Carême Cathédrale
Besançon 2020 – 1
1er dimanche de Carême – 1er mars
2020
LE CARÊME, UN CADEAU.
VIVRE DE SON BAPTÊME À
LA LUMIÈRE DE L’ÉCRITURE
ET DE LA LITURGIE
ET DE LA LITURGIE
Chers
frères et sœurs,
Comment
profiter à plein de notre temps de carême pour revenir aux sources de notre foi
et nourrir celle-ci avantageusement ?
En
premier lieu, nous pouvons observer que le temps du carême est… un temps
liturgique. Mais qu’est-ce que la liturgie ? Ensuite ce temps du carême
est construit en quarante jours et cinq dimanches, avant les Rameaux, la
Semaine Sainte et Pâques. Mais que signifie cette construction ? En quoi
nous aide-t-elle à rencontrer le Christ ? Enfin, si nous zoomons sur le
premier dimanche, celui de la Tentation de Jésus au Désert, que nous apprend-il
de particulier ? L’esprit de la liturgie, la structure et la fonction du
carême, le dimanche de la Tentation, telles seront les trois étapes de mon
propos d’aujourd’hui.
1)
L’esprit de la liturgie
La liturgie est constitutive de l’ADN de
l’Église. D’ailleurs, Église vient du grec « ecclesia », qui veut
dire « assemblée » : assemblée liturgique. Et naturellement
cette assemblée liturgique se réunit dans un lieu qui exprimera assez
rapidement, dans son architecture, ce qu’elle est : par facilité de
langage on l’appellera bientôt une « église ». Cependant, nous le
savons, l’Église ne se limite pas à l’assemblée que nous formons, puisqu’elle
est le Corps du Christ : elle déborde donc au ciel ; elle comprend la
communion des saints. Ou plutôt, c’est nous qui – lorsque nous sommes
rassemblés liturgiquement en Église – faisons partie de la communion des
saints.
Nous
percevons donc qu’il y a trois dimensions à tenir ensemble pour comprendre ce
qu’est la liturgie. Une dimension humaine, communautaire, animée et structurée
par l’Esprit Saint ; une dimension rituelle et symbolique qui s’enrichit
par sédimentation au cours des âges ; et une dimension surnaturelle,
puisqu’elle transcende le temps et fait participer dès maintenant à la communion
des Saints. Je voudrais détailler un peu plus ces trois dimensions. Ce sont en
fait trois intentions originaires, qui se sont développées avec le temps.
La
première intention de la liturgie chrétienne, c’est de faire ce que Jésus nous
a demandé de faire : c’est-à-dire perpétuer ses paroles et ses gestes par la
célébration des sacrements. Nous en avons la trace dans les Évangiles :
« Allez, de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au
Nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit » ; « Vous ferez
cela en mémoire de moi » ; « À ceux à qui vous remettrez
leurs péchés, ils leur seront remis »… mais aussi dans les témoignages
des Apôtres : « Vous imposerez les mains aux malades et ils s’en
trouveront bien » écrit saint Jacques ; « ne néglige pas le don de
la grâce qui est en toi, qui te fut conféré par une intervention prophétique,
accompagnée par l’imposition des mains, par le collège des anciens »
rappelle saint Paul à Timothée, au sujet de son ordination.
Ainsi
la liturgie est-elle la continuation de l’œuvre de Jésus. Plus exactement, elle
est l’action de Jésus vivant qui agit aujourd’hui par nous, quand nous la
célébrons. Jésus n’a-t-il d’ailleurs pas annoncé : « Je suis avec
vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ? ». Il est
actuellement présent dans la célébration des sacrements. La liturgie chrétienne
est d’abord l’œuvre du Christ, par l’action de l’Esprit Saint qui nous y fait
participer, pour la rendre visible. Dans la liturgie, c’est Jésus qui agit.
La
deuxième intention de la liturgie est de conserver et transmettre la mémoire des
œuvres de Dieu constitutives de l’histoire du peuple d’Israël, histoire sainte
accomplie ensuite par la vie de Jésus. La liturgie chrétienne, en ce sens,
s’inscrit tout d’abord dans la continuité de la liturgie juive, celle qui, par
la lecture de l’Ancien Testament et par le chant perpétuel des psaumes, fait
mémoire de l’action et de l’enseignement de Dieu en Israël, lui présente ses
souffrances et ses joies, et lui rend grâce pour tous ses bienfaits. Par la
lecture des Écritures et par le chant, le juif et le chrétien d’hier et
d’aujourd’hui entrent dans l’histoire d’Israël et y sont assimilés. Ils font
leur les larmes du peuple de Dieu et participent à son espérance. La liturgie est
alors l’école indispensable de la vie spirituelle, de la relation de l’homme
avec Dieu.
Dans
cet esprit, l’Église naissante a développé en complément la mémoire de la vie
de Jésus. Cette mémoire s’est constituée par la rédaction des Évangiles, lus ou
récités au cours de la liturgie. Proclamation des Évangiles et liturgie
chrétienne sont en effet inséparables. Nous y trouvons le cycle des fêtes :
Noël, Pâques, Pentecôte... sans oublier – ce que nous faisons trop facilement
aujourd’hui – que nombre d’événements de la vie de Jésus ont eu lieu à
l’occasion de fêtes juives. Nous ne pouvons donc pas le comprendre ni
comprendre vraiment nos propres fêtes, si nous ignorons la liturgie de l’Ancien
Testament. De ce fait, même si elle s’en distingue après sa destruction, la
liturgie chrétienne demeure toujours profondément enracinée dans la liturgie du
Temple. Mais c’est normal, la première accomplit la seconde.
En
fait, il n’y a rien de plus conservateur que la liturgie – et heureusement –
car, par sa structure enracinée dans l’histoire sainte et la vie de Jésus, elle
nous ramène sans cesse à redécouvrir toujours avec la même jeunesse la présence
et le don de Dieu pour notre humanité, et nous apprend à lui en rendre grâce.
La
liturgie se présente ainsi comme un terreau fertile, dans lequel le germe de
foi ensemencé au baptême, peut, par l’action de l’Esprit, grandir et
s’épanouir. La liturgie est une catéchèse perpétuelle, qui nous fait entrer par
la lecture et le chant dans la communion du Corps du Christ, et participer à sa
vie et à sa joie.
La
troisième intention de la liturgie, enfin, est d’être prophétique. Il ne s’agit
pas de faire seulement mémoire du passé, et de se laisser toucher par Jésus
aujourd’hui, il s’agit aussi – avec l’aide de l’Esprit Saint – de dévoiler dans
les rites célébrés, les réalités du Règne de Dieu qui vient. Voilà une fonction
de la liturgie un peu oubliée aujourd’hui, et qui pourtant laisse entrevoir
d’immenses horizons à contempler, et nourrit par là une extraordinaire
espérance.
Car
l’espace et le temps liturgiques, représentent symboliquement le passage de ce
monde au royaume des Cieux, le pèlerinage qui, de cette vie, conduit à la
Jérusalem céleste. C’est par exemple le sens-même des processions. Les rites
liturgiques sont la projection sur la terre des réalités célestes. Les ornements
liturgiques veulent signifier la grandeur et la lumière de la gloire de Dieu,
dont nous savons qu’elles sont inséparables de son amour et de sa vérité.
L’encens représente nos prières qui montent vers Dieu ; il répand aussi la
bonne odeur du Christ, qui est là, présent. Rien n’est placé ou dit, en tel
lieu ou à tel moment dans une liturgie, dans une église, qui ne contienne une
signification prophétique du Règne de Dieu. C’est pourquoi, architecturalement,
une Église n’est pas une salle de sport, mais une représentation sacramentelle
du ciel sur la terre. De la même manière qu’un chrétien est baptisé, un prêtre
ordonné, une église est consacrée. Mais nous avons beaucoup perdu de cette
compréhension à laquelle nos anciens étaient pourtant habitués. Nous pourrions
la retrouver avec bonheur en nous mettant à l’école de nos frères orientaux,
catholiques ou orthodoxes.
Si
j’ai évoqué devant vous cette triple nature de la liturgie, c’est parce que le
temps du carême dont nous parlons s’inscrit en elle. Pour entrer dans le temps
du carême et lui faire donner toute sa puissance, nous devons tenter de le
comprendre selon les trois dimensions que je viens d’évoquer.
2)
La structure du Carême
Lorsque nous ouvrons le livre de la liturgie du
carême, nous devons être conscients d’y trouver l’héritage de deux traditions
qui se sont en quelque sorte mises bout à bout et interpénétrées.
La
première tradition est celle du jeûne qui permet de se préparer spirituellement
et physiquement aux fêtes pascales. Le jeûne était une pratique très courante
en orient et dans le bassin méditerranéen. En Égypte, on jeunait quatre fois
par an, par simple hygiène corporelle. Mais pour les juifs et les chrétiens, il
s’agissait évidemment de se purifier afin de se préparer, corps, âme et esprit,
aux fêtes prochaines. Pour nourrir spirituellement ce jeûne, les chrétiens
lisaient le livre de la Genèse et l’Évangile de Saint Mathieu. C’est la raison
pour laquelle nous retrouvons au premier et deuxième dimanches de carême, la
Genèse en première lecture : le péché et la chute d’Adam et Eve, puis
l’appel d’Abraham ; et dans l’Évangile selon Saint Mathieu, les tentations
de Jésus au désert et la Transfiguration.
Par
le choix de ces lectures, l’Église a voulu encourager les chrétiens au jeûne, en
justifiant celui-ci et en lui donnant une finalité. Nous jeûnons, parce que,
comme Adam et Eve nous avons péché : nous appartenons à une humanité qui a
perdu le bonheur du Paradis. Et nous faisons donc pénitence. Mais il ne s’agit
pas de nous morfondre dans une culpabilité sans espérance, car le Seigneur a
appelé Abraham et lui a fait la promesse que sa descendance, aussi nombreuse
que les étoiles du ciel, hériterait d’une Terre promise. Pour les Hébreux, il
s’agissait de la terre d’Israël, mais pour nous, chrétiens, il s’agit du Règne
de Dieu. Les Évangiles apportent au pénitent jeûneur qu’est le chrétien
d’autres informations et encouragements : Jésus lui-même a jeûné au
désert, et non pas seulement le jour, mais aussi la nuit, comme Moïse. Pour
Saint Matthieu Jésus est un nouveau Moïse, plus grand que lui. Nous les
retrouvons ensuite tous les deux, avec Elie, sur la montagne de la
Transfiguration. Ils forment ensemble trois exemples parfaits de pratique du
jeûne qui aboutit à la rencontre avec Dieu. La pénitence n’est pas pour la
mort : elle est pour la vie, pour la rencontre avec Dieu.
Telle
est donc la première tradition du carême : jeûner comme Jésus, Moïse et
Elie, pour faire pénitence en raison de nos péchés, en vue de connaître Dieu et
d’entrer dans son Royaume.
La
seconde tradition du carême et celle de la préparation des catéchumènes à leur
baptême célébré durant la Vigile pascale. Ici les lectures, qui sont celles des
troisième, quatrième et cinquième dimanche de carême, fonctionnent ensemble, à
partir de choix de textes tirés de l’Ancien Testament et de la lecture continue
de l’Évangile de Saint Jean.
Elles
se présentent comme un enseignement sur le Christ Jésus et sur le salut qu’il
nous offre. Le troisième dimanche, en évoquant le Rocher de Massa et Mériba
d’où sort l’eau vive, comme l’histoire de la Samaritaine à qui Jésus propose
une eau qui étanche toute soif, présente Jésus comme rocher et source de vie
éternelle. Le quatrième dimanche, où sont évoqués l’onction de David par
Samuel, et la guérison de l’Aveugle-né, nous présente cette fois-ci Jésus comme
le Christ sauveur, Messie de Dieu, qui vient illuminer les aveugles que nous
sommes devenus depuis la chute d’Adam. Le cinquième dimanche, quant à lui, avec
l’impressionnante vision d’Ézéchiel des ossements desséchés qui redeviennent
des corps vivants, et la résurrection de Lazare, annonce la résurrection de
Jésus et la promesse de la nôtre, par la puissance de son Esprit Saint.
Après
ces trois dimanches, les catéchumènes ont donc eu une présentation de Jésus qui
comble le besoin de vie de l’homme, qui pardonne ses péchés et lui rend une âme
pure, un regard clair, en vue d’une vie éternelle, par-delà la mort. Il s’agit
d’une merveilleuse catéchèse sur Jésus et sur l’homme.
Si
l’on met donc les deux traditions du carême bout-à-bout, comme la liturgie nous
le propose aujourd’hui, nous avons d’abord la prise de conscience de l’état
dans lequel se trouve notre humanité, qui est un état déchu. Mais nous avons
aussitôt l’annonce d’une possible connaissance de Dieu et la promesse d’un
retour dans son royaume. Justement, c’est ce que Jésus vient réaliser ensuite. Il
vient répondre à cette espérance, pardonner les péchés, guérir et ouvrir –
par-delà la mort – l’accès à la vie éternelle. Ce dernier acte est celui de la
semaine sainte et des trois jours saints de Pâques, par lesquels, les
catéchumènes et tous les chrétiens avec eux – et avec Jésus, par lui et en lui
– passent de la mort à la vie et de la terre au ciel. Le temps pascal développe
ensuite les effets de la résurrection.
Ainsi
le temps du carême nous aura fait reparcourir l’histoire du salut :
création et chute de l’homme, illumination sur la montagne et don de la Loi ;
venue de Jésus, Messie sauveur, qui vient réouvrir à l’homme pécheur-pardonné
la voie du ciel. Et en même temps, nous avons aussi un résumé de l’histoire de
Jésus : les tentations au désert arrivent juste après son baptême, la
Transfiguration comme la rencontre avec la Samaritaine et l’Aveugle-né résument
sa prédication itinérante, l’enseignement qu’il a dispensé, les pardons et les
guérisons qu’il a accordés. Avec la résurrection de Lazare, nous entrons déjà
dans les tensions qui vont conduire Jésus à sa Passion et finalement à sa
Résurrection.
En
définitive, le temps du Carême, est une prédication de l’histoire du Salut et
une annonce de Jésus-Christ, une formation initiale ou une révision
catéchistique, en quarante jours : c’est la présentation rapide de qui est
Jésus, et de qui nous sommes, de ce qu’il a fait pour nous, et de ce que nous
lui devons.
Mais
surtout, si l’on tient compte de ce que j’ai dit de la liturgie auparavant, le
fait même de connaître et de méditer le cycle du carême, nous y fait
participer : nous entrons nous-mêmes ainsi dans l’histoire du Salut et
dans la vie de Jésus. Et plus encore, le fait même de célébrer la liturgie du
carême montre que Jésus assume l’histoire humaine, toute histoire humaine, y
compris la nôtre, avec ses drames et ses gloires, pour en faire une histoire
sainte qui aboutit à la résurrection et à la sanctification de l’homme, de tout
homme, s’il le veut bien.
Ayant
exposé le cadre général, je voudrais m’arrêter maintenant sur l’évangile de ce
premier dimanche de carême, celui des tentations de Jésus au désert. Il nous
reste peu de temps.
3)
Le dimanche de la Tentation du Christ
Lorsqu’on
lit un texte biblique, il faut toujours lire ce qui s’est passé avant et après.
Et si jamais, dans la liturgie, ce texte est malheureusement morcelé, il faut
toujours le relire dans son intégralité. C’est salutaire.
Ainsi
donc, avant que Jésus ne soit tenté par le Satan, il faut revenir à son baptême
par Jean dans le Jourdain, où il a été consacré par Dieu Messie, roi et prêtre,
pour accomplir la rédemption de l’homme. Lorsque l’Esprit Saint pousse Jésus au
désert, c’est pour accomplir cette mission : descendre jusqu’au cœur de
l’homme, à la racine de la fragilité qui se trouve en lui et qui l’expose à la
tentation, au péché et finalement à la mort. En résistant aux tentations, Jésus
va guérir à la racine cette fragilité et prouver que l’homme est libre et qu’il
a la capacité de revenir au Paradis duquel il était déchu.
Il
y a un jeu de miroir dans l’Évangile : l’homme était chassé par les anges
du jardin du paradis pour se retrouver dans ce monde comme dans un désert, et
Jésus qui part du désert, après avoir surmonté les tentations finit par y être
servi par les anges : le désert s’est transformé en paradis.
L’épreuve
de Jésus commence par un jeûne de quarante jours et quarante nuits. Ce nombre
de quarante se retrouve dans l’Ancien Testament : il renvoie aux quarante
ans passés dans le désert, temps d’épreuves avant de pouvoir recevoir la Loi et
entrer en Terre promise. Il renvoie aussi aux quarante jours et quarante nuits
passés par Moïse sur la Montagne pour y recevoir cette même Loi, qui fut aussi
pour lui connaissance intime de Dieu. Mais le nombre quarante se retrouve encore
dans le Nouveau Testament : il s’agit des quarante jours qui séparent la
Résurrection de l’Ascension. Comme si le temps des apparitions était aussi un
temps d’épreuve, de purification (pensez à saint Thomas), avant de pouvoir
recevoir l’Esprit Saint. Plus encore, d’après la Loi de Moïse, il y avait
quarante jours de purification à observer avant de pouvoir présenter un garçon
premier-né au Temple. Jésus est le premier-né d’entre les morts, qui, entouré
par les anges, après avoir vaincu la mort et les puissances infernales, fait
son entrée royale dans les cieux. Le paradis est ouvert.
Voyez
comment, par le nombre quarante, nous faisons le lien entre l’Ancien et le
Nouveau Testament, la liturgie actuelle du carême et les réalités voilées du
Royaume des cieux. En réalité, tous s’imbriquent comme dans un jeu de poupées
russes.
Mais
venons-en rapidement aux tentations par elles-mêmes.
Pour
commencer, le Satan dit à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu,
ordonne que ces pierres deviennent des pains ». Le diable, comme à son
habitude, attaque de manière insidieuse et présente le péché comme un bien.
« Si
tu es le Fils de Dieu ». Depuis la Galilée jusqu’à sa crucifixion,
Jésus sera mis en demeure d’apporter les preuves de sa divinité, de faire des
miracles. Et c’est encore vrai aujourd’hui pour son Église : de quelle
droit cette institution se prétend-elle divine et humaine ? Quelle preuve
peut-elle apporter ?
Le
Satan propose une solution : transformer les pierres en pain. C’est-à-dire
abolir la souffrance, qui est celle de Jésus comme la nôtre, en l’anesthésiant
au moyen d’une nourriture purement terrestre. N’est-ce pas en effet ce qu’on
oppose à l’Église quand elle prêche : pourquoi votre Dieu permet-il le mal
et la souffrance ? Alors nous sommes tentés d’étouffer la question en
multipliant les actes de charité y compris sans référence chrétienne, au risque
de transformer l’Église en ONG. Mais c’est justement ce que Jésus va refuser de
faire
Pourtant,
lui-même, dans d’autres circonstances, a multiplié du pain et du poisson pour
rassasier une foule affamée ; et il s’est fait lui-même pain inépuisable
de vie éternelle, dans l’Eucharistie. Mais Jésus a toujours fait ces actes dans
une prière adressée à son Père, dans l’espérance et la foi que celui-ci
montrerait son amour. Jamais Jésus n’a fait de miracle par lui-même.
Ainsi
le remède radical à la souffrance ne se trouve-t-il pas uniquement dans les
solutions terrestres mais aussi et d’abord dans la grâce de Dieu : « L’homme
ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu ». L’action charitable de l’Église trouve sa source dans sa foi
en Dieu seul, et dans sa prière.
Alors
que la première tentation est externe à la foi, la seconde, plus perverse, lui
est interne. Elle la gangrène comme un cancer. En effet, le Satan a conduit
Jésus dans le Temple, et il prend prétexte de l’Écriture : il se comporte
en exégète ou en théologien : « Si tu es le Fils de Dieu, jettes-toi en
bas, car il est écrit : « Il donnera pour toi des ordres à ses
anges… », etc. C’est la caractéristique de l’Antéchrist que de se
servir de la Parole de Dieu pour la pervertir. En fait, c’est très
courant : nous pouvons très facilement faire dire à l’Écriture ce qu’il
nous plaît, et elle finit par nous renvoyer à notre propre image : elle ne
reflète plus le visage de Dieu. Notre exégèse peut étouffer la voix de Dieu, et
nous finissons par fabriquer une idole. En la circonstance Jésus n’appelle pas
les anges et ne se jette pas du haut du Temple : il ne bouge pas. Il ne
provoque pas son Père pour l’obliger à réagir. Il est au contraire dans une
attitude de veille et de foi : c’est de Dieu seul que vient le Salut,
quand et de la manière qu’il veut. Pensons ici à l’attitude de Jésus sur la
croix. Ainsi doit se faire la lecture des Écritures, dans une attitude de
veille et de foi, à la lumière de la croix et de la résurrection de Jésus.
Enfin,
la dernière tentation a lieu sur une haute montagne, pour y contempler tous les
royaumes de la terre. Le Satan met Jésus devant une contradiction
apparente : ne doit-il pas être le Fils de Dieu, celui à qui doit être
remis le sceptre sur toutes les nations ? Nous fêtons bien le Christ-Roi. Cependant,
dans l’Évangile nous voyons au contraire un Jésus qui fuit toute prétention
politique terrestre, jusqu’à se faire broyer par les pouvoirs en place. Mais
alors qu’apporte Jésus dans le monde et quelle est sa vraie royauté s’il ne
peut rien apporter d’autre qu’une faiblesse apparente ?
C’est
dans sa résurrection que se trouve la réponse : Jésus dévoile le visage de
Dieu créateur du Ciel et de la Terre, qui a donné son Fils par amour et qui l’a
ressuscité, ouvrant à tout homme un nouveau chemin de liberté, de
réconciliation et de vie. Et c’est dans cette vie nouvelle que se trouve la
vraie royauté de Jésus, celle de l’amour. C’est pourquoi Jésus répond :
« C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un
culte », car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ses amis, et tel est le vrai culte de Dieu, celui que Jésus a accompli
pour nous.
Chers
frères et sœurs, le carême est un temps liturgique dans lequel nous faisons
mémoire des actions de Dieu dans l’histoire et de Jésus notre sauveur. Plus
encore, en nous réunissant ici à cette occasion dans la cathédrale pour écouter
la Parole de Dieu dans la méditation des Écritures, nous sommes agrégés à son
corps : Jésus est là au milieu de nous, et sans nous en rendre compte,
nous le manifestons au monde. Enfin, nous contemplons déjà, à travers ses
mystères, quelque chose du Règne de Dieu, dont nous voyons bien qu’il agit déjà
maintenant, par son Esprit, jusque dans nos cœurs. Tel est le cadeau de Dieu.