Gn
2, 18-24 ; Ps 127 ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16
Chers
frères et sœurs,
Comment
lisez-vous l’Évangile ? L’Évangile, on peut le lire au premier degré,
selon le sens commun. On y apprend aujourd’hui que Jésus s’oppose au divorce,
parce que « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas »,
selon que l’homme et la femme ont été créés par Dieu pour ne faire qu’une seule
chair, ainsi qu’il est dit dans le livre de la Genèse. Et si Moïse a
permis de rédiger un acte de répudiation, c’est par simple pragmatisme, en
raison de la dureté du cœur des hommes. Nous voyons tous les jours, combien en
effet le cœur des hommes – et des femmes aussi – est parfois bien dur,
malheureusement,
Et
justement, il y a là un problème dans l’Évangile de Marc, qu’on ne trouve ni
chez Matthieu ni chez Luc, lorsque Jésus évoque cette question. C’est que,
selon Marc, Jésus évoque aussi la possibilité que des femmes puissent renvoyer
leur mari. Voilà qui est tout à fait extraordinaire, car jamais dans la Loi de
Moïse ce cas n’est évoqué. Il n’est tout simplement pas possible. Il y a deux
manières de résoudre le problème :
Soit
vous êtes un exégète occidental moderne et vous vous réjouissez d’avoir trouvé
que dans la loi romaine, il est possible à une femme de divorcer de son mari.
Et vous en concluez que le rédacteur de l’Évangile de Marc devait s’adresser à
une communauté composée de Romains, puisqu’il a adapté la Parole de Dieu pour
eux. Ce qui signifie qu’on fait dire un peu ce qu’on veut à Jésus en fonction
des temps et des lieux. C’est une tentation toujours actuelle dans
l’Église : on invente des trucs qui ne sont pas dans l’Évangile.
Il
y a une autre solution, qui nous oblige à lire l’Évangile autrement, de manière
plus conforme à la culture des Apôtres et des évangélistes, dont on n’oubliera
pas qu’ils étaient tous juifs, et que pour eux les Écritures, c’est l’Ancien
Testament. C’est donc dans l’Ancien Testament et par lui seul qu’on peut
expliquer les difficultés de lecture que nous pouvons rencontrer dans les
Évangiles. Alors, comment faire ?
Nous
devons commencer par observer que Jésus dit cette parole à ses Apôtres
uniquement, quand il est de retour « à la maison ». La
« Maison » est un mot codé qui renvoie au Temple de Jérusalem ou au
Royaume des cieux. C’est-à-dire que l’explication que Jésus donne à ce moment à
ses apôtres est de nature spirituelle et ne peut être comprise que par ceux qui
ont foi en lui, et en sa résurrection.
Ensuite,
il faut savoir que ceux qui interrogent Jésus sur la répudiation le font alors
qu’il vient de franchir le Jourdain, qu’il se trouve maintenant dans le
territoire de la Judée, que des foules se sont assemblées auprès de lui et
qu’il s’est mis à guérir les malades et à enseigner. Malheureusement, cette
précision a été stupidement coupée au début de notre lecture de l’évangile. Or elle
indique que Jésus reproduit l’entrée de Josué en Terre promise. Il accomplit la
prophétie de Josué – d’ailleurs le nom Jésus, est le même que celui de
Josué. C’est-à-dire que Jésus se présente réellement comme le Messie d’Israël,
qui va conquérir la Terre promise et libérer Jérusalem. C’est la raison pour laquelle
les foules se précipitent vers lui. Or, vous le savez, Jésus a refusé d’assumer
un rôle politique, de devenir un libérateur à la mode latino-américaine pour
libérer Israël de la domination romaine. Et cela a fâché les gens, et même une
bonne partie des disciples, qui n’ont pas compris ce refus.
Ceci
explique la question des pharisiens : « Est-il permis à un mari de
renvoyer sa femme ? » Traduisez : « Est-ce que Dieu
peut répudier la Fille de Sion, Israël, qui est son épouse, avec qui il a fait
alliance ? » ; « Est-il permis au Messie de Dieu de trahir
la cause pour laquelle il a été missionné ? » Voilà le véritable
problème, posé dans les termes de l’Ancien Testament.
Jésus
les renvoie à Moïse. Ils savent qu’il existe selon la loi une répudiation
possible. Mais Jésus les prend à contre-pied : il affirme que Moïse a
permis la répudiation en raison de la dureté du cœur des hommes, mais que pour
Dieu cela n’est même pas envisageable, ainsi qu’il l’a déclaré lui-même au
livre de la Genèse. Jésus leur affirme donc qu’il n’est absolument pas
dans les intentions de Dieu, ni celles de son Messie – donc de Jésus lui-même –
de répudier Israël, de manquer à sa mission de Messie sauveur. Dieu reste
indéfectiblement attaché à son Alliance : la fille de Sion est son épouse
pour l’éternité. Cela satisfait probablement les pharisiens puisqu’ils ne
répondent pas. Mais les disciples demeurent dans l’interrogation : comment
Jésus peut-il dire qu’il est le Messie sauveur d’Israël, absolument fidèle à
l’Alliance, et en même temps refuser de s’engager publiquement,
politiquement ? D’où la question sur laquelle Jésus revient à la maison.
Et Jésus d’expliquer que l’homme qui renvoie sa femme est adultère – Dieu n’a
pas l’intention d’être adultère. Mais il se peut que la femme – donc la Fille
de Sion, Israël – veuille renvoyer son mari, son Dieu, pour en épouser un
autre, un autre dieu, une idole ; alors la Fille de Sion devient adultère
envers Dieu. Et cela, malheureusement, c’est très possible.
Le
fond du problème, au sujet de l’Alliance entre Dieu et son peuple, devient du
coup non pas l’amour que Dieu porte à son peuple – amour qui est éternel et que
Jésus est venu pour réaffirmer par sa mort et sa résurrection – mais la dureté
du cœur des hommes. L’expression biblique correspondante est
« l’incirconcision du cœur des hommes ». La circoncision est
justement le signe de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Or celui qui opère
la véritable circoncision du cœur des hommes, c’est l’Esprit Saint, qui transforme
les cœurs de pierre en cœur de chair, qui fait des hommes de ce monde des
prophètes du monde nouveau, qui transforme les pécheurs en saints. La solution
est donnée par Jésus, bénissant les enfants – les nouveau-nés du baptême – par
l’imposition des mains, leur conférant le don de l’Esprit Saint, la
circoncision du cœur, la fidélité à l’Alliance entre Dieu et son peuple, pour
l’éternité. Telle est la véritable libération pour laquelle Jésus est venu en
Messie sauveur.