Is
66,10-14c ; Ps 65 ; Ga 6,14-18 ; Lc 10,1-12.17-20
Chers
frères et sœurs,
L’Évangile
de ce dimanche fait suite à celui de dimanche dernier, où il était question de
l’appel de Jésus à le suivre immédiatement et totalement pour devenir son disciple.
Aujourd’hui, les mêmes disciples qui marchent à la suite de Jésus sont envoyés
par lui en mission dans le monde. Je veux dire par là que l’on ne peut pas se
dire missionnaire du Christ si l’on ne suit pas d’abord Jésus intégralement « de
tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force » et si l’on
n’est pas missionné par lui. Il y a donc deux conditions pour recevoir la
parole de quelqu’un qui se réclame de l’Évangile : est-il réellement
disciple de Jésus et Jésus l’a-t-il envoyé ? Si l’on pèse sérieusement ces
deux questions on peut parfois faire du tri…
Plus
encore, lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il leur donne une ligne
de conduite tout à fait particulière. Il faut bien comprendre, d’abord, que les
disciples n’ont pas un message à transmettre, mais seulement à préparer la
venue de Jésus là où lui-même doit venir. Ensuite, qu’ils sont envoyés dans un
monde où sont mélangés les loups et les amis de la paix, sans qu’on puisse
faire la différence entre eux – sauf au moment où, au moment d’arriver chez eux,
le disciple les salue en disant « Paix à cette maison. » Le
loup est celui qui refuse la paix et ferme sa porte, l’ami de la paix est celui
qui va accueillir et manger avec le missionnaire. En fait, ce qui fait la
différence entre le loup et l’ami de la paix, c’est que l’ami de la paix a déjà
l’Esprit Saint en lui, qui reconnaît immédiatement et intuitivement le nom de
Jésus à travers le mot « paix » prononcé devant chez lui. Comme si on
branchait enfin deux pièces qui attendaient depuis longtemps d’être accouplées,
parce qu’elles sont faites pour cela.
Jésus
ne demande pas de saluer les gens en chemin, à la cantonnade, en leur disant
« Paix, Paix ! », mais il demande précisément de dire « Paix
à cette maison » lorsqu’on est sur son seuil. La mention de la
« maison » est donc très importante. En fait – comme tout juif le
comprend, et comme chaque chrétien devrait le comprendre – la maison renvoie au
Temple, et par lui à la maison de prière de chacun, c’est-à-dire au cœur de
chacun. « Paix à cette maison » peut donc se traduire par :
« Que la paix soit dans ton cœur » ; « Que Jésus soit dans
ton cœur. »
Mais
notre traduction ne nous permet pas comprendre avec précision les paroles de
Jésus. Ainsi, la formule « Paix à cette maison », quand elle
est traduite directement de l’hébreu ou de l’araméen, devrait plutôt se dire sous
forme de question : « Qu’en est-il de la paix dans ta
maison ? » Ainsi, si nous reprenons la formule de tout à l’heure, la
salutation devient : « Qu’en est-il de la paix dans ton cœur – qu’en
est-il de Jésus dans ton cœur ? » On comprend tout de suite le choc
que provoque le missionnaire quand il arrive chez quelqu’un, qui se voit tout d’un
coup obligé d’apporter – au moins en lui-même – une réponse à cette question.
C’est ainsi, finalement, qu’il se révèle soit loup, soit ami de la paix.
Mais
revenons aux consignes données par Jésus à ses disciples : « Ne
portez ni bourse, ni sac, si sandales et ne saluez personne en chemin. »
Pris au premier degré, on comprend – comme saint François – qu’il faut
« épouser Dame pauvreté » : pas d’argent, pas de bagages,
pauvreté jusqu’à une certaine nudité. De fait plusieurs saints ont suivi ce
programme à la lettre. Mais on ne comprend pas la suite : « Ne
saluez personne en chemin. » Voilà qui est curieux pour des
missionnaires ! Quand on ne comprend pas, si on ne peut pas lire le grec,
l’araméen ou l’hébreu, il suffit généralement de rechercher les expressions
correspondantes dans les Écritures. Souvent cela aide.
« Ne
portez ni bourse, ni sac, si sandales » Les seuls emplois de « bourse »
dans les Écritures renvoient aux notions d’idolâtrie et de vol. Et on voit se
profiler à travers elles la figure du jeune homme riche qui dilapide son
héritage. Le seul emploi du même mot araméen « sac » dans les
Écritures renvoie au petit sac que David avait attaché à sa ceinture, dans
lequel il tenait les cinq pierres pour sa fronde. Jésus ne veut pas que ses
disciples portent des sacs de guerre. Pour les « sandales », c’est
plus difficile à comprendre. Mais, en suivant la logique de la bourse et du
sac, où Jésus ne veut pas qu’on se comporte comme des hommes d’argent ou de
guerre, il ne veut pas non plus qu’on se comporte de manière cléricale au
mauvais sens du terme, de manière hypocrite et dominatrice. Car l’image des
sandales, à l’époque, peut être rapportée aux grands prêtres. On voit donc que
le disciple de Jésus ne doit donc pas fraterniser avec les puissances
dominantes du monde : car il est très différent. Il est pauvre, innocent,
fidèle, non-violent, droit et humble. Voilà le chrétien.
Et
cela explique la dernière partie de la consigne : « Ne saluez
personne en chemin » – en araméen : « Ne demandez pas la
paix en chemin ». C’est-à-dire que Jésus ne veut pas que ses disciples
parlent de paix – parlent de lui – loin des maisons, loin des cœurs. Car la
paix de ceux qui errent en chemin avec bourse, sac et sandales est celle des idolâtres
de l’argent, de la guerre et des idéologies – la soi-disant paix du monde – Et
elle n’a rien à voir avec la paix qui vient de Dieu, celle qui doit se trouver
dans les maisons, dans les cœurs, quand ils sont habités par l’Esprit Saint.
Ainsi
donc l’Évangile de ce dimanche pose la question essentielle à tous les hommes
et d’abord à nous-même : « Paix à cette maison » ;
« Qu’en est-il de Jésus dans ton cœur ? »