Lv
19,1-2.17-18 ; Ps 102 ; 1Co 3,16-23 ; Mt 5,38-48
Chers
frères et sœurs,
Jésus
poursuit l’enseignement qu’il donne à ses disciples et aux foules, assis sur la
Montagne, comme Dieu avait enseigné sa Loi à Moïse et au Peuple, sur le Mont
Sinaï. Il a commencé par les Béatitudes, et il poursuit par l’exposition de la
loi nouvelle, en précisant que celle-ci n’annule pas du tout la Loi de Moïse
mais au contraire, qu’elle la porte à son accomplissement.
Dimanche
dernier, nous avons entendu Jésus nous enseigner le dépassement de l’interdit
du meurtre par l’interdiction de se mettre en colère contre son frère, ou de
l’insulter ; puis le dépassement de l’interdit de l’adultère par
l’interdiction du regard concupiscent et du geste déplacé, et l’annulation de
la tolérance de la répudiation ; et enfin le dépassement du serment par
l’exigence d’une parole droite et sans défaut. Nous avons vu combien
l’accomplissement de la Loi donnée à Moïse, la Loi nouvelle enseignée par
Jésus, était exigeante, pour ne pas dire presque impossible à vivre
humainement, sans le secours de l’Esprit Saint qui seul peut nous la rendre
praticable.
Aujourd’hui,
Jésus ajoute le dépassement de la loi du Talion par celle d’une forme radicale de
non-violence. Ici Jésus nous dit deux choses. La première est que nous ne
devons pas donner, par notre résistance, une consistance ou une force au mal
qui nous agresse. Souvenez-vous du jeu de la corde, lorsque deux équipes tirent
sur une corde. Plus on résiste, plus l’équipe adverse tire fort. Mais si tout à
coup on lâche, l’autre équipe tombe par terre. Il en va de même avec le
mal : il n’a pas de force d’être en lui-même : il n’a d’autre puissance que
celle qu’on lui accorde. Si on l’absorbe, on le désarme, et il ne peut rien
contre nous. À travers cet enseignement Jésus nous apprends en même temps
quelle liberté peut ou doit être la nôtre, notamment à l’égard des biens qui
nous sont confiés, y compris le bien de notre propre vie. À l’extrême, nous
devrions être si libres et si généreux, que nous devrions être capables de tout
donner, jusqu’à nous-mêmes, pour n’accorder aucune prise au mauvais. Et ainsi,
par notre entière liberté, annuler celui-ci totalement.
Cela
nous impressionne ! Mais Jésus va encore plus loin. La Loi donnée à Moïse nous
dit d’aimer notre prochain et de haïr notre ennemi. Et Jésus nous demande
d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent. Mais voilà :
en araméen, il y a deux verbes différents reḥam et ḥab qu’on
traduit par un seul verbe « aimer » en français. La Loi nous demande
d’aimer reḥam – sympathiquement, normalement – notre prochain. Mais
Jésus nous dit d’aimer ḥab – de brûler d’amour, de tout notre cœur, de
chérir – nos ennemis. C’est évidement l’exact opposé du verbe haïr. Donc non
seulement, il faut aimer son ennemi, mais même encore plus, il faut le chérir. Nous
voyons donc a quelle extrémité Jésus nous emmène : une liberté totale
contre le mal et un amour total de notre ennemi. Pourtant, le mal reste le mal
et l’ennemi reste l’ennemi.
Comment
cela est-il possible et qu’est-ce que cela veut dire ? Jésus, finalement,
nous donne la clé pour tout comprendre : « Vous donc, vous serez
parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » Il y a deux choses à
comprendre. La première est que celui qui peut réaliser, qui incarne
complètement, la Loi nouvelle de Jésus, qui accomplit la Loi donnée à Moïse,
c’est Dieu, notre Père céleste, lui-même. Son amour est si grand qu’il chérit
même ses ennemis et que dans son absolue liberté il ne leurs accordera aucune
prise sur lui. Souvenons-nous de Jésus en sa Passion, qui se laisse juger,
insulter, frapper, tuer… pour exprimer finalement sur la croix tout son amour
divin pour eux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce
qu’ils font. » À travers son enseignement des Béatitudes, puis des
exigences radicales de l’accomplissement de la Loi, en réalité, Jésus nous
dévoile qui est le Père, qui il est lui-même, son amour radical pour nous, son
absolue liberté, sa fidélité totale, son regard pur et juste sur nous, et sa
patience infinie. Par conséquent, et c’est la deuxième chose à
comprendre : voilà ce que le Saint Esprit réalise en nous quand il vient
habiter notre cœur, comme le Seigneur dans son Temple. Il nous divinise et
nous rend semblable à Lui dans son incroyable bonté. Et c’est ainsi que sont
les saints, en tout ou partie.
Jésus
ne nous dit pas : « Soyez parfaits » comme si c’était une
obligation : il sait bien que nous sommes incapables d’atteindre humainement
cette perfection. Mais il nous dit plutôt : « Vous serez parfait »,
c’est une promesse, parce que c’est le Seigneur lui-même qui nous fera don de
cette perfection. Cependant, la voulons-nous,
cette Pentecôte ? la désirons-nous ? Préparons-nous notre cœur et
notre vie à la recevoir ? à recevoir ce don extraordinaire de Dieu ?
Bien que nous la recevions déjà intégralement à chaque messe, par notre
communion sacramentelle, le temps du carême qui débute mercredi prochain est
bienvenu pour nous permettre de ranger un peu notre intérieur… pour l’ouvrir à
la vraie liberté et au véritable amour, celle et celui de notre Dieu, source de
tout bonheur et de toute joie.