Pr
9, 1-6 ; Ps 33 ; Ep 5,15-20 ; Jn 6,51-58
Chers
frères et sœurs,
Nous
poursuivons, à la suite de dimanche dernier, notre lecture du chapitre VI de
l’Évangile de Jean, lorsque Jésus explique aux foules pourquoi il refuse d’être
pour elles un roi terrestre. Cette question s’était posée au moment de la mort
de Jean-Baptiste, qui avait désigné Jésus comme Messie. À l’occasion du repas
rituel de deuil, au bord du lac, Jésus avait multiplié les pains et, de ce
fait, les foules attendaient de lui, qu’en plus de devenir leur roi, il
perpétue ce miracle : elle attendaient de Jésus qu’il leur apporte une vie
libre et heureuse sur la terre, dans l’abondance.
Mais
Jésus leur propose bien plus – bien plus que la manne que Dieu avait accordée
aux Hébreux, lors de leur exode au désert. Il leur propose non pas une
libération de sempiternels tyrans, non pas le don d’un territoire, non pas une
vie paisible, toujours limitée par la mort ; mais la libération totale de
l’homme de son asservissement radical qu’est le péché ; il leur propose le
don du véritable pays promis : le Règne de Dieu – non pas un simple retour
au Paradis perdu, mais l’entrée dans la gloire de Dieu lui-même ; et
enfin, la participation à la vie éternelle de Dieu, dans la paix, la joie et la
lumière. Et dans ce nouvel Exode, où l’on passe de la terre au ciel, Jésus se donne
lui-même comme nourriture : « Moi, je suis le pain vivant, qui est
descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le
pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Et
là : problème. « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à
manger ? » On comprend la perplexité des gens, car le mot
« chair » employé par Jésus a deux sens en hébreu : celui de la
« chair » au sens de la « viande », et celui de la totalité
de l’homme créé : corps et âme ; tout l’homme. C’est évidemment dans
ce second sens que Jésus emploie le mot « chair ». Mais nous ne
comprenons pas encore très bien – et même les disciples, eux aussi, à l’époque,
ont eu du mal avec les explications de Jésus.
Dans
son explication Jésus dit : « si vous ne mangez pas la chair du
Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en
vous. » La mention du « Fils de l’homme » est éclairante – et je
remercie ici saint Clément d’Alexandrie de me l’avoir fait comprendre. Le
« Fils de l’homme » est – selon la prophétie de Daniel – le Messie de
Dieu qui, après avoir accompli sa mission dans le monde, monte auprès du Père
dans sa Gloire, pour s’asseoir à sa droite. Ainsi, la chair du Fils de l’homme,
c’est la chair de Jésus ressuscité : ce n’est pas sa chair terrestre,
corruptible, mais sa chair incorruptible, lumineuse, qui peut passer à travers
les portes fermées, mais qui peut aussi absorber du poisson et dont on peut
toucher les plaies. C’est de cette chair dont Jésus a dit, en prenant du
pain : « Ceci est mon Corps ». De même le sang de Jésus
est double : il est en même temps son sang humain, versé sur la Croix pour
le salut du monde, et il est aussi le vin doux répandu sur les Apôtres, et au
plus profond de leur cœur, à la Pentecôte. C’est de lui dont Jésus a dit, en prenant
une coupe de vin : « Ceci est mon Sang ».
Avec
cet éclairage de saint Clément, nous comprenons d’une part pourquoi les foules
de Capharnaüm et les disciples ne pouvaient pas comprendre de quelle chair et
de quel sang Jésus voulait parler, puisqu’ils ne connaissaient pas la
résurrection. Et d’autre part, nous comprenons mieux, nous – et peut-être
d’ailleurs avec une certaine émotion – quels sont le Corps et le Sang de Jésus
auxquels nous-mêmes communions aujourd’hui : il s’agit de la chair et du
sang du Christ ressuscité.
On
comprend alors d’autant mieux la phrase suivante de Jésus : « Celui
qui mange ma chair et boit mon sang a la
vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » En
effet, communier au Corps et au Sang de Jésus, c’est communier à sa
résurrection, et vivre de sa vie éternelle.
Jésus
– dans sa lancée, et même si les gens devant lui n’ont encore pas compris
grand-chose à son discours – continue d’expliquer comment sa chair et son sang
sont nourriture de vie éternelle, et quels en sont les effets. L’effet de cette
nourriture : c’est la communion : « Celui qui mange ma chair
et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le
Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui
qui me mange, lui aussi vivra par moi. » Jésus ne propose rien d’autre
que faire partie de la Sainte Trinité. Jésus évoque son Père qui demeure en lui
et en qui il demeure ; il évoque lui-même, qui demeure en nous et en qui
nous demeurons. Et il manque le Saint-Esprit, allez-vous me dire ? Pas du
tout : l’Esprit Saint est bien présent : il est la Vie : « De
même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis
par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. »
Celui qui réalise la communion entre le Père et le Fils, et entre le Fils et chacun
de nous, c’est l’Esprit Saint qui est la Vie divine et éternelle. En recevant
la chair de Jésus – dans son Corps – nous recevons aussi sa Vie, qui est son
Sang – les deux étant évidemment inséparables. Or la chair de Jésus et son Sang
proviennent tous deux du Père.
Voilà
chers frères et sœurs le programme politique et humanitaire de Jésus pour un
monde plus juste et plus fraternel : la communion à sa Chair et à son Sang,
qui sont vie éternelle dans l’amour de Dieu, notre Père à tous.