Gn
2,7-9 ; 3,1-7a ; Ps 50 ; Rm 5,12-19 ; Mt 4,1-11
Chers
frères et sœurs,
Dans
la Genèse, nous voyons qu’Adam et Eve sont tombés parce que le diable
les a possédés d’abord par le désir du fruit interdit qu’il excite en eux, puis
par le mensonge, en faisant dire à Dieu ce qu’il n’a pas dit, et enfin, en
obtenant la victoire par le fait qu’ils choisissent d’écouter sa voix
mensongère plutôt que celle du commandement de Dieu. Ainsi, le diable arrive à
son but : se faire dieu à la place de Dieu, en tenant l’homme asservi.
Or,
face à Jésus il se trouve devant un problème. En effet, celui-ci vient juste
d’être baptisé, et, à cette occasion, la parole de Dieu s’est fait
entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma
joie. » Jésus est le Messie de Dieu, le Sauveur d’Israël. Si donc le
diable parvient à le subvertir, alors il dominera même le peuple de Dieu qui
lui résiste toujours, et il sera vraiment le roi de ce monde. Tel est l’objectif
stratégique du diable. Cependant le diable veut agir caché – il ne veut pas se
dévoiler – d’une part, et d’autre part, il ne sait pas très bien qui est
vraiment Jésus. D’où les trois épreuves, qui sont en même temps des révélations
pour l’un et pour l’autre. Voyons comment le diable agit d’un point de vue
tactique.
Après
quarante jours de jeûne, Jésus a faim. Plus encore, il est affaibli : il
dépérit. C’est le bon moment pour la première épreuve, la tentation du
désir : « que ces pierres deviennent des pains. » Jésus a
tellement faim que même les pierres deviennent pour lui désirables. Cependant,
tandis qu’Adam et Eve avaient craqué pour un beau fruit sans même avoir faim,
Jésus résiste : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de
toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » En citant le Deutéronome,
la Loi, Jésus montre qu’il obéit prioritairement au commandement de son Père.
Ce faisant, il ne répond pas au test du diable : « Si tu es Fils
de Dieu. » Jésus répond en effet comme tout homme doit faire :
par l’obéissance à la Loi. Il ne se dévoile donc pas en tant que Dieu.
Jésus
s’étant protégé de la tentation par l’obéissance à la Loi, le diable passe alors
à la seconde épreuve, celle du travestissement de la Parole de Dieu par le
mensonge. Ainsi, il cite parfaitement le Psaume 90, où il est dit que
les anges protègeront le juste, mais il invente la possibilité que le juste
puisse se mettre lui-même en danger, pour tenter Dieu de le sauver. Face à ce
mensonge, Jésus répond également et encore par la Loi : « Tu ne mettras
pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ce faisant, alors que le
diable cherche toujours à savoir qui est Jésus – « Si tu es Fils de
Dieu… » – Jésus répond toujours en tant qu’homme : il ne veut pas
mettre son Père à l’épreuve. Ainsi, lui qui est pourtant Fils de Dieu, se fait
humble devant son Père : il récuse l’orgueil que le diable tentait
d’établir en lui par cette épreuve. En effet, travestir la Parole de Dieu par
un mensonge est un acte orgueilleux qui ne vient pas de Dieu et qui suscite non
seulement le péché, mais aussi la mort. Car quiconque se jette du haut du
Temple ne peut que mourir au pied de la muraille.
Ayant
échoué une seconde fois, le diable tente sa troisième épreuve : faire que
Jésus lui obéisse, ou l’adore, plutôt que Dieu. Cette fois-ci il est
direct : « Tout cela – c’est-à-dire tous les royaumes de la
terre et leurs richesses – je te le donnerai, si, en tombant à mes pieds, tu
te prosternes devant moi. » Tout ou presque est dit dans le dernier
mot, très égocentrique : « moi » ! Comme d’habitude, il y a
aussi un mensonge dans l’affirmation du diable : comment peut-il donner ce
qui en réalité ne lui appartient pas, mais qui appartient à Dieu créateur de
toutes choses ? Ce faisant, en proposant un marché de dupes :
pseudo-pouvoir contre adoration, le diable se dévoile ; Jésus le
reconnaît et le nomme : « Va-t-en Satan ! » Satan,
c’est-à-dire l’Adversaire, celui qui se repaît, se nourrit, du mensonge et de
la calomnie, se fait injustement l’accusateur des justes et cherche à les
entraîner dans l’apostasie. Encore une fois, Jésus lui répond par la Loi, la
Parole de Dieu : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à
lui seul tu rendras un culte. » Il s’agit ici-même du cœur de la Loi,
le Shema Israël, la prière que tout juif sait par cœur, comme nous le
Notre-Père : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est
l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et
de toute ta force. » Le diable est donc doublement vaincu : il
est dévoilé, et tandis qu’il voulait se faire dieu, il se voit opposer
l’adoration du vrai Dieu. Et contre cela, il ne peut rien : il doit partir
– où ? – on ne sait pas, vers le néant.
Jésus
a donc été victorieux dans les trois tentations par lesquelles Adam et Eve
étaient tombés. Ayant agi comme homme obéissant à la Loi, sans transiger sur
l’amour du Dieu unique, sans laisser prise au mensonge, sans succomber au
désir, Jésus apparaît comme l’homme parfait qui accomplit la Loi – sans pour
autant dévoiler au diable sa véritable identité. Mais à la fin, le diable étant
parti, les anges le servent, car il est aussi vraiment Dieu. Ce faisant, ayant
dévoilé et vaincu le démon, Jésus a fait la démonstration qu’il pouvait réellement
nous sauver du péché et de la mort.