dimanche 29 mars 2020

29 mars 2020 - 5ème dimanche de Carême - Année A - Commentaire

Ez 37,12-14 ; Ps 129 ; Rm 8,8-11 ; Jn 11,1-45

Chers frères et sœurs,

Il y a plusieurs façons de lire l’évangile de la résurrection de Lazare. La première est la plus évidente : il s’agit d’assister au miracle réalisé par Jésus, en communion avec son Père et le Saint Esprit. Ce qui se passe à Béthanie nous apprend que nous n’avons pas à redouter la mort – Jésus l’appelle un « sommeil » – car en Dieu réside la puissance de la résurrection. Non pas seulement au dernier jour, comme le pensait Marthe, mais déjà maintenant par la foi. D’ailleurs, saint Paul nous rappelle que tous ceux qui sont baptisés et sont habités par l’Esprit Saint ont déjà en eux le germe de la Vie éternelle.

La deuxième manière de lire l’évangile, est de le comparer avec le récit de la résurrection de Jésus. Ici, c’est Jésus qui vient au tombeau et qui se trouve devant la pierre fermée. Tandis qu’au jour de sa résurrection, ce sont les femmes qui vont au tombeau et s’interrogent : « Qui nous roulera la pierre ? » Marie – qui a répandu le parfum précieux sur ses pieds et qui une fois encore aujourd’hui se prosterne à ses pieds – ne pourra pas, bientôt, retenir Jésus ressuscité. Thomas, qui est ici tout feu tout flamme pour aller mourir avec Jésus en Judée, non seulement s’enfuira comme les autres apôtres à Gethsémani, mais aura bien du mal à accepter la résurrection de Jésus. Lazare, qui est déjà depuis quatre jours dans le tombeau, en sort avec ses bandelettes et le visage recouvert d’un suaire. Voilà des signes que reconnaîtra saint Jean au tombeau de Jésus. On dit à Jésus : « Viens et vois » tandis que saint Jean, lorsqu’il fut venu, dit de lui-même qu’« il vit et il crut ». Toutes les pièces du puzzle sont là, mais elles sont encore en désordre. Pour autant, nous pressentons bien qu’à travers la résurrection de Lazare, c’est déjà la résurrection de Jésus qui s’annonce.

Justement, la troisième manière de lire l’évangile nous montre ce qu’il se passe dans le mystère de Dieu lors de la résurrection de Jésus. Car tout en étant homme, Jésus est Dieu. Il est homme et son humanité nous rend visible ce qui est caché dans le mystère de Dieu.
Or que se passe-t-il lorsque Dieu vient constater la mort d’un homme ? Alors que lui-même sait que la mort, au fond, n’est qu’un sommeil. Devant les larmes de Marthe et de Marie ; devant les larmes des Juifs, saisi d’émotion, bouleversé, il ne peut pas s’empêcher de pleurer à son tour. Devant la mort de l’homme, Dieu pleure. Devant la mort de son Fils Jésus, le Père pleure.
Ils feraient erreur ceux qui crieraient à l’anthropomorphisme, c’est-à-dire à la tentation facile de prêter à Dieu des sentiments humains, de projeter indûment sur Dieu des conceptions humaines. Car notre Dieu n’est pas le dieu de Platon ou d’Aristote, qui n’a pas de cœur ni de personnalité. Au contraire, la réaction de Jésus, dont saint Jean fut témoin, m’apprend – comme d’ailleurs déjà toutes les Écritures (= l’Ancien Testament) – que Dieu a un cœur, des « entrailles ». Ce n’est pas lui qui est à notre image, c’est nous qui sommes créés par lui à son image. Nous avons un cœur, comme lui.
Ainsi aucune de nos larmes n’est jamais perdue : chacune vient toucher le cœur de notre Dieu, qui nous les rend au centuple par ses grâces. A commencer par celle de la résurrection de ceux que nous aimons. Car dans ces moments, peut-être plus que jamais, nous lui ressemblons.

Grâce à cet évangile de la résurrection de Lazare, nous sommes prévenus et réconfortés face au drame de la mort. Nous savons que notre Dieu a la puissance de la dominer et, par son amour pour nous, par sa capacité à être ému par l’amour que nous nous portons les uns pour les autres, nous savons aussi qu’il a la volonté que nous vivions. Jésus s’est fait homme et a donné sa vie pour que l’homme, qui était mort, ressuscite et entre avec lui dans la Vie.  

mardi 24 mars 2020

25 mars 2020 - Annonciation du Seigneur - Année A - Commentaire


Is 7,10-14 ; 8,10 ; Ps 39 ; Hb 10,4-10 ; Lc 1,26-38

Marie, Maryam et Rébecca

Manuscrit Byzantin du 12ème siècle – © Bibliothèque Nationale de France

Dans les représentations orientales de l’Annonciation, Marie est figurée puisant de l’eau, tandis que l’Ange du Seigneur s’adresse à elle. Dans les représentations occidentales, Marie est plutôt chez elle. Mais souvent, pour rappeler la tradition du puits, on trouve à ses pieds une cruche d’eau. Pourquoi ?

Plusieurs interprétations sont possibles. La première provient du Protévangile de Jacques, un texte non reconnu par l’Église, mais qui a beaucoup influencé notre Tradition. Ce texte rapporte que l’Ange a d’abord rencontré Marie au puits pour la saluer : « Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie parmi les femmes. » Marie ayant pris peur, s’est réfugiée chez elle avec sa cruche, puis s’est mise à filer de la pourpre (pour tisser, dit le texte, le Voile du Temple). C’est là que l’Ange vient à nouveau et lui annonce : « Ne crains par Marie, car tu as trouvé grâce devant Dieu. Tu concevras de sa Parole. » Nous retrouvons ici les paroles transmises par l’Évangile de saint Luc. Les représentations orientales de l’Annonciation sont donc conformes à ce que rapporte le Protévangile de Jacques.

Une autre tradition provient des commentaires juifs du livre de l’Exode (chap. 15). On y lit en effet qu’après avoir été libérés des Égyptiens qui les poursuivaient, la sœur de Moïse, Maryam, ayant chanté les louanges de Dieu au son du tambourin, les Hébreux marchèrent trois jours dans le désert. Et ils eurent soif. Arrivés à la source amère de « Mara » (en hébreu : « amertume »), il se plaignirent au Seigneur. Moïse intercéda et le Seigneur lui demanda de frapper l’eau avec son bâton pour la rendre pure. Les Hébreux purent alors repartir pour Elim, où il y a douze sources et soixante-dix palmiers.
Certains commentaires juifs très anciens de ce passage de l’Exode attribuent à la louange de Maryam, le fait que le peuple ait déjà pu rejoindre Mara. Ce qui a permis ensuite à Moïse d’intercéder pour obtenir le miracle de l’eau amère changée en eau pure, et permettre enfin au peuple de rejoindre Elim. Pour un chrétien, l’âme pure de Marie (= Maryam) a permis l’incarnation de Jésus (= l’eau du puits de Mara) qui par la croix (= le bâton de Moïse) va devenir source de vie et permettre à l’Église, le peuple de Dieu, de vivre de l’Esprit Saint, guidé par les douze Apôtres et les soixante-dix anciens (= les douze sources d’Elim, et les soixante-dix palmiers).

Mais le livre de la Genèse (Chap. 24) nous réserve un plus beau cadeau encore. Il s’agit de la rencontre entre le serviteur d’Abraham, envoyé par lui dans sa parenté, pour y trouver une femme à son fils Isaac. Or ce serviteur rencontra Rébecca auprès d’un puits. Rébecca « avait très belle apparence, elle était vierge, aucun homme ne s’était uni à elle ».
Or ce jour-là « Elle descendit à la source, emplit sa cruche et remonta ». Le serviteur lui dit : « De grâce, donne-moi à boire une gorgée d’eau de ta cruche ! ». Rébecca fit tout ce que le serviteur espérait qu’elle ferait pour qu’il puisse reconnaître par ces signes qu’elle était bien celle que le Seigneur lui désignait pour être l’épouse d’Isaac. Il lui fit don aussitôt de bracelets et d’un anneau.
Accueilli ensuite à la maison de Rébecca, le serviteur put faire officiellement la demande en mariage à son père Betouël et à son frère Laban, qui acceptèrent, pourvu que Rébecca donne son accord : « Veux-tu bien partir avec cet homme ? » ; elle répondit : « Oui, je partirai. »
Le « oui » de Rébecca annonce déjà le « oui » de Marie, l’une à un serviteur anonyme, envoyé par Abraham pour son fils Isaac, l’autre à l’Ange du Seigneur, envoyé par le Père pour l’incarnation de son Fils Jésus. A cette occasion Marie est dite "l'épouse de l'Esprit Saint".

Finalement, nous retrouvons ici, comme dans le Protévangile de Jacques, une première étape au puits, et une seconde à la maison. Une rencontre près d’un puits, puis un « oui » pour un mariage. Ici l’eau amère, là l’eau pure.
Il y a dans l’Ancien Testament tous les ingrédients pour donner du relief, du goût et des couleurs à l’Annonciation, mais aussi au miracle de Cana ou à la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Au fait, pour embellir encore toutes ces femmes qui attendaient quelqu’un d’important dans leur vie, Rébecca, en hébreu, se traduit par : « Celle qui a eu ce qu’elle désirait. »

dimanche 22 mars 2020

22 mars 2020 - 4ème dimanche de Carême - Année A - Commentaire


1S 16,1b.6-7.10-13a ; Ps 22 ; Ep 5,8-14 ; Jn 9,1-41

Chers frères et sœurs,

Astérix et Obélix auraient dit : « Le ciel nous est tombé sur la tête ! » En effet, qui aurait cru, il y a un mois ou deux que nous en viendrions à vivre, en 2020, un confinement généralisé, en France et presque partout dans le monde ?

Après un premier moment de stupéfaction et d’organisation un peu fébrile, nous commençons à peine à réaliser ce qu’il nous arrive. Nous n’en connaissons d’ailleurs pas les conséquences, à moyen et long terme. Rapidement, nous avons tendance à chercher des responsables, puis nous cherchons la signification de cet événement pour nous et pour le monde. Beaucoup prennent la parole et profitent de ce temps où nous sommes fragilisés pour nous faire avaler tout un tas de salades. Ne nous pressons pas trop. Mais écoutons la voix du Seigneur.

Les lectures de ce jour sont particulièrement instructives à ce propos.

Voyons le prophète Samuel chercher parmi les fils de Jessé celui que le Seigneur a choisi. Il est bien persuadé que le Messie du Seigneur devait présenter une belle apparence. Mais c’est le petit dernier, David, qui finalement sera l’élu de Dieu. Tout prophète qu’il est, Samuel, n’avait pas les yeux pour voir : il a fallu que le Seigneur le guide pour qu’il reconnaisse enfin David. Ainsi donc, méfions-nous des faux prophètes et même de nos propres jugements : tant qu’ils ne sont pas éclairés par l’Esprit de Dieu, ils sont faux.

L’Évangile nous permet d’aller un peu plus loin. Jésus rencontre l’aveugle-né (c’est nous) et lui met de la boue sur les yeux. Comme si boucher davantage les yeux d’un aveugle pouvait l’aider à guérir ! Il lui demande d’aller ensuite se laver à la piscine de Siloé. Et c’est là que l’aveugle-né trouve la vue. Finalement, sa guérison se fait en deux temps : un premier temps d’obscurcissement où il est fait appel à sa foi, et un second temps de purification et d’illumination, dans l’eau de Siloé.

En ce moment même, nous vivons le premier temps : aujourd’hui, nous qui avons une vision et une compréhension limitée du monde malade qui nous entoure, nous sommes davantage mis à l’épreuve. Et le Seigneur fait appel à notre foi.
Si nous suivons la leçon de l’Aveugle-né, nous sommes appelés à nous purifier de nos péchés et à chercher l’eau de la source. On peut penser à la Samaritaine. On peut penser à l’eau du baptême. On peut aussi penser à l’Esprit Saint. C’est là que le Seigneur nous donne rendez-vous pour nous rendre la vue et nous faire comprendre le sens de l’épreuve que nous vivons.

On remarquera, dans l’Évangile, que – bien qu’il soit guéri – l’Aveugle-né ne sait pas qui est Jésus. Il pense que c’est un prophète. Ses yeux physiques sont guéris, mais pas encore son cœur et son intelligence. Il faut que Jésus revienne le voir une seconde fois :
  • Crois-tu au Fils de l’homme ?
  • Et qui est-il Seigneur, pour que je croie en lui ?
  • Tu le vois, et c’est Lui qui te parle.
  • Je crois, Seigneur !
Il se prosterna alors devant lui, le reconnaissant non plus seulement comme prophète mais d’abord comme Dieu. Ses yeux s’étaient ouverts, et maintenant aussi son cœur et son intelligence.

Il en va de même pour nous. Le Seigneur qui fait appel à notre foi en ce temps de ténèbres, a besoin que nous nous tournions vers lui. Si nous écoutons sa parole, il nous ouvrira les yeux et se manifestera à nous. Alors notre cœur et notre intelligence le reconnaîtront : « Mon Seigneur, et mon Dieu ! », et nous saurons alors quoi penser et quoi faire, avec assurance.

Dans l’attente de ce jour, prions le Seigneur les uns pour les autres, pour nos familles et pour nous-mêmes. Soyons attentifs aux pauvres. Et gardons avec joie la foi, l’espérance et la charité !


dimanche 15 mars 2020

14 mars 2020 - SAUVIGNEY-lès-GRAY - 3ème dimanche de Carême - Année A


Ex 17,3-7 ; Ps 94 ; Rm 5,1-2.5-8 ; Jn 4,5-42


Chers frères et sœurs,

L’eau est indispensable à la vie. La première lecture évoque l’eau matérielle dont tout être vivant a besoin. L’évangile nous apprend que cette eau ne suffit pas pour vivre, mais qu’on a aussi besoin de l’Esprit Saint, qui vivifie nôtre âme.

Ce double besoin en eau et en Esprit nous rappelle que nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous ne sommes vraiment nous-mêmes que lorsque nous sommes alimentés et bénis de Dieu. Sinon, nous sommes en danger de mort.

Les épreuves de notre temps nous rappellent cette condition de notre existence. Sauf que – évidemment – lorsque nous avons besoin de nourriture, nous dévalisons les supermarchés. En revanche, lorsque nous avons aussi besoin d’être bénis, nous n’investissons pas en masse les Églises. Cela viendra peut-être.

L’homme d’aujourd’hui a perdu le sens de Dieu. Et pourtant, la Samaritaine – elle qui avait cinq maris et n’était probablement pas un grand modèle de moralité – a pu trouver auprès de Jésus le réconfort qu’elle recherchait au plus profond de son cœur, et la paix de son âme. Elle connaissait le puit qui étanche la soif ; elle a découvert la source de la vie éternelle.

Chers frères et sœurs, la présence de Jésus dans notre monde, aujourd’hui, se manifeste de nombreuses manières, et aussi par nous. Tout en attendant son secours, son action et sa venue, pour lesquels nous prions, nous avons aussi un témoignage à donner : celui de la foi, de l’espérance et de la charité. Auprès de nous, notre prochain doit pouvoir, non seulement trouver un réconfort matériel s’il en a besoin – je pense aux personnes isolées – mais aussi un réconfort pour son âme.

Bien évidemment, nous sommes petits et faibles, et même faillibles. Mais nous savons demander à Dieu notre Père le plus beau cadeau qu’il puisse nous faire : l’Esprit Saint, pour que nous ayons la capacité et le courage de témoigner en son Nom.

C’est lui que nous sommes venus chercher ici, dans la communion. Réjouissons-nous donc de savoir aller à la source de vie. Rendons grâce à Dieu. Prions-le pour nos frères et sœurs les plus lointains et les plus proches. En pratique, n’hésitons pas à les tenir informés et à leur proposer de l’aide. Il suffirait d’un simple coup de téléphone : « Je reviens de la messe. On a bien prié. Ça fait du bien. Comment allez-vous ? Avez-vous besoin de quelque chose ? ». Ensuite, c’est le Seigneur qui nous guidera et nous assistera.

Le Siracide disait « La rosée ne rafraîchit-elle pas dans la chaleur brûlante ? De même, une parole peut faire plus de bien qu’un cadeau. » Prions le Seigneur de nous donner l’eau vive dont nous avons besoin, pour que nous devenions nous-même rosée de Dieu autour de nous.

mercredi 11 mars 2020

08 mars 2020 - RCF - Cathédrale de Besançon - Conférence de carême II - Le Carême : un cadeau


2ème conférence de carême à deux voix par l’abbé Franck Ruffiot et le Père Serge Tyvaert, à 16h le dimanche 8 Mars en la Cathédrale Saint-Jean de Besançon : « Le Carême, un cadeau »


01 mars 2020 - RCF - Cathédrale de Besançon - Conférence de carême I - Le Carême : un cadeau


1ère conférence de carême à deux voix avec l'abbé Franck Ruffiot et le Père Serge Tyvaert, à 16h le dimanche 1er mars, en la Cathédrale Saint-Jean de Besançon : « Le Carême, un cadeau »


lundi 9 mars 2020

09 mars 2020 - RCF - LES RENDEZ-VOUS DE L'HISTOIRE - LE CHANT DES HEURES - Partie 1


Une émission de Jean-Paul Maigrot.

Interview du frère Serge Tyvaert auteur de l'ouvrage "LE CHANT DES HEURES Liturgie paroissiale et catéchèse dans le diocèse de Besançon du concile de Trente à l'époque contemporaine".

Pour écouter la conférence : https://rcf.fr/culture/le-chant-des-heures-12-0

08 mars 2020 - Cathédrale de Besançon - Conférence de Carême II - Le Carême, un cadeau


Carême Cathédrale Besançon 2020 – 2
2ème dimanche de Carême – 8 mars 2020


LE CARÊME, UN CADEAU.
VIVRE DE SON BAPTÊME À LA LUMIÈRE DE L’ÉCRITURE
ET DE LA LITURGIE


Chers frères et sœurs,

La semaine dernière, nous avons découvert comment la liturgie était en même temps action de Jésus, par les sacrements, mémoire des actions de Dieu dans l’histoire, et prophétie du Règne de Dieu. Il en va de même pour les Évangiles : ils nous disent qui est Jésus, comment il accomplit l’Ancien Testament, et quelle est la promesse de son Règne à venir, qui se réalise déjà maintenant dans l’Église.
L’évangile de la Transfiguration se prête très bien à cette triple lecture et c’est donc cet exercice que je vous propose de faire ensemble aujourd’hui.

Pour ce faire, nous allons dans un premier temps découvrir une grande fête juive : la fête de Soukkot, c’est-à-dire la « fête des Tentes ». C’est elle qui, ensuite, nous permettra de comprendre ce qu’il se passe lors de la Transfiguration de Jésus, ce qui est en jeu, et quelles en sont les conséquences pour Pierre, Jacques et Jean, c’est-à-dire aussi pour nous.


1.     Soukkot : la Fête des Tentes

Lorsque saint Pierre se trouve en présence de Jésus transfiguré, de Moïse et d’Elie, il dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. »

Au-delà de la proposition généreuse d’abriter Jésus, Moïse et Elie, la mention des tentes fait allusion à la fête juive des Tentes, la fête de Soukkot, qui suit de six jours celle du Grand Pardon, la grande fête du Yom Kippour.
On se souviendra en passant que la Transfiguration de Jésus a lieu six jours après la confession de foi de Pierre, où ce-dernier a déclaré, inspiré par l’Esprit-Saint, que Jésus est « le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Or, la fête du Yom Kippour est le seul moment dans l’année où le Grand Prêtre peut prononcer, dans le Saint des Saints, le Nom de Dieu. Il y aurait donc une correspondance voulue entre le Yom Kippour et la confession de Pierre, et entre la fête des Tentes et la Transfiguration. Mais de quoi s’agit‑il ?

La fête des Tentes commémore deux événements en une seule fête.

Le premier est celui de la sortie d’Égypte, où les Hébreux, poursuivis par les Égyptiens ont campé dans la vallée de Soukkot. « Soukkot » veut dire « hutte » ou « cabane » ou encore « Tente » et même « Tabernacle ». Mais ces cabanes, quoique fragiles étaient protégées, le jour par la colonne de nuée et la nuit par la colonne de feu, dans lesquelles était la Présence du Seigneur. Le Seigneur protégeait son peuple.
Cela était vrai, non seulement au moment de franchir la Mer Rouge, mais aussi dans le désert, pendant quarante ans, durant lesquels les Hébreux ont vécu sous la tente. Ils ont douté, ne sachant pas s’ils pourraient manger ou boire à leur faim. Mais le Seigneur leur a donné la manne et de l’eau, à partir du Rocher.
Ainsi, lorsqu’on est sous la tente et qu’on a foi dans le Seigneur, non seulement on est protégé par sa Présence, mais on a aussi à manger et à boire. Et c’est cette protection du Seigneur que, durant la fête des Tentes, les juifs célèbrent. À cette occasion, ils construisent des cabanes pour y prendre un repas de fête. Et cela est toujours le cas aujourd’hui.

Le second événement qui est célébré lors de la fête des Tentes, est celui de l’ascension de Moïse au Mont Sinaï pour y faire la connaissance du Seigneur et recevoir de lui les Tables de la Loi. Nous voyons ici Moïse monter sur la montagne et y séjourner quarante jours et quarante nuits. Avec foi, il franchit les ténèbres qui recouvraient la montagne, de la même manière qu’Elie avait dû surmonter les tremblements de terre à l’Horeb, avant de faire la connaissance du Seigneur. Moïse avait alors eu la vision de Dieu face à face. Illuminé par la gloire de Dieu, son visage en avait été marqué au point de devoir mettre un voile, pour que ceux qui le regarderaient ne soient pas éblouis à leur tour.
Comprenons donc que Moïse a revécu dans son ascension au Mont Sinaï les épreuves de la sortie d’Égypte. Et, de même que Dieu avait protégé les pauvres huttes avec la nuée, jusqu’à ce que le peuple puisse retrouver la liberté de l’autre côté de la Mer Rouge, de la même manière Moïse a été protégé par les ténèbres jusqu’à ce qu’il accède à la vision de Dieu. Arrivé à ce point culminant, illuminé, Dieu lui a donné les tables de la Loi. Puis Moïse est redescendu de la montagne.

Ainsi donc, lors de la fête des Tentes, en plus de construire une cabane et de manger dedans, les juifs, en souvenir de Moïse, se rendent aussi en pèlerinage au Temple (ou à la Synagogue aujourd’hui), pour y réciter des psaumes de louange et y entendre la lecture de la Loi.

Justement, le Temple fait la synthèse des deux traditions : celle des huttes dans le désert et celle de l’ascension de Moïse. Le Temple est en effet en même temps la tente dans laquelle réside la Présence du Seigneur, comme au désert ; et il est situé sur la montagne de Sion, comme s’il était le Mont Sinaï, au sommet duquel est proclamée la Loi du Seigneur.
D’ailleurs, le Grand Prêtre n’entre derrière le voile du Temple, dans le Saint des Saints où se trouve la Présence du Seigneur, qu’une fois par an, en mémoire du caractère sacré et de l’extrême importance l’expérience de Moïse au Mont Sinaï.

Nous avons maintenant les outils qu’il nous faut pour comprendre ce dont il est question lors de la Transfiguration de Jésus.
Si, comme nous l’avons déjà signalé, il y a un rapport entre la fête des Tentes et la Transfiguration, nous devons pouvoir y retrouver des correspondances avec les deux traditions que je viens d’exposer : la tradition du désert et la tradition du Sinaï.


2.     La manifestation de Jésus, Parole de Dieu

Pour commencer, prenons la tradition du Sinaï, car elle est la plus évidente. En effet, nous retrouvons Jésus illuminé, entouré de Moïse et d’Elie. Là où Moïse avait été ébloui au Sinaï par la gloire de Dieu, ici au Mont Thabor, nous voyons celui qui l’a ébloui : c’est le Seigneur Jésus lui-même.
La première conclusion évidente qu’il faut en tirer est que le Seigneur Jésus est Dieu. Ses vêtements sont éblouissants. Ils sont blancs comme la lumière, c’est-à-dire que Jésus est aussi roi et prêtre.
La seconde conclusion à tirer de la présence de Moïse et Elie autour de Jésus est que ceux qui sont au ciel bénéficient de la vision de Dieu : comme Moïse, ils voient la face de Dieu, ils résident dans sa lumière et surtout, ils sont vivants.
En réalité, ici, Moïse et Elie préfigurent la communion des saints. Mais là, je vais déjà un peu trop vite.

On peut marquer ici une pose et se poser une question. Lors de la Transfiguration, que s’est-il passé ? Est-ce que Jésus s’est allumé comme une ampoule ou bien est-ce que c’est la vision des Apôtres qui a changé ?
Spontanément, nous pensons que c’est Jésus qui a changé d’apparence. Mais Jésus est le Fils du Père en permanence ; il est en permanence habité par l’Esprit Saint. Lui, il ne change pas : il est toujours homme et Dieu. D’ailleurs, les démons, qui sont des anges pervertis, savent le reconnaître immédiatement. Ce sont nous, les hommes, qui ne savons pas reconnaître Jésus, le voir dans sa réalité divine et humaine. Ainsi, ce n’est pas Jésus qui a changé, mais c’est le regard des Apôtres. Il leur a été donné la grâce que leurs yeux s’ouvrent temporairement, et qu’ils voient la gloire de Dieu. Cette grâce est un don de l’Esprit Saint.
Comme Moïse et Elie avaient bénéficié d’une grâce semblable en leur temps. Cela signifie que, ce qui a été vrai pour eux, prophètes et apôtres, peut l’être aussi pour nous. Il nous est possible – si le Seigneur nous en fait la grâce – d’avoir la vision des réalités célestes. Ce peut être l’expérience de saint Paul, sur le chemin de Damas, ou celle de sainte Bernadette, à Lourdes. C’est aussi l’expérience de saint Séraphim de Sarov. Si nos yeux ne voient pas, cela peut être notre intelligence ou notre cœur. Pensez à sainte Thérèse d’Avila, à saint Jean de la Croix, qui ont bénéficié de grâces mystiques et dont l’intelligence et le cœur ont été remplis de la connaissance de Dieu.
Comprenons bien que si le Seigneur le veut, s’il nous en donne la possibilité par le don de son Esprit Saint, nous pouvons nous aussi nous trouver avec Pierre, Jacques et Jean, Moïse et Elie, sur la Montagne, avec Jésus, et entendre la voix du Père pour nous, qui nous transperce le cœur.

Revenons maintenant à la Transfiguration. Dans la tradition du Sinaï, Moïse ne fait pas seulement la connaissance du Seigneur, il reçoit aussi les tables de la Loi. Comment cela se passe-t-il au Mont Thabor ? La réponse se trouve dans la voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le. » Lorsque Moïse était descendu du Mont Sinaï avec les tables de la Loi, bien évidemment il devait en donner la lecture au Peuple. Ici, il n’est pas question de lire des tables, mais d’écouter Jésus. La conclusion est très simple : celui qui dicte la Loi, c’est Jésus. Il est la Parole de Dieu, celui qu’il faut écouter et dont les préceptes sont à mettre en pratique.

Bien sûr, nous comprenons maintenant plus facilement ces passages d’évangile où Jésus dit : « la Loi vous dit ceci, hé bien moi je vous dit cela ». Cette prétention de Jésus à être plus que la Loi, à être le maître de la Loi, se vérifie ici à la Transfiguration. On se souviendra par exemple de l’épisode de la femme adultère, où l’on rappelle à Jésus le précepte de la lapidation pour ces femmes-là. A ce moment, Jésus trace quelque chose sur le sol. Or le verbe employé – la seule fois qu’est employé ce verbe dans l’Évangile – ne se retrouve que lorsqu’il est dit que Dieu trace lui-même sa Loi sur les tables, au Mont Sinaï. Et la réponse de Jésus pour la femme adultère, finalement, est celle du pardon. Jésus est celui qui dit et qui écrit la Loi, qui est une loi de vérité et de charité. Plus encore, nous trouvons une résonnance de la Transfiguration lorsque Jésus prononce les Béatitudes. Là, il dévoile le cœur de Dieu, caché dans les profondeurs de la Loi de Moïse. Jésus ne vient pas abolir, il vient accomplir. Et cela se vérifie ici aussi.

Grâce à la Transfiguration, nous voyons ce qu’a vu Moïse au Mont Sinaï et nous découvrons le secret caché dans la Loi : Jésus et les Béatitudes. Mais à ce sujet, nous ferons encore un pas de plus tout à l’heure.
Cependant, nous avions vu qu’il y avait deux traditions commémorées dans la fête des Tentes. Nous avons médité sur la tradition de Moïse au Mont Sinaï recevant la Loi de Dieu, il nous reste à méditer sur celle des cabanes construites à la sortie d’Égypte, protégées par la Présence du Seigneur qui se trouve dans la nuée.
Comme nous avons beaucoup parlé de Moïse et Jésus, je vais maintenant me pencher sur les Apôtres.


3.     L’Église, Temple de l’Esprit.

Pierre, Jacques et Jean ont été choisis par Jésus pour monter avec lui sur la montagne. Ce sont les mêmes que l’on retrouvera à Gethsémani. Ici comme là, ils ne comprennent pas vraiment ce qu’il se passe. Ils comprendront plus tard, après la résurrection de Jésus.

En fait, à la différence de Moïse et Elie, qui sont déjà au ciel, dans la Gloire de Dieu, et qui donc peuvent s’entretenir normalement avec Jésus, les Apôtres sont encore des hommes terrestres, comme vous et moi. Alors que Moïse et Elie sont dans le Mystère et supportent la lumière de Dieu, Pierre, Jacques et Jean sont face au Mystère et ne supportent pas cette lumière.
Ouvrez votre Bible et lisez l’Ancien Testament : il se passe toujours la même chose lorsqu’un homme se trouve placé en présence du Seigneur ou de l’Ange du Seigneur : il tombe face contre terre, comme par réflexe. Parce que la gloire de Dieu est trop grande pour l’homme : il ne peut pas la supporter.
Et c’est bien pour cela que Jésus s’est fait homme et que l’Esprit Saint ne nous le révèle pas immédiatement comme Dieu : parce que nous ne pourrions pas le supporter. C’est par miséricorde pour nous que Jésus rend sa divinité invisible. Pour que nous nous accoutumions à lui en douceur, jusqu’au jour où il se révèlera entièrement.

Il est une autre loi des rencontres entre l’homme et Dieu : c’est qu’elles se font généralement en deux temps. Un premier temps où Dieu se manifeste en nous marquant le cœur, mais nous ne comprenons pas ce que cela signifie. Et un second temps, où cette fois-ci, nous comprenons clairement pourquoi Dieu nous a appelé et ce qu’il attend de nous.
Souvenez-vous de saint Paul sur le chemin de Damas. Dans un premier temps, il ne comprend pas que c’est Jésus qui l’appelle et il devient aveugle. C’est le premier temps. Ensuite, il se trouve à Damas et Ananie vient lui imposer les mains. C’est un geste sacramentel : c’est Jésus qui à travers Ananie vient guérir Paul. En lui redonnant la vue, il lui donne aussi sa mission : porter l’Évangile aux nations.
Cette loi des deux temps se vérifie aussi, par exemple, avec les disciples d’Emmaüs à la résurrection de Jésus. On leur dit que Jésus est ressuscité. Cela les interpelle, mais ils n’y croient pas, et ils quittent Jérusalem. C’est le premier temps. Ensuite, Jésus les rejoint, leur ouvre les écritures, rompt le pain, et là leurs yeux s’ouvrent : la résurrection, c’était donc vrai. Ils remontent aussitôt à Jérusalem. C’est le deuxième temps.
Il en va de même avec Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne de la transfiguration : ils ne comprennent pas. La révélation qui leur est faite est trop importante pour eux : ils ne comprendront qu’après la résurrection de Jésus. Mais que devaient-ils comprendre ?

C’est là que nous pouvons revenir à notre point de départ : Pierre, qui a toujours un peu plus d’Esprit Saint en lui par rapport aux autres, propose de dresser trois tentes, une pour Jésus, une pour Moïse et une pour Elie. C’est normal, il se trouve bien dans la gloire de Dieu et il voudrait que cela dure, que la bénédiction dure, et que Jésus, Moïse et Elie soient justement honorés.
Ce geste ressemble fortement à celui de David, lorsqu’il proposa à Dieu de lui bâtir une maison à Jérusalem. En effet, pour une fois David régnait en paix, il habitait un beau palais, il était bien, mais il regrettait que le Seigneur, dont la Présence reposait sur l’Arche d’Alliance, soit toujours abrité dans la tente de la Rencontre, la vieille Tente qui venait du désert. David voulait bâtir à Dieu une maison en dur : un Temple. La réponse du Seigneur nous est connue : il a apprécié le geste de David, mais ne lui a pas permis de le réaliser : c’est Salomon qui bâtira le Temple. Cependant Dieu a annoncé à David qu’il ferait de sa descendance une maison, dont le Messie serait issu. C’est-à-dire que Dieu a fait de la famille de David un Temple, qui sera habité par Dieu lui-même.
Nous appliquons immédiatement cette histoire à Pierre, Jacques et Jean – Pierre étant le porte-parole des Apôtres. Pierre veut bâtir des cabanes ou un Temple pour le Seigneur, mais le Seigneur répond que c’est la descendance des Apôtres qui deviendra une Tente où lui-même résidera. D’ailleurs, immédiatement, la nuée dans laquelle se trouve la Présence du Seigneur les recouvre tous de son ombre, et la voix du Seigneur se fait entendre. Comprenons que Jésus, Moïse et Elie, Pierre, Jacques et Jean forment ensemble une cabane, une Tente, un Temple, que la Nuée du Seigneur vient recouvrir et que la Présence du Seigneur vient habiter, comme dans les cabanes de la sortie d’Égypte, comme dans la Tente de la Rencontre dans le Désert, comme dans le Temple de Jérusalem.
Car Jésus, Moïse et Elie, Pierre, Jacques et Jean forment dès maintenant une réalité nouvelle qui s’appelle l’Église, qui est le Temple de l’Esprit Saint, le Temple du Seigneur, dont Jésus est la tête, les prophètes et les Apôtres le corps : un corps invisible formant la communion des saints, et un corps visible, l’Église de la terre. Et cela, c’était évidemment impossible à comprendre sur le moment pour les Apôtres. Ils ne le comprennent que lorsque ce don de Dieu se renouvelle, lorsqu’ils forment un corps rassemblé par Jésus au Cénacle et que l’Esprit Saint vient à nouveau les habiter, à la Pentecôte. Cette fois-ci, leurs yeux s’ouvrent.

A cette lumière, faisons-donc un pas de plus en revenant au don de la Loi fait par Dieu à Moïse au Mont Sinaï. Dieu a donc écrit la Loi sur les tables de pierre. Mais où sont les tables de pierre au Mont Thabor ? Nous avons dit que Jésus était le Maître de la Loi, que c’est lui qui l’écrivait. Mais alors, où écrit-il cette fois-ci ? Les tables de pierre du Mont Thabor, ce sont les Apôtres et la Loi nouvelle, celle qui sera celle des Béatitudes, est inscrite par Jésus dans leur cœur. Si nous cherchons les Tables de la loi, qui sont conservées précieusement dans l’Arche d’Alliance qui se trouve dans le Temple de Dieu, il faut les trouver dans les Apôtres dont le témoignage – c’est-à-dire l’Évangile – constitue le trésor de l’Église.
Souvenons-nous de ce que saint Paul écrivait aux Corinthiens :

« De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs. Et si nous avons une telle confiance en Dieu par le Christ, ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions nous attribuer : notre capacité vient de Dieu. Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie. Le ministère de la mort, celui de la Loi gravée en lettres sur des pierres, avait déjà une telle gloire que les fils d’Israël ne pouvaient pas fixer le visage de Moïse à cause de la gloire, pourtant passagère, qui rayonnait de son visage. Combien plus grande alors sera la gloire du ministère de l’Esprit ! »

Voilà donc que ceux qui ont été témoins de la gloire de Jésus sont maintenant comme des tables vivantes de la Loi de Dieu écrite par l’Esprit Saint dans leur cœur. Et il est bon ici d’entendre le témoignage de saint Pierre à ce sujet :

« Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur.
Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. » Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. »

Ainsi donc, chers frères et sœurs, voyez comment doit se lire un passage de l’Évangile. En le nourrissant des traditions qui sont consignées dans l’Ancien Testament, toujours pratiquées par les juifs aujourd’hui, lues à la lumière de la résurrection de Jésus et du don de l’Esprit Saint, nous pouvons voir ce qui est invisible et mieux comprendre qui est Jésus, qui nous sommes en tant que baptisés, et quelle est notre mission en ce monde.

Lorsqu’on a bénéficié d’une grâce du Seigneur, on est appelé à deux choses : d’abord, rendre grâce à Dieu pour ses bienfaits, et ensuite transmettre à son prochain ce que l’on a reçu du Seigneur. C’est ainsi qu’on remercie Dieu et qu’on lui fait, en même temps, le plus beau des cadeaux.

08 mars 2020 - APREMONT - 3ème dimanche de Carême - Année A


Gn 12,1-4a ; Ps 32 ; 2Tm 1,8b-10 ; Mt 17,1-9

Chers frères et sœurs,

La Transfiguration est un moment très important de la vie de Jésus, qui a lieu entre son baptême et sa Passion. Mais pour bien comprendre de quoi il s’agit, il faut revenir à l’Ancien Testament.

La Transfiguration de Jésus a lieu à l’époque de la fête de Soukkôt, c’est-à-dire la « fête des Tentes ». De quoi s’agit-il ? Cette fête avait lieu six jours après le Yom Kippour, la fête du « Grand Pardon ». Elle durait une semaine. On y commémorait deux choses :
D’abord les quarante années passées par les Hébreux dans le désert, après le passage de la Mer Rouge. Le peuple habitait alors sous la tente ou dans des cabanes et il était protégé par la nuée lumineuse, c’est-à-dire la présence de Dieu. Cette présence assurait aussi le peuple qu’il ne manquerait pas d’eau, ni de nourriture. C’est pourquoi, lors de la fête des Tentes, les juifs fabriquent des cabanes pour y manger un bon repas. C’est toujours le cas aujourd’hui.
Ensuite – lors de cette fête – on commémore aussi l’ascension de Moïse sur le Mont Sinaï, où il resta quarante jours et quarante nuits en présence de Dieu, dont il reçut les Tables de la Loi. C’est pourquoi, les juifs se rendent aussi à la synagogue pour y faire la lecture des Psaumes et de certains passages de la Torah, c’est-à-dire de la Loi.
Autrefois, le Temple à Jérusalem faisait la synthèse entre ces deux traditions : il était une sorte de grande cabane et en même temps il était situé sur la montagne. La présence de Dieu reposait sur lui. Dieu assurait ainsi sa protection au peuple et sa bénédiction, par les sacrifices d’animaux, consommés sur place, et par l’aspersion d’eau pour bénéficier de l’abondance des pluies. Enfin, on y faisait aussi, bien sûr, la lecture de la Loi.

Maintenant revenons à Jésus. Comme Moïse et Elie, Jésus monte sur la montagne. Mais là où Moïse avait été ébloui par la lumière de Dieu, ici c’est Jésus lui-même qui est éblouissant. A l’évidence, cela veut dire que Jésus est Dieu. Habillé de blanc, il est aussi prêtre et roi. Le fait que Moïse et Elie l’entourent signifie que ceux qui sont au ciel peuvent voir la face de Dieu, qu’ils résident dans sa lumière et qu’ils sont vivants. Moïse et Elie prophétisent déjà ici la communion des saints.
En présence de Dieu, on est sous sa protection et on reçoit sa bénédiction : on est bien. On est heureux. Et c’est exactement ce que l’on fête durant la fête des Tentes. Saint Pierre a bien compris cela et il voudrait que ce moment dure longtemps :  il veut donc construire des cabanes.
Mais il n’a pas compris que la vraie cabane, sur laquelle va venir reposer la présence de Dieu, la nuée, ce n’est maintenant plus une chose matérielle, mais c’est Jésus, Moïse, Elie, Pierre, Jacques et Jean, tous ensemble : c’est l’Église. C’est pourquoi la nuée vient les prendre tous sous son ombre : ils sont devenus le vrai Temple de Dieu. Et dans ce Temple nouveau, une voix se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ». Jésus est donc lui-même la Loi nouvelle, celle qui est inscrite non pas sur des tables de pierre, mais sur des cœurs de chair : les cœurs des trois Apôtres présents.

Ainsi donc, lors de la Transfiguration de Jésus, ce qui était symbolisé par les cabanes et le Temple, sur lesquels reposaient la présence de Dieu, est maintenant réalisé par l’Église sur laquelle repose la même présence de Dieu : l’Esprit Saint donné à la Pentecôte.
Et la Loi donnée à Moïse est devenue Jésus lui-même, l’Évangile, confié aux Apôtres. Il est inscrit non pas sur des tables de pierre, mais dans leur cœur. La prophétie de la fête des Tentes s’accomplit en Jésus et dans son corps qui est l’Église.
Cela représente un tel changement que – sur le coup – les apôtres n’ont pas compris. D’ailleurs Jésus leur a demandé de se taire. Il faudra attendre sa résurrection pour qu’ils puissent comprendre vraiment ce qu’il s’est passé sur la Montagne sainte. Et voici ce qu’en a écrit saint Pierre dans sa seconde lettre :
« Ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur.
Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. » Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. »

mercredi 4 mars 2020

07 avril 2019 - RCF - Cathédrale de Besançon - Conférence de carême II - Père, donne-nous d’imiter la charité du Christ

Durant le Carême 2019, les Pères Franck Ruffiot et Serge Tyvaert o.p. mêlent leurs voix pour nous faire découvrir notre vocation baptismale à la lumière des prières de la messe, des Écritures et des Pères de l’Église.

"Père, donne-nous d’imiter la charité du Christ " conférence de carême du 07/04/2019


31 mars 2019 - RCF - Cathédrale de Besançon - Conférence de carême I - Père, augmente en nous la foi

Durant Carême 2019, les Pères Franck Ruffiot et Serge Tyvaert o.p. évoquent notre vocation baptismale à la lumière des prières de la messe, des Écritures et des Pères de l’Église.

"Père, augmente en nous la Foi" conférence de carême du 31/03/2019


mardi 3 mars 2020

1er mars 2020 - Cathédrale de Besançon - Conférence de Carême I - Le Carême, un cadeau


Carême Cathédrale Besançon 2020 – 1
1er dimanche de Carême – 1er mars 2020


LE CARÊME, UN CADEAU.
VIVRE DE SON BAPTÊME À LA LUMIÈRE DE L’ÉCRITURE 
ET DE LA LITURGIE


Chers frères et sœurs,

Comment profiter à plein de notre temps de carême pour revenir aux sources de notre foi et nourrir celle-ci avantageusement ?

En premier lieu, nous pouvons observer que le temps du carême est… un temps liturgique. Mais qu’est-ce que la liturgie ? Ensuite ce temps du carême est construit en quarante jours et cinq dimanches, avant les Rameaux, la Semaine Sainte et Pâques. Mais que signifie cette construction ? En quoi nous aide-t-elle à rencontrer le Christ ? Enfin, si nous zoomons sur le premier dimanche, celui de la Tentation de Jésus au Désert, que nous apprend-il de particulier ? L’esprit de la liturgie, la structure et la fonction du carême, le dimanche de la Tentation, telles seront les trois étapes de mon propos d’aujourd’hui.

1)    L’esprit de la liturgie

La liturgie est constitutive de l’ADN de l’Église. D’ailleurs, Église vient du grec « ecclesia », qui veut dire « assemblée » : assemblée liturgique. Et naturellement cette assemblée liturgique se réunit dans un lieu qui exprimera assez rapidement, dans son architecture, ce qu’elle est : par facilité de langage on l’appellera bientôt une « église ». Cependant, nous le savons, l’Église ne se limite pas à l’assemblée que nous formons, puisqu’elle est le Corps du Christ : elle déborde donc au ciel ; elle comprend la communion des saints. Ou plutôt, c’est nous qui – lorsque nous sommes rassemblés liturgiquement en Église – faisons partie de la communion des saints.
Nous percevons donc qu’il y a trois dimensions à tenir ensemble pour comprendre ce qu’est la liturgie. Une dimension humaine, communautaire, animée et structurée par l’Esprit Saint ; une dimension rituelle et symbolique qui s’enrichit par sédimentation au cours des âges ; et une dimension surnaturelle, puisqu’elle transcende le temps et fait participer dès maintenant à la communion des Saints. Je voudrais détailler un peu plus ces trois dimensions. Ce sont en fait trois intentions originaires, qui se sont développées avec le temps.

La première intention de la liturgie chrétienne, c’est de faire ce que Jésus nous a demandé de faire : c’est-à-dire perpétuer ses paroles et ses gestes par la célébration des sacrements. Nous en avons la trace dans les Évangiles : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au Nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit » ; « Vous ferez cela en mémoire de moi » ; « À ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis »… mais aussi dans les témoignages des Apôtres : « Vous imposerez les mains aux malades et ils s’en trouveront bien » écrit saint Jacques ; « ne néglige pas le don de la grâce qui est en toi, qui te fut conféré par une intervention prophétique, accompagnée par l’imposition des mains, par le collège des anciens » rappelle saint Paul à Timothée, au sujet de son ordination.
Ainsi la liturgie est-elle la continuation de l’œuvre de Jésus. Plus exactement, elle est l’action de Jésus vivant qui agit aujourd’hui par nous, quand nous la célébrons. Jésus n’a-t-il d’ailleurs pas annoncé : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ? ». Il est actuellement présent dans la célébration des sacrements. La liturgie chrétienne est d’abord l’œuvre du Christ, par l’action de l’Esprit Saint qui nous y fait participer, pour la rendre visible. Dans la liturgie, c’est Jésus qui agit.
La deuxième intention de la liturgie est de conserver et transmettre la mémoire des œuvres de Dieu constitutives de l’histoire du peuple d’Israël, histoire sainte accomplie ensuite par la vie de Jésus. La liturgie chrétienne, en ce sens, s’inscrit tout d’abord dans la continuité de la liturgie juive, celle qui, par la lecture de l’Ancien Testament et par le chant perpétuel des psaumes, fait mémoire de l’action et de l’enseignement de Dieu en Israël, lui présente ses souffrances et ses joies, et lui rend grâce pour tous ses bienfaits. Par la lecture des Écritures et par le chant, le juif et le chrétien d’hier et d’aujourd’hui entrent dans l’histoire d’Israël et y sont assimilés. Ils font leur les larmes du peuple de Dieu et participent à son espérance. La liturgie est alors l’école indispensable de la vie spirituelle, de la relation de l’homme avec Dieu.
Dans cet esprit, l’Église naissante a développé en complément la mémoire de la vie de Jésus. Cette mémoire s’est constituée par la rédaction des Évangiles, lus ou récités au cours de la liturgie. Proclamation des Évangiles et liturgie chrétienne sont en effet inséparables. Nous y trouvons le cycle des fêtes : Noël, Pâques, Pentecôte... sans oublier – ce que nous faisons trop facilement aujourd’hui – que nombre d’événements de la vie de Jésus ont eu lieu à l’occasion de fêtes juives. Nous ne pouvons donc pas le comprendre ni comprendre vraiment nos propres fêtes, si nous ignorons la liturgie de l’Ancien Testament. De ce fait, même si elle s’en distingue après sa destruction, la liturgie chrétienne demeure toujours profondément enracinée dans la liturgie du Temple. Mais c’est normal, la première accomplit la seconde.
En fait, il n’y a rien de plus conservateur que la liturgie – et heureusement – car, par sa structure enracinée dans l’histoire sainte et la vie de Jésus, elle nous ramène sans cesse à redécouvrir toujours avec la même jeunesse la présence et le don de Dieu pour notre humanité, et nous apprend à lui en rendre grâce.
La liturgie se présente ainsi comme un terreau fertile, dans lequel le germe de foi ensemencé au baptême, peut, par l’action de l’Esprit, grandir et s’épanouir. La liturgie est une catéchèse perpétuelle, qui nous fait entrer par la lecture et le chant dans la communion du Corps du Christ, et participer à sa vie et à sa joie.

La troisième intention de la liturgie, enfin, est d’être prophétique. Il ne s’agit pas de faire seulement mémoire du passé, et de se laisser toucher par Jésus aujourd’hui, il s’agit aussi – avec l’aide de l’Esprit Saint – de dévoiler dans les rites célébrés, les réalités du Règne de Dieu qui vient. Voilà une fonction de la liturgie un peu oubliée aujourd’hui, et qui pourtant laisse entrevoir d’immenses horizons à contempler, et nourrit par là une extraordinaire espérance.
Car l’espace et le temps liturgiques, représentent symboliquement le passage de ce monde au royaume des Cieux, le pèlerinage qui, de cette vie, conduit à la Jérusalem céleste. C’est par exemple le sens-même des processions. Les rites liturgiques sont la projection sur la terre des réalités célestes. Les ornements liturgiques veulent signifier la grandeur et la lumière de la gloire de Dieu, dont nous savons qu’elles sont inséparables de son amour et de sa vérité. L’encens représente nos prières qui montent vers Dieu ; il répand aussi la bonne odeur du Christ, qui est là, présent. Rien n’est placé ou dit, en tel lieu ou à tel moment dans une liturgie, dans une église, qui ne contienne une signification prophétique du Règne de Dieu. C’est pourquoi, architecturalement, une Église n’est pas une salle de sport, mais une représentation sacramentelle du ciel sur la terre. De la même manière qu’un chrétien est baptisé, un prêtre ordonné, une église est consacrée. Mais nous avons beaucoup perdu de cette compréhension à laquelle nos anciens étaient pourtant habitués. Nous pourrions la retrouver avec bonheur en nous mettant à l’école de nos frères orientaux, catholiques ou orthodoxes.

Si j’ai évoqué devant vous cette triple nature de la liturgie, c’est parce que le temps du carême dont nous parlons s’inscrit en elle. Pour entrer dans le temps du carême et lui faire donner toute sa puissance, nous devons tenter de le comprendre selon les trois dimensions que je viens d’évoquer.

2)    La structure du Carême

Lorsque nous ouvrons le livre de la liturgie du carême, nous devons être conscients d’y trouver l’héritage de deux traditions qui se sont en quelque sorte mises bout à bout et interpénétrées.

La première tradition est celle du jeûne qui permet de se préparer spirituellement et physiquement aux fêtes pascales. Le jeûne était une pratique très courante en orient et dans le bassin méditerranéen. En Égypte, on jeunait quatre fois par an, par simple hygiène corporelle. Mais pour les juifs et les chrétiens, il s’agissait évidemment de se purifier afin de se préparer, corps, âme et esprit, aux fêtes prochaines. Pour nourrir spirituellement ce jeûne, les chrétiens lisaient le livre de la Genèse et l’Évangile de Saint Mathieu. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons au premier et deuxième dimanches de carême, la Genèse en première lecture : le péché et la chute d’Adam et Eve, puis l’appel d’Abraham ; et dans l’Évangile selon Saint Mathieu, les tentations de Jésus au désert et la Transfiguration.
Par le choix de ces lectures, l’Église a voulu encourager les chrétiens au jeûne, en justifiant celui-ci et en lui donnant une finalité. Nous jeûnons, parce que, comme Adam et Eve nous avons péché : nous appartenons à une humanité qui a perdu le bonheur du Paradis. Et nous faisons donc pénitence. Mais il ne s’agit pas de nous morfondre dans une culpabilité sans espérance, car le Seigneur a appelé Abraham et lui a fait la promesse que sa descendance, aussi nombreuse que les étoiles du ciel, hériterait d’une Terre promise. Pour les Hébreux, il s’agissait de la terre d’Israël, mais pour nous, chrétiens, il s’agit du Règne de Dieu. Les Évangiles apportent au pénitent jeûneur qu’est le chrétien d’autres informations et encouragements : Jésus lui-même a jeûné au désert, et non pas seulement le jour, mais aussi la nuit, comme Moïse. Pour Saint Matthieu Jésus est un nouveau Moïse, plus grand que lui. Nous les retrouvons ensuite tous les deux, avec Elie, sur la montagne de la Transfiguration. Ils forment ensemble trois exemples parfaits de pratique du jeûne qui aboutit à la rencontre avec Dieu. La pénitence n’est pas pour la mort : elle est pour la vie, pour la rencontre avec Dieu.
Telle est donc la première tradition du carême : jeûner comme Jésus, Moïse et Elie, pour faire pénitence en raison de nos péchés, en vue de connaître Dieu et d’entrer dans son Royaume.

La seconde tradition du carême et celle de la préparation des catéchumènes à leur baptême célébré durant la Vigile pascale. Ici les lectures, qui sont celles des troisième, quatrième et cinquième dimanche de carême, fonctionnent ensemble, à partir de choix de textes tirés de l’Ancien Testament et de la lecture continue de l’Évangile de Saint Jean.
Elles se présentent comme un enseignement sur le Christ Jésus et sur le salut qu’il nous offre. Le troisième dimanche, en évoquant le Rocher de Massa et Mériba d’où sort l’eau vive, comme l’histoire de la Samaritaine à qui Jésus propose une eau qui étanche toute soif, présente Jésus comme rocher et source de vie éternelle. Le quatrième dimanche, où sont évoqués l’onction de David par Samuel, et la guérison de l’Aveugle-né, nous présente cette fois-ci Jésus comme le Christ sauveur, Messie de Dieu, qui vient illuminer les aveugles que nous sommes devenus depuis la chute d’Adam. Le cinquième dimanche, quant à lui, avec l’impressionnante vision d’Ézéchiel des ossements desséchés qui redeviennent des corps vivants, et la résurrection de Lazare, annonce la résurrection de Jésus et la promesse de la nôtre, par la puissance de son Esprit Saint.
Après ces trois dimanches, les catéchumènes ont donc eu une présentation de Jésus qui comble le besoin de vie de l’homme, qui pardonne ses péchés et lui rend une âme pure, un regard clair, en vue d’une vie éternelle, par-delà la mort. Il s’agit d’une merveilleuse catéchèse sur Jésus et sur l’homme.

Si l’on met donc les deux traditions du carême bout-à-bout, comme la liturgie nous le propose aujourd’hui, nous avons d’abord la prise de conscience de l’état dans lequel se trouve notre humanité, qui est un état déchu. Mais nous avons aussitôt l’annonce d’une possible connaissance de Dieu et la promesse d’un retour dans son royaume. Justement, c’est ce que Jésus vient réaliser ensuite. Il vient répondre à cette espérance, pardonner les péchés, guérir et ouvrir – par-delà la mort – l’accès à la vie éternelle. Ce dernier acte est celui de la semaine sainte et des trois jours saints de Pâques, par lesquels, les catéchumènes et tous les chrétiens avec eux – et avec Jésus, par lui et en lui – passent de la mort à la vie et de la terre au ciel. Le temps pascal développe ensuite les effets de la résurrection.
Ainsi le temps du carême nous aura fait reparcourir l’histoire du salut : création et chute de l’homme, illumination sur la montagne et don de la Loi ; venue de Jésus, Messie sauveur, qui vient réouvrir à l’homme pécheur-pardonné la voie du ciel. Et en même temps, nous avons aussi un résumé de l’histoire de Jésus : les tentations au désert arrivent juste après son baptême, la Transfiguration comme la rencontre avec la Samaritaine et l’Aveugle-né résument sa prédication itinérante, l’enseignement qu’il a dispensé, les pardons et les guérisons qu’il a accordés. Avec la résurrection de Lazare, nous entrons déjà dans les tensions qui vont conduire Jésus à sa Passion et finalement à sa Résurrection.

En définitive, le temps du Carême, est une prédication de l’histoire du Salut et une annonce de Jésus-Christ, une formation initiale ou une révision catéchistique, en quarante jours : c’est la présentation rapide de qui est Jésus, et de qui nous sommes, de ce qu’il a fait pour nous, et de ce que nous lui devons.
Mais surtout, si l’on tient compte de ce que j’ai dit de la liturgie auparavant, le fait même de connaître et de méditer le cycle du carême, nous y fait participer : nous entrons nous-mêmes ainsi dans l’histoire du Salut et dans la vie de Jésus. Et plus encore, le fait même de célébrer la liturgie du carême montre que Jésus assume l’histoire humaine, toute histoire humaine, y compris la nôtre, avec ses drames et ses gloires, pour en faire une histoire sainte qui aboutit à la résurrection et à la sanctification de l’homme, de tout homme, s’il le veut bien.

Ayant exposé le cadre général, je voudrais m’arrêter maintenant sur l’évangile de ce premier dimanche de carême, celui des tentations de Jésus au désert. Il nous reste peu de temps.

3)    Le dimanche de la Tentation du Christ

Lorsqu’on lit un texte biblique, il faut toujours lire ce qui s’est passé avant et après. Et si jamais, dans la liturgie, ce texte est malheureusement morcelé, il faut toujours le relire dans son intégralité. C’est salutaire.

Ainsi donc, avant que Jésus ne soit tenté par le Satan, il faut revenir à son baptême par Jean dans le Jourdain, où il a été consacré par Dieu Messie, roi et prêtre, pour accomplir la rédemption de l’homme. Lorsque l’Esprit Saint pousse Jésus au désert, c’est pour accomplir cette mission : descendre jusqu’au cœur de l’homme, à la racine de la fragilité qui se trouve en lui et qui l’expose à la tentation, au péché et finalement à la mort. En résistant aux tentations, Jésus va guérir à la racine cette fragilité et prouver que l’homme est libre et qu’il a la capacité de revenir au Paradis duquel il était déchu.
Il y a un jeu de miroir dans l’Évangile : l’homme était chassé par les anges du jardin du paradis pour se retrouver dans ce monde comme dans un désert, et Jésus qui part du désert, après avoir surmonté les tentations finit par y être servi par les anges : le désert s’est transformé en paradis.

L’épreuve de Jésus commence par un jeûne de quarante jours et quarante nuits. Ce nombre de quarante se retrouve dans l’Ancien Testament : il renvoie aux quarante ans passés dans le désert, temps d’épreuves avant de pouvoir recevoir la Loi et entrer en Terre promise. Il renvoie aussi aux quarante jours et quarante nuits passés par Moïse sur la Montagne pour y recevoir cette même Loi, qui fut aussi pour lui connaissance intime de Dieu. Mais le nombre quarante se retrouve encore dans le Nouveau Testament : il s’agit des quarante jours qui séparent la Résurrection de l’Ascension. Comme si le temps des apparitions était aussi un temps d’épreuve, de purification (pensez à saint Thomas), avant de pouvoir recevoir l’Esprit Saint. Plus encore, d’après la Loi de Moïse, il y avait quarante jours de purification à observer avant de pouvoir présenter un garçon premier-né au Temple. Jésus est le premier-né d’entre les morts, qui, entouré par les anges, après avoir vaincu la mort et les puissances infernales, fait son entrée royale dans les cieux. Le paradis est ouvert.
Voyez comment, par le nombre quarante, nous faisons le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament, la liturgie actuelle du carême et les réalités voilées du Royaume des cieux. En réalité, tous s’imbriquent comme dans un jeu de poupées russes.

Mais venons-en rapidement aux tentations par elles-mêmes.

Pour commencer, le Satan dit à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains ». Le diable, comme à son habitude, attaque de manière insidieuse et présente le péché comme un bien.
« Si tu es le Fils de Dieu ». Depuis la Galilée jusqu’à sa crucifixion, Jésus sera mis en demeure d’apporter les preuves de sa divinité, de faire des miracles. Et c’est encore vrai aujourd’hui pour son Église : de quelle droit cette institution se prétend-elle divine et humaine ? Quelle preuve peut-elle apporter ?
Le Satan propose une solution : transformer les pierres en pain. C’est-à-dire abolir la souffrance, qui est celle de Jésus comme la nôtre, en l’anesthésiant au moyen d’une nourriture purement terrestre. N’est-ce pas en effet ce qu’on oppose à l’Église quand elle prêche : pourquoi votre Dieu permet-il le mal et la souffrance ? Alors nous sommes tentés d’étouffer la question en multipliant les actes de charité y compris sans référence chrétienne, au risque de transformer l’Église en ONG. Mais c’est justement ce que Jésus va refuser de faire
Pourtant, lui-même, dans d’autres circonstances, a multiplié du pain et du poisson pour rassasier une foule affamée ; et il s’est fait lui-même pain inépuisable de vie éternelle, dans l’Eucharistie. Mais Jésus a toujours fait ces actes dans une prière adressée à son Père, dans l’espérance et la foi que celui-ci montrerait son amour. Jamais Jésus n’a fait de miracle par lui-même.
Ainsi le remède radical à la souffrance ne se trouve-t-il pas uniquement dans les solutions terrestres mais aussi et d’abord dans la grâce de Dieu : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». L’action charitable de l’Église trouve sa source dans sa foi en Dieu seul, et dans sa prière.

Alors que la première tentation est externe à la foi, la seconde, plus perverse, lui est interne. Elle la gangrène comme un cancer. En effet, le Satan a conduit Jésus dans le Temple, et il prend prétexte de l’Écriture : il se comporte en exégète ou en théologien : « Si tu es le Fils de Dieu, jettes-toi en bas, car il est écrit : « Il donnera pour toi des ordres à ses anges… », etc. C’est la caractéristique de l’Antéchrist que de se servir de la Parole de Dieu pour la pervertir. En fait, c’est très courant : nous pouvons très facilement faire dire à l’Écriture ce qu’il nous plaît, et elle finit par nous renvoyer à notre propre image : elle ne reflète plus le visage de Dieu. Notre exégèse peut étouffer la voix de Dieu, et nous finissons par fabriquer une idole. En la circonstance Jésus n’appelle pas les anges et ne se jette pas du haut du Temple : il ne bouge pas. Il ne provoque pas son Père pour l’obliger à réagir. Il est au contraire dans une attitude de veille et de foi : c’est de Dieu seul que vient le Salut, quand et de la manière qu’il veut. Pensons ici à l’attitude de Jésus sur la croix. Ainsi doit se faire la lecture des Écritures, dans une attitude de veille et de foi, à la lumière de la croix et de la résurrection de Jésus.

Enfin, la dernière tentation a lieu sur une haute montagne, pour y contempler tous les royaumes de la terre. Le Satan met Jésus devant une contradiction apparente : ne doit-il pas être le Fils de Dieu, celui à qui doit être remis le sceptre sur toutes les nations ? Nous fêtons bien le Christ-Roi. Cependant, dans l’Évangile nous voyons au contraire un Jésus qui fuit toute prétention politique terrestre, jusqu’à se faire broyer par les pouvoirs en place. Mais alors qu’apporte Jésus dans le monde et quelle est sa vraie royauté s’il ne peut rien apporter d’autre qu’une faiblesse apparente ?
C’est dans sa résurrection que se trouve la réponse : Jésus dévoile le visage de Dieu créateur du Ciel et de la Terre, qui a donné son Fils par amour et qui l’a ressuscité, ouvrant à tout homme un nouveau chemin de liberté, de réconciliation et de vie. Et c’est dans cette vie nouvelle que se trouve la vraie royauté de Jésus, celle de l’amour. C’est pourquoi Jésus répond : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte », car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, et tel est le vrai culte de Dieu, celui que Jésus a accompli pour nous.


Chers frères et sœurs, le carême est un temps liturgique dans lequel nous faisons mémoire des actions de Dieu dans l’histoire et de Jésus notre sauveur. Plus encore, en nous réunissant ici à cette occasion dans la cathédrale pour écouter la Parole de Dieu dans la méditation des Écritures, nous sommes agrégés à son corps : Jésus est là au milieu de nous, et sans nous en rendre compte, nous le manifestons au monde. Enfin, nous contemplons déjà, à travers ses mystères, quelque chose du Règne de Dieu, dont nous voyons bien qu’il agit déjà maintenant, par son Esprit, jusque dans nos cœurs. Tel est le cadeau de Dieu.

29 février - 1er mars 2020 - VAUCONCOURT - SEVEUX - 1er dimanche de Carême - Année A


Gn 2,7-9 ; 3,1-7a ; Ps 50 ; Rm 5,12-19 ; Mt 4,1-11

Chers frères et sœurs,

Le moins qu’on puisse dire est que nous sommes pris dans la tempête. Cela a pour conséquence que notre foi est mise à l’épreuve et que l’Église se rétrécit. Mais cela ne signifie pas – même si nous avons l’impression que le Seigneur dort – qu’il est absent de notre vie. Au contraire, il est de plus en plus proche. Car c’est dans la persévérance de la foi que le Seigneur nous rejoint et vient nous donner sa paix.

Aujourd’hui le Seigneur Jésus est tenté au désert par le Satan.

Nous nous souvenons qu’il vient juste d’être baptisé par Jean au Jourdain. Jésus a été consacré Messie, roi et prêtre, pour le salut d’Israël et de tous les hommes. Immédiatement l’Esprit Saint le pousse à entrer dans sa mission, qui consiste à descendre jusqu’au plus profond du cœur de l’homme pour y vaincre le tentateur. Là où Adam et Eve ont échoué, là où nous échouons tous, le Seigneur Jésus réussit, montrant à tous qu’il y a une libération et un retour au Paradis possible. C’est pourquoi Jésus se trouve d’abord au désert, est tenté, remporte la victoire, et finalement est servi par les anges, comme au Paradis. Le désert est transformé en Paradis. Telle est la mission de Jésus pour nous : nous ramener à la maison.

La première tentation est formulée de la manière suivante : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain ». Le Satan attaque toujours de manière insidieuse et en proposant des solutions qui, à première vue, apparaissent bonnes.

« Si tu es le Fils de Dieu ». Le Satan introduit le doute et oblige Jésus à prouver qui il est. Jésus a toujours été confronté à cette tentation de devoir prouver qu’il est le Fils de Dieu, jusqu’à la croix : « Si tu es le Fils de Dieu, descend de la croix ! » ; « Sauve-toi toi-même, et nous avec ! ». Ce doute existe toujours aujourd’hui : ne voyons-nous pas beaucoup autour de nous douter de Dieu et de Jésus Fils de Dieu ?

Le Satan propose alors une « bonne » solution à Jésus pour prouver qu’il est vraiment Fils de Dieu : pour répondre au problème de sa faim, il pourrait transformer lui-même les pierres en pain. C’est-à-dire supprimer toutes les souffrances du monde. Si Dieu existait, s’il était vraiment bon, comment pourrait-il en effet supporter toutes les souffrances ? Et la tentation pour Jésus – comme pour nous – serait de vouloir résoudre le problème du mal et de la souffrance, par sa propre volonté, sans faire confiance à son Père.
C’est ce que Jésus va refuser de faire. Nous savons pourtant que, par ailleurs, Jésus a multiplié des pains et des poissons pour nourrir une foule affamée, et qu’il s’est fait lui-même pour nous pain de vie inépuisable, dans l’Eucharistie. Mais à chaque fois cela s’est fait dans la prière qu’il a adressée à son Père, dans l’espérance et la foi qu’il montrera son amour. Jamais Jésus n’a fait de miracle par lui-même.

Ainsi, Jésus nous apprend à tirer le bien, non pas de nous-mêmes, de nos propres forces, mais de Dieu seul. Il nous enseigne à confier, dans la foi, notre souffrance au Père, comme il le fera lui-même le premier dans sa Passion. C’est alors que le Seigneur répond, le moment venu, par sa grâce, par le don de son Esprit Saint, sous de multiples formes. Et c’est pourquoi Jésus répond au Satan : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
La solution au problème du mal et de la souffrance n’est pas d’ordre humain, solution que nous pourrions nous-mêmes mettre en œuvre avec nos propres ressources, mais elle se trouve dans la grâce de Dieu. Au contraire, céder à la tentation du Satan, c’est renoncer à avoir foi en Dieu, à reconnaitre son existence et sa capacité d’agir dans le monde. C’est renoncer à croire qu’il est un Dieu bon, qu’il nous aime, et que pour cette raison il peut et il veut agir pour nous.

Chers frères et sœurs, face aux épreuves devant lesquelles nous nous trouvons, bien sûr qu’il ne faut pas rester les bras ballants, mais nous ne devons pas oublier de demander en priorité à Dieu son secours, le prier qu’il agisse pour nous par le meilleur moyen possible, et solliciter l’aide de son Esprit pour diriger nos actions. Ayant reposé notre foi en Dieu, nous serons alors plus courageux et plus confiants pour faire notre devoir.

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