Ex
16, 2-4.12-15 ; Ps 77 ; Ep 4, 17.20-24 ; Jn 6, 24-35
Chers
frères et sœurs,
Après
la mort de Jean-Baptiste, assassiné par Hérode-Antipas, Jésus s’était retiré
avec ses Apôtres près de Bethsaïde, à l’ermitage de Jean dans le désert, pour y
partager le repas rituel de deuil composé de pain d’orge et de poissons. Il y
fut aussitôt rejoint par une foule de gens qui attendaient de lui qu’il en
profite pour officialiser sa mission de Messie. En effet, n’avait-il pas été
désigné comme tel par Jean, baptisé par lui au Jourdain et confirmé par la
descente de l’Esprit Saint ? Dieu n’a-t-il pas de nouveau confirmé la
mission de Jésus par le miracle de la multiplication des pains et des poissons,
un vrai banquet royal ? Les foules attendaient vraiment de lui qu’il
prenne la tête de la libération politique d’Israël. Mais, laissant là les
foules, et même les Apôtres, Jésus était parti seul dans la montagne, pour
prier. À une aventure politique, Jésus a dit non.
Et
nous retrouvons l’Évangile de ce dimanche. Les foules n’ont probablement pas
compris pourquoi Jésus était parti, mais les Apôtres, eux, ont dû être
extrêmement déçus du refus de Jésus et de son départ. C’est l’incompréhension
totale : d’un côté Jésus part seul dans la montagne, et de l’autre les
Apôtres partent en barque pour revenir vers Capharnaüm, vers leur vie de tous
les jours. Rien ne dit à ce moment-là qu’ils devaient se revoir ! Il se
passe exactement comme au moment de la mort de Jésus : Jésus seul d’un
côté, descend aux enfers, tandis que les Apôtres réunis au cénacle, se
retrouvent comme sans avenir. C’est pareil.
Le
parallélisme des situations continue lorsque, surprise, ils se
retrouvent : Jésus leur apparaît de façon impossible : ici il marche
sur la mer – sur la mort – et là, il apparaît ressuscité. Ils réagissent de la
même manière : ils sont saisis de peur, croyant voir un fantôme. Ici il
leur dit : « C’est moi, n’ayez plus peur ! », et
là : « La paix soit avec vous ! » C’est bien lui.
Alors, ils retrouvent la terre ferme : l’orage est passé… et l’histoire reprend,
totalement différente.
Les
foules et les Apôtres, témoins de ce nouveau signe de Jésus dominant la mort,
sont en attente d’explications. Jésus reprend l’affaire au moment où ils se
sont quittés : « Vous me cherchez… parce que vous avez mangé de
ces pains et que vous avez été rassasiés », c’est-à-dire :
« Vous attendez de moi que je vous procure un bonheur terrestre. » « Et
voici le motif de mon refus : Travaillez non pas pour la nourriture qui
se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle…
celle que je vous donnerai, moi qui suis bien le Messie. » … Messie venu
donner un bonheur bien supérieur à celui qu’ils attendent, qui s’étend à la vie
éternelle.
Les
gens se montrent intéressés, et sont même prêts à collaborer à ce nouveau
programme : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de
Dieu ? » Là encore, incompréhension : ils parlent « des
œuvres » de Dieu, comme s’ils devaient accomplir les douze travaux
d’Hercule ou mettre en œuvre les 613 commandements de la Loi. Mais Jésus leur
répond : « L’œuvre de Dieu – au singulier – c’est que
vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » En gros, ils n’ont rien
d’autre à faire que de placer leur foi en Jésus. Et le reste, c’est lui qui
s’en occupe.
Les
gens ont bien compris que Jésus leur demande de lui faire un chèque en blanc.
Car donner sa foi à quelqu’un, c’est lui donner tout : absolument tout.
Les gens demandent alors un signe. Pensez à l’Annonciation : quand l’Ange
annonce à Marie quelque chose d’« impossible », qu’elle sera la Mère
du Sauveur, elle ne lui demande pas de signe ; elle répond : « Voici
la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. » Au
contraire, Zacharie lors de l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, Thomas
à l’annonce de la résurrection de Jésus, et les gens de Capharnaüm, demandent
un signe, parce que tous, ils doutent : « Quel signe vas-tu accomplir
pour que nous puissions le voir, et te croire ? »
Comme
saint Thomas voulait toucher les plaies de Jésus, ici les foules lui proposent
d’égaler ou de dépasser le miracle le plus impressionnant obtenu par
Moïse : celui du don de la manne au désert. Ce qui est fou, c’est que
Jésus l’a déjà fait lors de la multiplication des pains, mais en réalité tout
le monde sait qu’au-delà de la nourriture terrestre, il s’agit en réalité de
vie – vie des personnes, vie du peuple en tant que tel, du bonheur terrestre et
éternel de tous – qu’il est vraiment question : « Seigneur
donne-nous toujours de ce pain-là. » C’est le cri d’Adam, qui du fond
des enfers, mendie la vie éternelle, le retour au Paradis.
Et
Jésus de répondre : « Moi, je suis le pain de la vie. »
Il fallait oser, et il n’y a que le Bon Dieu pour oser faire une réponse
pareille ! À l’attente matérielle, politique et vitale des hommes, Jésus
répond qu’il est lui-même le germe de cette vie, de toute vie, y compris
sociale et matérielle.
Et
nous, nous savons que cette vie nous est déjà donnée dans le Pain
eucharistique. De fait, il n’y a pas de Pain eucharistique sans Église, sans
communauté, sans amour mutuel et pardon, sans partage ou échange des
ressources, sans paix pour prendre le temps de recevoir le Corps et le Sang de
Jésus, sans espace béni pour se réunir en communion. Voyez comme de ce « simple
petit bout de Pain » (si je puis dire) se développe une vie nouvelle
immense, la vie du Règne de Dieu. Règne dont Jésus est le Messie, Règne de
communion, qui est déjà ici-bas vie éternelle.