Is
62,1-5 ; Ps 95 ; 1Co 12,4-11 ; Jn 2,1-11
Chers
frères et sœurs,
Le
récit des noces de Cana est en même temps très simple, car le déroulement des
événements est limpide, et très mystérieux, parce que Jean a parsemé son récit
d’allusions au dessein de Dieu pour le salut des hommes.
La
première allusion est donnée en introduction : « Le troisième
jour. » Lorsqu’on relit les récits précédents, que ce soit celui du
baptême par Jean-Baptiste, ou ceux des premières rencontres avec les disciples,
on observe que ceux-là sont tous introduits par : « Le
lendemain. » Mais ici nous avons « Le troisième jour » :
saint Jean l’a fait exprès. Quel est ce « troisième jour » ? Pour
un chrétien, il s’agit certainement du troisième jour après la mort de Jésus,
celui de sa résurrection. Cependant, dans le Judaïsme, la tradition veut que
les noces aient lieu le « troisième jour », en souvenir du jour
où Adam et Eve se sont unis. Le premier jour étant celui de la création du
jardin d’Eden, où Adam est installé mais se trouve seul ; le second celui où
Eve est créée, puis tentée par le serpent, jour qui se termine par la
chute ; et le troisième enfin, qui est celui de leur union, préfigurant le
mariage. Ces deux allusions à la Genèse et à la Résurrection nous permettent de
mieux comprendre la suite.
Lorsque
Marie avertit Jésus du manque de vin, celui-ci lui répond : « Femme,
que me veux-tu ? » On s’étrangle que Jésus s’adresse à sa Mère de
manière aussi rude, en l’appelant « Femme » ! Mais Marie
représente ici toute l’humanité, que Jésus, qui est Dieu, appelle
« femme », c’est-à-dire son épouse. Pour saint Jean, les noces de
Cana sont un signe qui annonce les épousailles de Dieu avec l’humanité, selon
la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue : « Car le Seigneur
t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune
homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. »
Il
en va de même à la fin du récit, quand Jean rapporte l’interpellation du maître
du repas à l’époux : « Tout le monde sert le bon vin en premier
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as
gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Qui est cet époux à qui le
maître du repas s’adresse ? Factuellement, saint Jean n’attribue aucune
identité ni à l’épouse – qui peut donc être Marie – ni à l’époux, qui peut donc
être Jésus. Il nous est ainsi suggéré que l’interpellation s’adresse en réalité
à Jésus, c’est-à-dire à Dieu lui-même. Cette parole traduit l’étonnement des
hommes devant le miracle qui inaugure le banquet des noces de l’Agneau, le
banquet de la réconciliation et des épousailles entre l’humanité et Dieu, le
banquet de fête pour le retour de l’humanité en Eden, en Paradis.
En
effet, dans la seconde partie de la réplique de Jésus à sa Mère : « Mon
heure n’est pas encore venue », nous voyons un brin de reproche pour
sa trop grande précipitation. Justement, la chute d’Adam et Eve a été provoquée
par leur trop grande précipitation à vouloir goûter du fruit de l’arbre. Jésus
reproche donc à Marie la même précipitation. Et pourtant, il va agir
immédiatement. Car Marie n’est pas Eve : elle n’est pas poussée par le
serpent mais par l’Esprit Saint. L’obéissance de Marie est l’antidote à la
désobéissance d’Eve. Et c’est pourquoi Jésus répond à la prière de sa Mère en
l’accomplissant. Il est remarquable d’ailleurs, que pour saint Éphrem et saint
Grégoire de Nysse, la réponse de Jésus était tournée de manière interrogative :
« Mon heure n’est-elle pas encore venue ? » C’est-à-dire
qu’il considérait qu’elle l’était : à la prière de Marie, l’heure de Jésus
était venue, ce pourquoi il a agi aussitôt.
On
se souviendra ici qu’au troisième jour, celui de la résurrection, se trouve un
épisode comparable. Lorsque Marie-Madeleine a voulu saisir Jésus, après l’avoir
d’abord appelée « femme » celui-ci lui a répondu : « Ne
me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père ».
Marie-Madeleine voulait conserver Jésus, mais comme il s’agissait là d’un désir
plus humain que divin, le moment n’était pas venu.
Si
le mariage de Cana est donc bien plus que la mémoire de l’union charnelle
d’Adam et Eve, consécutive à désobéissance et la chute, mais déjà la célébration
de la réconciliation et de l’union entre l’humanité et Dieu, dans le Paradis
retrouvé, alors, il doit y avoir un geste ayant réalisé également cette
réconciliation. Et c’est bien le cas lorsque Jésus transforme l’eau en vin dans
des jarres de pierre réservées aux purifications rituelles des Juifs. Ce
faisant en effet, il reprend et transforme les rites de purification et de
pardon célébrés dans le Temple de pierre – rites ayant la valeur de l’eau – en
un rite supérieur et véritable de purification et de pardon, ayant la valeur du
vin. Ce rite est réalisé par lui-même, transformant du même coup le Temple de
pierre, en un Temple vivant où se trouve le bon vin, c’est-à-dire l’Église.
Ainsi
donc, chers frères et sœurs, en ouvrant la prédication de Jésus par le miracle
des noces de Cana, saint Jean nous apprend ce que Jésus est venu faire en ce
monde : nous faire passer d’un régime de vie charnel, terrestre et fini,
qui a le goût de l’eau, au régime de la vie éternelle, celui du Paradis et de
la joie infinie des noces de l’Agneau, qui a le goût du bon vin. Et ces noces du
ciel, nous chrétiens, nous y participons et nous y communions dès aujourd’hui,
et à chaque messe, en célébrant l’Eucharistie.