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R 19, 4-8 ; Ps 33 ; Ep 4,30-5,2 ; Jn 6, 41-51
Chers
frères et sœurs,
Depuis
qu’il s’est rendu à Nazareth et depuis la mort de Jean-Baptiste, Jésus est
confronté à deux profondes incompréhensions. La première est celle de l’origine
de son autorité et de sa puissance divines, qu’il revendique ouvertement
lorsqu’il dit : « Je suis descendu du ciel » ; et la
seconde est celle de son refus d’apporter au seul peuple d’Israël l’avenir
séculier limité qu’il recherche : « Au désert, vos pères ont mangé
la manne, et ils sont morts », dit-il aux foules venues pour la
multiplication des pains. Ceci pour annoncer au contraire à tous les hommes qui
croient en lui, leur participation à la vie éternelle du Règne de Dieu : « Le
pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
En
fait, Jésus explique qu’il est comme la manne donnée par Dieu pour la survie du
peuple dans le désert, lors de l’Exode, mais qu’il est évidemment beaucoup plus
que la manne, puisqu’en lui réside la vie éternelle.
Mais
comment croire que Jésus, fils de Joseph de Nazareth, est descendu du
ciel ? Jésus calme l’inquiétude ou la colère des gens en leur
expliquant : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a
envoyé ne l’attire. » Dans le texte, en réalité, il est
écrit : « si le Père qui m’a envoyé ne le tire », comme
on tire quelqu’un d’un puits profond, ou des poissons dans un filet sont tirés
des eaux. On comprend ainsi qu’accéder à la connaissance de Jésus fils de Dieu
est une grâce accordée par Dieu, une œuvre de Dieu. De fait, Jésus
poursuit : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. »
Rappelez-vous la réponse de Jésus faite à Pierre, quand il posait la question
aux Apôtres : « Et vous, que dites-vous, qui suis-je ? » ;
Pierre avait bien répondu et Jésus s’était exclamé : « Heureux
es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé
cela, mais mon Père qui est aux cieux ! »
Ainsi, accéder à la
connaissance de Jésus est essentiellement une grâce, une vocation. Mais il ne
peut pas y avoir de vocation fructueuse pour quelqu’un, si personne ne lui
parle par ailleurs de Jésus Christ fils de Dieu.
À
celui qui répond à sa vocation chrétienne, qui croit en Jésus Fils de Dieu, la
vie éternelle est donnée. Cette vie est présentée par Jésus comme un pain qui
descend du ciel – et ce pain, c’est lui-même : « Le pain que je
donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Il
y a ici une difficulté de compréhension, qui se trouve dans toutes les langues,
même en hébreu : c’est le sens exact du mot « chair » que Jésus
nous donne comme nourriture. En hébreu, le terme « basar », qu’on a
traduit par « chair », a deux sens : soit il s’agit de l’être
vivant, l’homme, dans son intégralité : corps et âme ; soit il s’agit
seulement de sa chair au sens de sa « viande »… Inévitablement, des
gens vont mal comprendre Jésus et s’étouffer en criant à l’anthropophagie !
Et d’autres – un peu plus subtils, savent
déjà que « l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute
parole qui sort de la bouche de Dieu ». Bien sûr, Jésus emploie le
terme « basar » dans ce dernier sens : c’est tout lui-même en
tant que Parole de Dieu faite chair qui est le pain de la vie éternelle.
En
grec et en français, nous sommes piégés parce que dans notre esprit nous
divisons « basar » en corps et esprit, et nous assimilons la chair
dont parle Jésus à son corps seul. Nous tombons ainsi facilement dans l’erreur
d’une partie des gens qui écoutent Jésus. Et comme ceux-ci déjà ne croient pas
que Jésus est Fils de Dieu, ils peuvent encore moins comprendre comment sa
chair pourrait être un pain de vie éternelle. De ces incrédules, saint Irénée
disait : « C’est ainsi que, ne croyant pas à la vérité et roulant
dans le mensonge, ils ont perdu le pain de la vraie vie et sont tombés dans le
vide. » Sans la foi et sans la connaissance de Jésus, ils perdent aussi le
pain de la vie éternelle : ils ont tout perdu.
Au
contraire, cependant, il est facile de comprendre que lorsque Jésus a pris du
pain et a dit sur lui : « Ceci est mon corps », ce pain
est vraiment devenu le pain de la vie éternelle en lequel Jésus Fils de Dieu,
Verbe fait chair, est réellement présent. Ainsi celui qui mange de ce pain, où
se trouve la vie éternelle, communie dès ici-bas à cette vie éternelle. C’est
pourquoi on n’approche de l’Eucharistie qu’avec crainte et piété ; et on
rend grâce à Dieu pour le don inestimable de lui-même qu’on a reçu.
Or,
chers frères et sœurs – et je terminerai sur ce point – avez-vous observé que
là où les foules parlaient de la manne qui avait été donnée à leurs pères,
donc au seul peuple d’Israël, Jésus leur répond qu’il est lui le pain de vie
éternelle donné à tous ceux qui croient en lui, donc possiblement
à toute l’humanité ? Jésus a même tordu la citation du prophète
Isaïe : « Tes fils – les fils d’Israël – seront tous
instruits par Dieu lui-même » en « Ils – quiconque
a entendu le Père – seront tous instruits par Dieu lui-même ». Le
don du pain de vie éternelle est pour l’humanité entière.
Curieusement,
on apprend dans une tradition hébraïque ancienne que la manne, qui chaque matin
fondait au soleil, se transformait en ruisseaux descendant vers la mer. À ces
ruisseaux venaient s’abreuver des cerfs et des chevreuils que – soit les
enfants d’Israël, soit les nations du monde – venaient chasser et manger, pour
retrouver ainsi le goût si particulier de la manne. Or cette image des torrents
auxquels venaient s’abreuver les cerfs se retrouve dans le psaume 41, bien
connu : « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme
te cherche toi, mon Dieu. » Car le Cerf sait bien que dans cette eau
vive se trouve le vrai pain de la vie éternelle, Jésus-Christ fils de Dieu.