dimanche 24 novembre 2024

24 novembre 2024 - PESMES - 34ème dimanche TO - Solennité du Christ roi de l'univers

Dn 7, 13-14 ; Ps 92 ; Ap 1, 5-8 ; Jn 18, 33b-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Dieu a créé l’homme, il n’a pas voulu que celui-ci soit seul. Avec Adam, il a aussi créé Ève, la mère des vivants. C’est-à-dire que Dieu a voulu une multitude d’hommes et de femmes : il a voulu l’humanité, avec la vocation que celle-ci demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous savons que l’humanité n’a pas compris cette vocation et s’est éloignée de Dieu. Mais Dieu lui a conservé son amour et a suscité en son sein un peuple particulier : le peuple d’Israël comme peuple prophétique pour toutes les nations. La prophétie consiste en une alliance entre Dieu et son peuple qui deviendra une alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité, où Dieu sera l’époux et l’humanité l’épouse.
La royauté est aussi une prophétie. Car, du point de vue humain, il n’y a pas de peuple s’il n’y a pas de roi, comme il n’y a pas de roi sans peuple. Avant Saül le premier roi d’Israël, Dieu se considérait lui-même comme le roi de son peuple. Pour le guider, il lui donnait des prophètes comme Moïse, ou des juges comme Samson. Mais pour faire comme tous les autres peuples de la terre, Israël a voulu avoir un roi visible, un roi humain. Dieu a acquiescé. C’est ainsi que Saül, puis David, puis Salomon sont devenus rois.
Après la chute de son royaume, l’exil, la dispersion, la mise sous tutelle par l’Empire romain, ont demeuré la nostalgie et l’attente pour le peuple d’Israël d’un roi libérateur. C’est ainsi que le Messie attendu devait être un roi, pour que reprenne, pour que continue, la royauté de Dieu sur son peuple, sa bénédiction d’âge en âge.
Or voilà l’ambiguïté de la royauté de Jésus : il était attendu par les Juifs comme roi libérateur qui régnerait sur Israël comme autrefois David ou Salomon. Par conséquent il était suspecté par les Romains d’apparaître effectivement comme tel, comme rebelle au pouvoir de l’Empereur, et donc voué à une condamnation à mort.  Mais pour Jésus, sa royauté n’est pas celle d’un pouvoir temporel, mais du seul pouvoir réel et véritable : celui du règne de Dieu, dans l’amour et la vérité.
Le peuple dont Jésus est le roi est celui des élus : le peuple d’Israël, pour lequel l’alliance avec Dieu est irrévocable, les chrétiens qui lui sont greffés par le baptême, et les justes que Dieu seul connaît. Telle est la royauté de Jésus : une royauté du ciel, réalisation de la volonté première de Dieu : qu’une multitude d’hommes et de femmes demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire. Et remarquons qu’alors Jésus – qui est Dieu et homme – est en même temps Dieu lui-même qui règne sur son peuple, et un roi humain selon le souhait de l’ancien Israël. Car Dieu tient sa parole.
 
Nous mesurons donc l’incompréhension qu’il y a entre Pilate et Jésus, dans l’évangile d’aujourd’hui. Pilate soupçonne Jésus de se prétendre « roi des Juifs » puisque c’est ainsi qu’on le lui a présenté ou plutôt dénoncé. Mais Jésus le prend à contre-pieds, en lui demandant si il croit lui-même à cette accusation ? Mesurons bien la profondeur de l’échange. Pilate cherche à savoir qui est vraiment Jésus et s’il est coupable de lèse-majesté, tandis que Jésus cherche à toucher l’âme de Pilate, comme Dieu cherche l’âme de tout homme, sa créature depuis l’origine.
Pilate esquive la question : « Est-ce que je suis Juif, moi ? » Il revendique une forme de liberté : il n’est pas dépendant de la Loi de Moïse ; il ne reconnaît pas à Jésus d’autorité sur lui, mais il revendique l’autonomie de son tribunal : « Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu donc fait ? » Voilà la République romaine qui juge Dieu, porté au tribunal par les siens.
Jésus décline alors son identité, et récuse toute tentative de prise de pouvoir : il est roi du ciel ; il n’exerce aucune puissance sur la terre : « Mon royaume  n’est pas de ce monde ; si il était de ce monde, j’aurais des gardes  qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, mon royaume  n’est pas d’ici. »
Pilate relève l’information sur l’identité de Jésus : « Alors, tu es roi. » Cette fois-ci Jésus constate que Pilate ne raisonne plus par ouï-dire, mais que l’affirmation vient de lui-même : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. » L’homme a fait un pas : il reconnaît une possible royauté de Dieu ; et Dieu aussi fait un pas : il reconnaît la liberté personnelle de l’homme à croire ou à ne pas croire. En fait, il lui ouvre une porte, d’où l’explication qui suit : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » La vérité dont parle Jésus est l’adéquation entre ce que l’on pense et ce que l’on fait, soit l’inverse de l’hypocrisie ou de la dissimulation. Dieu est vérité en ce qu’il dit ce qu’il fait, et qu’il fait ce qu’il dit. Or Dieu est un Dieu d’amour : la vérité consiste donc à vouloir la communion avec l’humanité et à la réaliser dans le don de soi-même, fût-ce dans le pardon. Tout homme, croyant ou non, qui est mû par sa conscience et veut mener une vie droite, est normalement sensible à cette vérité de Dieu ; c’est pourquoi Jésus ajoute : « Quiconque appartient à la vérité  écoute ma voix. »
Dramatique instant, où en Pilate l’homme est seul face à son Dieu, qui lui parle le langage de la vérité à travers sa conscience, et l’appelle à la foi. En réalité, devant la lumière, c’est l’homme qui se juge lui-même : va-t-il se laisser éclairer ? ou choisir de se retirer dans les ténèbres ? Le tribunal de Pilate n’est pas tant le jugement de Dieu par l’homme que le jugement de l’homme par lui-même, en présence de Dieu qui lui offre son amour en vérité, et son pardon. La suite appartient à chacun.
 

dimanche 17 novembre 2024

16-17 novembre 2024 - SAVOYEUX - LAVONCOURT - 33ème dimanche TO - Année B

Dn 12, 1-3 ; Ps 15 ; He 10, 11-14.18 ; Mc 13, 24-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous arrivons à la fin de l’année liturgique, qui est un résumé de l’histoire de l’univers. Cette histoire avait débuté au commencement – la Genèse du monde et de l’homme ; la chute d’Adam et Eve ; l’espérance d’un Sauveur. Elle avait continué par l’histoire de ce Sauveur, Jésus, de sa naissance à sa résurrection, et son ascension ; et elle se termine par l’Apocalypse : le jugement de l’univers et la venue du Seigneur en gloire, dans la communion des saints. Aujourd’hui, Jésus enseigne à ses disciples ce qu’il en sera du jour de sa venue.
Ces derniers temps, il se tenait dans le temple. Il y avait débattu avec les autorités d’Israël sur la manière de porter du fruit pour Dieu, en aimant Dieu et son prochain, en donnant toute sa vie pour eux. Maintenant, Jésus est sorti du temple et on lui a fait remarquer combien celui-ci était beau, impressionnant. De fait, à l’époque, le temple de Jérusalem est le plus grand temple du monde. Et l’on vient de partout pour les grandes fêtes, notamment pour Pâques. C’est un lieu de pèlerinage considérable.
Or Jésus indique à ses disciples que de ce temple, il ne restera pas pierre sur pierre. Ceux-ci sont interloqués, et ils lui demandent quand et comment cela arrivera. Et Jésus de leur répondre en évoquant des rumeurs de guerre, des faux messies, des persécutions, des trahisons dans les familles, tandis que l’Évangile sera porté à toutes les nations. À un moment « l’Abomination de la désolation sera installée là où elle ne doit pas être » – c’est un peu mystérieux – et il faudra fuir aussitôt dans les montagnes, sans rien emporter, sans se retourner. Ce sera un moment de grande détresse, où surgiront de faux messies, de faux prophètes, pour égarer les élus, c’est-à-dire les baptisés.
Et nous arrivons à l’évangile de ce dimanche. L’enseignement de Jésus est presque mot pour mot un condensé de l’Ancien Testament, où l’on retrouve des citations de nombreux prophètes : Joël, Isaïe, Ézéchiel, Daniel, Zacharie, Amos, Sophonie… Quand Jésus parle, ses auditeurs voient remonter dans leur esprit tout leur catéchisme en quelque sorte. Jésus n’invente rien : il explique que ces « jours-là », annoncés par les prophètes vont se réaliser.
 
Il y a deux manières de concevoir cette réalisation. La première est tout simplement la mort, la résurrection et la glorification de Jésus : sa Pâque. La seconde est la fin du monde elle-même, à la fin des temps, la naissance du monde nouveau. Mais la Pâque de Jésus renvoie à la fin des temps : elles s’expliquent l’une par l’autre.
 
Pour la Pâque, il faut se souvenir que, dans Ézéchiel, quand il est question de l’obscurcissement du soleil et de la lune, il s’agit d’une complainte adressée au Pharaon d’Égypte où le fils de l’homme lui annonce sa destitution et sa perte. Et vous vous souvenez qu’au moment où Jésus meurt en croix, il y a une éclipse de soleil et l’on entre dans la nuit. Pâque a lieu durant la nuit. Les étoiles qui tombent du ciel et les puissances célestes qui sont ébranlées, ce sont Pharaon et ses armées, mais ce sont aussi Satan et ses anges, les démons, qui sont vaincus et chassés des cieux.
Voilà ce que dit Jésus : de même que Pharaon et son armée ont été vaincus dans la nuit de Pâque, de même le Fils de l’homme – c’est-à-dire lui-même – va vaincre Satan et ses anges dans ce moment de grande détresse où le soleil est obscurci et où la lune ne donne plus sa clarté. Cela, Jésus le fait lors de sa propre Pâque, et notamment durant son Ascension au ciel, tandis que les Apôtres sont perclus de peur, au Cénacle.
Et justement, « on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire ». C’est la vision de Jésus ressuscité, dont le corps n’obéit plus aux lois physiques de la création, et qui se présente comme un corps de communion. La gloire de Dieu, c’est la communion des saints, dans la paix, la joie et la lumière. Voir Jésus ressuscité, vainqueur de la mort, c’est constater qu’il a vaincu le Pharaon de ce monde. Alors « il enverra ses anges pour rassembler ses élus des quatre vents » : en effet, c’est la Pentecôte où Jésus envoie ses apôtres, ses disciples, évangéliser par toute la terre, pour rassembler les élus – les baptisés – en un seul peuple, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous voyons bien que Jésus voit au-delà du temple matériel qu’il a sous les yeux, car il pense toujours au temple de son corps : le jour de détresse, c’est le jour de sa Pâque, la Pâque qui conduit à la Pentecôte. C’est ainsi que Jésus peut facilement dire que « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive », puisqu’en effet, la Pâque de Jésus est toute proche.

Cependant, ce que dit Jésus peut aussi s’appliquer à la fin du monde en tant que tel. Dans ce cas, le temple qui sera détruit, le corps de Jésus qui sera défait avant d’être relevé transfiguré, c’est l’Église. Le corps n’échappera pas au sort qui est celui de la tête, et les tribulations que vivront les élus seront terribles. Mais le Seigneur frappera à la porte à l’improviste, comme l’époux du Cantique des Cantiques frappe lui-même à la porte de sa bien-aimée, pour lui porter son amour. C’est pourquoi Jésus insistera tellement pour que les élus, les baptisés, demeurent éveillés pour attendre sa venue, comme un époux qui vient dans la nuit, car alors il sera leur délivrance et leur vie. C’est la Pâque, hier, aujourd’hui et demain. Dieu est toujours le Dieu de la vie.
 

dimanche 10 novembre 2024

10 novembre 2024 - GRAY - 32ème dimanche TO - Année B

 1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment lisons-nous l’Évangile ? Il y a une lecture qui consiste à s’insurger contre le cléricalisme insupportable des scribes et à s’apitoyer sur le sort de la pauvre veuve, injustement exploitée. Et Jésus de glorifier victorieusement cette dernière après avoir condamné lourdement les premiers. De fait, la leçon ne vaut pas seulement pour les scribes de Jérusalem d’hier, elle est aussi un avertissement sévère pour ceux de l’Église d’aujourd’hui. D’ailleurs, en attirant leur attention sur le geste généreux de la pauvre veuve, c’est bien à ses disciples seuls, et non à la foule en général, que Jésus s’adresse. Les voilà prévenus, et moi aussi !

Cependant, si on s’arrête à ce niveau de lecture, après qu’il ait reproché aux scribes, grands-prêtres et pharisiens, de vivre vissés dans l’observance de la Loi et d’y enfermer tout le monde – sans que personne ne puisse vraiment y vivre en conformité – on a tôt fait de Jésus un « père-la-morale » qui surenchérit dans l’échelle de la moralité. Comme l’observent souvent les disciples avec stupeur, dans bien des cas, l’évangile paraît à ce point exigeant qu’il en est humainement impraticable. Par extension, une telle approche transforme également tous les évangélisateurs et les prédicateurs en moralistes, prêchant un nouvel ordre moral. On ne voit pas très bien, alors, où est la bonne nouvelle ?

Mais on peut faire une lecture différente de notre évangile, où la morale de l’histoire n’est pas tout à fait la même. Au lieu de nous enfermer dans une culpabilité malsaine, elle nous ouvre au contraire une porte vers le ciel. En tous cas, je l’espère.

La première chose à faire quand on lit un passage de l’évangile est de se demander où et quand exactement la scène se passe. Ici, Jésus après avoir franchi le Jourdain, a guéri Bartimée à Jéricho, puis est monté à Jérusalem, y est entré en triomphe assis sur un âne et a pénétré dans le temple pour en chasser les marchands. C’est alors qu’il est entré en débat avec les autorités d’Israël. Comprenez que, tel Josué, Jésus est entré en Terre promise et en a entrepris la libération, puis la purification jusqu’en son cœur, pour y faire entrer en possession son peuple, le peuple des sauvés, des baptisés. Dans le temple où se trouve Jésus, l’objet des débats est donc le cœur de la foi, la nature même de la relation de l’homme avec Dieu. C’est essentiel de comprendre cela.
 
Dans notre évangile, il y a une opposition construite entre les scribes d’un côté et les veuves de l’autre. Les scribes sont les représentants d’une religion faite d’apparence extérieure, qui n’exprime pas un besoin vital, mais seulement une activité sociale somme toute accessoire : on va au temple comme on va au théâtre, pour se faire bien voir. En aucun cas, la vie des scribes ou des riches donateurs ne semble menacée, et même, par leurs dons généreux ils peuvent se targuer de permettre au temple de fonctionner. Au contraire, les veuves sont l’expression d’une religion où la relation avec Dieu est un enjeu vital : le devenir du temple ne dépend pas du don de la veuve, en revanche le devenir de la veuve dépend bien de la bénédiction de Dieu qui habite dans le temple. On voit donc que Jésus désigne quelle doit être la nature de la religion entre l’homme et Dieu : c’est une relation vitale.

Mais on peut faire un pas de plus. Pourquoi une veuve ? Et pourquoi pas un veuf ? Ou une Galiléenne ? Ou un samaritain ?... Jésus a vu une veuve, et c’est bien une veuve qui l’a impressionné. Ce n’est pas un hasard. La veuve, dans l’Évangile, c’est la femme qui a perdu son époux, qui a la nostalgie de son époux, qui espère et qui attend de le retrouver dans la vie éternelle. Cette veuve, pour un chrétien : c’est l’Église. Et même, si on veut donner plus d’intensité ou de chair à cette figure de l’Église, c’est la Bienheureuse Vierge Marie. Jésus est toujours sensible aux veuves parce qu’à travers elles, il voit la figure de sa mère. Il ne faut jamais l’oublier. Et c’est pourquoi dès les débuts les veuves ont toujours eu une place très particulière dans l’Église, et même un statut en particulier. Parce qu’elles sont la figure-même de l’Église qui attend son époux, le Christ Jésus, son Seigneur.

Donc, en désignant la veuve qui fait son offrande, Jésus enseigne à ses apôtres quelle est la religion attendue par le Père, la religion de l’Église : dans l’humilité, et même dans une grande pauvreté de moyens, l’Église honore son Dieu, verse deux piécettes dans le trésor du temple, fait avec foi l’offrande d’elle-même en sacrifice, dans l’attente, dans l’espérance, de la bénédiction du Seigneur, de son retour. On voit, à la lumière de l’histoire de la veuve de Sarepta que l’offrande du pain qui lui est demandée, qui vaut pour elle offrande de toute sa vie – et celle de son fils – est non seulement une offrande agréée mais elle est aussi une offrande inépuisable jusqu’au retour de la pluie – c’est-à-dire jusqu’au jour de la bénédiction de Dieu. Comprenons que l’offrande de l’eucharistie – si peu de choses en pratique – mais qui doit signifier pour nous toute notre vie, est non seulement l’offrande attendue par Dieu, mais qu’elle nous est donnée en nourriture jusqu’au retour de Jésus, Pentecôte définitive.
 
Chers frères et sœurs, Jésus est assis dans le temple : il est assis parce qu’il est en train d’exercer le jugement. Ainsi donc, nous serons jugés à la manière dont nous vivons notre relation avec le Seigneur. Ou bien, nous le traitons en valet, auquel nous accordons avec condescendance l’accessoire de notre vie, tout en affectant d’être les plus pieux des hommes – et nous serons sévèrement jugés ; ou bien nous le regardons comme la source unique de toute notre vie, pour laquelle nous ne savons et ne pouvons offrir que notre pauvre indigence, ou un peu de pain et un peu de vin, pour qu’ils les transforment et nous transfigure avec, dans sa vie éternelle, dans sa communion.

dimanche 3 novembre 2024

02-03 novembre 2024 - CHARCENNE - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 31ème dimanche TO - Année B

Dt 6, 2-6 ; Ps 17 ; He 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus a la discussion que nous avons entendue avec le scribe, il se trouve dans le temple de Jérusalem. En effet, il a quitté Jéricho – c’est l’évangile de dimanche dernier – et il est monté à Jérusalem. Il y est entré assis sur un âne, comme on fait pour les rois à leur intronisation, puis il a chassé les marchants du temple. Il est alors entré en discussion avec les grands prêtres, les partisans d’Hérode, les pharisiens, les saducéens et maintenant un scribe. Évidemment, les discussions tournent autour de l’identité et de l’autorité de Jésus, et de son rapport à la Loi de Moïse.
 
Même si Marc, Matthieu et Luc, qui rapportent la même discussion entre Jésus et le scribe, la traitent différemment, l’idée de fond demeure la même : quel est le véritable culte que l’homme doit rendre à Dieu ? La question est importante, car de la réponse qu’on lui apporte dépendent non seulement la bénédiction d’une vie heureuse ici-bas, mais surtout l’assurance de la vie éternelle, dans la communion de Dieu. Évidemment, il n’est pas anodin de poser la question sur le vrai culte que l’homme doit rendre à Dieu alors que Jésus et le scribe se trouvent justement dans le temple.
 
Comme le scribe est un bon rabbin, il va directement à l’essentiel : toute question religieuse doit trouver sa solution dans la Torah, dans la Loi donnée par Dieu à Moïse. D’où la question : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Naturellement Jésus, qui est aussi un bon rabbin, répond par la Torah. Il cite le « Shema Israël », le « Credo des juifs » pour faire court : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » Il s’agit d’une citation du Deutéronome. N’importe quel Juif connaît le Shema Israël depuis son enfance et on le récite pour lui à sa mort. Donc le vrai culte de Dieu, c’est d’aimer Dieu, avant toute chose.
Mais Jésus ajoute un second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il s’agit d’une citation du Lévitique. On est toujours dans la Torah. Jésus affirme ici que le vrai culte attendu par Dieu n’est pas seulement de l’aimer lui seul, mais aussi que les hommes s’aiment les uns les autres. En fait, ce second commandement définit comment on doit aimer, aussi bien Dieu que les autres. On n’aime vraiment que lorsqu’on est au service les uns des autres, qu’on est prêt à donner sa vie les uns pour les autres, pas seulement en intention, mais aussi en pratique.
 
Le second commandement donné par Jésus est un test de vérification du premier commandement, sur la manière d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force – donc en se donnant soi-même tout entier, en s’offrant soi-même en sacrifice.
Ce n’est donc pas pour rien que le scribe avalise la double réponse de Jésus et ajoute son propre commentaire : aimer Dieu et aimer son prochain « vaut mieux que toute offrande d’holocauste et de sacrifices ». En effet, l’offrande de soi-même par amour est bien supérieure à toute offrande rituelle de biens matériels ou d’animaux.
La réponse à la question sur le véritable culte à rendre à Dieu pour obtenir de lui ses bénédictions, et la vie éternelle, se trouve donc dans l’affirmation de la Loi sur l’amour de Dieu et du prochain, que Jésus formalisera autrement par cette parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
 
Cela invalide-t-il les sacrifices du temple et tout rite religieux en général ? Non. Cela les invalide si ils sont pratiqués pour eux-mêmes, juste pour le rite, pour la forme. Mais si ils sont bien des rites voulant exprimer le don soi par amour, en offrant des biens précieux pour signifier autant que possible cet amour, et dans un esprit d’amour pour Dieu et pour les hommes, alors ils sont non seulement légitimes, mais ils sont une manière juste d’exprimer le mystère de l’amour.
Pensez au rituel du mariage, où l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par amour. Ce rituel n’a pas de sens si il n’y a pas l’intention première de l’amour mutuel. Et pourtant il n’y a pas de plus beau rituel pour exprimer l’amour, si ce n’est celui de la messe où Jésus s’offre lui-même à son Père par amour pour nous.
Ainsi, si Jésus a chassé les marchands du temple, s’il a reproché aux grands prêtres de mal s’occuper de la vigne d’Israël, s’il a donné sa bénédiction au scribe, s’il a dit aux apôtres lors de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi », ce n’est pas pour invalider les rites, mais c’est pour rappeler leur sens profond qui est l’expression du vrai culte qu’il faut rendre à Dieu.
 
Ainsi donc, Jésus et le scribe sont d’accord sur la question essentielle du rapport de l’homme avec Dieu, qui est une offrande, un don de soi par amour. C’est d’ailleurs ce que Dieu lui-même a fait le premier à notre égard, puisque Jésus a donné sa vie sur la croix par amour pour nous. Dieu nous a fait don de lui-même, pour que nous soyons réconciliés avec Lui ; pour que nous vivions avec Lui dans sa vie éternelle. En définitive, ce que nous faisons ici, à la messe, ce n’est que rappeler à Dieu le geste qu’il a lui-même fait pour nous, en ayant foi que par ce rite, Dieu reconnaisse, et son amour pour nous, et notre amour pour lui, pour que nous aussi – et ceux que nous aimons – puissions accéder à la vie éternelle, à la communion, demain et déjà aujourd’hui.

vendredi 1 novembre 2024

01 novembre 2024 - GY - Solennité de Tous les Saints - Année B

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Un épisode évangélique, un sacrement, tout événement spirituel est toujours à trois dimensions : le passé, le présent, et l’avenir, où le présent est caché dans le passé, et l’avenir est caché dans le présent. Voici comment.
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, l’attitude de Jésus qui monte sur la montagne, s’assied et ouvre la bouche pour enseigner les Béatitudes rappelle évidemment à tous l’épisode de Moïse qui monte sur la montagne pour y entendre la Parole de Dieu qui lui enseigne les dix commandements de la Loi. C’est le rappel du passé.
Nous tous, qui comme les foules sommes rassemblés dans cette église comme sur la montagne pour y écouter l’évangile proclamé au nom de Jésus, nous rendons actuelle cette Parole de Dieu. Nous voilà devenus contemporains des foules de Galilée. Les Béatitudes nous sont données à nous aussi, aujourd’hui : c’est le présent.
Ce que le livre de l’Apocalypse nous apprend, c’est qu’à notre mort, nous monterons au ciel, avec les hommes de tous les lieux et de tous les temps, tous les baptisés, pour être réunis autour du trône de l’Agneau pour y connaître le Seigneur, pour entrer dans sa communion et en vivre. Alors la Loi, commandements extérieurs et les Béatitudes appels intérieurs, seront comme intégrés à tout nous-mêmes par l’Esprit Saint, comme une nouvelle nature, la nature divine qui nous habitera : c’est l’avenir.
Un épisode évangélique comme une célébration liturgique ne sont donc pas laissés à notre libre interprétation, ou à notre créativité, car ils sont mémoire, action actuelle efficace, et prophétie de l’avenir. La Parole de Dieu agit hier, aujourd’hui et demain, portant le même message mais en l’approfondissant, jusqu’à nous conduire jusqu’à l’intérieur d’elle-même, ou d’habiter elle-même en nous, pour faire une communion.
 
Ainsi, dans l’évangile des Béatitudes, Jésus révèle à ses disciples ce qui est caché à l’intérieur de la Loi de Moïse. La Loi formulait plutôt des interdits : « tu ne tueras pas » ; « tu ne voleras pas »… ces interdits sont comme la clôture d’un jardin : si tu passes outre, tu sors du jardin et tu te perds.
Les Béatitudes indiquent au contraire ce qu’il y a dans le jardin : ce sont des affirmations. Elles disent qu’il y a un arbre de bonheur, un arbre de vie, dans le jardin : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux » ; « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». Pour ceux qui sont dans le jardin, et qui ne pensent même pas à en sortir, en transgressant la Loi de Moïse, il est proposé un arbre de vie qui donne plusieurs fruits : les pauvres de cœurs sont ceux qui sont innocents comme des agneaux ; ceux qui pleurent sont ceux qui sont contrits par leur péché, meurtris par le mal et les souffrances qui traversent le monde ; les doux sont si humbles et si abandonnés que, ne possédant rien, en réalité, ils sont libres de tout ; les cœurs purs – le cœur étant chez les Hébreux le siège de l’intelligence – ont des pensées droites et pures, et sont donc en capacité de voir Dieu ; les artisans de paix sont habités d’une paix profonde, le repos, qui rayonne de manière apaisante autour d’eux. Voilà les fruits de l’arbre de vie qui est dans le jardin délimité par la Loi. Mais évidemment, cette vie qui irrigue l’arbre semble demeurer cachée aux yeux des disciples qui écoutent parler Jésus sur la montagne. Jésus leur donne envie de vivre de cette vie qui rend innocent, priant, humble, intelligent, paisible… qui rend saint, qui rend comme Jésus, qui rend comme Dieu lui-même. En effet, que sont les Béatitudes sinon les traits de la personnalité de Jésus, les traits du visage de Dieu ? Dieu personne ne l’a jamais vu ? Mais Jésus nous en a donné le portrait !
Or, le troisième secret qui est caché dans les Béatitudes, c’est que cette vie qui vient de Dieu, qui peut nous transformer en Dieu, nous rendre comme Dieu, c’est l’Esprit Saint. À l’intérieur donc de la Loi de Moïse, il y a les Béatitudes, comme l’arbre dans un jardin. Et la vie de l’arbre c’est l’Esprit Saint. Or l’Esprit Saint nous a été acquis par la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus au ciel et nous a été donné à la Pentecôte. L’Esprit Saint, nous l’avons reçu à notre baptême et il s’est répandu en nous à notre confirmation. Rien ne nous empêche de nous abandonner à lui jour après jour pour le laisser nous transformer jour après jour en rayonnement de sainteté, à la ressemblance de Dieu.
 
Chers frères et sœurs, lorsque Moïse reçut la Loi sur la montagne puis ordonna la liturgie du temple à l’image de ce dont il avait eu la vision au ciel, il reçut un jardin dans lequel il y avait un arbre de vie et la vision de ce que vit saint Jean dans l’Apocalypse.
Ensuite, Jésus révéla à ses disciples quels étaient les fruits de l’arbre de vie, les Béatitudes, et il dévoila le cœur de la liturgie du temple qui est à l’image de la liturgie céleste : le sacrifice de sa vie par amour pour son prochain, comme un pain rompu et partagé, et un sang d’agneau répandu. Et il leur a dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »
Et finalement à sa prière, notre Père nous donna tout, c’est-à-dire la vie qui féconde l’arbre et qui irrigue le jardin, son Esprit de sainteté qui nous fait entrer et vivre dans la communion de Dieu, à sa ressemblance, avec tous les saints, cette communion de l’avenir, que nous allons déjà recevoir maintenant.

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