dimanche 30 janvier 2022

30 janvier 2022 - SEVEUX - 4ème dimanche TO - Année C

Jr 1,4-5.17-19 ; Ps 70 ; 1Co 12,31-13,13 ; Lc 4,21-30
 
Chers frères et sœurs,
 
Quel est le véritable enjeu du conflit entre Jésus et les habitants de Nazareth ? Si nous suivons l’interprétation courante, il s’agit du refus par Jésus de limiter l’annonce de l’Évangile aux seuls Juifs, mais d’annoncer déjà que celui-ci est destiné à toutes les nations. C’est la raison même du choix de la première lecture : « Je fais de toi un prophète pour les nations. », où tout le pays, les rois de Juda et ses princes, les prêtres et tout le peuple se soulèvent pour cette raison contre lui. Le problème de cette interprétation est qu’elle est superficielle, et, manquant de profondeur, elle génère une forme de marcionisme, c’est-à-dire de relégation des Juifs à ce qui est mauvais, ce qui – nous le savons – n’a pas donné de bons fruits dans l’histoire. Il nous faut donc écouter mieux ce que nous dit saint Luc.

Comme toujours, si nous voulons comprendre, il faut lire ce qu’il s’est passé avant et ce qu’il se passe après cet épisode. Juste avant d’arriver à Nazareth, Jésus, après avoir été baptisé, a été tenté par le démon au désert. Vous vous souvenez des trois tentations : que ces pierres deviennent du pain, que si Jésus se prosterne devant Satan, il recevra la royauté sur tous les royaumes de l’univers ; et si il est vraiment le Fils de Dieu, qu’il se jette du haut du Temple. Saint Luc dit à ce sujet que Satan « le fit venir à Jérusalem et le fit monter sur le faîte du Temple » – exactement comme les habitants de Nazareth « firent sortir Jésus hors de la ville et le firent venir jusqu’à l’extrémité de la montagne sur laquelle leur ville était construite. » Nous savons que Jésus résiste victorieusement à Satan, qui s’éloigne. Saint Luc explique alors : « Jésus retourna, dans la puissance de l’Esprit en Galilée et sa renommée se répandit dans tout ce lieu. Et lui enseignait dans les synagogues et était loué par tous. » Il se passe exactement la même chose après le conflit avec les Nazaréens : « Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée, et il les enseignait le Sabbat. Et ils s’émerveillaient de son enseignement, car sa parole avait autorité. »
 
Vous avez compris le truc : le conflit avec les Nazaréens reproduit les tentations de Jésus au désert, quoique sur des points différents. Au désert, le Satan voulait que Jésus se dévoile en tant que Fils de Dieu. À Nazareth, les habitants veulent que Jésus se dévoile en tant que Messie d’Israël, Roi et Sauveur. Et c’est bien normal. D’abord parce que Jésus a lu dans la synagogue la prophétie d’Isaïe en annonçant que celle-ci s’accomplissait maintenant et par lui. Les gens étaient ravis, car n’oublions pas que les Nazaréens étaient un rameau du clan de David : ils étaient les héritiers de la royauté d’Israël. Ainsi ils comprenaient que Jésus leur annonçait leur retour au pouvoir royal. Mieux encore, c’était Joseph qui était l’héritier de la royauté de David ; et c’est pourquoi sa famille disait de Jésus : « N’est-il pas le fils de Joseph ? » Jésus n’est-il donc pas lui-même l’héritier royal ? Et ensuite, par sa Parole, Jésus les impressionnait, parce qu’il avait une parfaite connaissance et une parfaite autorité sur les Écritures. Et c’est bien normal, puisqu’il est lui-même la Parole de Dieu, le Verbe de Dieu, qui a inspiré les Écritures. Les Écritures le prophétisent, et lui les réalise.

Donc jusque-là tout allait bien. Mais les tentations arrivent aussitôt. La première : « Médecin, guéris-toi toi-même. » Sa famille veut qu’il se proclame roi et s’applique à lui-même les pouvoir de la royauté. Jésus refuse, car sa royauté n’est pas de ce monde. 
La seconde tentation : « Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais-donc de même ici dans ton lieu d’origine. » Puisque Jésus ne veut pas se dévoiler comme Roi-Messie, qu’il honore donc au moins sa famille en la gratifiant de dons, de bénédictions, de guérisons. Jésus est tenté d’utiliser sa puissance divine pour satisfaire des besoins terrestres. Jésus refuse donc à nouveau parce que son clan n’a pas foi en lui. Ce qui caractérise la veuve de Sarepta et Naaman le Syrien, c’est leur foi en Dieu, la foi qu’avait perdue le peuple d’Israël à cette époque. Jésus renvoie donc son clan à son manque de foi. 
Et troisième tentation, qui ressemble à celle du pinacle du Temple, est l’épreuve de l’escarpement de la colline. Ils veulent le tuer, car, en refusant la royauté de David et d’accomplir ce que doit faire le Messie, à leurs yeux il renie son héritage et sa vocation. Jésus pourrait être tenté de démontrer sa puissance, en étant recueilli par les anges, comme lui suggérait le démon, ou en leur commandant d’agir contre la foule qui le pressait. Mais non, Jésus passe au milieu d’eux – sans éclat et sans force – et passe son chemin, pour redescendre à Capharnaüm. Probablement, la haute stature physique de Jésus – charpentier de son état – et l’impression de son autorité naturelle ont empêché les hommes de son clan de mettre à exécution leur malheureux dessein.
 
Alors, au bout du compte, que nous apprend cet épisode ? Que Jésus, après avoir résisté victorieusement aux tentations du démon, a aussi résisté aux tentations des hommes – et des hommes les plus proches : sa propre famille. Tentation de prendre possession du trône de David, tentation d’utiliser sa puissance divine pour satisfaire des désirs mondains, tentation de faire appel à l’armée des anges pour le protéger. Jésus a bien du mal à nous faire comprendre que son Royaume n’est pas de ce monde, qu’il a besoin de notre foi pour l’inaugurer et nous faire bénéficier de ses trésors, et que l’armée des anges est entièrement à son service et qu’il ne l’utilisera pas contre les siens, c’est-à-dire contre nous. Jésus nous appelle à le reconnaître comme Dieu, à lui accorder notre foi, et à l’aimer, tout simplement.


lundi 24 janvier 2022

23 janvier 2022 - FRETIGNEY - 3ème dimanche TO - Année C

 Ne 8,2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18b ; 1Co 12,12-30 ; Lc 1,1-4 ; 4-14-21
 
Cher frères et sœurs,
 
On nous dit que nous sommes le « dimanche de la Parole de Dieu ». Qu’est-ce que la « Parole de Dieu » ? Un enfant du catéchisme devrait savoir cela. La Parole de Dieu n’est pas un livre ; la Parole de Dieu, c’est Jésus-Christ lui-même. Il est le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, qui s’est fait chair en ce monde. Cette Parole s’exprime pour nous par oral : des enseignements, des paraboles, des discussions, des prières ; et par des actes : des guérisons, des exorcismes, multiplier les pains, chasser les marchands du Temple… On pourrait ajouter que la Parole de Dieu s’exprime aussi par sa manière d’être : Jésus pleure, il tressaille, il a soif, il est bouleversé… Tout compte. Car la Parole de Dieu, c’est Jésus. Ainsi donc, dire que nous célébrons aujourd’hui le « dimanche de la Parole de Dieu », c’est ridicule, parce que c’est dire que nous célébrons le « dimanche de Jésus ». Évidemment, nous célébrons Jésus chaque dimanche, et même à chaque messe, à chaque office liturgique.
 
Le problème est que beaucoup de gens réduisent Jésus au Nouveau Testament. Comme si on pouvait réduire quelqu’un à sa biographie dans un livre. C’est impossible. Pourquoi veulent-ils réduire Jésus à un livre ? Parce que c’est commode de dire : les Juifs ont l’Ancien Testament, les Chrétiens ont le Nouveau Testament et les musulmans ont le Coran ; et ce sont les « trois religions du Livre ». Dire cela est complètement faux, et c’est même dangereux.
S’il y a un livre qui peut être appelé à bon droit « Parole de Dieu », c’est la Torah – les cinq livres contenant la Loi donnée par Dieu à Moïse sur la Montagne. Le reste de l’Ancien Testament, ce sont les Psaumes et les Prophètes. Tous cependant sont inspirés par l’Esprit du Seigneur, ce pourquoi nous les appelons – comme Jésus l’a lui-même fait d’ailleurs – les « Écritures », avec un grand E. Jésus en effet – lui qui est la Parole de Dieu, qui par son Esprit a inspiré les Écritures – a commenté ces Écritures et a enseigné que celles-ci l’annonçaient et que lui-même les réalisait. Jésus est le modèle des Écritures, et les Écritures sont marquées par son empreinte.
Après l’Ascension, les premiers chrétiens ont rédigé des Évangiles pour conserver la mémoire de Jésus, la mémoire de la Parole de Dieu, pour mieux se souvenir de lui, de son enseignement, de ses actions, de ses émotions. Observez-bien que Jésus lui-même n’a rien écrit. Ainsi donc, les livres des chrétiens sont comme des reportages sur la Parole de Dieu, mais ces livres eux-mêmes ne sont pas la Parole de Dieu. Quand, à la fin de l’évangile, je dis « Acclamons la Parole de Dieu », je ne dis pas « Acclamons le livre », mais je dis « Acclamons Jésus ». Et c’est bien pourquoi vous me répondez : « Louange à toi, Seigneur Jésus ! »
Quant au Coran, il faut savoir que c’est en partie un code de lois pour l’organisation et la vie de la communauté islamique, et en partie un commentaire d’extraits d’un lectionnaire chrétien hétérodoxe, mêlé à des éléments païens, le tout traduit de l’araméen en arabe de manière assez sommaire. Bref, ce livre n’a rien à voir, ni avec les Écritures inspirées par Dieu – l’Ancien Testament, ni avec Jésus lui-même, véritable Parole de Dieu faite chair, ni avec les Évangiles qui sont la mémoire de Jésus ; mémoire rédigée et transmise par les Apôtres et les Évangélistes, pour illuminer notre âme aujourd’hui.
 
Ainsi donc, le danger, lorsque l’on veut nous vendre le « dimanche de la Parole de Dieu », c’est que nous réduisions Jésus aux évangiles. Et que nous mettions les évangiles sur le même plan que le Coran, qui n’est en rien inspiré par l’Esprit Saint. Mais c’est inspirés par l’Esprit Saint que Moïse, le psalmiste, les prophètes, les apôtres et les évangélistes, ont voulu mettre par écrit leur témoignage de la Parole de Dieu, de Jésus, qui leur a parlé de différentes façons.
De ce fait, lorsque nous lisons les évangiles, c’est bien évidemment pour nous mettre à l’écoute de Jésus, c’est pour le connaître mieux, l’aimer mieux, l’adorer mieux. Il faut donc, humblement, lire le texte et nous laisser enseigner par lui, pour apprendre, pour découvrir quelque chose de Jésus. Mais lorsque l’on prend un extrait du texte, qu’on saute trois versets ou trois chapitres, et qu’on l’on raccroche un autre extrait, on ne se met plus à l’école de l’Évangile : on l’exploite, on l’utilise, on lui fait dire des choses qu’il ne dit pas. On lui fait dire des choses que nous voulons qu’il dise. Mais alors, un tel patchwork ne parle plus de Jésus, il parle bien plutôt de celui qui fait les découpages... Et c’est bien ce que nous avons aujourd’hui, malheureusement, et parfois régulièrement dans le lectionnaire qui nous est donné.
 
Allons, ne soyez pas consternés ni accablés : je ne suis pas un révolutionnaire ! Il faut se réjouir du lectionnaire qui nous propose chaque dimanche, et même chaque jour, des extraits des Écritures, des Évangiles, et des lettres de Paul ou d’autres. Il nous appelle à retrouver à travers ces extraits la Parole de Dieu, Jésus. Et si vous voulez vous en rapprocher davantage, je vous invite sérieusement à ouvrir votre Bible et à la lire ; lire ce qui est écrit avant et après chacun des extraits que le lectionnaire nous donne. Vous verrez : vous apprendrez beaucoup. En marchant avec Jésus, celui-ci devient de plus en plus l’indispensable compagnon de route, pour un voyage merveilleux avec lui, jusqu’au ciel !


mardi 18 janvier 2022

15-16 janvier 2022 - MEMBREY - FRASNE-LE-CHÂTEAU - 2ème dimanche TO - Année C

Is 62,1-5 ; Ps 95 ; 1Co 12,4-11 ; Jn 2,1-11
 
Chers frères et sœurs,
 
Le récit des noces de Cana est en même temps très simple, car le déroulement des événements est limpide, et très mystérieux, parce que Jean a parsemé son récit d’allusions au dessein de Dieu pour le salut des hommes.
 
La première allusion est donnée en introduction : « Le troisième jour. » Lorsqu’on relit les récits précédents, que ce soit celui du baptême par Jean-Baptiste, ou ceux des premières rencontres avec les disciples, on observe que ceux-là sont tous introduits par : « Le lendemain. » Mais ici nous avons « Le troisième jour » : saint Jean l’a fait exprès. Quel est ce « troisième jour » ? Pour un chrétien, il s’agit certainement du troisième jour après la mort de Jésus, celui de sa résurrection. Cependant, dans le Judaïsme, la tradition veut que les noces aient lieu le « troisième jour », en souvenir du jour où Adam et Eve se sont unis. Le premier jour étant celui de la création du jardin d’Eden, où Adam est installé mais se trouve seul ; le second celui où Eve est créée, puis tentée par le serpent, jour qui se termine par la chute ; et le troisième enfin, qui est celui de leur union, préfigurant le mariage. Ces deux allusions à la Genèse et à la Résurrection nous permettent de mieux comprendre la suite.
 
Lorsque Marie avertit Jésus du manque de vin, celui-ci lui répond : « Femme, que me veux-tu ? » On s’étrangle que Jésus s’adresse à sa Mère de manière aussi rude, en l’appelant « Femme » ! Mais Marie représente ici toute l’humanité, que Jésus, qui est Dieu, appelle « femme », c’est-à-dire son épouse. Pour saint Jean, les noces de Cana sont un signe qui annonce les épousailles de Dieu avec l’humanité, selon la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue : « Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. »
Il en va de même à la fin du récit, quand Jean rapporte l’interpellation du maître du repas à l’époux : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Qui est cet époux à qui le maître du repas s’adresse ? Factuellement, saint Jean n’attribue aucune identité ni à l’épouse – qui peut donc être Marie – ni à l’époux, qui peut donc être Jésus. Il nous est ainsi suggéré que l’interpellation s’adresse en réalité à Jésus, c’est-à-dire à Dieu lui-même. Cette parole traduit l’étonnement des hommes devant le miracle qui inaugure le banquet des noces de l’Agneau, le banquet de la réconciliation et des épousailles entre l’humanité et Dieu, le banquet de fête pour le retour de l’humanité en Eden, en Paradis.
 
En effet, dans la seconde partie de la réplique de Jésus à sa Mère : « Mon heure n’est pas encore venue », nous voyons un brin de reproche pour sa trop grande précipitation. Justement, la chute d’Adam et Eve a été provoquée par leur trop grande précipitation à vouloir goûter du fruit de l’arbre. Jésus reproche donc à Marie la même précipitation. Et pourtant, il va agir immédiatement. Car Marie n’est pas Eve : elle n’est pas poussée par le serpent mais par l’Esprit Saint. L’obéissance de Marie est l’antidote à la désobéissance d’Eve. Et c’est pourquoi Jésus répond à la prière de sa Mère en l’accomplissant. Il est remarquable d’ailleurs, que pour saint Éphrem et saint Grégoire de Nysse, la réponse de Jésus était tournée de manière interrogative : « Mon heure n’est-elle pas encore venue ? » C’est-à-dire qu’il considérait qu’elle l’était : à la prière de Marie, l’heure de Jésus était venue, ce pourquoi il a agi aussitôt.
On se souviendra ici qu’au troisième jour, celui de la résurrection, se trouve un épisode comparable. Lorsque Marie-Madeleine a voulu saisir Jésus, après l’avoir d’abord appelée « femme » celui-ci lui a répondu : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père ». Marie-Madeleine voulait conserver Jésus, mais comme il s’agissait là d’un désir plus humain que divin, le moment n’était pas venu.
 
Si le mariage de Cana est donc bien plus que la mémoire de l’union charnelle d’Adam et Eve, consécutive à désobéissance et la chute, mais déjà la célébration de la réconciliation et de l’union entre l’humanité et Dieu, dans le Paradis retrouvé, alors, il doit y avoir un geste ayant réalisé également cette réconciliation. Et c’est bien le cas lorsque Jésus transforme l’eau en vin dans des jarres de pierre réservées aux purifications rituelles des Juifs. Ce faisant en effet, il reprend et transforme les rites de purification et de pardon célébrés dans le Temple de pierre – rites ayant la valeur de l’eau – en un rite supérieur et véritable de purification et de pardon, ayant la valeur du vin. Ce rite est réalisé par lui-même, transformant du même coup le Temple de pierre, en un Temple vivant où se trouve le bon vin, c’est-à-dire l’Église.
 
Ainsi donc, chers frères et sœurs, en ouvrant la prédication de Jésus par le miracle des noces de Cana, saint Jean nous apprend ce que Jésus est venu faire en ce monde : nous faire passer d’un régime de vie charnel, terrestre et fini, qui a le goût de l’eau, au régime de la vie éternelle, celui du Paradis et de la joie infinie des noces de l’Agneau, qui a le goût du bon vin. Et ces noces du ciel, nous chrétiens, nous y participons et nous y communions dès aujourd’hui, et à chaque messe, en célébrant l’Eucharistie.

lundi 10 janvier 2022

09 janvier 2022 - GRAY - Baptême du Seigneur - Année C

Is 40,1-5.9-11 ; Ps 103 ; Ti 2,11-14 ; 3,4-7 ; Lc 3,15-16.21-22
 
Chers frères et sœurs,
 
À l’époque de Jésus, le peuple d’Israël est en attente d’un Messie qui le sauvera, non seulement de la tutelle romaine, mais aussi de sa déchéance spirituelle et morale. On le voit bien : la société est traversée par de puissants courants religieux restaurateurs : les Esséniens de Qumran qui se sont mis en retrait de manière sectaire, les Pharisiens qui prônent la conversion morale ; les Sadducéens sont attachés à la pureté du culte, et les Zélotes des activistes politiques et violents. Tous attendent, d’une manière ou d’une autre le Messie, en grec le « Christ », c’est-à-dire celui qui a reçu l’onction du Seigneur, comme prêtre, prophète et roi. Dans ce contexte, la prédication de Jean Baptiste d’un baptême de conversion en prévision du Règne de Dieu qui vient, suscite évidemment un grand intérêt et beaucoup de questions. Et ce Messie tant attendu, ne serait-il pas le Baptiste lui-même ?
 
La réponse de Jean est sans équivoque : il n’est pas le Messie mais il est celui qui lui prépare le chemin. Il est comme le prophète Elie qui annonce au peuple la venue imminente du Messie. Il est aussi le prêtre qui par le baptême dans le Jourdain purifie le peuple de ses péchés et le sanctifie pour l’année sainte du grand Jubilé où toute justice sera rendue et la paix accordée, notamment par la venue de ce Messie. Mais Jean-Baptiste est encore le prêtre qui, en baptisant Jésus – le Seigneur profitant de ce baptême pour en manifester la consécration – révèle au peuple qui est le Messie attendu. Jean baptisait humainement dans l’eau, mais l’onction divine a été accordée par Dieu lui-même sous la forme de la colombe, et confirmée par la voix venant du ciel. Cette capacité sacerdotale particulière de Jean-Baptiste doit être encore davantage soulignée, car elle révèle également l’identité et la mission véritable de Jésus.
 
Nous le savons, Jésus, de par sa reconnaissance par Joseph était de lignée royale. Mais, pour prendre possession de sa royauté, il lui fallait être oint par le Grand prêtre avant de monter en triomphe, assis sur un âne, à Jérusalem. Or, lors du baptême de Jésus par Jean, lorsque l’Esprit Saint descend sous la forme de la colombe et vient reposer sur le corps de Jésus, il se passe visiblement ce qu’il se passe invisiblement lorsque, le Grand Prêtre accomplissant les rites prescrits, la Présence du Seigneur descend dans son Temple et vient reposer sur l’Arche d’Alliance. L’humanité de Jésus est ainsi le Temple de sa divinité. Et cela est rendu visible par le rite baptismal effectué par Jean comme prêtre. Faut-il donc comprendre que Jean-Baptiste appartenait à une famille de Grand prêtres légitimes, écartée du sacerdoce par les prêtres illégitimes – Anne et Caïphe – installés par les Romains ?
 
La question a une certaine importance, car il fallait que Jésus soit aussi lui-même prêtre pour être le Messie. Cette consécration lui est reconnue par Jean-Baptiste lui-même qui déclare ne pas être digne de délier la courroie de ses sandales – ce qu’il fallait faire au Grand prêtre pour qu’il puisse entrer dans le Saint des Saints du Temple afin d’accomplir une fois par an le sacrifice du Grand Pardon. Justement, cette liturgie du Grand Pardon est également signifiée à Jésus par la voix du Seigneur lui-même : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie ». Comme Isaac était le fils chéri d’Abraham, fils unique qui devait être offert en sacrifice, et qui fut remplacé par un bélier, de même Jésus est le Fils bien aimé du Père, véritable agneau pascal offert en sacrifice sur la croix pour le véritable grand pardon des péchés. « Grand prêtre et offrande », nous retrouvons les deux dénominations attachées à Jésus dans la Lettre aux Hébreux. Cette lecture qui consiste à voir dans le baptême de Jésus sa consécration sacerdotale est parfaitement traditionnelle : saint Éphrem affirmait ainsi sans détour : « Jésus reçut le sacerdoce de la maison de Lévi par la seconde naissance que lui conférait le baptême du fils d’Aaron » – c’est-à-dire Jean-Baptiste.
 
Jésus oint comme roi et prêtre, par Dieu, au moyen de Jean-Baptiste, il est aussi oint comme prophète comme cela est visiblement affirmé par la descente sur lui de la colombe. En réalité, prophète il l’est toujours en tant que Verbe de Dieu, Parole de Dieu, et parce qu’il ne fait qu’un avec le Père et le Saint-Esprit.
 
Finalement, en quoi toutes ces considérations sur le baptême de Jésus nous intéressent-elles ? Mais tout simplement parce que, lorsque nous sommes baptisés à notre tour, nous le sommes dans le même Esprit Saint qui fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois en Jésus, comme fils et filles bien-aimés du Père. Ainsi donc, la mission de Jésus est aussi la nôtre : rendre grâce à Dieu par l’offrande de nous-même pour le salut du monde ; annoncer le règne de Dieu qui vient, conformément aux Écritures ; et accomplir toute justice et toute paix autour de nous, dans l’Esprit Saint. Telle est la vocation des baptisés à la suite de Jésus, selon ce qui a été révélé et rendu visible aux hommes il y a plus de 2000 ans sur les bords du Jourdain.


x

lundi 3 janvier 2022

01-02 Janvier 2022 - VELLEXON - GY - Epiphanie du Seigneur - Année C

 Is 60,1-6 ; Ps 71 ; Ep 3,2-3a.5-6 ; Mt 2,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Portons notre regard sur les Mages, pour essayer de comprendre un peu mieux qui ils sont et quelle est leur mission.
 
Les Mages sont venus d’Orient. Bien sûr, on comprend qu’ils viennent des régions de l’Iran actuel, où se trouve régulièrement le véritable pouvoir politique qui domine la Judée. Ceci peut en effet inquiéter Hérode et les Grands Prêtres, dont le pouvoir dépend de la tutelle de Rome. Mais la question n’est pas là.
L’Orient, pour un Juif, est le lieu où se trouve le Paradis. Ainsi donc, nos Mages sont semblables à des Anges qui viennent du Paradis pour rendre témoignage à Jésus qui vient de naître. La référence au Paradis est d’ailleurs suggérée également par le fait que le roi Hérode « convoque » les Mages en secret, pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue et pour les envoyer à Bethléem identifier pour lui – et à des fins malsaines – le lieu où se trouvait l’enfant. Or, la racine du verbe « convoquer », en araméen, est semblable à celle du mot « talon ». Souvenez-vous : c’est le serpent qui, lors de la chute d’Adam et Eve, doit meurtrir la femme au talon. Saint Matthieu nous montre donc, à travers cette convocation, qu’il y a en Hérode quelque chose du serpent menteur, qui en veut à mort à la vie divine, ici à l’enfant Jésus.
À travers ces deux allusions au Paradis et à la morsure du serpent, nous comprenons que ce qui se joue profondément, dans la naissance de Jésus, c’est justement le pardon du péché originel et le retour de l’humanité en Paradis.
 
Cependant, concrètement, nos Mages ne sont pas des Anges, mais bien des hommes. Ils n’ont donc pas la faculté d’aller directement à Jésus. Ils doivent être guidés, instruits et protégés. Guidés, ils le sont par l’étoile qui les attire et les conduit. Instruits, ils le sont par les Grands Prêtres, gardiens des Écritures, où sont indiqués la qualité de Jésus et le lieu de sa naissance. Protégés, ils le sont par Dieu lui-même, qui les avertit en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode. Ceci est d’une grande importance spirituelle pour nous.
Nous pouvons avoir été éveillés par une étoile, une expérience spirituelle plus ou moins extraordinaire, qui a inauguré une connaissance de Dieu et une relation nouvelle avec lui. Mais cette expérience ne conduit pas de manière certaine à Jésus tant qu’elle n’est pas éclairée et confirmée par les Écritures, dont les prêtres – tout indignes qu’ils soient – sont les gardiens. L’expérience de Dieu ayant été instruite et confirmée par son Église, alors seulement il est possible d’arriver certainement à Jésus. La grâce de Dieu, ici par le moyen du songe, prend alors le relais pour nous protéger contre nos errances, qui risquent de permettre au mauvais d’atteindre à Jésus lui-même.
Tant que le Mage – c’est-à-dire nous-mêmes – suit la lumière de l’étoile, sur son chemin confirmé par les Écritures transmises dans l’Église, avec un cœur sensible aux indications de l’Esprit Saint, alors il trouve Jésus, est en communion avec lui et, ne le trahissant jamais, devient son serviteur et son ami.
 
Dernière observation pour finir. Il y a dans les trois Mages qui viennent adorer Jésus avec des présents, quelque chose des trois femmes qui viennent embaumer Jésus avec des aromates : Marie-Madeleine, Jeanne, et Marie, mère de Jacques, d’après saint Luc. Les trois présents apportés par les premiers sont de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Pour saint Éphrem, suivant ici l’ordre différent donné par les vieux manuscrits araméens, se trouvent l’or pour l’humanité royale de Jésus, la myrrhe pour son embaumement, car il va passer par la mort de la croix, et l’encens car il est également Dieu, en qui s’accomplit la résurrection. Mais, dans notre évangile, nous avons un ordre différent : or, encens et myrrhe. Il faut lire, en grec : « or, oliban et Smyrne », que certains ont compris comme les symboles de Jérusalem, Antioche et Smyrne, c’est-à-dire les trois premières grandes villes de diffusion de la Bonne Nouvelle et de la rédaction des trois Évangiles de Matthieu, Marc et Luc. Mais c’est invérifiable dans l’état actuel de nos connaissances. L’interprétation de saint Éphrem est la plus probable.
 
Ainsi donc, chers frères et sœurs, dans cet acte d’adoration de Jésus de la part des Mages, on comprend que – par son Esprit Saint qui les a guidés, confirmés et protégés – c’est Dieu le Père lui-même qui a voulu rendre témoignage à son Fils et lui indiquer sa vocation : il est homme, il va mourir et ressusciter, et il est Dieu. Par lui, le pouvoir du serpent est vaincu, le pardon des péchés est accordé, et les portes du Paradis sont ouvertes. Trois hommes sont venus à la crèche, rendre hommage avec honneur au roi de l’univers, trois femmes sont venues au tombeau, prendre soin avec amour du premier-né dans le Royaume des cieux. Bonne fête de l’Épiphanie !

Articles les plus consultés