Jr
31, 7-9 ; Ps 125 ; He 5,1-6 ; Mc 10, 46b-52
Chers
frères et sœurs,
Il
y a quelques dimanches, Jésus a franchi le Jourdain pour entrer dans le
territoire de la Judée. De là, il a gagné Jéricho avant d’en repartir pour
monter à Jérusalem – c’est l’évangile d’aujourd’hui. Ce parcours n’est pas du
tout anodin, puisque c’est exactement le parcours réalisé par Josué et les
Hébreux au moment de conquérir la Terre promise et Jérusalem, après les
quarante années passées au désert. Et vous connaissez l’histoire fameuse des
murailles de Jéricho qui se sont écroulées après que les Hébreux aient
processionné autour au son des trompettes. À sa manière Jésus fait un
pèlerinage sur les pas de Josué, ou plutôt il réalise la prophétie de Josué,
puisque Jésus est le véritable Josué – c’est le même prénom.
Jéricho
n’est donc pas une ville signalée par l’évangile par hasard : c’est la
ville qui est en même temps la porte de la Terre sainte – il faut la
prendre pour pouvoir ensuite monter à Jérusalem, et en même temps c’est la
ville du mal et des ténèbres, qu’il faut détruire pour pouvoir monter
saintement à Jérusalem. Ainsi Bartimée, habitant Jéricho, est-il un homme
marqué par le mal et qui vit dans les ténèbres : c’est pourquoi il est
aveugle. D’ailleurs, Bartimée, le Fils de Timée, signifie en hébreu :
« le fils de l’impur ». Bartimée a besoin de devenir Zachée – qui
signifie « le pur ». Souvenez-vous, dans l’évangile de Luc, Zachée
était aussi un habitant de Jéricho – et ce n’est pas un hasard.
Donc
cet homme, Bartimée, prisonnier du mal et des ténèbres, apprend que Jésus de
Nazareth – celui dont tout le monde dit qu’il est le Messie Sauveur – est en
train de passer par Jéricho : il l’appelle de toutes ses forces :
« Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Comprenez
que c’est le cri d’Adam au plus profond des enfers, le cri de tous les hommes
désespérés qui espèrent un secours de la part de Dieu ; c’est un cri qui
vient du plus profond du cœur de l’humanité.
Ce
cri de Bartimée est repris de tout temps et aussi de nos jours au début de la
messe, quand nous prions le Seigneur : « Seigneur prend pitié ;
Ô Christ prend pitié ; Seigneur prend pitié » ; mais aussi dans
la fameuse prière du cœur des moines et des pèlerins orientaux : «
Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! »,
que l’on répète sans cesse ; ou plus brièvement dans les offices
orthodoxes : « gospodi pomiluj ! » ; « Seigneur,
prends pitié ! » C’est le cri des pécheurs qui espèrent leur
rédemption.
Justement,
c’est pour eux que Jésus est venu. C’est pour Bartimée que Jésus est venu à
Jéricho. Car il faut que Bartimée monte avec lui à Jérusalem ; il faut
qu’Adam et tout homme pécheur montent avec lui auprès de notre Père, qui est
aux cieux. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » dit
Jésus. Et l’homme pécheur répond : « Rabbouni, que je retrouve la
vue ! »
Dans
cette réponse, il y a deux choses remarquables. La première est l’appellation
« Rabbouni ». Elle est encore plus évidente en Syriaque :
« Rabbuli ». Il n’y a que Bartimée et Marie-Madeleine qui emploient
ce terme, au moment où l’un va voir Jésus, et l’autre va revoir Jésus
ressuscité. « Que je retrouve la vue » -
c’est-à-dire : « Que je re-voie ; que je voie à nouveau, comme
autrefois ». C’est cela : comme aux premiers temps, où Adam et Ève
voyaient Dieu dans le jardin du Paradis, avant de se cacher puis d’en être
exclus. Imaginez-vous de revoir enfin un paysage, ou mieux un visage, que vous
espérez tant revoir, par-delà l’océan du temps ou de la mort. Voilà ce que veut
Bartimée, ce qu’il espère. Et il croit – il a foi – que Jésus de Nazareth peut
réaliser cela pour lui. Cela tombe bien, c’est aussi ce que Jésus veut pour
lui.
Car
il faut maintenant monter à Jérusalem. Monter à Jérusalem est un précepte de la
Loi de Moïse : « Trois fois par an – à la fête des Pains sans
levain, à la fête des Semaines et à la fête des Tentes –, tous les hommes
paraîtront devant la face du Seigneur ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi »
(Dt 16,16) – c’est-à-dire au Mont Moriah, le Mont du temple, à
Jérusalem. Tous les fils d’Israël ont vocation à monter à Jérusalem pour voir
la face de Dieu ou être vus par Dieu, dans son temple. Vous comprenez bien que
pour que cela soit réalisable il faut que les hommes en question ne soient pas
boiteux – s’il faut monter à Jérusalem – et ne soient pas aveugles – s’il faut
voir la face de Dieu. Et c’est pourquoi Jésus vient d’abord guérir les boiteux
et les aveugles, pour qu’ils soient en capacité de monter à Jérusalem. Jésus
vient pardonner les péchés qui handicapent, et libérer des ténèbres de la mort,
les hommes nouveaux, les baptisés, qui ont vocation à entrer dans la communion
sainte et lumineuse de Dieu.
Et
c’est ainsi que Bartimée, guéri et devenu « Zachée », se met à suivre
Jésus qui monte à Jérusalem, pour entrer avec lui dans sa gloire.