Jr
33, 14-16 ; Ps 24 ; 1 Th 3, 12-4, 2 ; Lc 21, 25-28.34-36
Chers
frères et sœurs,
Il
y a deux semaines, nous avons déjà entendu dans l’évangile de Marc cet
enseignement donné par Jésus à ses Apôtres. Aujourd’hui, nous sommes dans
l’évangile de Luc, qui rapporte les mêmes propos de Jésus, mais en insistant
sur des points différents. Saint Luc est le spécialiste des petits cailloux,
des mots choisis et placés avec soin dans son texte, pour nous renvoyer à
d’autres passages, que ce soit de son évangile ou bien aux Écritures, à
l’Ancien Testament. C’est alors, quand on fait le lien avec les autres textes,
qu’on peut vraiment comprendre ce qu’il a voulu nous dire. Il faut donc partir
à la recherche des petits cailloux.
Dans
la première partie de notre évangile, j’en ai trouvé au moins deux. Le premier
est le mot « flots » : « les nations seront affolées et
désemparées par le fracas de la mer et des flots. » Déjà, nous pouvons
observer qu’il y a un redoublement de la même image : la mer et les flots.
Pourquoi avoir ajouté les « flots » ? Dans l’évangile de Luc,
nous retrouvons les « flots » au chapitre 8, lorsqu’il est
question de la tempête apaisée. Souvenez-vous : « Les disciples
s’approchèrent et le réveillèrent en disant : « Maître, maître ! Nous
sommes perdus ! » Et lui, se réveillant, menaça le vent et les flots
agités. Ils s’apaisèrent et le calme se fit. » Les deux évangiles de
la tempête apaisée et de la fin du monde doivent donc se comprendre ensemble.
La tempête apaisée est une annonce de la passion, de la mort et de la
résurrection de Jésus ; la fin du monde ressemblera donc aussi à une
passion, une mort et une résurrection.
Et
cela est tellement vrai que saint Luc nous le précise avec le deuxième
caillou : « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et
relevez la tête, car votre rédemption approche » Le mot-cailloux est
« redressez-vous ». Celui-là est bien caché, il faut le dire !
Mais la traduction française n’est pas si mauvaise. Dans la vieille version
syriaque, le verbe employé est très rare ; ce n’est pas « redressez-vous »
mais « regardez ». Il n’est employé que dans le Cantique
des Cantiques pour la rencontre amoureuse du bien-aimé et de la bien-aimée,
et dans l’évangile de Luc, pour la résurrection de Jésus : « mon
bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se
tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le
treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : Lève-toi, mon amie, ma toute
belle, et viens… » ; et dans l’évangile de Luc, au chapitre
24 : « Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se
penchant, il regarda les linges, et eux seuls. Il s’en retourna
chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. » Ainsi, saint Luc veut
nous dire que, si d’un côté tout s’écroule dans le vacarme des flots, par la
foi nous sommes invités à porter un regard particulier, un regard amoureux
même, sur Jésus ressuscité qui vient, comme le bien-aimé auprès de sa
bien-aimée, car notre rédemption, notre libération, est proche. Saint Marc
avait dit presque la même chose : il avait aussi fait allusion au Cantique
des Cantiques ; il avait fait le lien avec le bien-aimé qui frappait à
la porte.
Devant
les épreuves, au milieu des épreuves, les chrétiens sont donc invités à poser
un regard particulier sur la réalité, un regard marqué par la foi – une foi
amoureuse. Comme on discerne les bourgeons sur le figuier pour se réjouir, déjà,
de la venue prochaine du printemps.
Cependant,
Jésus poursuit son enseignement car il sait très bien que l’attente, la veille,
sera difficile : l’homme sera partagé entre le désespoir et l’abandon qui
conduisent à l’indignité, d’un côté ; et la foi et l’espérance, de
l’autre. Jésus met en garde ses disciples contre l’alourdissement du cœur.
Celui qui a le « cœur lourd », c’est Pharaon. Il endurcit son cœur,
s’enferme sur lui-même et devient aveugle à la réalité de Dieu. Pour les Hébreux,
le cœur est le lieu de l’intelligence : celui qui a le « cœur
lourd », est un aveugle : il a l’intelligence obscurcie – il ne
« regarde » pas, il ne « voit » pas, il ne
« comprend » pas. La conséquence de cet athéisme, de ce désespoir,
conduit l’homme aux « beuveries » – on devrait plutôt traduire par « orgies »,
quand on se livre à toutes les passions charnelles ; à « l’ivresse »
– les addictions multiples qui font oublier la réalité ; et, pas tant les « soucis
de la vie » que les « séductions du monde » – la dispersion dans
mille affaires au détriment de l’unique nécessaire. Abandon aux passions,
déconnexion du réel, dispersion de soi ; voilà les risques encourus par
celui qui perd le regard de la foi.
Inversement,
celui qui reste éveillé et qui prie aura la force d’échapper au malheur et de
se tenir debout devant le Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Jésus ressuscité.
Il y a ici deux points à souligner pour bien comprendre Jésus ou saint Luc :
Le
premier n’est pas évident pour une question de traduction. Il y a dans
l’évangile une opposition entre les habitants de la terre qui ont le
« cœur lourd » – ceux-ci sont assis sur la terre – et ceux qui
sont éveillés et qui prient : ceux-là pourront se tenir debout
devant le Fils de l’homme. Ceux qui se tiennent debout sont les baptisés, les
ressuscités. C’est pourquoi par exemple, on prie toujours le Notre-Père debout.
Le
second point est aussi lié à une question de traduction : « Priez
en tout temps, ainsi vous aurez la force » ; on peut aussi
traduire : « priez afin d’être dignes ». Dans les deux
cas, ce qui donne la force ou qui rend digne de se trouver debout devant le
Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Dieu, c’est l’Esprit Saint. L’objectif de
la prière est l’acquisition de l’Esprit Saint, qui rend fort et digne de se
présenter les mains pures, le cœur pur, le cœur léger, l’intelligence éclairée,
debout, devant Dieu, pour recevoir de lui la vie éternelle.
Chers
frères et sœurs, contre toutes les passions, addictions, ou dispersions
mortelles, nous pouvons acquérir l’Esprit Saint qui rend fort et digne, en
portant un regard amoureux, un regard de foi, sur Jésus ressuscité et en le
priant de jour comme de nuit sans nous lasser. Alors, le jour venu, nous le
verrons et nous serons tels que nous le verrons, dans la paix, la joie et la
lumière.