dimanche 17 avril 2022

14 avril 2022 - VELLEXON - Jeudi Saint - Messe en mémoire de la Cène du Seigneur - Année C

Ex 12, 1-8.11-14, Ps 115, 1 Co 11, 23-26, Jn 13, 1-15
 
Chers frères et sœurs,
 
L’interprétation la plus courante de l’épisode du lavement des pieds est celle du service humble et généreux que le Seigneur nous invite à accomplir auprès de nos frères et sœurs.
Plus encore, comme nous l’a expliqué saint Jean, Jésus savait qu’il était sorti de Dieu pour s’abaisser jusqu’à nous et qu’il s’en allait vers Dieu pour nous y reconduire. Ainsi, son Incarnation et la Rédemption qu’il a opérée sont comme un grand lavement des pieds où Dieu s’agenouille devant l’humanité pécheresse pour la laver de son péché et lui permettre de se retrouver en union avec lui dans la joie d’un repas de fête. Et nous sommes appelés à reproduire ce même mouvement : aller chercher ceux qui sont loin, les guérir de leurs blessures multiples, et les ramener dans la communauté pour y retrouver la joie d’être ensemble dans une même communion.
Mais cette interprétation, déjà très importante pour notre vie chrétienne, n’est pas complète. Elle risque même d’être mal comprise et faire de nous de simple militants d’une association philanthropique ou humanitaire, en vue de créer une fraternité universelle. Vous me direz : « c’est déjà pas mal. » Certes, mais ce n’est pas suffisant, car Jésus a beaucoup plus d’ambition pour nous et pour toute l’humanité.
 
Comme souvent, dans l’Évangile, les détails matériels parlent autant que les actes et les paroles de Jésus. Lorsque nous lisons : « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. » nous comprenons – nous qui sommes merveilleux – que Jésus a pris une serviette, qu’il s’attache à la ceinture pour en faire un tablier, puis avec sa petite bassine, il va laver les pieds de ses disciples. En soit, rien de plus banal que de laver des pieds. Oui, mais non.
 
Jésus ne prend pas une serviette, mais un drap de lin fin – le tissus dont sont faits les vêtements des prêtres. Il ne se l’attache pas à la ceinture – c’est une mauvaise traduction – mais il ceint le drap « à ses reins ». Pour les Hébreux, c’est dans les reins des hommes que se trouve la semence de vie, le germe de vie. Saint Irénée a fait justement le lien entre l’épisode du lavement des pieds et ce passage du livre d’Isaïe : « Ce jour-là, le Germe que fera grandir le Seigneur sera l’honneur et la gloire des rescapés d’Israël, le Fruit de la terre sera leur fierté et leur splendeur. Alors, ceux qui seront restés dans Sion, les survivants de Jérusalem, seront appelés saints : tous seront inscrits à Jérusalem pour y vivre. Quand le Seigneur aura lavé la souillure des filles de Sion, purifié Jérusalem du sang répandu, en y faisant passer le souffle du jugement, un souffle d’incendie, alors, sur toute la montagne de Sion, sur les assemblées qui s’y tiennent, le Seigneur créera une nuée pendant le jour et, pendant la nuit, une fumée avec un feu de flammes éclatantes. Et au-dessus de tout, comme un dais, la gloire du Seigneur : elle sera, contre la chaleur du jour, l’ombre d’une hutte, un refuge, un abri contre l’orage et la pluie. »
Ainsi pour saint Irénée, le lavement des pieds est non seulement une purification de tout orgueil chez les Apôtres – la souillure des filles de Sion – mais aussi et surtout en eux la semence, qui sort des reins de Jésus, d’une assemblée sainte abritée par la nuée et les flammes, c’est-à-dire l’Église abritée par l’Esprit de Pentecôte. Cela valait le coup que Jésus attache le drap de lin autour de ses reins !
 
Mais continuons nos observations. Le bassin n’est pas une petite cuvette en plastique : saint Jean emploie un mot précis qui désigne la cuve en bronze située dans le Temple, entre l’autel des sacrifices et la Tente de la Rencontre, où les prêtres font leurs ablutions. Ainsi, dit le livre de l’Exode : « Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils entreront dans la tente de la Rencontre, ils se laveront avec l’eau, et ainsi ils ne mourront pas. Quand ils s’approcheront de l’autel pour officier, faire fumer une nourriture offerte pour le Seigneur, ils se laveront les mains et les pieds, et ainsi ils ne mourront pas. C’est là un décret perpétuel pour Aaron et sa descendance, de génération en génération. »
Nous comprenons donc que Jésus, tout en purifiant ses Apôtres de leur péché, fait d’eux des prêtres destinés à offrir un sacrifice au Seigneur – et ce sacrifice, bien sûr, est celui de l’Eucharistie.
 
Enfin, quand saint Jean dit que Jésus « lave » les pieds des Apôtres, il ne faut pas comprendre qu’il les « nettoie » mais qu’il les « embellis » : Jésus leur lave les pieds comme on fait son argenterie : pour les faire briller. Jésus les rend saints et glorieux. Et on pense immédiatement à ce verset du livre d’Isaïe : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Car ils sont beaux les pieds des Apôtres qui annoncent l’Évangile, bien sûr !
 
Alors évidemment, avec ces explications, le lavement des pieds prend une tout autre importance qu’un simple geste d’humble charité humaine. Il faut comprendre que, dans l’esprit de Jésus, il n’y a pas de séparation entre être bon berger et être prêtre, et que l’un est même la condition de l’autre. Dans le lavement des pieds, on trouve l’exigence d’humilité et de bonté qui est condition du sacerdoce des prêtres. Cependant, ce signe s’adresse également à tous ceux qui ont été configurés à Jésus prêtre, prophète et roi par leur baptême dans l’eau et l’Esprit Saint. Car tout acte de charité humble et véritable réalisé par un baptisé est en même temps un acte de prêtre, préparation d’une offrande spirituelle faite à Dieu. Telle est au regard de Dieu la vocation et la dignité des chrétiens, pour le bien de toute l’humanité, en vue de son retour dans la bienheureuse et éternelle communion de Dieu.

Articles les plus consultés