Dt
6, 2-6 ; Ps 17 ; He 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34
Chers
frères et sœurs,
Lorsque
Jésus a la discussion que nous avons entendue avec le scribe, il se trouve dans
le temple de Jérusalem. En effet, il a quitté Jéricho – c’est l’évangile de
dimanche dernier – et il est monté à Jérusalem. Il y est entré assis sur un
âne, comme on fait pour les rois à leur intronisation, puis il a chassé les
marchants du temple. Il est alors entré en discussion avec les grands prêtres,
les partisans d’Hérode, les pharisiens, les saducéens et maintenant un scribe.
Évidemment, les discussions tournent autour de l’identité et de l’autorité de
Jésus, et de son rapport à la Loi de Moïse.
Même
si Marc, Matthieu et Luc, qui rapportent la même discussion entre Jésus et le
scribe, la traitent différemment, l’idée de fond demeure la même : quel
est le véritable culte que l’homme doit rendre à Dieu ? La question est
importante, car de la réponse qu’on lui apporte dépendent non seulement la
bénédiction d’une vie heureuse ici-bas, mais surtout l’assurance de la vie
éternelle, dans la communion de Dieu. Évidemment, il n’est pas anodin de poser
la question sur le vrai culte que l’homme doit rendre à Dieu alors que Jésus et
le scribe se trouvent justement dans le temple.
Comme
le scribe est un bon rabbin, il va directement à l’essentiel : toute
question religieuse doit trouver sa solution dans la Torah, dans la Loi donnée par
Dieu à Moïse. D’où la question : « Quel est le premier de tous les
commandements ? » Naturellement Jésus, qui est aussi un bon
rabbin, répond par la Torah. Il cite le « Shema Israël », le
« Credo des juifs » pour faire court : « Écoute, Israël
: le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta
force. » Il s’agit d’une citation du Deutéronome. N’importe
quel Juif connaît le Shema Israël depuis son enfance et on le récite pour
lui à sa mort. Donc le vrai culte de Dieu, c’est d’aimer Dieu, avant toute
chose.
Mais
Jésus ajoute un second commandement : « Tu aimeras ton prochain
comme toi-même. » Il s’agit d’une citation du Lévitique. On est
toujours dans la Torah. Jésus affirme ici que le vrai culte attendu par Dieu
n’est pas seulement de l’aimer lui seul, mais aussi que les hommes s’aiment les
uns les autres. En fait, ce second commandement définit comment on doit
aimer, aussi bien Dieu que les autres. On n’aime vraiment que lorsqu’on est au
service les uns des autres, qu’on est prêt à donner sa vie les uns pour les
autres, pas seulement en intention, mais aussi en pratique.
Le
second commandement donné par Jésus est un test de vérification du premier
commandement, sur la manière d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son
intelligence, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force – donc en
se donnant soi-même tout entier, en s’offrant soi-même en sacrifice.
Ce
n’est donc pas pour rien que le scribe avalise la double réponse de Jésus et
ajoute son propre commentaire : aimer Dieu et aimer son prochain « vaut
mieux que toute offrande d’holocauste et de sacrifices ». En effet,
l’offrande de soi-même par amour est bien supérieure à toute offrande rituelle
de biens matériels ou d’animaux.
La
réponse à la question sur le véritable culte à rendre à Dieu pour obtenir de
lui ses bénédictions, et la vie éternelle, se trouve donc dans l’affirmation de
la Loi sur l’amour de Dieu et du prochain, que Jésus formalisera autrement par
cette parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa
vie pour ceux qu’on aime. »
Cela
invalide-t-il les sacrifices du temple et tout rite religieux en général ?
Non. Cela les invalide si ils sont pratiqués pour eux-mêmes, juste pour le rite,
pour la forme. Mais si ils sont bien des rites voulant exprimer le don soi par
amour, en offrant des biens précieux pour signifier autant que possible cet
amour, et dans un esprit d’amour pour Dieu et pour les hommes, alors ils sont
non seulement légitimes, mais ils sont une manière juste d’exprimer le mystère
de l’amour.
Pensez
au rituel du mariage, où l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par
amour. Ce rituel n’a pas de sens si il n’y a pas l’intention première de
l’amour mutuel. Et pourtant il n’y a pas de plus beau rituel pour exprimer
l’amour, si ce n’est celui de la messe où Jésus s’offre lui-même à son Père par
amour pour nous.
Ainsi,
si Jésus a chassé les marchands du temple, s’il a reproché aux grands prêtres
de mal s’occuper de la vigne d’Israël, s’il a donné sa bénédiction au scribe, s’il
a dit aux apôtres lors de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire
de moi », ce n’est pas pour invalider les rites, mais c’est pour
rappeler leur sens profond qui est l’expression du vrai culte qu’il faut rendre
à Dieu.
Ainsi
donc, Jésus et le scribe sont d’accord sur la question essentielle du rapport
de l’homme avec Dieu, qui est une offrande, un don de soi par amour. C’est
d’ailleurs ce que Dieu lui-même a fait le premier à notre égard, puisque Jésus
a donné sa vie sur la croix par amour pour nous. Dieu nous a fait don de lui-même,
pour que nous soyons réconciliés avec Lui ; pour que nous vivions avec Lui
dans sa vie éternelle. En définitive, ce que nous faisons ici, à la messe, ce
n’est que rappeler à Dieu le geste qu’il a lui-même fait pour nous, en ayant
foi que par ce rite, Dieu reconnaisse, et son amour pour nous, et notre amour
pour lui, pour que nous aussi – et ceux que nous aimons – puissions accéder à
la vie éternelle, à la communion, demain et déjà aujourd’hui.