lundi 4 mai 2020

03 mai 2020 - 4ème dimanche de Pâques - Année A - Commentaire


Ac 2,14a.36-41 ; Ps 22 ; 1P 2,20b-25 ; Jn 10,1-10

Chers frères et sœurs,

Une fois n’est pas coutume, je vais commenter la seconde lecture plutôt que l’évangile. Une phrase de la lettre de saint Pierre attire mon attention : « Si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. » et nous lisons aussitôt : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »
Les choses sont claires : le Seigneur Jésus a souffert pour nous, afin de nous faire entrer au ciel. Nous sommes tous appelés à le suivre, et si certains sont conduits à souffrir comme lui – parce qu’ils ont fait le bien – alors c’est une grâce pour eux. Nous trouvons ici le motif de la vénération que les chrétiens ont toujours portée aux martyrs de sang, mais aussi aux martyrs de la charité, quand la pratique de celle-ci les a aussi conduits à la mort.

Nous retrouvons cette vision des choses dans deux témoignages d’évêques du IIIème siècle, confrontés en leur temps à une épidémie massive : Saint Denys d’Alexandrie, et Saint Cyprien de Carthage. Ces témoignages ont été étudiés par le sociologue Rodney Stark, dans un chapitre de son livre L’Essor du christianisme, paru en 2013, dont je vous recommande la lecture.

Saint Cyprien de Carthage écrit en 251. Pour lui, seuls les non-chrétiens avaient quelque chose à redouter de la peste. En effet, alors que la mort frappe indistinctement justes et injustes, elle n’est pas pour autant identique pour eux : « Les justes sont appelés à jouir d’un bonheur éternel, tandis que les injustes sont livrés au supplice ; les croyants trouvent une protection dans leur foi, les incroyants ne recueillent que des châtiments. »
Son jugement nous paraît dur, mais Saint Cyprien en donne les motifs : « […] comment ignorer l’importance et la nécessité de ce fléau, de cette peste si horrible et funeste en apparence, qui éprouve l’équité de chacun et sonde l’âme de l’homme afin de déceler si les forts assistent les faibles, si les parents nourrissent des sentiments affectueux à l’égard des leurs ; si les maîtres traitent avec bienveillance leurs serviteurs accablés de travail ; si les médecins ne négligent pas leurs malades ».
Le jugement porte donc sur la manière dont on se comporte pendant l’épidémie. Pour le chrétien, explique Saint Cyprien, la condition de mortel a l’avantage de lui « faire aborder le martyre sans répulsion en lui apprenant à ne pas craindre la mort » : « Tous les événements qui composent notre existence de mortels sont autant d’occasions d’exercer nos qualités, non de nous affliger ; ils permettent à notre âme d’accéder à la gloire de la vaillance et la préparent à l’apothéose en l’habituant à mépriser la mort. » Ainsi, ajoute-t-il « Nous ne devons pas nous affliger du rappel à Dieu de nos frères, puisque nous savons bien qu’ils ne sont pas perdus, mais qu’ils ne font que nous devancer. »

Ainsi donc, selon Saint Cyprien, face à l’épidémie qui frappe tout le monde, le chrétien, qui n’a pas peur de la mort, peut librement exercer la charité à l’égard de son prochain. S’il est lui-même touché et meurt pour ce motif, il est assimilé à un martyr et il est appelé au bonheur éternel. Le païen, par peur de la mort, au contraire, se refuse à la charité et, partant de là, se ferme le ciel.

Saint Denys d’Alexandrie écrit au moment de la fête de la Pâque, en 262. La situation est difficile : « A présent, vraiment, tout est lamentation, tous sont dans le deuil ; les gémissements retentissent dans la ville à cause de la multitude de ceux qui sont morts et de ceux qui meurent chaque jour. »
Comme Saint Cyprien, Saint Denys compare l’état d’esprit des païens et celui des chrétiens : « Pour eux, ce fut chose plus redoutable que tout autre objet de crainte, donc plus cruelle que n’importe quel malheur, et, comme l’a rapporté un de leurs écrivains, « l’unique affaire entre toutes qui ait dépassé toute attente ». Pour nous, elle ne fut pas cela mais elle fut, tout comme les autres épreuves [de la persécution], une palestre et un test, car la maladie ne nous a pas épargnés, nous non plus, si elle a beaucoup frappé les païens. »
Tandis donc que les païens apparaissent écrasés par le fléau, les chrétiens réagissent différemment : « La plupart de nos frères en tous cas, débordants de charité et d’amour fraternel, sans s’épargner personnellement, s’attachaient les uns aux autres, visitaient sans se ménager les malades, les servaient magnifiquement, les soignaient dans le Christ et ils étaient heureux d’être emportés avec eux, contaminés par le mal des autres, attirant de leurs proches la maladie sur eux-mêmes et se chargeant volontiers de leurs souffrances. Beaucoup mouraient, après avoir soigné et réconforté les autres, ayant transféré sur eux la mort des autres ; ils accomplissaient dans la réalité le mot bien connu, qui semblait être toujours de pure bienveillance : ils s’en allaient comme les « très humbles serviteurs » de leurs frères. Les meilleurs de nos frères sortirent donc ainsi de la vie – des prêtres, des diacres, des laïcs –, couverts de louanges, car ce genre de mort provoquée par une grande piété et une foi robuste ne paraissent en rien inférieur au martyre. Ils recevaient les corps des saints dans leurs mains tendues et sur leur poitrine ; ils purifiaient leurs yeux et fermaient leurs bouches ; ils les portaient sur leurs épaules et les ensevelissaient ; ils s’attachaient à eux, les embrassaient, les paraient de vêtements, après les avoir baignés ; et peu après ils obtenaient les mêmes soins, car les survivants poursuivaient sans cesse l’œuvre de leurs devanciers. »
Au contraire, en effet, tout opposée était la conduite des païens : « Même ceux qui commençaient à être malades, ils les chassaient ; ils fuyaient les personnes les plus chères ; ils jetaient dans les rues des hommes à demi morts ; ils mettaient eu rebut des cadavres sans sépulture, dans leur désir d’échapper à la transmission et au contact de la mort, mais même à ceux qui employaient toutes sortes de moyens, il n’était pas facile de l’écarter. »

Saint Denys parle comme Saint Cyprien : à Alexandrie comme à Carthage, n’ayant pas peur de la mort, les chrétiens déploient des trésors de charité sans craindre pour eux-mêmes. Et s’ils se trouvent eux-aussi emportés par l’épidémie, ils atteignent à la gloire du martyre, c’est-à-dire la mort à l’image de celle du Seigneur Jésus qui nous a enseigné : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Au contraire, les païens sont ici aussi caractérisés par la peur de la mort et les réactions inhumaines.

Finalement, on s’aperçoit qu’à Carthage en 251 comme à Alexandrie en 262, l’épidémie n’est pas perçue par les chrétiens comme une malédiction contre qui que ce soit. Elle est plutôt perçue par eux comme une épreuve, un test pour la foi en la résurrection. De cette foi naît une intense charité, qui apparaît alors comme la porte du ciel.

Alors que nous sommes aujourd’hui confrontés à la même épreuve, nous avons dans l’épître de Saint Pierre comme dans les témoignages de Saint Cyprien et Saint Denys de quoi nourrir notre foi et donner force à notre charité. Que le Seigneur nous fasse la grâce de nous montrer dignes de nos anciens dans la foi.

Articles les plus consultés