Ap
7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Chers
frères et sœurs,
Un
épisode évangélique, un sacrement, tout événement spirituel est toujours à
trois dimensions : le passé, le présent, et l’avenir, où le présent est
caché dans le passé, et l’avenir est caché dans le présent. Voici comment.
Dans
l’évangile d’aujourd’hui, l’attitude de Jésus qui monte sur la montagne,
s’assied et ouvre la bouche pour enseigner les Béatitudes rappelle évidemment à
tous l’épisode de Moïse qui monte sur la montagne pour y entendre la Parole de
Dieu qui lui enseigne les dix commandements de la Loi. C’est le rappel du passé.
Nous
tous, qui comme les foules sommes rassemblés dans cette église comme sur la
montagne pour y écouter l’évangile proclamé au nom de Jésus, nous rendons
actuelle cette Parole de Dieu. Nous voilà devenus contemporains des foules de
Galilée. Les Béatitudes nous sont données à nous aussi, aujourd’hui : c’est
le présent.
Ce
que le livre de l’Apocalypse nous apprend, c’est qu’à notre mort, nous
monterons au ciel, avec les hommes de tous les lieux et de tous les temps, tous
les baptisés, pour être réunis autour du trône de l’Agneau pour y connaître le
Seigneur, pour entrer dans sa communion et en vivre. Alors la Loi,
commandements extérieurs et les Béatitudes appels intérieurs, seront comme
intégrés à tout nous-mêmes par l’Esprit Saint, comme une nouvelle nature, la
nature divine qui nous habitera : c’est l’avenir.
Un
épisode évangélique comme une célébration liturgique ne sont donc pas laissés à
notre libre interprétation, ou à notre créativité, car ils sont mémoire, action
actuelle efficace, et prophétie de l’avenir. La Parole de Dieu agit hier,
aujourd’hui et demain, portant le même message mais en l’approfondissant,
jusqu’à nous conduire jusqu’à l’intérieur d’elle-même, ou d’habiter elle-même
en nous, pour faire une communion.
Ainsi,
dans l’évangile des Béatitudes, Jésus révèle à ses disciples ce qui est caché à
l’intérieur de la Loi de Moïse. La Loi formulait plutôt des interdits :
« tu ne tueras pas » ; « tu ne voleras pas »…
ces interdits sont comme la clôture d’un jardin : si tu passes outre, tu
sors du jardin et tu te perds.
Les
Béatitudes indiquent au contraire ce qu’il y a dans le jardin : ce sont des
affirmations. Elles disent qu’il y a un arbre de bonheur, un arbre de vie, dans
le jardin : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des
cieux est à eux » ; « Heureux ceux qui pleurent car ils
seront consolés ». Pour ceux qui sont dans le jardin, et qui ne
pensent même pas à en sortir, en transgressant la Loi de Moïse, il est proposé un
arbre de vie qui donne plusieurs fruits : les pauvres de cœurs sont ceux
qui sont innocents comme des agneaux ; ceux qui pleurent sont ceux qui
sont contrits par leur péché, meurtris par le mal et les souffrances qui
traversent le monde ; les doux sont si humbles et si abandonnés que, ne
possédant rien, en réalité, ils sont libres de tout ; les cœurs purs – le
cœur étant chez les Hébreux le siège de l’intelligence – ont des pensées
droites et pures, et sont donc en capacité de voir Dieu ; les artisans de
paix sont habités d’une paix profonde, le repos, qui rayonne de manière
apaisante autour d’eux. Voilà les fruits de l’arbre de vie qui est dans le
jardin délimité par la Loi. Mais évidemment, cette vie qui irrigue l’arbre
semble demeurer cachée aux yeux des disciples qui écoutent parler Jésus sur la
montagne. Jésus leur donne envie de vivre de cette vie qui rend innocent, priant,
humble, intelligent, paisible… qui rend saint, qui rend comme Jésus, qui rend
comme Dieu lui-même. En effet, que sont les Béatitudes sinon les traits de la
personnalité de Jésus, les traits du visage de Dieu ? Dieu personne ne l’a
jamais vu ? Mais Jésus nous en a donné le portrait !
Or,
le troisième secret qui est caché dans les Béatitudes, c’est que cette vie qui
vient de Dieu, qui peut nous transformer en Dieu, nous rendre comme Dieu, c’est
l’Esprit Saint. À l’intérieur donc de la Loi de Moïse, il y a les Béatitudes,
comme l’arbre dans un jardin. Et la vie de l’arbre c’est l’Esprit Saint. Or
l’Esprit Saint nous a été acquis par la mort, la résurrection et l’ascension de
Jésus au ciel et nous a été donné à la Pentecôte. L’Esprit Saint, nous l’avons
reçu à notre baptême et il s’est répandu en nous à notre confirmation. Rien ne
nous empêche de nous abandonner à lui jour après jour pour le laisser nous
transformer jour après jour en rayonnement de sainteté, à la ressemblance de
Dieu.
Chers
frères et sœurs, lorsque Moïse reçut la Loi sur la montagne puis ordonna la
liturgie du temple à l’image de ce dont il avait eu la vision au ciel, il reçut
un jardin dans lequel il y avait un arbre de vie et la vision de ce que vit
saint Jean dans l’Apocalypse.
Ensuite,
Jésus révéla à ses disciples quels étaient les fruits de l’arbre de vie, les
Béatitudes, et il dévoila le cœur de la liturgie du temple qui est à l’image de
la liturgie céleste : le sacrifice de sa vie par amour pour son prochain,
comme un pain rompu et partagé, et un sang d’agneau répandu. Et il leur a
dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »
Et
finalement à sa prière, notre Père nous donna tout, c’est-à-dire la vie qui
féconde l’arbre et qui irrigue le jardin, son Esprit de sainteté qui nous fait
entrer et vivre dans la communion de Dieu, à sa ressemblance, avec tous les
saints, cette communion de l’avenir, que nous allons déjà recevoir maintenant.