! Mais en fait, c’est un germe, le germe de ce qui est beau, tout ce qui est bon, tout ce qui est vrai, de tout ce qui est réellement vivant, tout dans tout l’univers.
 
Si jamais un jour les Juifs s’arrêtaient de fêter Pâques, et plus encore si les Chrétiens s’arrêtaient de fêter Pâques, la lumière Dieu s’éteindrait pour tous les hommes dans tout l’univers : plus rien. On reviendrait à la Guerre du feu. Sans lumière pour les yeux et sans espérance pour le cœur.
Mais non, nous sommes ici, ensemble, autour de la lumière de Pâques ; et comme nos ancêtres, comme les premiers chrétiens, comme les Juifs avec eux et avant eux, nous célébrons Pâques.
Pâques, lumière du premier jour de la création et gloire du Dieu Vivant ; Pâques, colonne de feu dans la nuit pour guider le Peuple d’Israël et lumière du grand chandelier du Temple, marquant la présence toujours fidèle du Seigneur ; Pâques, pointe de l’Aurore de la Résurrection et premier Jour de la vie éternelle, Pâques, lumière éblouissante des anges et joie des chrétiens ; Pâques, lumière du cierge de notre baptême et de nos vêtements blancs ; Pâques, pierres précieuses de la Jérusalem céleste et couronne royale de la Bienheureuse Vierge Marie. 
Pâques, l’écrin de la Vie éternelle, que nous recevons dans nos mains du Bon Dieu. 
Bonne fête de Pâques !

15 avril 2022 - VELLEXON - Vendredi Saint - Célébration de la Passion - Année C

 Is 52,13-53,12 ; Ps 30 ; Hb 4,14-46 ;5,7-9 ; Jn 18,1-19,42
 
Cher frères et sœurs,
 
Il n’est pas possible de tout dire sur la Passion de Jésus. Elle est comme un mystère éclatant qui impressionne notre regard, une source vitale qu’il est impossible d’épuiser. On ne peut donc qu’en parler par bribes, comme à tâtons. Cette année, j’ai été attiré par la trois sujets : le rapport à l’Écriture, le reniement de Pierre, et l’actualité perpétuelle de la Passion. Ce sera bref. Je ne fais qu’esquisser des pistes de méditation.
 
Il était important pour les premiers chrétiens de montrer que Jésus, même dans sa Passion, accomplissait les Écritures. Car beaucoup de gens pensaient que sa mort signifiait surtout son échec. Ou d’autres pensaient ce Jésus était un personnage insignifiant, et sa mort également. Au contraire, les Écritures – c’est-à-dire pour nous l’Ancien Testament – annonçaient déjà avec puissance qui était vraiment Jésus et ce qui lui arriverait.
Si nous voulons vraiment comprendre la Passion de Jésus, nous ne pouvons pas faire autrement que de nous plonger dans les Écritures. Et c’est d’ailleurs ce qu’a fait Jésus avec les disciples d’Emmaüs, qui étaient dépités en revenant de Jérusalem. Et c’est ce que nous avons fait quand nous avons lu le Livre d’Isaïe et le Psaume. Nous avons plongé dans les Écritures.
Les Écritures nous apprennent ou nous rappellent que Jésus est roi, fils de David, Messie sauveur et Seigneur, c’est-à-dire Dieu. Et que sa Passion n’est pas un échec, mais un office sacerdotal pour le rachat des péchés du monde par l’offrande de sa vie. D’ailleurs, lorsque, au moment de rendre le dernier souffle, Jésus dit « Tout est accompli », on peut le comprendre en araméen par « Tout est payé », « Tout est remboursé ».
En fin de compte, les Écritures nous conduisent à voir la Passion comme un négatif de pellicule photo. À première vue la Passion est le jugement de Jésus par les hommes : Dieu a été jugé et condamné à mort au tribunal des hommes. Mais en réalité, c’est l’inverse : par sa Passion Dieu a jugé l’humanité pécheresse, et il l’a acquittée : « Tout est payé. » Et pour preuve de cela, Jésus est ressuscité, a retrouvé sa place à la droite de son Père au ciel, et l’Esprit Saint a été répandu dans le monde. Finalement, lors de la Passion, qui juge qui ? Mais cela ne peut se comprendre que grâce aux Écritures.
 
Lorsque l’on observe la Passion, on est offusqués par l’attitude des Grands Prêtres, et nous leur faisons facilement porter le chapeau de la condamnation et de la mort de Jésus. Cela peut engendrer chez nous qui aimons Jésus une rancœur contre eux et les Juifs en général. Cela est arrivé, malheureusement, au cours de l’histoire, jusqu’au génocide. Nous le savons bien.
Mais lorsque l’observe Pierre, qui est – comme Caïphe l’était pour les Juifs – l’équivalent du Grand Prêtre pour les chrétiens, nous voyons que s’il ne condamne pas Jésus ouvertement, bien sûr, il y contribue malgré tout par la lâcheté de son reniement. Pierre s’écroule devant quelques grossiers personnages et même devant une petite servante. En réalité, nous aussi les chrétiens, nous avons contribué au jugement et à la condamnation de Jésus, au moins par omission. On a alors beau jeu de clouer au pilori les Grands Prêtres, pour nous exonérer de nos propres compromissions ! Malheureusement, cette attitude est tellement courante, et tellement répandue, et tellement d’actualité.
Mais Pierre a pleuré amèrement et Jésus ressuscité par trois fois lui a pardonné et l’a relevé. Nous voyons, ici aussi, combien le pardon des péchés obtenu par Jésus dans sa Passion a de l’effet sur un homme. Jésus ne l’a pas condamné, mais au contraire, dans son grand amour, il l’a sanctifié.
 
Nous arrivons à mon dernier point : l’actualité perpétuelle de la Passion. Les prophètes de l’Ancien Testament avaient annoncé la Passion de Jésus – certains l’ont même vécue par anticipation dans leur propre chair. Au temps de Jésus, durant la Passion elle-même, nous avons vu les comportements des uns et des autres : traitres, accusateurs, lâches, opportunistes, fidèles meurtris et discrets, hommes justes… et certains de leurs traits nous font penser à nous-mêmes, à tel ou tel moment de notre vie. Je veux dire par là que la Passion de Jésus n’est pas du passé : elle ne nous est pas étrangère.
Plus encore, si des hommes – les Prophètes – on vécu par anticipation certains aspects de la Passion, n'y-a-t-il pas aujourd’hui beaucoup d’hommes et de femmes qui subissent dans leur histoire ou dans leur chair les mêmes tourments ? Combien d’innocents injustement condamnés, violentés et tués aujourd’hui, et demain certainement ? Combien d’accusateurs malhonnêtes, de juges compromis, de lâches abandonnant leurs amis ou leurs proches ? La Passion de Jésus d’hier est aussi d’aujourd’hui.
Mais hier, aujourd’hui et demain, Jésus, épuisé sur la croix, nous le dit et nous le rappelle : « Tout est accompli – Tout est payé ». Il nous a sauvé. Et les portes du ciel – pour les pauvres pécheurs que nous sommes – vont bientôt s’ouvrir pour notre plus grand bonheur.

14 avril 2022 - VELLEXON - Jeudi Saint - Messe en mémoire de la Cène du Seigneur - Année C

Ex 12, 1-8.11-14, Ps 115, 1 Co 11, 23-26, Jn 13, 1-15
 
Chers frères et sœurs,
 
L’interprétation la plus courante de l’épisode du lavement des pieds est celle du service humble et généreux que le Seigneur nous invite à accomplir auprès de nos frères et sœurs.
Plus encore, comme nous l’a expliqué saint Jean, Jésus savait qu’il était sorti de Dieu pour s’abaisser jusqu’à nous et qu’il s’en allait vers Dieu pour nous y reconduire. Ainsi, son Incarnation et la Rédemption qu’il a opérée sont comme un grand lavement des pieds où Dieu s’agenouille devant l’humanité pécheresse pour la laver de son péché et lui permettre de se retrouver en union avec lui dans la joie d’un repas de fête. Et nous sommes appelés à reproduire ce même mouvement : aller chercher ceux qui sont loin, les guérir de leurs blessures multiples, et les ramener dans la communauté pour y retrouver la joie d’être ensemble dans une même communion.
Mais cette interprétation, déjà très importante pour notre vie chrétienne, n’est pas complète. Elle risque même d’être mal comprise et faire de nous de simple militants d’une association philanthropique ou humanitaire, en vue de créer une fraternité universelle. Vous me direz : « c’est déjà pas mal. » Certes, mais ce n’est pas suffisant, car Jésus a beaucoup plus d’ambition pour nous et pour toute l’humanité.
 
Comme souvent, dans l’Évangile, les détails matériels parlent autant que les actes et les paroles de Jésus. Lorsque nous lisons : « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. » nous comprenons – nous qui sommes merveilleux – que Jésus a pris une serviette, qu’il s’attache à la ceinture pour en faire un tablier, puis avec sa petite bassine, il va laver les pieds de ses disciples. En soit, rien de plus banal que de laver des pieds. Oui, mais non.
 
Jésus ne prend pas une serviette, mais un drap de lin fin – le tissus dont sont faits les vêtements des prêtres. Il ne se l’attache pas à la ceinture – c’est une mauvaise traduction – mais il ceint le drap « à ses reins ». Pour les Hébreux, c’est dans les reins des hommes que se trouve la semence de vie, le germe de vie. Saint Irénée a fait justement le lien entre l’épisode du lavement des pieds et ce passage du livre d’Isaïe : « Ce jour-là, le Germe que fera grandir le Seigneur sera l’honneur et la gloire des rescapés d’Israël, le Fruit de la terre sera leur fierté et leur splendeur. Alors, ceux qui seront restés dans Sion, les survivants de Jérusalem, seront appelés saints : tous seront inscrits à Jérusalem pour y vivre. Quand le Seigneur aura lavé la souillure des filles de Sion, purifié Jérusalem du sang répandu, en y faisant passer le souffle du jugement, un souffle d’incendie, alors, sur toute la montagne de Sion, sur les assemblées qui s’y tiennent, le Seigneur créera une nuée pendant le jour et, pendant la nuit, une fumée avec un feu de flammes éclatantes. Et au-dessus de tout, comme un dais, la gloire du Seigneur : elle sera, contre la chaleur du jour, l’ombre d’une hutte, un refuge, un abri contre l’orage et la pluie. »
Ainsi pour saint Irénée, le lavement des pieds est non seulement une purification de tout orgueil chez les Apôtres – la souillure des filles de Sion – mais aussi et surtout en eux la semence, qui sort des reins de Jésus, d’une assemblée sainte abritée par la nuée et les flammes, c’est-à-dire l’Église abritée par l’Esprit de Pentecôte. Cela valait le coup que Jésus attache le drap de lin autour de ses reins !
 
Mais continuons nos observations. Le bassin n’est pas une petite cuvette en plastique : saint Jean emploie un mot précis qui désigne la cuve en bronze située dans le Temple, entre l’autel des sacrifices et la Tente de la Rencontre, où les prêtres font leurs ablutions. Ainsi, dit le livre de l’Exode : « Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils entreront dans la tente de la Rencontre, ils se laveront avec l’eau, et ainsi ils ne mourront pas. Quand ils s’approcheront de l’autel pour officier, faire fumer une nourriture offerte pour le Seigneur, ils se laveront les mains et les pieds, et ainsi ils ne mourront pas. C’est là un décret perpétuel pour Aaron et sa descendance, de génération en génération. »
Nous comprenons donc que Jésus, tout en purifiant ses Apôtres de leur péché, fait d’eux des prêtres destinés à offrir un sacrifice au Seigneur – et ce sacrifice, bien sûr, est celui de l’Eucharistie.
 
Enfin, quand saint Jean dit que Jésus « lave » les pieds des Apôtres, il ne faut pas comprendre qu’il les « nettoie » mais qu’il les « embellis » : Jésus leur lave les pieds comme on fait son argenterie : pour les faire briller. Jésus les rend saints et glorieux. Et on pense immédiatement à ce verset du livre d’Isaïe : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Car ils sont beaux les pieds des Apôtres qui annoncent l’Évangile, bien sûr !
 
Alors évidemment, avec ces explications, le lavement des pieds prend une tout autre importance qu’un simple geste d’humble charité humaine. Il faut comprendre que, dans l’esprit de Jésus, il n’y a pas de séparation entre être bon berger et être prêtre, et que l’un est même la condition de l’autre. Dans le lavement des pieds, on trouve l’exigence d’humilité et de bonté qui est condition du sacerdoce des prêtres. Cependant, ce signe s’adresse également à tous ceux qui ont été configurés à Jésus prêtre, prophète et roi par leur baptême dans l’eau et l’Esprit Saint. Car tout acte de charité humble et véritable réalisé par un baptisé est en même temps un acte de prêtre, préparation d’une offrande spirituelle faite à Dieu. Telle est au regard de Dieu la vocation et la dignité des chrétiens, pour le bien de toute l’humanité, en vue de son retour dans la bienheureuse et éternelle communion de Dieu.

jeudi 14 avril 2022

10 avril 2022 - GY - Dimanche des Rameaux et de la Passion - Année C

 Lc 19,28-40
Chers frères et sœurs,

La procession des Rameaux qui ouvre la liturgie de ce dimanche de la Passion de Jésus ne peut vraiment se comprendre qu’en superposant cinq processions semblables.

La première est celle du rite traditionnel du couronnement du roi en Israël qui, après avoir reçu l’onction au Jourdain, monte à Jérusalem assis sur un âne, acclamé par les foules.

Ce rite est bien celui qu’accomplit Jésus, qui, après avoir reçu une onction à Béthanie des mains de Marie-Madeleine, monte aujourd’hui à Jérusalem sur un petit âne, acclamé par la foule de ses disciples. Jésus se présente donc en roi, et on comprend la fureur des pharisiens qui hurlent à la provocation.

Cette procession royale permet de comprendre les trois autres processions qui vont suivre.

La première est celle conduit Jésus du palais de Pilate jusqu’au Golgotha, où tout est inversé. Jésus n’est plus porté sur un âne, mais c’est lui qui porte la croix. La foule ne met plus des vêtements sur son chemin, elle ne l’acclame plus, mais elle lui crache dessus et le couvre d’injures. Les pharisiens ne veulent plus la faire taire, mais au contraire ils l’excitent encore davantage. Les disciples criaient de joie, et maintenant ils se cachent et se taisent. La procession du couronnement de Jésus est devenue celle de sa Passion, et son trône royal est devenu une croix de bois.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il reste encore deux autres processions. 

Il y a celle de l’Ascension, où Jésus ressuscité, sortant de son tombeau comme de l’eau du Jourdain, est élevé dans sa chair – comme sur un âne – pour monter dans la Jérusalem céleste, acclamé par les anges, et à la grande confusion des démons. C’est bien pour cela que saint Luc a écrit que les foules de Jérusalem criaient : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux », car c’est exactement ce que chantaient les anges pour la naissance de Jésus, à la grotte de Bethléem.

Alors vous comprenez maintenant le sens de la dernière procession, celle des Rameaux que nous célébrons aujourd’hui : car vous êtes le peuple de Dieu qui acclame son roi ; vous êtes la foule des disciples qui accompagne Jésus pour son entrée à Jérusalem ; et vous êtes les anges qui exultent de joie lors de son Ascension dans le ciel. Telle est la procession des Rameux qui nous fait passer de la terre au ciel et qui nous apprend à lire la Passion de Jésus avec les yeux de la foi, non pas comme une malédiction, mais comme une véritable bénédiction où le mal est transfiguré en bien. 

Maintenant, mettons-nous en route joyeusement, et avançons vers l’église, avançons vers le ciel, à la suite de Jésus, notre Seigneur.


Is 50,4-7 ; Ps 21 ; Ph2,6-11 ; Lc 22,14–23,56

Chers frères et sœurs,

Avec un grand recueillement, nous avons écouté de nouveau, comme chaque année, le grand récit de la Passion de Jésus. Mais pourquoi faisons-nous cela ?

D’abord parce que Dieu, notre Dieu, n’est pas un concept théorique : il est le Dieu vivant qui crée les conditions de possibilité de notre histoire, qui en fait partie et qui lui donne un sens. Non seulement à notre histoire humaine, mais aussi à notre histoire communautaire, et même à notre histoire personnelle. Une histoire sans la présence de Dieu, c’est un bateau sans quille, c’est une boussole qui n’a pas de Nord.
C’est donc bien pour cela qu’on se replonge chaque année dans l’histoire de Jésus –comme un GPS – pour recaler la nôtre sur la sienne et retrouver le bon chemin de la vie.

Mystérieusement, la Passion de Jésus que nous avons entendue, est une histoire difficile à entendre. C’est celle de la condamnation injuste et horrible d’un innocent. Et même, – si on s’arrêtait aujourd’hui sans aller jusqu’à Pâques, puis l’Ascension et la Pentecôte – ce serait une histoire qui se terminerait mal. Pourquoi donc se faire de la peine avec cette histoire ? 
D’abord parce que c’est la nôtre, à chacun. Nous le savons bien. Nous pouvons tous nous identifier tantôt à Jésus, tantôt aux disciples, tantôt aux foules, et même à Pilate et aux pharisiens ! Notre histoire humaine est souvent dramatique, on le voit sur tous les écrans de télé en ce moment. Jésus n’a pas fait semblant : il a assumé entièrement l’histoire des hommes, jusque dans la souffrance et jusqu’à la mort.
Mais son Père l’a-t-il voulu ainsi ? C’est une critique qui est souvent faite à la Passion de Jésus. Dieu a-t-il voulu cela ? Non, jamais le Père n’a voulu une telle mort pour son fils unique, son fils bien-aimé. Ce qu’il voulait, c’est l’amour. L’amour, qui consiste à tout donner et se donner soi-même. Et tout recevoir et se recevoir soi-même, de celui ou celle qu’on aime. Voilà ce que voulait le Père, parce que c’est la clé de la vie. 

Mais comment cela pouvait-il se faire pour Jésus ? Les hommes qui l’ont condamné ont décidé que cela passerait par la Passion et la crucifixion. Et Dieu s’y est soumis par amour pour eux. Le Père leur a donné son Fils, et le Fils a donné son obéissance au Père, par amour lui et pour tous les hommes. Voilà pourquoi la Passion de Jésus est un acte d’amour infini de Dieu pour nous.
Alors cela vaut bien le coup qu’on prenne le temps de revivre cette histoire chaque année, pour nous souvenir que notre Dieu est toujours avec nous et qu’il nous aime à en mourir.

Dans les temps qui sont les nôtres, éprouvés par le virus, aujourd’hui bouleversés par la guerre russo-ukrainienne – dont nous sommes partie prenante –, nous avons perdu nos repères habituels, au moins ceux sur lesquels nous nous sommes construits depuis trente ou quarante ans. Le monde de demain ne sera pas le même. Cela crée des formes d’incompréhension, d’angoisse, de colère, peut-être même de violence parfois. 
Mais pour nous qui sommes chrétiens, nous devons entendre à travers ce brouillard ou ce chaos l’appel de Dieu à retrouver le sens de son histoire pour y retrouver le sens de la nôtre, et par ce retour aux sources notre liberté et notre joie de vivre. Notre fidélité à Dieu est la condition de notre bonheur et de celui des générations futures.
Nous voulons toujours que Dieu se souvienne de nous, surtout quand nous sommes en difficultés ou éprouvés, pour qu’il nous aide ou qu’il nous sauve. Commençons donc par nous souvenir de lui, de ce qu’il a déjà fait de bon pour nous, en le remerciant, comme aujourd’hui en faisant mémoire de lui. Nous saurons alors trouver les marques de sa présence aujourd’hui et demain : jamais nous ne sommes seuls, car toujours et partout il nous aime, jusqu’à donner sa vie par amour pour nous.








lundi 4 avril 2022

02-03 avril 2022 - GY - MONTAGNEY - 5ème dimanche de Carême - Année C

 Is 43,16-21 ; Ps 125 ; Ph 3,8-14 ; Jn 8, 1-11
 
Chers frères et sœurs,
 
L’épisode de la femme adultère est assez extraordinaire. D’abord, parce que ce texte n’était pas au départ dans l’Évangile selon saint Jean. Probablement a-t-il été extrait de celui de Luc, lorsque les quatre Évangiles ont été réunis en un seul livre, pour placer cette histoire de la femme adultère au milieu de l’ensemble, et juste avant qu’en saint Jean Jésus déclare : « Vous, vous jugez de façon purement humaine. Moi, je ne juge personne. Et, s’il m’arrive de juger, mon jugement est vrai parce que je ne suis pas seul : j’ai avec moi le Père, qui m’a envoyé. » L’épisode de la femme adultère est donc très important pour comprendre qui est Jésus et ce qu’il est venu faire pour nous.
 
Maintenant entrons dans le texte : les scribes et les pharisiens présentent à Jésus une femme surprise en situation d’adultère. Ils lui précisent que, d’après la Loi, celle-ci doit être lapidée. En effet, le chapitre 22 du Livre du Deutéronome est très clair : si un homme et une femme sont pris en flagrant délit d’adultère, tous les deux doivent être mis à mort. La Loi précise, de plus, que si la femme est une jeune fille vierge, fiancée à un autre homme, alors elle et son amant doivent être lapidés. Nous sommes donc dans ce cas précis. 
Mais alors – puisqu’ils ont été pris en flagrant délit et que la loi est si claire – pourquoi les scribes et les pharisiens présentent-ils à Jésus cette femme pour qu’il la juge, d’une part, et elle seule sans son amant, d’autre part ? Il peut y avoir deux raisons, une pratique et une autre cachée.
 
Commençons par la pratique. Selon la procédure de la lapidation, il revenait d’abord au premier témoin de pousser l’accusé en arrière, depuis une hauteur, de sorte que celui-ci meure en se brisant la nuque sur une pierre. Si cela ne suffisait pas, il fallait que le second témoin lui jette une première pierre. Et si cela ne suffisait pas encore, alors tout le monde devait l’accabler de pierres. Ainsi, la femme présentée à Jésus a probablement déjà survécu à la chute. Son amant n’aura pas eu cette chance, ce pourquoi on n’en parle plus. Mais alors pourquoi suspendre maintenant la procédure pour la femme ?
 
Il y a deux possibilités. La première est que, déjà à l’époque de Jésus, les Juifs répugnaient à lapider les gens et cherchaient toutes les raisons possibles pour leur sauver la vie. Cela peut expliquer que les accusateurs sont venus voir Jésus avec l’espoir secret qu’il trouverait un échappatoire pour cette femme. La seconde possibilité est qu’il y avait peut-être aussi un vice de procédure qui faisait que les témoins n’étaient pas absolument sûrs de leur accusation et qu’il subsistait un doute, surtout si la femme avait déjà échappé à la chute théoriquement mortelle.
Dans le cas d’un doute, il existe une autre procédure : celle de la loi sur la jalousie, qui se trouve au chapitre 5 du Livre des Nombres. Lorsqu’un homme jaloux accuse sa femme d’adultère mais qu’il ne sait pas si elle est vraiment fautive ou pas, alors il va voir un prêtre qui va faire comparaître la femme devant le Seigneur. Concrètement, le prêtre décoiffe la femme, puis prépare de « l’eau d’amertume » – une boisson toxique – en mélangeant à de « l’eau sainte » de la terre prise du sol de la maison. Le prêtre énonce ensuite le jugement : si, ayant bu l’eau d’amertume, la femme devient stérile alors c’est qu’elle est coupable, sinon elle sera féconde et innocente. La femme répond « Amen ! » Le jugement est alors écrit sur un papyrus ou un parchemin qui est dissous dans l’eau d’amertume, qu’on donne enfin à boire à la femme. En fait, il s’agit d’une ordalie : l’épreuve sert de jugement et Dieu décide.
 
Dans le cas qui nous occupe, nous voyons les scribes et les pharisiens présenter la femme adultère à Jésus, assis, qui enseigne dans le Temple, exactement comme le prêtre présente la femme soupçonnée à Dieu, qui trône dans son Temple. Ensuite, Jésus se penche sur le sol et il écrit sur la terre avec son doigt, exactement comme Dieu écrivit avec son doigt sur les Tables de la Loi au Mont Horeb. Jésus est bien Dieu, qui est le souverain maître de la Loi. Qu’écrit-il ? Selon la procédure de la loi sur la jalousie, il écrit le jugement qui doit s’appliquer à la femme : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » La femme a dû dire en elle-même « Amen ! » Jésus finit donc d’écrire tandis qu’on attend que le jugement s’accomplisse. Or aucun des hommes, à commencer par les plus âgés, y compris les témoins, ne jette de pierre à cette femme. Elle est donc acquittée par jugement divin. Et Jésus a suivi scrupuleusement les procédures de la Loi de Moïse.
 
On se dit que Jésus est un super-juriste et qu’il pourrait faire une belle carrière d’avocat – et heureusement pour nous, il est bien notre avocat ! Mais cela suffit-il à tout comprendre de cette histoire ? Non. Il y a encore la raison cachée dont je vous parlais tout à l’heure.
Cela ne vous dit rien une jeune fille vierge promise en mariage à un homme et qui se trouve enceinte apparemment d’un autre, qu’on ne connaît pas et qu’on ne voit pas ? Il est évident que Jésus a parfaitement saisi l’insulte qui lui est faite – et à la Bienheureuse Vierge Marie sa mère – de la part des scribes et des pharisiens, eux qui répandaient déjà partout l’idée que Jésus était né d’une mère adultère. Et vous vous souvenez de l’embarras de Joseph, à l’époque, qui ne voulait pas la dénoncer. Et pour cause, elle risquait d’être lapidée !

Hé bien, de la même manière que c’est le Seigneur qui a fait que Marie est devenue mère sans avoir commis aucun péché, c’est aussi le Seigneur qui a délivré cette pauvre femme de son péché avéré. Dans les deux cas, c’est le même amour de Dieu qui veut non pas la mort pour les pécheurs, mais qu’ils vivent. Car Jésus s’est fait chair en Marie pour cela. Et je ne peux pas m’empêcher de penser que, si Jésus a sauvé cette femme, c’est aussi parce qu’il avait en mémoire l’innocence de sa mère et qu’il croyait les hommes capables de justice, à l’image de saint Joseph.

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