Pr
31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 ; 1Th 5,1-6 ; Mt 25,14-30
Chers
frères et sœurs,
En
première analyse de cet enseignement de Jésus, nous comprenons que le Seigneur
donne à chacun d’entre nous des talents, qu’il nous revient de faire fructifier
sous peine de nous voir condamnés durement. Cela place sur nos épaules une
lourde responsabilité, selon ce que l’on estime avoir reçu de lui, et en regard
des vies bien modestes que nous pouvons lui présenter en retour.
Mais
il s’agit de ne pas se tromper de talents. Car il n’est pas d’abord question de
dons naturels que nous aurions pu développer ou pas. Il y a certainement ici des
Mozart qui s’ignorent… Mais si personne ne leur a révélé leur don musical
exceptionnel, comment pourraient-ils être tenus pour responsable de ne pas
l’avoir développé ? Ou bien, la vie aura fait qu’il n’était pas possible
de le développer, et ils ne peuvent pas ici non plus être tenus pour
responsables. Non, dans l’Évangile, il s’agit de toute autre chose.
En
Orient, il est de coutume d’attribuer les cinq talents aux évêques, les deux
talents aux prêtres et le talent aux diacres. Ce n’est probablement pas ce qu’a
voulu dire Jésus, mais cela nous donne une piste. On voit ici que le Seigneur
attend davantage de ceux à qui il a donné – non pas des honneurs – mais des
charges d’âmes : les talents, ce sont en même temps les autres, et
l’Évangile qu’on doit leur porter, qui est leur nourriture pour qu’ils puissent
vivre et développer leur foi. En fait, pour saint Éphrem, le talent donné par
le Seigneur est la foi elle-même, qu’il attend de voir se développer et de
donner du fruit. De fait, nous pouvons faire deux observations.
La
première est que le Maître ne s’intéresse pas au nombre de talents qu’il aura
pu récolter à son retour, mais il s’intéresse au fait que les serviteurs leur
auront fait produire du fruit, chacun selon sa capacité. Il répond d’ailleurs
exactement la même chose à celui qui a produit deux talents qu’à celui qui en a
produit cinq. En revanche, il reproche au dernier d’avoir caché son talent et
de ce fait, de ne lui avoir rien fait produire, même pas les intérêts d’un
dépôt en banque.
Ainsi,
le Seigneur se réjouira au ciel autant de l’arrivée de sainte Thérèse de
Lisieux ou de saint Vincent de Paul que de la petite dame qui a mis cinq
centimes dans le tronc du Temple de Jérusalem ou du lépreux samaritain qui est revenu
simplement le remercier pour sa guérison. À chacun selon ses capacités. En
revanche aux prêtres, par exemple, qui ont beaucoup reçu en matière de
connaissance des choses divines, en pouvoir de gouvernement des communautés, en
capacité de célébrer les sacrifices ou les sacrements, et qui en ont enfouis
l’usage, ou pire, l’ont détourné à des fins mauvaises, ceux-là perdront tout
puisqu’ils seront chassés de la salle des noces de l’Agneau, tout prêtre qu’ils
auront pu être.
Mais
ne pensons pas trop vite que, plus on a reçu de catéchisme, de séminaire ou de
sacrements, plus on a reçu de talents. C’est plutôt une question d’état
d’esprit. Comparons donc – et c’est ma deuxième observation – les qualificatifs
que le maître attribue à chacun des serviteurs. Les deux premiers sont
qualifiés de bons et fidèles ; et le dernier de mauvais et
paresseux.
Celui
qui est bon, c’est Dieu lui-même. Ainsi le serviteur bon agit
comme Dieu lui-même agirait. Ce n’est pas qu’il a reçu une bonne note, le serviteur
bon, c’est qu’il a agi avec bonté, qu’il a fait du bien,
gratuitement et sans compter, autour de lui. Et il est dit aussi de lui qu’il
est fidèle, c’est-à-dire qu’il a la foi. Le bon et fidèle serviteur,
c’est celui qui accomplit la Loi : celui qui aime Dieu et son prochain,
réellement.
À
l’inverse se trouve le serviteur mauvais et paresseux. Dans la bouche de
Jésus, la référence au paresseux n’est pas un hasard, c’est une
référence directe au Livre des Proverbes où est décrit quinze
fois ce qu’est être paresseux : le paresseux manque de sagesse –
c’est-à-dire qu’il n’écoute pas la Parole de Dieu ; il s’est endormi ;
il n’a pas mis en pratique les commandements ; et surtout : il a peur
devant la tâche à accomplir ! D’ailleurs, le mauvais serviteur le dit
lui-même : « J’ai eu peur. » Car le contraire de la foi,
ce n’est pas le doute, c’est la peur !
La
femme parfaite décrite dans la première lecture – extraite justement du Livre
des Proverbes –, est le miroir inversé du mauvais paresseux. Cette femme,
c’est l’Église, elle qui craint le Seigneur – elle a la foi –, qui travaille
avec ardeur, est attentive aux pauvres, et dont on chante publiquement les
louanges pour ses œuvres bonnes.
Chers
frères et sœurs, à nous qui sommes baptisés – prêtres, prophètes et roi – qui
avons reçu le don de la foi, avec un peu capacité pour prier le Seigneur, un
peu de catéchisme pour annoncer l’Évangile, et un peu de responsabilités
familiales, sociales ou communautaires, le Seigneur attend de nous que nous
fassions fructifier tout cela de bon cœur, comme lui : en aimant et Dieu
et notre prochain, c’est-à-dire en nous offrant pour eux autant que nous
pouvons et jusqu’à toute notre vie. Alors, nous pourrons un jour entendre le
Seigneur nous dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la
joie de ton seigneur ! »