dimanche 24 novembre 2024

24 novembre 2024 - PESMES - 34ème dimanche TO - Solennité du Christ roi de l'univers

Dn 7, 13-14 ; Ps 92 ; Ap 1, 5-8 ; Jn 18, 33b-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Dieu a créé l’homme, il n’a pas voulu que celui-ci soit seul. Avec Adam, il a aussi créé Ève, la mère des vivants. C’est-à-dire que Dieu a voulu une multitude d’hommes et de femmes : il a voulu l’humanité, avec la vocation que celle-ci demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous savons que l’humanité n’a pas compris cette vocation et s’est éloignée de Dieu. Mais Dieu lui a conservé son amour et a suscité en son sein un peuple particulier : le peuple d’Israël comme peuple prophétique pour toutes les nations. La prophétie consiste en une alliance entre Dieu et son peuple qui deviendra une alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité, où Dieu sera l’époux et l’humanité l’épouse.
La royauté est aussi une prophétie. Car, du point de vue humain, il n’y a pas de peuple s’il n’y a pas de roi, comme il n’y a pas de roi sans peuple. Avant Saül le premier roi d’Israël, Dieu se considérait lui-même comme le roi de son peuple. Pour le guider, il lui donnait des prophètes comme Moïse, ou des juges comme Samson. Mais pour faire comme tous les autres peuples de la terre, Israël a voulu avoir un roi visible, un roi humain. Dieu a acquiescé. C’est ainsi que Saül, puis David, puis Salomon sont devenus rois.
Après la chute de son royaume, l’exil, la dispersion, la mise sous tutelle par l’Empire romain, ont demeuré la nostalgie et l’attente pour le peuple d’Israël d’un roi libérateur. C’est ainsi que le Messie attendu devait être un roi, pour que reprenne, pour que continue, la royauté de Dieu sur son peuple, sa bénédiction d’âge en âge.
Or voilà l’ambiguïté de la royauté de Jésus : il était attendu par les Juifs comme roi libérateur qui régnerait sur Israël comme autrefois David ou Salomon. Par conséquent il était suspecté par les Romains d’apparaître effectivement comme tel, comme rebelle au pouvoir de l’Empereur, et donc voué à une condamnation à mort.  Mais pour Jésus, sa royauté n’est pas celle d’un pouvoir temporel, mais du seul pouvoir réel et véritable : celui du règne de Dieu, dans l’amour et la vérité.
Le peuple dont Jésus est le roi est celui des élus : le peuple d’Israël, pour lequel l’alliance avec Dieu est irrévocable, les chrétiens qui lui sont greffés par le baptême, et les justes que Dieu seul connaît. Telle est la royauté de Jésus : une royauté du ciel, réalisation de la volonté première de Dieu : qu’une multitude d’hommes et de femmes demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire. Et remarquons qu’alors Jésus – qui est Dieu et homme – est en même temps Dieu lui-même qui règne sur son peuple, et un roi humain selon le souhait de l’ancien Israël. Car Dieu tient sa parole.
 
Nous mesurons donc l’incompréhension qu’il y a entre Pilate et Jésus, dans l’évangile d’aujourd’hui. Pilate soupçonne Jésus de se prétendre « roi des Juifs » puisque c’est ainsi qu’on le lui a présenté ou plutôt dénoncé. Mais Jésus le prend à contre-pieds, en lui demandant si il croit lui-même à cette accusation ? Mesurons bien la profondeur de l’échange. Pilate cherche à savoir qui est vraiment Jésus et s’il est coupable de lèse-majesté, tandis que Jésus cherche à toucher l’âme de Pilate, comme Dieu cherche l’âme de tout homme, sa créature depuis l’origine.
Pilate esquive la question : « Est-ce que je suis Juif, moi ? » Il revendique une forme de liberté : il n’est pas dépendant de la Loi de Moïse ; il ne reconnaît pas à Jésus d’autorité sur lui, mais il revendique l’autonomie de son tribunal : « Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu donc fait ? » Voilà la République romaine qui juge Dieu, porté au tribunal par les siens.
Jésus décline alors son identité, et récuse toute tentative de prise de pouvoir : il est roi du ciel ; il n’exerce aucune puissance sur la terre : « Mon royaume  n’est pas de ce monde ; si il était de ce monde, j’aurais des gardes  qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, mon royaume  n’est pas d’ici. »
Pilate relève l’information sur l’identité de Jésus : « Alors, tu es roi. » Cette fois-ci Jésus constate que Pilate ne raisonne plus par ouï-dire, mais que l’affirmation vient de lui-même : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. » L’homme a fait un pas : il reconnaît une possible royauté de Dieu ; et Dieu aussi fait un pas : il reconnaît la liberté personnelle de l’homme à croire ou à ne pas croire. En fait, il lui ouvre une porte, d’où l’explication qui suit : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » La vérité dont parle Jésus est l’adéquation entre ce que l’on pense et ce que l’on fait, soit l’inverse de l’hypocrisie ou de la dissimulation. Dieu est vérité en ce qu’il dit ce qu’il fait, et qu’il fait ce qu’il dit. Or Dieu est un Dieu d’amour : la vérité consiste donc à vouloir la communion avec l’humanité et à la réaliser dans le don de soi-même, fût-ce dans le pardon. Tout homme, croyant ou non, qui est mû par sa conscience et veut mener une vie droite, est normalement sensible à cette vérité de Dieu ; c’est pourquoi Jésus ajoute : « Quiconque appartient à la vérité  écoute ma voix. »
Dramatique instant, où en Pilate l’homme est seul face à son Dieu, qui lui parle le langage de la vérité à travers sa conscience, et l’appelle à la foi. En réalité, devant la lumière, c’est l’homme qui se juge lui-même : va-t-il se laisser éclairer ? ou choisir de se retirer dans les ténèbres ? Le tribunal de Pilate n’est pas tant le jugement de Dieu par l’homme que le jugement de l’homme par lui-même, en présence de Dieu qui lui offre son amour en vérité, et son pardon. La suite appartient à chacun.
 

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