Is
9, 1-6 ; Ps 95 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
Chers
frères et sœurs,
Saint
Luc est comme le Petit Poucet. Il nous conduit sur un chemin, qui est celui de
son Évangile, tout en y semant des petits cailloux. Et bien sûr, ces petits
cailloux nous indiquent le sens véritable de ce qu’il veut nous transmettre.
Ainsi
donc, à lire simplement l’évangile, nous comprenons que Joseph, de la lignée de
David, doit aller se faire recenser à Bethléem, sa ville d’origine. Faute d’un
endroit adéquat au caravansérail pour accoucher, Marie et Joseph se rendent à
l’écart, dans une étable. Et là, Marie donne naissance à Jésus, qui est son
« premier-né ».
« Premier-né »
est un terme juridique dans la Loi de Moïse : c’est le premier enfant mâle
d’une femme, qu’elle ait trente-six enfants ou un seul. À la naissance de ce
premier-né, parce qu’il appartient au Seigneur, sont liées des obligations de
rachat, ce que feront Marie et Joseph lorsqu’ils iront au Temple offrir deux
petites colombes. Donc « premier-né » ne signifie pas du tout
que Marie a eu d’autres enfants par la suite. Mais revenons à l’évangile.
Des
bergers se trouvent dans les environs et sont avertis par un ange de la
naissance du « Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur ».
Évidemment, la traduction nous fait rater le jeu de mots qui existe en hébreu.
On aurait pu traduire aussi par : « il vous est né Jésus, qui est le
Christ, le Seigneur ». Parce que « Jésus » et
« Sauveur », en hébreu, c’est exactement le même mot. Et l’ange donne
aux bergers le signe qu’ils le trouveront emmailloté dans une mangeoire. Voilà
qui est curieux, comme signe, mais passons. Et tout à coup la troupe céleste
innombrable des anges chante le Gloire à Dieu.
Voilà
le récit que nous donne Luc. Comme chaque année, nous sommes émerveillés et
attendris. La naissance d’un enfant, dans des conditions un peu précaires, avec
des gens simples qui viennent lui rendre visite, nous parle au cœur. Et nous
trouvons si beau que le Seigneur notre Dieu vienne, par sa naissance, épouser
notre modeste condition humaine. Et tout cela est très vrai et très bon.
Mais
saint Luc a semé des petits cailloux sur le chemin. Essayons d’en trouver un ou
deux.
« Dans
la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors. » Le premier
caillou est le mot qu’on a traduit ici par « région ». En hébreu ou
en araméen, on dit « en ce lieu ». Mais le sens premier de ce mot
dans ces langues est « sanctuaire ». Ainsi donc, on pourrait
traduire : « Dans ce sanctuaire (on parle de l’étable où sont Jésus,
Marie et Joseph), il y avait des bergers qui vivaient et qui veillaient la nuit
pour garder leurs troupeaux. » Or, l’expression utilisée, quand on a
compris que saint Luc a fait un rapprochement avec le Temple, fait immédiatement
penser aux Lévites, eux prêtres, qui assurent le service du Sanctuaire de Dieu
et qui sont les bergers d’Israël, son peuple.
Tout
à coup l’ange du Seigneur, nous dit saint Luc, se manifeste. L’Ange du
Seigneur, n’est pas un petit ange, c’est l’ange n°1 : en fait, c’est une
manière de parler de la présence de Dieu lui-même. Et voilà pourquoi les
bergers sont terrorisés : ils sont en présence de Dieu, dans sa gloire.
L’Ange du Seigneur leur dit : « ne craignez pas » et il
leur donne le signe dont nous parlions tout à l’heure : « Vous
trouverez un nouveau-né emmailloté, et couché dans une mangeoire » Et
voilà notre second caillou : en hébreu ou en araméen : « dans
une mangeoire », c’est un jeu de mot que l’on peut aussi traduire par :
« dans la Lumière ». Hé bien oui, quand on est dans le Temple de
Jérusalem et qu’on entre dans le sanctuaire, on y trouve le chandelier à sept
branches, la lumière, qui évoque le Buisson Ardent. Or dans les deux cas, il
signifie la Présence de Dieu. Notre mangeoire est une manière cachée de dire
que Jésus, qui habite dans le Sanctuaire, est porté par la lumière : il
est Présence de Dieu, il est Dieu lui-même. Et les braves bergers sont comme
les lévites, les prêtres du Temple, qui assurent le service de l’adoration de
Dieu et qui prennent soin du Peuple de Dieu, les brebis.
Alors,
évidemment, avec les petits cailloux, on ne lit plus l’évangile tout à fait de
la même manière. Mais cela doit nous aider à comprendre ce que nous faisons ici
ce soir. Vous êtes comme les bergers ou les prêtres du Temple ; vous êtes
entrés dans l’église comme les premiers dans l’étable et les seconds dans le
Sanctuaire. Vous y avez trouvé la lumière des bougies à l’autel, comme les
bergers la mangeoire de lumière, et les prêtres le chandelier à sept branches
rappelant le Buisson Ardent. Et c’est dans cette lumière que repose le pain et
le vin, Corps et Sang de Jésus-Sauveur, l’enfant de Bethléem, la Présence de
Dieu dans le Saint-des-Saints du Temple de Jérusalem.
Si
je joue pour vous ce soir le rôle de l’ange du Seigneur, en vous expliquant ce
qu’il se passe, vous, vous êtes les bergers, et aussi les prêtres. Et de fait
vous l’êtes en raison de votre baptême. Cela veut dire que votre vocation est
d’adorer Dieu dans son Temple, et de transmettre sa bénédiction à tous les
hommes, en chantant avec tous les anges du ciel : « Gloire à Dieu au
plus haut des cieux, et paix sur la
terre aux hommes, qu’Il aime. »