Is
45,1.4-6 ; Ps 95 ; 1Th 1,1-5b ; Mt 22,15-21
Chers
frères et sœurs,
« Rendez
donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »… tout
le monde connaît cette réponse de Jésus fort utile pour séparer le champ
politique du champ religieux et qui – quoi qu’on en pense – est le fondement de
la laïcité française. En effet, en dehors de cette distinction entre Dieu et
César opérée par Jésus, religion et politique sont toujours mélangées faisant
des dégâts immenses dans l’humanité, comme on le voit encore aujourd’hui,
malheureusement, notamment en Terre Sainte. J’attire votre attention à ce
propos sur le fait que le dollar américain est à l’effigie des premiers présidents
des États-Unis et porte la marque « In God we Trust » – « Nous
croyons en Dieu », mélangeant ainsi ici aussi politique et religion… et
argent.
Mais
revenons à la rencontre entre Jésus et ses adversaires. Si ceux-ci cherchent à
le coincer justement en mélangeant religion et politique, la réponse de Jésus
n’est-elle vraiment qu’une leçon de laïcité à la française ? Il est
probable que non et que Jésus veut nous dire beaucoup plus. La mise en scène
est très simple : avec Jésus sont présents des pharisiens et des
Hérodiens.
Les
pharisiens, comme la plupart des habitants d’Israël, aspirent à une indépendance
complète de leur pays, à sa libération de la tutelle romaine. Un certain Judas
le Galiléen, révolutionnaire proche des pharisiens, a appelé les gens à ne pas
payer l’impôt dû à César. Bien qu’il soit mort en 4 avant Jésus-Christ, ses
fils ont poursuivi activement son mouvement – devenu celui des Zélotes. Ils
seront crucifiés par les Romains dans les années 45/48. Or, nous le savons,
d’une part Jésus – appelé et reconnu par tous comme le Fils de David – est
attendu et espéré par beaucoup comme le vrai libérateur politique
légitime ; et d’autre part même parmi ses disciples se trouvent des
zélotes – dont l’Apôtre Simon le zélote, qui est de la famille de Jésus ! Si
en leur présence, Jésus répond qu’il faut payer l’impôt à César, alors, en
quelque sorte, il les renie et il trahit la cause d’Israël. Il sera donc
rejeté.
En
face, nous avons les Hérodiens, qui eux dépendent complètement, politiquement
et financièrement, de la tutelle romaine. Hérode le Grand est devenu roi de
Judée par acclamation du Sénat romain en 40 avant Jésus-Christ. À l’époque de
Jésus, son fils Hérode-Antipas, règne sur la Galilée et la Pérée – c’est lui
qui fonde la ville de Tibériade, en l’honneur de l’Empereur Tibère… Si donc en
la présence des Hérodiens Jésus dit qu’il ne faut pas payer l’impôt à César,
alors il se range dans le camp des zélotes, et il sera aussitôt dénoncé par les
Hérodiens comme rebelle aux Romains pour atteinte à l’autorité de l’Empereur.
La sanction est la crucifixion.
On
voit que le piège est bien tendu. Plus encore, les pharisiens veulent acculer
Jésus à une réponse claire : « Maître, nous le savons : tu es
toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité » :
c’est-à-dire que Jésus non seulement est attaché à la vérité, mais surtout
qu’il la met en pratique : il n’y a pas d’hypocrisie en lui, ni en paroles
ni en actes. Ce point est très important pour comprendre la réponse de Jésus,
qui justement, en s’adressant aux pharisiens les traite d’hypocrites. Ils sont
hypocrites non seulement par leurs paroles cajoleuses – ils l’ont appelé
« Maître » alors qu’ils veulent le piéger – mais aussi et
surtout dans leurs actes. Car c’est bien à eux que Jésus demande qu’on lui
montre la monnaie de l’impôt, et ils le font : ils appellent à ne pas
payer le denier de César, mais ils en ont plein les poches ! Ils se disent
résistants contre le système, mais, comme les Hérodiens, ils baignent
dedans ! Ils sont lamentables… En regard, puisqu’il demande qu’on lui
montre une pièce, et comme nous le savons par ailleurs quand il demande à
Pierre d’aller pêcher un poisson pour y trouver de quoi payer l’impôt, Jésus ne
porte pas sur lui de cet argent. Jésus se montre ici plus zélote que les prétendus
zélotes ! Mais la réponse de Jésus ne s’arrête pas là. Il a désarmé les
pharisiens hypocrites ; il s’adresse maintenant à tous, nous y compris.
Jésus
demande quelles sont l’effigie et l’inscription qui sont sur la pièce. On lui
répond comme de juste : « de César ». Il demande alors de
donner à César ce qui lui revient – en fait de reconnaître son autorité
politique. Car il est de tradition constante en Israël, que le pouvoir d’une
autorité est toujours accordé par Dieu, notamment quand cette autorité est
fidèle aux commandements de Dieu. C’est ainsi que le roi Cyrus, comme nous
l’avons entendu dans la lecture du livre d’Isaïe, est même qualifié par Dieu de
« messie ». Et Jésus a répondu à Pilate, qui lui parlait de son
pouvoir de tuer ou de gracier, en lui disant : «Tu n'aurais sur moi
aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut ». C’est pourquoi
les chrétiens ont toujours été de fidèles citoyens.
Mais
la vraie leçon est la suivante : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».
Or qu’est-ce qui est à l’effigie et à l’inscription de Dieu ? Qu’est-ce
qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu, et qui doit être rendu à
Dieu ? Ce n’est pas un denier, une pièce en métal, mais c’est l’homme
lui-même ! Et qui plus est pour un chrétien, qui par le baptême a été
configuré au Christ prêtre, prophète et roi, et porte sur son front l’inscription
de Dieu, la croix de Jésus. Nous devons certainement l’obéissance à l’autorité
légitime qui organise la vie et le bien commun, et cela se manifeste notamment
par la participation à l’impôt – et cela est politique – mais nous devons
encore plus l’adoration qui est due à Dieu seul, par l’offrande de tout
nous-mêmes et de toute notre vie – et c’est exactement ce que l’on appelle la
« vertu de religion » et que de tout temps on a toujours un peu
tendance à oublier…