Jos
24, 1-2a.15-17.18b ; Ps 33 ; Ep 5, 21-32 ; Jn 6, 60-69
Chers
frères et sœurs,
Voilà.
C’est la fin de la lune de miel entre les foules de Galilée et Jésus, entre
tous ces braves gens qui espéraient qu’il devienne leur roi, pour les libérer
de l’impérialisme romain et de la colonisation culturelle grecque. Et qu’il
rende sa liberté et sa fortune à Israël, le peuple élu de Dieu. En effet, Jésus
n’était-il pas le descendant du roi David ? N’était-il pas le Messie tant
attendu, celui qui avait reçu l’onction du Seigneur au moment de son baptême
dans le Jourdain ? Il avait tout, humainement, pour réussir… Mais
qu’est-ce qui a bloqué ?
Jésus
a refusé tout pouvoir terrestre, parce qu’il n’est pas seulement roi pour Israël,
mais pour toute l’humanité. Son Royaume n’est pas le « Pays promis »
au sens géographique – de la mer à l’Euphrate pour voir large… mais le
« Pays promis » est un univers nouveau, régénéré par la puissance de
l’Esprit Saint, pour l’éternité. Nous ne comprenons pas bien ce que c’est. Ou
plutôt, nous en avons connaissance par quelques éclairs fugitifs comme la
Transfiguration, ou les apparitions de Jésus ressuscité, ou certains miracles
avérés… et bien sûr, par tout de ce que Jésus nous en a dit, qui est consigné
dans le témoignage des Apôtres.
Mais
le refus de Jésus de devenir roi sur la terre n’est pas le problème
central ; le véritable point d’achoppement entre lui et les foules porte
sur sa véritable identité : « Moi, je suis le pain vivant, qui est
descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le
pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Par
ces paroles, Jésus affirme non seulement qu’il est lui-même Dieu fait homme –
il est « la Parole de Dieu faite chair » comme dit saint Jean ;
mais en plus qu’il est la nourriture vitale de tout homme : il est le pain
vivant, le pain de la vie éternelle. Et il n’y en a pas d’autre.
Aujourd’hui
comme hier, et demain aussi, ces affirmations paraissent beaucoup trop fortes. –
« Faut reconnaître : c’est du brutal… » dirait Raoul Volfoni !
Ainsi beaucoup renoncent et s’en vont. Ils sont très peu, ceux qui comme saint
Pierre ont le courage d’accepter de boire à la coupe âcre que leur présente
Jésus : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » ; « Seigneur,
à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous,
nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Pour
pouvoir dire cela et l’assumer par toute sa vie, il faut un coup de pouce venant
de la part de Dieu : la grâce ; certains diront un petit grain de
folie… ! « Voilà pourquoi – dit Jésus – je vous ai dit que
personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
Il
y a deux conséquences à cet état de fait. La première concerne chacun d’entre
nous personnellement. Devant la coupe que nous présente Jésus, nous avons le
choix : partir discrètement, comme les foules ; ou bien confesser la foi, comme saint Pierre, en
acceptant d’y boire. Soyons clair : cela n’a rien d’évident, ni de le
faire – certains ont peur de devenir
aveugles !, ni de l’assumer ensuite par toute sa vie.
Une chose est
certaine cependant, c’est que nous tous qui sommes ici, d’une manière ou d’une
autre, nous avons déjà fait ce choix positivement. Nous l’avons fait au jour de
notre baptême, où nous avons reçu la grâce de Dieu et notre vocation chrétienne.
Sinon, nous ne serions pas là. Nous avons déjà reçu la vocation d’être
configurés à Jésus, prêtre, prophète et roi, avec sa croix sur la terre et sa
gloire dans le ciel, pour l’éternité. Et déjà nous nous nourrissons de sa vie,
par la communion eucharistique. Qu’à notre dernier jour, le Seigneur puisse simplement
nous trouver fidèles.
La
seconde conséquence concerne toute société humaine. Saint Louis, dont c’est la
fête aujourd’hui peut nous aider à comprendre. Saint Louis fait partie de ceux
qui croient fermement que Jésus est Dieu fait homme et qu’il est le vrai pain
de la vie éternelle. Il a compris deux choses :
D’une
part que sa responsabilité comme roi de France est que son royaume soit
gouverné en tenant compte de la réalité dévoilée par Jésus – c’est-à-dire que
s’il désire un royaume de France libre et paisible en ce monde, il faut que ce
royaume soit d’abord spirituellement, intellectuellement et culturellement
nourri par la vie véritable qui vient du royaume des cieux.
Et
d’autre part, par conséquent, saint Louis a compris que son devoir comme
roi de France, est de commencer ce programme par lui-même, le premier, pour
gouverner son royaume avec sagesse et être un exemple vivant pour tous. Ainsi son
modèle de royauté est Jésus lui-même. Comme Jésus roi, saint Louis rend justice
et prend soin des pauvres ; comme Jésus prêtre, il prie et fait prier
autour de lui, en se sacrifiant lui-même s’il le faut ; comme Jésus
prophète, il témoigne de la réalité de Dieu et de son règne éternel. Pour cela,
par exemple, il fait construire magnifiquement la Sainte-Chapelle.
Comme
saint Louis de France, saint Étienne de Hongrie, saint Édouard d’Angleterre, saint
Sigismond de Bourgogne, saint Vladimir de Russie, saint Olav de Norvège, saint Éric
de Suède mais aussi sainte Adélaïde, Impératrice du Saint Empire Romain
Germanique, sainte Marguerite d’Écosse, sainte Edwige de Pologne ou sainte Élisabeth
de Portugal, tous ont voulu faire de leur royaume terrestre une part du royaume
céleste. Ils l’ont réalisé en partie, par la sainteté de leur vie personnelle
et leur sage gouvernement, et ils ont fait l’Europe chrétienne, ce beau jardin dont
nous avons hérité.
Chers
frères et sœurs, saint Louis comme saint Pierre, et bien d’autres, ont bu à la
coupe de la vie éternelle que leur a présentée Jésus. Pas seulement pour leur
salut personnel, mais aussi pour le salut de leurs proches et d’un grand nombre.
C’était leur vocation, leur responsabilité et leur devoir. Alors… et nous ?
Que faisons-nous ? Buvons-nous, nous aussi, à la coupe bien remplie que Jésus
nous tend ?