1R
19,16b.19-21 ; Ps 15 ; Ga 5,1.13-18 ; Lc 9,51-62
Chers
frères et sœurs,
Vous
le savez, la première lecture et l’Évangile vont toujours ensemble. En les
écoutant, nous comprenons que l’appel de Jésus à le suivre sollicite de notre
part une réponse immédiate, totale et sans retour. Cet appel est donc très
exigeant, quoique la réponse soit laissée à notre liberté. Il s’ensuit que bien
peu sont réellement appelés à suivre Jésus avec autant de radicalité, car il
faut bien la grâce de Dieu pour le suivre de la sorte. Et ce n’est pas faux. On
le voit bien, d’ailleurs : aucun ne répond immédiatement à l’appel de
Jésus. Répondre immédiatement et intégralement à ce genre de vocation est de
l’ordre du miracle. De fait, lorsque nous apprenons que les Apôtres, eux, ont
immédiatement suivi Jésus, laissant certains leurs filets et même leur papa
dans une barque, ils apparaissent comme des surhommes ou des miraculés. Mais
tout le monde n’a pas vocation à devenir Apôtre.
Peut-être
qu’il faut reprendre nos lectures avec un peu plus de profondeur. Du temps de
Jésus et des premiers chrétiens, la question de l’identité de Jésus se posait
avec insistance : qui était-il vraiment ? Certains disaient qu’il
était Élie, le grand prophète d’Israël qui avait connu le Seigneur au mont
Horeb et qui avait détruit les prêtres de Baal à l’époque du roi Acab. Depuis
son départ, tout Israël attendait – et attend toujours aujourd’hui – avec
beaucoup d’espérance, son retour, annonçant la libération et la royauté du
Peuple de Dieu, son couronnement. Donc, beaucoup s’interrogeaient sur les
rapports qui existaient entre Jésus et Élie. Est-ce que Jésus n’était pas Elie,
enfin revenu, qui annonçait l’avènement d’Israël ?
Aujourd’hui,
les lectures nous donnent quelques liens possibles entre Jésus et Elie. Relevons
d’abord la proposition faite par Jacques et Jean de faire tomber le feu du ciel
sur les Samaritains, qu’ils considéraient comme d’abominables hérétiques. Or
c’est en faisant tomber le feu du ciel qu’Elie s’était débarrassé des prêtres
de Baal. Jacques et Jean voyaient donc en Jésus, à cette époque, un nouvel
Elie. Or Jésus les réprimande : il n’est pas venu condamner les pécheurs,
mais les sauver.
Ensuite,
remarquons que Jésus comme Elie, appellent chacun un ou des disciples, à qui ils
demandent de les suivre immédiatement, et que les Apôtres de Jésus sont douze,
alors qu’Élisée vient de terminer de labourer son douzième arpent.
J’ajoute
ici encore un lien qui ne se trouve pas dans nos lectures, mais qui est
toujours en rapport avec Élisée ou les Apôtres : à Élisée, Elie a promis
qu’il recevrait une part de son esprit, si seulement il pouvait le contempler
dans son ascension. Car Elie a disparu, emporté sur un char de feu. Or c’est
exactement ce qu’il s’est passé pour les Apôtres : après avoir contemplé
Jésus dans son Ascension, quelques jours après, ils ont été revêtus de son
Esprit Saint.
On
comprend donc pourquoi les premiers chrétiens s’intéressaient particulièrement
à la figure d’Elie. En fait, il est une préfiguration – une prophétie – de
Jésus. Mais Jésus est bien plus qu’Elie : car Elie est un prophète du
Seigneur, tandis que Jésus est le Seigneur lui-même.
Quelles
leçons pouvons-nous retenir de cette lecture, qui nous concerne tous, et pas
seulement quelques miraculés ? J’en retiendrai trois.
La
première est que quand Elie vient, ou quand Jésus vient dans nos vies, c’est
toujours par surprise, au beau milieu de notre vie quotidienne, et il
transforme cette vie quotidienne en vie extraordinaire : Élisée labourait
physiquement douze arpents de terre : comme prophète, il va labourer
spirituellement les douze tribus Israël ; Pierre était pécheur de poissons
sur le lac de Galilée : comme Apôtre, il sera pêcheur d’homme parmi toutes
les nations. Ni Élisée, ni Pierre ne s’attendaient à cela.
La
seconde leçon est que l’appel de Jésus nous fait changer d’espace-temps.
Changement d’espace, parce que le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête,
c’est-à-dire qu’on part dans une aventure dont on ne sait pas ni où ni comment elle
va se dérouler. Et changement de temps, parce que le Règne de Dieu dépasse tous
les temps : la mort n’a plus de sens, et le passé non plus. Car Dieu est
la vie-même : la nouveauté créatrice en permanence. Avec lui, on ne sait
pas ce qu’il va se passer demain : tout est possible, y compris les
miracles. Suivre Elie ou suivre Jésus, c’est s’ouvrir totalement à la vie.
La
troisième leçon est que beaucoup d’entre nous peuvent se dire : « Mais
cela, je l’ai vécu », ou « Je le vis ». En effet, être appelé
par l’amour pour suivre son époux ou son épouse dans le mariage, par exemple,
produit exactement les mêmes effets. Chacun est Elie ou Élisée l’un pour
l’autre. Et quand Elie part, Élisée sait qu’il reçoit bientôt une part de son
esprit, qui lui permet de continuer d’avancer sur le chemin, jusqu’aux
retrouvailles. L’appel de Dieu à la vie est aussi un appel à l’amour, et
réciproquement. On devrait ajouter aussi, appel à la vérité. Car les trois vont
ensemble.
Alors,
en conséquence et pour terminer, on s’aperçoit que le point commun entre Elie
et Élisée ou entre Jésus et ses Apôtres, point qui seul a la capacité de donner
toute la force nécessaire aux uns pour répondre immédiatement, totalement et
sans retour, à l’appel des autres, en se donnant intégralement : c’est
l’amour divin. Le miracle est toujours dans l’amour et l’amour toujours un
miracle.
Finalement,
quand nous aimons et nous nous donnons à Dieu, comme à notre bien-aimé(e), nous
sommes toujours au cœur des Écritures et de l’Évangile.